South Africa

Bien bien bien, je vais vous raconter ce que j’ai vu en Afrique du Sud, et je dis bien ce que JE ai vu, parce que quand on compare nos souvenirs avec le capitaine, il y a toujours des différences, vous verrez qu’un jour il dira même que les orages entre les Seychelles et Mayotte c’était rien, tout perd de son intensité avec le temps chez lui, et même pendant le temps des choses, on dirait que ses émotions sont sous contrôle, ou alors c’est que c’est un non-émotif, ça existe je vous ferais dire, on est primaire ou secondaire, passif ou actif, émotif ou non-émotif, bref, l’Afrique du Sud c’est … oh vous allez voir par vous-mêmes après tout !

Bon, les premiers jours, Afrique du Sud ou pas, arriver c’est toujours dormir, ranger et laver le bateau, réparer les bricoles les plus urgentes, faire des courses (ici avec le taxi de Natasha pour nous driver parce qu’il est déconseillé de prendre on ne sait pas quel taxi) … et là, chance ! Woolworths est implanté chez les Sud-af, et Woolworths c’est fruits et légumes de qualité à profusion, on ne peut pas savoir à quel point ça compte quand on n’a qu’à prendre sa bagnole pour aller au supermarché du coin et s’approvisionner, moi j’ai envie de brûler un cierge quand je vois de l’abondance à ce point là, donc je fais allègrement le plein de fruits et de légumes et là paf le capitaine me dit qu’il a loué une voiture et qu’on part demain matin visiter ce beau pays, je saute sur mon PC et je cherche où je veux aller, lui il pense au Parc Kruger, mais 20 000 km² ! combien de temps faut-il pour visiter 20 000 km² ? et ça se trouve à 540 kms de Richards Bay, pourquoi pas sur la lune, polalaaaaa, je n’ai pas envie de me farcir autant de bornes, et pourquoi aller si loin alors que bien plus près il y a le parc Hluhluwe Imfolozi (prononcer chlouchlouwé-im’folozi) à environ 70 kilomètres de distance ? Je trouve un lodge près de cette réserve, le réserve, et une fois fait, avec un grand sourire à la con je dis au capitaine qu’il y a un parc encore mieux que le Kruger à deux pas et que je trouve ça plus malin de prendre du temps pour profiter comme il faut d’un seul endroit plutôt que de faire des kilomètres pour rien, qu’on va déjà aller voir ce parc et qu’on pourra toujours aller plus loin ensuite si ça nous dit, il opine, n’a pas envie de chercher de son côté, mais on peut sentir dans l’air ambiant que j’ai intérêt à ce que ça soit un choix judicieux… nous partons le lendemain, en emportant quelques fruits de mes acquisitions.

Dès notre sortie de Richards Bay, nous roulons entre de vastes plantations d’eucalyptus qui me rappellent celles de Nouvelle Zélande, c’est dingue, et voilà en gros l’histoire ici : les mines, à leurs débuts, et comme vous le savez, étaient creusées dans des tunnels qui demandaient des poutres en bois, et le boom de l’or, qui est l’une des richesses de ce pays, a provoqué une forte demande de bois pour les mines, les maisons, les wagons de transports et les traverses de chemin de fer. Le bois a d’abord été tiré des forêts abondantes de l’Est de l’Afrique du Sud et puis, comme cette source était naturellement limitée, des plantations d’arbres et notamment d’eucalyptus, ont été établies. La communauté de Sabokwe à Richards Bay, est aujourd’hui complètement entourée de ces plantations d’eucalyptus. Les paysans s’inquiètent parce qu’ils n’ont plus assez de terres et ne peuvent pas cultiver assez d’aliments pour vivre et les jeunes pensent, à juste titre, que leurs parents n’auront plus de terre à leur transmettre. Un autre problème est que ces plantations consomment beaucoup d’eau, ce qui est aussi grave que l’indisponibilité de terres puisque l’eau arrose les eucalyptus au détriment de leurs champs… Cette communauté vit maintenant au milieu d’un désert créé par l’industrie des plantations. C’est marrant parce qu’actuellement j’entends beaucoup d’intellectuels menacer l’humanité du pire avec l’émergence de l’intelligence artificielle, mais pas se plaindre tout bonnement de l’intelligence humaine qui se débrouille fort bien toute seule pour faire foirer tant de choses.

On roule, et je serre les fesses :

Richards Bay, qui se trouve dans le KwaZulu-Natal, est un port en eau profonde qui a été créé pendant les années 1970. Si une partie du trafic concerne la zone industrielle bordant le port, la majeure partie consiste en l’exportation du charbon venant du Transvaal et fait de Richards Bay le plus important port d’Afrique en volume et un des principaux du monde pour l’exportation du charbon. Les destinataires du charbon embarqué à Richards Bay sont majoritairement asiatiques (Chine, Corée du Sud et Japon), le plus souvent pour la production d’électricité dans des centrales thermiques.  

Une fois sortis de cette immensité eucalyptusienne, nous découvrons le Kwazulu-Natal, nom dont l’origine vient de KwaZulu, qui signifie pays des Zoulous ou lieu du peuple du ciel (c’est beau hein), et de Natal, ainsi baptisé par Vasco de Gama qui naviguait au large de ses côtes durant la période de Noël 1497, Natal signifiant Noël en Portugais, CQFD.

