
Il faut déjà que je vous dise, je n’ai plus le mal de mer, je suis amarinée de pied en cap, mais pour être honnête, la mer a été plutôt calme la majeure partie du temps, cependant, même quand la mer est calme, le bateau bouge en permanence ce qui m’oblige à me déplacer en m’agrippant à droite et à gauche comme un singe qui se balance dans une cage, et malgré moult précautions destinées à ne pas abréger mon aventure, voire mon existence, en m’explosant en bas de la descente avec un couteau à la main, je suis pleine de bleus à m’être cognée de-ci delà au gré de mes allées et venues acrobatiques

Mais le plus important, c’est que j’ai progressé en nav’ ! j’en arrive carrément à anticiper certains ordres du capitaine, j’en serais presque à attendre une petite tape sur le museau comme un chien qui a ramené la baballe à son maître, je suis sûre que je fais cette tête-là, il ne me manque que la langue qui halète, mais le capitaine ne s’appesantit pas sur ce genre de détails, manquerait plus que ça qu’il doive sempiternellement me rappeler qu’avant de dérouler le génois il faut que je règle son point de tire ou encore qu’on attache la balancine en pied de mât quand on hisse la grand-voile et j’en passe …je pense que c’est le meilleur stage de voile du monde, on n’arrête pas de manœuvrer, un coup y’a du vent, on hisse la grand-voile et le génois, on règle les voiles à la perfection (quitte à s’y reprendre jusqu’à plus soif, croyez-moi), un coup on met le gennaker, un coup le spi, un coup on affale parce qu’1 nœud de vent, la misère , et on y va au moteur pour avancer malgré tout, et puis le vent revient peu ou prou et on recommence, on hisse, de jour comme de nuit …
ah ! le charme nocturne ! parlons-en, lampe frontale ceinte autour de nos fronts purs et loyaux, titubant (avec les yeux dans le menton tellement ils ne sont pas en face des trous) sur le bateau tout glissant d’humidité et éclairant à peine la nuit de ses faibles feux de navigation, je pensais que ça me ferait bizarre de m’imaginer perdue sur un frêle esquif dans cette masse d’eau, et puis non, rien d’autre n’existe que ce petit espace flottant qui est devenu tout un univers

A force de peu de vent, on a pris du retard, et en approchant de Gibraltar c’est en sommeil qu’on en a pris, la veille requérant de l’attention pour ne pas s’écraser sur un cargo comme une mouche sur les dents d’un motard …
Nous étions sensés passer Gibraltar avant dimanche soir, le vent en a décidé autrement, on ne domine jamais la Nature, c’est moi qui ai pris le premier quart de nuit dimanche, le capitaine m’ayant laissé dormir plus que ma part les deux nuits précédentes, je voulais qu’il récupère, ce n’était pas gratuit, mon intention secrète étant qu’il soit en état d’assurer pour passer le détroit de Gibraltar le lendemain, il m’a dit de le laisser dormir deux heures et de le réveiller, j’ai promis, en me promettant par devers moi de ne pas tenir cette stupide promesse, il fallait qu’il dorme point barre (faut quand même arrêter de promettre tous azimuts)
Aaaaah, on pourrait croire qu’il n’existe aucune intimité dans un si petit espace, et pourtant ! le quart de nuit se révèle d’extrême utilité pour se couper les ongles, se faire un gommage ou un masque hydratant avec une charlotte sur la tête sans prendre le risque d’effaroucher le capitaine, la prière se révélant néanmoins nécessaire pour qu’il ne débarque pas comme un diable sortant de sa boîte au milieu de la scène, car le capitaine se réveille au moindre claquement de voile, au moindre changement de houle, au moindre grincement intempestif, au moindre raté de moteur …

je passe la première partie de mon quart avec les pieds dans une bassine d’eau et ma charlotte sur la tête pour tenter de garder figure humaine, ce qui peut sembler paradoxal, et puis, vers 2 heures du matin, séance de stretching et de gym comme à chaque fois que je fais un quart de nuit et que je dois restée bien éveillée, en plus on n’a pas trop chaud à cette heure-ci, j’évite un cargo (ou c’est lui qui m’évite) et me dis que je dois tenir jusqu’à 4 heures, ça fera une bonne grosse nuit de 5 heures au capitaine et tout le monde sera content, je scrute la mer et vois les lumières de la côte qui approche, étirements, bon sang que ça fait du bien, les lumières de la côte se rapprochent encore …
…tonnerre de Brest ! ce ne sont pas les lumières de la côte mais un E-NORME cargo et je fonce droit sur lui, je ne sais pas si je dois passer devant, derrière, faire demi-tour, abandonner le navire, jeter le radeau de survie à l’eau et y traîner le corps du capitaine endormi … il est 3h30, je décide que finalement il a assez dormi, me rue jusqu’à sa couchette et lui tapote l’épaule « faut qu’tu viennes », il grogne, l’innocent ne mesure pas le danger, j’ajoute « viiiite ! » hop il est debout et je lui fais le topo en 1 seconde 3 dixième, onfoncesuruncargojesaispasquoifaire, on arrive dans le cockpit, il envisage la scène d’un coup d’œil et dit « hé bin, tu ralentis le moteur », on était au moteur car peanuts de vent … c’est certain que c’est plus logique que d’abandonner le navire, je lui tais mon funeste projet, personne d’autre que moi n’est au courant et il ne le saura jamais, ouf, il me dit d’aller voir sur l’AIS c’est quoi ce bateau, quand je remonte il est déjà loin derrière nous, le capitaine a esquivé l’embûche, vénération éternelle !
Il me dit d’aller dormir maintenant qu’il est réveillé, sur le coup de 6 heures il me réveille pour dormir encore un peu avant Gib, je reprends le quart, le jour se lève doucement, une vraie purée de pois, du coup j’ai bien compris l’intérêt de l’AIS et m’en sers pour repérer les bateaux qu’on ne voit même pas mais qui sont là, tapis dans le brouillard
à 8 heures on arrive à Gib, tout à coup on sent un souffle d’air lourd et chaud qui contraste avec la fraîcheur notable ressentie jusqu’ici, le capitaine manœuvre entre les cargos gigantesques ancrés à l’approche d’Europa Point, je suis époustouflée du spectacle, j’adore, on trouve une station pour refaire le plein de gasoil et on repart pour passer le détroit
il est bientôt midi en ce lundi 13 septembre mais la journée ne fait que commencer …