On aurait dû mettre environ 1h30 pour arriver au lodge, mais le GPS nous envoie au diable vauvert et on se retrouve au bout de deux bonnes heures devant des clôtures élevées avec des portes grillagées infranchissables, le capitaine commence à voir orange, une étincelle et il passera au rouge direct, je suis toute tassée sur moi-même et lui explique avec des trémolos dans la voix que je ne pouvais pas deviner que les lodges c’était pire que les prisons ici, et voilà que je distingue un petit panneau avec un numéro de téléphone, sauvés, j’appelle via WhatsApp, encore heureux que nous ayons internet dans ce trou, ô miracle une voix au bout du fil, je finis par comprendre que je dois appuyer sur un bouton quelque part, saute de la voiture mais mets du temps à trouver quelque part et je vois du coin de l’œil que la cervelle du capitaine se met à bouillonner et commence à lui sortir par les oreilles, cette constatation décuple indéniablement mes facultés, je pousse un bouton qui était plutôt nulle part, on me pardonnera, enfin la porte s’ouvre et on se met à rouler avec précaution sur une piste bien défoncée, arrivons sur une patte d’oie : tout droit le chemin s’amenuise, à droite il reste de la même largeur, je préviens le capitaine que le gars m’a dit, certes en anglais, qu’il fallait toujours aller straight, tout droit donc, mais n’était ce point right ? me dit le capitaine qui veut aller à droite quoique je lui dise, soit, nous cahotons cahin-caha vers la droite, la piste est de plus en plus défoncée et mon périnée morfle un bon coup, quand soudain le téléphone sonne, c’est le gars du lodge qui a compris qu’on s’est planté car il ne nous voit pas arriver, je peux vous dire que le capitaine a de la cervelle en réserve parce que vu tout ce qui a dû s’évaporer depuis le temps qu’il bout, il n’en aurait plus une goutte, il demi-tourne en pestant contre mon choix hasardeux, il aurait dû s’en occuper lui-même, que m’a t’il fait confiance, nous nous retrouvons sur la bonne portion de piste, et au détour du premier virage …

Gloria ! (pour les marins c’est café chaud, sucre et rhum, fais moi un gloria, femme !)

En un coup de baguette magique, j’ai retrouvé du crédit auprès du capitaine, et puis

et des impalas, en veux-tu en voilà !

Nous nous attardons sur la route, nous ébahissons, nous extasions de ahaaaa ! et de ohoooh ! le téléphone sonne, c’est le gars du lodge qui se demande où on est fourrés, il répète straight ahead ! c’est pas compliqué à comprendre merde, il poireaute à une autre porte et nous l’ouvre quand nous arrivons, nous lui partageons notre émoi, le suivons jusqu’au lodge qu’il nous fait visiter, il s’appelle Martin (on dit Ma’tiiine) et nous attend demain matin à 5h pour s’en aller voir les hippopotames et découvrir la flore locale, youpi.

les installations communes (c’est beaaaaauuu)

Et on habite une tente ! je quête des compliments auprès du capitaine, c’est bien dis ? j’ai bien choisi hein ? tu te rends compte, une girafe au premier tournant, des gazelles (je ne savais pas encore que c’étaient des impalas) et on est dans une tente ! t’es content hein ? oui, il est content, oui il sourit, mais oui il est même très content et oui j’ai très bien choisi.

tout le confort, c’est super bien aménagé, et il fait aussi chaud et lourd dedans que dehors, c’est l’aventure !

Le capitaine est tout de belle humeur et le soir nous dînons à la table d’hôtes, très copieux et très bon, seuls avec un couple d’allemands qui vient visiter la maman de monsieur pour Noël car elle est venue vivre en Afrique du Sud il y a moult. Nous nous couchons tôt et nous faisons littéralement bouffer par les moustiques, sommes réveillés aux premières lueurs de l’aube par toute la vie qui règne en ce lieu, ça serait mesquin de s’en plaindre, et arrivons la tête dans le seau pour suivre Martin et sa canne, hop.

Je prends des notes comme je peux en trottant sur les talons du capitaine et de Martin, ce n’est jamais facile de tout comprendre avec un guide qui parle anglais, et quand je dis anglais, c’est avec l’accent d’ici en bonus, Martin est Afrikaner (Sud-africain blanc d’origine néerlandaise, française, allemande ou scandinave.)…

le capitaine a un nouveau copain

Nous passons devant un marula (Scelerocarya birrea), le prunier d’Afrique aussi appelé arbre-éléphant car ces derniers sont amateurs de leurs fruits, à partir desquels on élabore la liqueur Amarula.

On voit bien ses petits fruits jaunes

 

Et à côté d’un Magic Guarri (Eucla divinorum), il suffit d’en accrocher une branche au-dessus de la porte d’entrée de sa maison pour repousser et éloigner les mauvais esprits et les sorcières, on s’en sert également comme baguette de sourcier et comme médicament contre tout un tas de maux comme la constipation, les douleurs abdominales, les convulsions, la diarrhée, le mal de dents ou d’oreille, c’est vraiment magic.

Celui là est impressionnant par ses épines incroyables ! il s’agit d’un arbre à fièvre (Acacia xanthophloea) :

Son nom vient du fait que les voyageurs qui s’asseyaient sous son ombre devenaient rapidement fiévreux, on a compris plus tard que l’arbre n’y était pour rien mais que les responsables étaient les moustiques qui profitaient de leur pause pour ravager la peau de ces pauvres voyageurs. On s’en sert comme bois de chauffage ou pour faire du charbon de bois, les feuilles comme fourrage pour le bétail, et son écorce est utilisée à des fins médicinales mais je n’ai toujours pas trouvé lesquelles (je cherche).

Et celui là ! Martin l’a appelé finger cactus, il s’agit d’une euphorbe antivénérienne qui, comme de nombreuses Euphorbiacées, montre la présence d’un latex blanc à la cassure, sa sève est toxique alors les locaux balancent un sac de sève dans l’eau pour tuer les poissons et ensuite ils les récupèrent et les mangent, sauf la tête qui est devenue toxique. Il faut éviter de se toucher les yeux après avoir touché la sève car c’est très irritant pour les yeux et on peut même devenir aveugle.

Nous continuons notre promenade instructive et Martin nous arrête pour écouter le chant d’un oiseau :

C’est le chant du Suicide Bird ! ça fait cette espèce de bip qui n’arrête jamais, au point qu’il donne envie à ceux qui l’entendent de se suicider (je viens de le faire entendre au capitaine qui ne se souvenait même plus de cet oiseau, alors si vous devez croire quelqu’un dans nos souvenirs communs, c’est moi)

Nous arrivons près de la rivière où voir les fameux hippopotames pour qui nous nous sommes levés si tôt, Martin nous prévient, ce sont eux les plus agressifs et dangereux des animaux d’Afrique, ils défendent leur espace coûte que coûte, leur nom vient du Grec et signifie cheval de rivière, mais l’hippopotame ne sait pas nager, ni flotter, ni respirer sous l’eau, c’est un réflexe qui le pousse à la surface de l’eau pour qu’il ne se noie pas en dormant, et s’il passe son temps dans l’eau, c’est parce que sa peau est extrêmement sensible et se dessèche facilement, voire brûle au soleil.  La probabilité de mourir dans une rencontre homme-hippopotame est de 86,7 %, avec un lion 75 % et un requin 25%, sa morsure est 3 fois plus puissante que celle d’un lion et il peut courir à plus de 30 km/h sur plusieurs centaines de mètres, on se le tient pour dit et c’est sans un bruit que nous nous approchons d’eux et nous accroupissons sous les feuillages :

Nous passons un long moment à les regarder, prêts à fuir s’il prenait à l’un d’eux l’envie de nous faire passer de vie à trépas, j’ai repéré un arbre pour m’y réfugier au cas où, en espérant qu’il ne soit pas toxique ni plein d’épines grosses comme des baïonnettes, il y en a au moins un qui nous a repérés…

l’œil était dans la tombe …

En se levant pour partir, le capitaine pousse un petit cri, aïïïïïïeeeeuuuh ! et tape son pantalon au niveau de la cheville, il vient de se faire piquer, Martin s’écrie tout bas une mouche tsé-tsé ! bin flûte alors, on est vraiment dans un drôle de pays où on trouve des trucs comme dans les films, manquerait plus que le capitaine devienne narcoleptique, nous partons en silence.

Revenus de cette balade matinale et après un solide petit-déjeuner, nous filons visiter la réserve d’Hluhluwe Imfolozi, nous y passerons deux jours complètement fous, nous verrons des dizaines de rhinocéros, je raconterai à Martin que nous avons vu une mère et son petit, il me répondra qu’heureusement pour nous nous ne sommes pas passés entre les deux car une mère rhinocéros attaque si on passe entre elle et son petit, et la carrosserie de la voiture n’aurait jamais tenu le choc !

Là, on a attendu longtemps que les buffles aient terminé leurs ablutions, j’ai fermement retenu le capitaine qui, s’impatientant, voulait passer au milieu d’eux, mais bien sûûûûr

Une Sophie ! Quelle grâce !

Bon, nous n’avons pas vu de lion mais plusieurs lionnes, est-ce que ça compte autant ? A priori non quand on en parle avec d’autres personnes qui viennent du parc Kruger et qui ont vu, elles, le fameux roi, bon, de loin avec des jumelles, mais le roi quoi, il arrive qu’on évoque la reine des animaux pour parler des lionnes de façon poétique, mais en Bretagne, la reine des animaux c’est la vache alors que partout dans le monde, le roi des animaux c’est le lion.

Et puis des dizaines et des dizaines de zèbres, en voilà quelques uns :

Et d’impalas

Et alors c’est rigolo, mais le capitaine il est hyper fan des phacochères !