Malgré l’angoisse qui doit vous submerger, il vous faut absolument savoir
- ce qu’est l’AIS (Système d’Identification Automatique): il permet de recevoir et de transmettre la position des navires. C’est un système de sécurité qui utilise le GPS et la VHF. Le GPS donne la position du bateau et un canal dédié de la VHF le transmet à toutes les stations des alentours.
Les données AIS donnent des renseignements à 3 niveaux sur le bateau :
- Les données dynamiques : la position, la vitesse, le cap…
- Les données statiques : le nom du bateau, son numéro MMSI, ses caractéristiques
- Les données du voyage : cargaison, destination, ETA…
DONC : si j’avais bien su m’en servir, j’aurais vu que les lumières de la côte étaient en fait un cargo, sa longueur, sa vitesse, son cap, et j’aurai pu l’éviter fingers in ze nose … maintenant je sais m’en servir, c’est clair !
- le MMSI d’un navire est un code de neuf chiffres que l’ANFR (Agence Nationale des Fréquences) attribue à un navire exploitant des équipements radio dotés notamment de l’Appel Sélectif Numérique (ASN ou DSC en anglais pour Digital Selective Calling). Il permet une identification sûre du navire par les centres de secours tout spécialement en cas de détresse.
- L’ASN (Appel Sélectif Numérique) est un service de la radiotéléphonie MF/HF qui permet entre autres d’émettre un appel de détresse. La particularité est que le message émis est numérique, identifie de manière unique l’émetteur, contient la position et la nature du sinistre.
- ETA : dans le jargon de la logistique internationale et plus particulièrement dans le transport maritime, le sigle ETA signifie « date d’arrivée » du bateau au port d’escale. Le sigle correspond à des termes anglais : Estimated Time Arrival
Bonjour Isabelle, merci pour ces compte-rendus toujours aussi désopilants (ou désopoilants si c’est le quart dépilaton…).
Benidorm, c’était déjà moche il y a 25 ans quand j’habitais la région. C’est devenu franchement hideux ….
Bonne route ! Catherine
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C’est gentil et tu as du style et des tripes. J’adore Bisous Marie
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Merci Isabelle, c’est toujours un régal de te lire ! On est entre le souffle coupé, le rire à t’imaginer dans tes aventures que tu décris de façon tellement vrai ! hahaha J’adore.
Bravo à vous deux, enfin, le Cap est passé. Hâte de lire la suite.
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merci pour votre partage. Je ne connais rien au monde de de la navigation mais votre aventure pique ma curiosité. J’apprécie beaucoup votre auto-dérision. Chacun de vos post est un moment d’évasion. Bonne route, ou plutôt bon vent.
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super les photos. Merci pour le partage y compris commentaires. Bonne continuation.
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Ouf donc 😮💨 toujours en vie, navigation qui avance malgré le manque de vent, tu deviens une vraie équipière, et, cherry on the pie, ni vue ni connue dans la nuit noire avec ta charlotte sur la tête 😉
Je pense beaucoup à vous et ton humour imparable me rassure 🙌🙏. Plein des bisous 😃😃🥰♥️♥️🥰
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Quelle aventure!!! Cela m’intrigue. Etre accompagnée de quelqu’un qui s’y connait pour sûr est inconurtble pour moi! J’aime beaucoup ton carnet de bord je m’y crois.
Suite au prochain numéro
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🙂 🙂 que j aime te lire avec cet humour! merci pour les novelles ,tu avances! courage
Gini
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c’est très bon, continuezBravo Bisou et bon courage. Claudine
Le ven. 17 sept. 2021 à 19:20, Claudine viviers a écrit :
> C’est très bon > > Le jeu. 16 sept. 2021 à 18:42, isabelle autour du monde <
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Toujours aussi poilante!!!
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J’adore vraiment le ton de l’écriture.vivement la suite
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ah comme ça me fait plaisir de vous lire Claudine ! on va reprendre la mer tout à l’heure, on a bien récupéré, et je vai mettre à l’instant la suite de nos aventures en ligne, je vous embrasse très fort et Fernand aussi, prenez soin de vous !
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merci Véronique 🙂 !
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