Nous prenions le chemin du retour à regret et le capitaine était fort triste car il aurait voulu voir un éléphant et puis pas d’éléphant, bon l’avais-je tancé, on ne peut pas tout avoir non plus (qu’est-ce que c’est que ce grand garçon gâté !) et puis, au détour d’un virage :

le capitaine est né sous une bonne étoile

On est resté pas mal de temps à côté de lui, à le regarder manger les arbres – ça mange entre 150 et 180 kilogrammes de nourriture en saison sèche (feuilles, écorce, brindilles, arbustes et buissons, fruits), et entre 200 et 260 kilogrammes en saison des pluies, et ça boit jusqu’à 140 litres d’eau par jour, mais tu ne te rends compte ! me suis-je exclamée auprès du capitaine qui trouve que ce n’est pas tant, il te bouffe ton jardin en jour !

Et puis on l’a doublé, tout plaisir a une fin, encore et puis un peu plus loin le capitaine a stoppé la voiture, en est sorti pour aller pisser en contrebas pendant que je regardais le mammouth traverser le pont vers la voiture arrêtée (et moi dedans) en agitant les oreilles, ah, le mammouth agite les oreilles, voyons voir, qu’est-ce qu’il a dit Martin quand un éléphant agite les oreilles ? ah ! c’est qu’il va charger ! à savoir que ça court à 40km/h ces bestioles, encore plus vite que les hippos, sur votre écran il paraît petit, mais dans la vraie réalité il était énorme, je me demande pendant combien de temps ça peut pisser un homme pour que ça dure si longtemps ?! mais grouille !! que je lui crie au capitaine qui revient d’un pas posé vers la voiture, viiiiite !! il agite les oreilles !! le capitaine accélère un poil son pas auguste, monte l’air de rien, prend son temps pour remettre le contact, on pourrait croire qu’il me nargue, si ça cale on est mort, et peuht-peuht-peuht la caisse démarre, on s’éloigne, et seulement là je recommence à respirer.

oui, je sais, à le revoir il n’a pas l’air belliqueux pour un sou et doit juste chasser les mouches avec ses oreilles, mais sur le coup je n’en menais pas large je vous prie de me croire !

Nous rentrons à la marina et très vite vient le temps de préparer notre départ pour la France, on va prendre l’avion, de la gnognote à côté de Auckland-Paris qui nous avait pris 65 heures, le capitaine a dit qu’il y a des trucs à rapporter et il faut bien penser à tout, à pourquoi et à comment, il excelle dans cet exercice et calcule tout ce qu’il y a à faire derrière son front plissé par le poids de la cogitation, le 24 décembre arrive et, une fois mon sac bouclé avec 3 fois rien dedans parce que moi je n’ai rien à ramener de spécial, je m’occupe à réfléchir à ce que je pourrais bien préparer comme réveillon avec ce qui nous reste dans le frigo, il doit bien y avoir une croûte de fromage à fondre sur une tomate, du vin en soute, un reste de rhum ? tandis que je m’emploie à imaginer un réveillon de folie et à me prévoir une activité ludique en ce jour de fête, le capitaine m’appelle, il faut que je le monte au mât pour qu’il démonte l’anémomètre afin de le rapporter en France pour le faire réviser parce qu’il débloque de temps à autres et nous n’avons pas envie de tomber en panne de pilote comme cela nous est déjà arrivé, tu repasseras pour l’activité ludique, je le monte au mât, il démonte l’anémo, je le redescends, mais au passage il a noté qu’il manque une vis sur une barre de flèche, il faut intervenir, voilà le plan : on va dévisser les ridoirs pour donner du mou aux haubans et je vais le remonter au mât pour qu’il puisse bricoler dieu sait quoi sur la barre de flèche, le jour descend déjà, m’est avis que c’est râpé pour l’apéro.

bricolage de Nativité

Quand je le redescends, il fait quasi nuit, on se met à dévisser les ridoirs à deux tellement c’est dur, un qui le tient avec une clé plate et l’autre qui le dévisse avec la clé à molette, on doit mettre des gants pour ne pas se massacrer les mains, lampe frontale pour y voir, il est je ne sais pas quelle heure quand c’est fait, le capitaine emballe du matos dans son sac de plongée qui va peser une tonne, je peux faire une croix sur le réveillon, après tout ici ça n’est vraiment pas leur truc, à part quelques décos dans le centre commercial de Richards Bay, ailleurs rien ne signale que c’est Noël, rien ! j’en viendrais presque à regretter le petit supermarché près de la maison que j’habitais plus jeune et dans lequel trainaient encore en plein mois de juin les guirlandes de Noël toutes empoussiérées, après tout ce n’est qu’une date n’est-ce pas, nous partageons un repas frugal en vidant un fond de bouteille de rouge local, joyeux Noël ! et zou au dodo, demain on se lève tôt pour prendre notre avion, on va laisser Cap de Miol pour 7 semaines.

transit à Johannesburg, le capitaine dit « jobou » comme il parait qu’on dit ici

Une fois en France, quelques jours après notre retour, le capitaine me montre son mollet et ça m’affole, je m’exclame que c’est sûr qu’une araignée lui a pondu des trucs dedans, c’est déjà arrivé à d’autres et on me l’a raconté, c’est horrible parce qu’il va pourrir sur pattes, finir comme Jeff Goldblum dans La Mouche, son toubib lui file des antibios mais au bout de 2 jours, non seulement pas d’amélioration mais des boutons lui poussent un peu partout, la transformation a commencé, il va muter ! je le conjure par le Saint Sacrement d’aller consulter dans un centre de maladies tropicales, il y en a un à Montpellier, le capitaine se moque, même pas peur, je lui brandis la menace d’une septicémie parce qu’il ne me croira pas si je lui parle de la mouche, finalement la raison l’emporte et il s’y rend sans rendez-vous et tombe par chance sur le professeur qui s’occupe du service et qui d’emblée sait ce qui se passe, ça arrive tout le temps quand on va dans les réserves, le capitaine a été piqué par on ne sait trop quoi, peut-être une tique, un truc qui a piqué un animal contaminé et a ensuite contaminé le capitaine en le piquant à son tour, je pense à la mouche tsé-tsé mais le capitaine est persuadé que c’est une tique, qu’on n’a jamais vu sur lui mais bon lui fais-je remarqué, en tous cas le professeur lui file des antibios et cette fois là ça guérit lentement, encore aujourd’hui il en garde les stigmates, du coup on lui a fait des examens afin de voir s’il n’aurait pas en plus chopé des autres trucs comme le palu, quand je pense que naïvement on ne se protège plus des moustiques tellement on en a vu depuis que nous sommes partis, et bien on a tort et on fera un peu plus gaffe à notre retour.

à gauche le mollet du capitaine sur la voie rassurante de la guérison, à droite Jeff Goldblum muté en mouche, le capitaine l’a échappé belle.

Sur internet il est dit que les araignées ne peuvent tout simplement pas pondre sous la peau puisqu’elles sont dépourvues d’organes perforateurs … ouais, bon.

Il nous reste à voir 3 précisions d’importance :

  • Le lion, roi des animaux : le grade de roi des forêts offert au lion remonte au bestiaire antique écrit en grec au II e ou III e siècle de notre ère à Alexandrie, puis traduit en latin au IV e siècle. Le lion est le premier animal décrit, ce qui lui confère sa place de roi des animaux.
  • Les impalas sont des petites antilopes qui vivent dans les savanes de l’est et du sud de l’Afrique – Les antilopes sont un groupe de la famille des bovidés qui se décline en sous-groupes, dont les gazelles. Par conséquent, les gazelles sont toujours des antilopes. En revanche, l’inverse n’est pas vrai, pour preuve, les impalas.
  • Un ridoir est un dispositif permettant de fixer un câble à une partie fixe avec la possibilité de régler la tension dudit câble.

L’Afrique du Sud par le canal du Mozambique (de sinistre réputation )

Donc 30 novembre, debout 6h, il fait déjà chaud, on s’en va affronter le canal du Mozambique, mais on s’arrête aussitôt que partis pour nettoyer la roue à aube parce que le pilote n’affiche pas la vitesse surface, et sans la vitesse surface, ça fait zigzaguer le bateau, on s’en passe volontiers. Le capitaine a beau faire vite, on sort du lagon il est déjà 11h, c’est une véritable malédiction de partir toujours plus tard que prévu, je ne sais pas lequel de nous deux a offensé Chronos, mais la question se pose.

Je précise, avant d’aller plus avant, que la roue à aube évoquée n’a rien à voir avec celles des navires d’antan, lesquelles vous ont aussi immanquablement que spontanément sautées à l’esprit :

nous, c’est pour la sonde de vitesse

Bref, nous voilà partis, cap au 227 (en fait je ne sais toujours pas si on dit cap 227 ou cap AU 227, il faudrait que je me concentre plus quand ça parle marin) vers l’île de Bazaruto au Mozambique où nous mouillerons « pour se protéger d’un fort vent de Sud-Est prévu le mercredi 6 décembre » – ça, je l’ai piqué sur le journal de bord du capitaine parce que j’ai pas tout compris, il y a des histoires de courants portants et de courants contraires qui n’iront pas dans le même sens que nous ou que le sens du vent, c’est compliqué, ce que j’ai retenu par contre c’est que c’est dangereux ces vents et ces courants qui ne vont pas dans le même sens, le capitaine m’a expliqué qu’il y a un courant qui descend du Nord vers le Sud le long des côtes de l’Afrique du Sud qui, lorsqu’il rencontre des vents violents qui remontent de l’Antarctique, crée des vagues monstrueuses, voire des vagues scélérates pouvant atteindre des hauteurs de 30 mètres 😱. En plus de ça il y a des courants locaux, le capitaine a bien fait de me ficher la trouille pour s’amuser à peu de frais, que le personnel s’amuse ! sans compter que, pour faire bonne mesure, d’autres m’ont grassement balancé sur le canal du Mozambique, oulaaah c’est dangereux là-bas, oulaaah c’est plein d’orages imprévisibles et violents ! Et même un thonier de La Digue, qui a passé 30 ans sur la mer, nous a affirmé que le pire de tout ce qu’il avait vécu s’était passé dans le canal du Mozambique, j’allais proprement détaler jambes à mon cou et laisser le capitaine en plan quand il m’a stoppée en m’assurant qu’il n’y avait rien à craindre en cette saison et je suis ainsi faite que j’ai toujours la faiblesse de le croire, en même temps je doute qu’il veuille abréger sa vie en sacrifiant Cap de Miol dans une vague plus haute que l’échafaudage de l’opéra Garnier (je voulais mettre un monument de Paris mais y’a pas, ils sont tous plus hauts, pour l’échafaudage c’est vrai, il fait 30 mètres de haut, même qu’il sera encore là durant les J.O, où va la France bon dieu !)

c’est le bordel

Mais, pour l’heure, vent entre 18 et 20 nœuds à 140/150 degrés, le ciel est parsemé de grains, le capitaine qui, pourrait-on croire, abuse du comique de répétition, veut mettre le spi et ça me tord direct les tripes que je n’ai pas bien vaillantes, je mets ça sur le dos des gambas que j’ai mangées dans un boui-boui improbable qui faisait des tarifs parisiens, on était les seuls clients mais à mon avis on leur a fait la semaine de CA quand on sait que le mahorais de base gagne 3140€ par an, ça fait 8€ par jour, et bien ils ont gagné 10 fois ce que gagne un mahorais de base pour du manger pas frais ou, éventualité, trop souvent recongelé, alors je dis au capitaine que je ne suis pas chaude-chaude pour mettre le spi avec ce qu’on a subi avant d’arriver, les orages et tout et tout, é pis mes intestins en vrac, le capitaine finit par accepter de mettre génois tangonné, mais ça lui coûte, avant t’avais pas peur ! Évidemment qu’avant j’avais pas peur, je n’avais jamais vécu un empannage sauvage dans un orage avec la GV bloquée par le frein de bôme et un vent de 40 nœuds dans tous les sens, maintenant je me méfie … on tangonne et le vent tombe à 12/13, le capitaine se fait violence pour ne pas m’abreuver de reproches, m’assaisonner de griefs, m’engluer de réprobation,

– tu m’en veux ?

– naaaan …. Mais tu vieillis ! Avant t’avais pas peur !

Prends ça dans les dents, en même temps il n’est pas payé pour être délicat.

Finalement, une fois le vent tombé plus de débat, on affale et moteur, et vlan ça remonte, aussitôt le capitaine renvoie de la toile, c’est juste un autre grain aussi prévisible qu’une grève SNCF pendant les vacances de Noël, le vent passe de 140 à 50 degrés, de 2 à 12 nœuds, et vas-y que je t’adonne et que je te refuse et que le capitaine n’arrête plus de régler les voiles tandis que je me demande pourquoi il n’économise pas sa précieuse énergie en gardant juste le moteur (dépense toi, tu seras rilax) (ça me rappelle maman qui me disait pleure, tu pisseras moins), et ça continue, le vent passe de 130 bâbord à 130 tribord, une fois de face, l’autre plein cul, ça tombe, ça remonte, le capitaine affale, envoie, recommence, jusqu’à ce que le vent retombe tout à fait, moteur, il pose enfin son cul, il est crevé mais il ne sera pas dit qu’il n’aura pas fait tout ce qui était humainement possible, pendant ce temps là j’ai préparé du bon manger qui tient au corps, ça le requinque après tous ces efforts.

une mer désordonnée ça donne ça en visu

Et le foutoir dure, l’océan indien est à la hauteur de sa réputation, mer désordonnée, courants un coup portant, un coup à contre, grains, vent capricieux qui passe de pétole à 30 nœuds et re-pétole, scrongneugneu de macarelle maugrée le capitaine, on ne va pas assez vite et on va se faire branler dans le canal du Mozambique, il faut changer les plans,

– on va aller sur Mada* et on s’arrêtera à Morombe ou à Tuléar et après y’aura plus qu’à filer plein ouest jusqu’à Richards Bay, et ça sera au portant !

on préfère éviter d’aller dans le rouge = vent à contre du courant et à 25 nœuds établis, du coup compter 30 nœuds facile /* Mada = Madagascar

Voilà qui me dit bien, en attendant c’est reparti pour hisser, affaler, rehisser et réaffaler, rouler, dérouler, rouler, dérouler, quand le vent monte un tant soit peu espérer que ça va durer, et quand il tombe espérer qu’il va remonter, quand on n’avance plus qu’à 3 nœuds en tirant des bords on affale pour de bon, moteur, on tire plein sud avec le peu de vent en pleine poire, c’est pas qu’on est des dégonflés, mais faut pas pousser non plus.

Dès les premières lueurs matinales autant que suivantes, le capitaine charge un nouveau GRIB, le fort coup de vent annoncé n’est plus, alors après avoir hissé les voiles et tiré un bord de près vers l’Est avant le petit déjeuner, hop on vire, direction Bazaruto, et après le déjeuner on va carrément plus ouest, cap 257 pour rejoindre la côte africaine et la longer jusqu’à Bazaruto tel que le propose le routage de Predict Wind que le capitaine a réussi à faire fonctionner avec brio, que ferais-je sans lui.

voilà comment ça se présente les routages, on est même prévenus là où il y aura des orages, on n’arrête pas le progrès

Dimanche, courant du Nord + vent du sud = mer hyper merdique, maintenant j’ai bien compris le principe, donc on navigue au près avec les vagues de face qui arrêtent carrément le bateau, c’est arrêt buffet à chaque fois ! se lamente le capitaine, le jour et une bonne partie de la nuit passent encore à manœuvrer sans cesse, le vent adonnant ou refusant, montant ou descendant, lundi matin c’est clair et net : plus de vent, alors moteur et basta, le capitaine qui a vaguement somnolé, mais surtout manœuvré dans le cockpit tout ce temps là, s’en va s’effondrer dans la cabine bâbord et dort comme un bébé, rassuré qu’il est me sachant aux commandes (arf arf arf).

Mardi 5 décembre, très peu de vent, bon, de face, bon, mais ô divine chance, on bénéficie d’un courant portant de 3 nœuds, alors même si on n’avance qu’à 3 nœuds en surface, en fond on fait du 6, ouf !

ah c’est 2.8, au temps pour moi !
le capitaine taffe

Nous arrivons à Bazaruto le jour de la St Nicolas, j’aimerais bien avoir de la connexion pour faire un message à mon frangin puisque c’est sa fête, mais faut pas rêver, c’est archi paumé par ici mais on va être à l’abri de ce fameux coup de vent du sud alors je bénis ce lieu,

où il est impossible d’aller tout droit parce que c’est infesté de bancs de sable !

c’est dingue comme on voit bien les bancs de sable vu du ciel
et en vrai

On se pose devant un village, quelques toits, quelques gens le long de la plage et quelques bateaux :

Il n’est pas besoin de sortir de St Cyr pour comprendre qu’il ne sera pas possible de faire de clearance dans le coin, et nous ne savons pas comment réagit le Mozambique quand on débarque sur son sol sans clearance d’entrée, Mozambique, soit dit en passant, dans lequel le crime, les enlèvements contre rançon et le terrorisme sont légion, ici ça n’a rien à voir, a priori, mais il est de notoriété que la police de Maputo réclame des bakchichs aux plaisanciers pour rester dans les mouillages et on peut se demander comment ça se passe à Bazaruto, justement un gros zodiac avec des autocollants Afrika Parks passe nous voir pour nous dire qu’ici nous sommes en sécurité mais que nous devons rester sur notre bateau, nous sommes dans une réserve marine, celui qui nous parle ajoute que la police ne viendra pas nous réclamer de l’argent et deux gars vêtu d’une chemise et d’un pantalon beige et coiffés d’une casquette ajoutent que la police c’est eux et personne d’autre, nous voilà prévenus, je précise que comprendre l’anglais avec l’accent mozambicain a été on ne peut plus sportif et nous a occupés un bon bout de temps, c’était l’animation du jour.

Le lendemain matin, les pêcheurs nous réveillent tôt en partant avec des moteurs qu’ils ont dû récupérer sur des tracteurs Paterson, c’est pas possible autrement,

tandis que d’autres y vont en solo à la voile, que dis-je, à la bâche de chantier :

à moins que ça ne soit un gigantesque sac poubelle

Samedi 9 décembre 5 heures du matin, le vent a tourné et s’est calmé, nous quittons Bazaruto pour Richards Bay directement, sans passer par la case Maputo, on devrait avoir le vent pour nous afin de tracer, nous longeons la côte sous spi,

les boites à œufs vides nous servent pour caler les capots

et une bande de dauphins vient jouer avec nous !

on ne s’en lasse pas

Puis le vent monte et refuse puisqu’il n’en fait qu’à sa tête par ici, et bien que le capitaine ait réglé le spi, quand le bateau lofe le spi se dégonfle et claque, pour bien faire il faudrait abattre plus vite que ne le fait le pilote automatique, le capitaine me colle à la barre malgré un freinage des 4 fers appuyé, m’encourage en m’assurant que je barre mieux que le pilote mais ça me file mal au crâne, barrer sous spi à 120 degrés d’un vent à 18 nœuds c’est pas mon truc, en plus ça me file envie de faire pipi,

– j’ai envie de faire pipi !

Le capitaine remet le pilote en se foutant de moi, peu de temps après le vent refuse encore, on affale le spi, GV + génois, vent à 16/18, 110 degrés du vent, on avance à plus de 8 car le courant du Nord nous pousse, c’est parfait.

Dimanche, après une nuit calme et deux heures de moteur au petit matin, GV et génois, environ 4 en vitesse surface et 7 en fond, 14h le vent monte à 14/15, à 110 degrés, on avance à plus de neuf sur une mer tranquille, qui a dit que le canal du Mozambique c’est dangereux ?

Lundi me fait mentir à propos de ce que j’ai dit hier, vent, courant, vagues, houles diverses et variées, c’est pas la oije, je suis en train de préparer à manger quand le capitaine descend et dit sur un ton des plus graves

– c’est pas dangereux pour l’instant

Je me suis calée entre le frigo et la gazinière pour ne pas dégager à chaque vague, je blêmis, pourquoi ?? ça va devenir dangereux plus tard ?! moi je m’en fiche de valser s’il n’y a rien à craindre, mais j’aime pas quand c’est dangereux, j’ai pas signé pour ça !

– euuuuuh nan … nan nan c’est bon, mais il a sa tête de quand il se rend compte trop tard qu’il a fait une boulette, je ne ferme quasiment pas l’œil de la nuit.

Nuit et jour suivants fatigant, ça valse et ça claque et ça tape, je vois passer un papillon dites, un papillon ? 🦋 ? en pleine mer ? c’est le vent qui l’a poussé jusqu’à nous ou quoi ? et le soir venu le vent nous apporte des machins volants drôlement bizarres, un hybride de libellule et de papillon aux ailes rondes et transparentes avec un gros corps, beuârk, le capitaine les occit sans pitié à grands coups de torchon et j’apprends que le verbe occire est inusité au présent et je me demande bien pourquoi, quelle idée, on sent que l’Afrique n’est pas loin.

Mardi 12, ça y est, on longe l’Afrique du Sud et on voit sa côte, je suis contente parce qu’on devrait arriver aujourd’hui à Richards Bay, je dis au capitaine

– on arrivera aujourd’hui à Richards Bay !

il me répond

– on verra bieng

Il ne vend jamais la peau de l’ours.

Depuis ce matin on tire des bords au près, le vent est passé à 25 nœuds et ce n’était pas prévu, le vent c’est comme la bourse, tu sais pas quand ça va monter ni quand ça va redescendre, ça le fait sourire (ce vent vient du Sud et il est beaucoup plus frais, avant-hier il venait du Nord et il était chaud et hyper humide et nous aussi on était tous humides), trinquette et 1 ris, puis 2, il l’a écrit sur son journal de bord :

on écrit comme des cochons parce que ça bouge !

Et on boit la coupe jusqu’à la lie :

Un requin passe le long du bateau, pas un requin de récif, un vrai requin des dents de la mer, je file le dire au capitaine qui me dit que oui, ici c’est farci de gros requins, il était gris clair alors ça devait être un requin blanc, pfiouuuu c’est dangerous par ici !

Et puis on arrive à Richards Bay, c’est pas les Tuam’ c’est clair :

on nous a prévenus qu’avec les poussières de charbon ici, les bateaux sont crado comme tout en 2 temps 3 mouvements

On affale une fois protégés du vent dans le chenal :

et le temps de mettre les amarres et les pare battages, on fait quelques allées et venues

Il faut aller se mettre au quai et attendre les douanes et l’immigration à bord, vu l’heure c’est certain qu’on va y passer la nuit,

on y passe la nuit et on dort comme des sonneurs à l’abri du vent et des vagues, c’est bon comme on n’a pas idée

Le lendemain matin, après une bonne nuit et un bon petit dèj, le capitaine finit par s’énerver à force d’appeler sans succès le 16 et le 12 sur la VHF, et comme il perd patience assez vite on va dire, il jette son sac sur une épaule et m’annonce qu’il va aller directement à l’immigration et aux douanes et ça sera fait, on a autre chose à foutre quoi, moi je pense qu’il ferait mieux d’attendre sur le bateau mais c’est comme pour le spi, l’un veut l’envoyer de suite tandis que l’autre veut temporiser, il ne m’écoute pas plus dans ce cas que dans l’autre et ça ne fait pas 10 minutes qu’il est parti qu’une nana en costume officiel et tronche acrimonieuse sensée intimer le respect dû à sa fonction m’interpelle depuis le quai, elle désire parler avec le capitaine. Je lui explique avec précaution que le brave capitaine est parti à la recherche de l’immigration et des douanes, tollé ! indignation ! de qui se moque ce capitaine d’avoir osé poser le pied sur le sol sud-af’ sans s’être fait tamponné dûment le passeport !! je prends une mine contrite, dit à la douairière, euh pardon, à la douanière, que je vais appeler le capitaine grâce à l’iridium, l’appelle au moins 10 fois sans réponse, la douanière appelle une certaine Natasha en me demandant si je la connais, bin non c’est quoi cette question, comme si je pouvais connaître quelqu’un ici, elle s’en va mais reviendra me sourcil-fronce-t-elle avec un index comminatoire, quand le capitaine se pointe peu de temps après je lui raconte l’affaire et le retiens sur le bateau car il serait prêt à repartir, attendre ne fait pas partie de son registre, et voilà qu’un mec se pointe, Eric, un taxi, il parle vite et on met un temps fou à le comprendre, il vient de la part de Natasha pour nous emmener à l’immigration, on se regarde avec le capitaine parce qu’on trouve ça trop bizarre, c’est qui cette Natasha, le capitaine s’apprête à le suivre, je m’insurge

– et si les douanes reviennent et que tu n’es encore une fois pas là ?!

Mais si ça se trouve on va nous laisser pourrir à ce quai un bout de temps pour nous punir de son insubordination, pfffff !

Nous prenons note du numéro du taxi que nous renvoyons et à qui nous promettons de le rappeler quand les douaniers seront passés, douaniers qui reviennent en renfort en plein déjeuner, qui c’est qui devra tout réchauffer, ils tancent le capitaine qui se répand en excuses anglo-gestuelles excessives, je crains qu’il ne passe pour suspect à leurs yeux et que le bateau voire nous-mêmes se fassions fouiller de fond en comble, mais ils s’arrêtent avant le toucher rectal et on fait les paperasses, ils s’en vont en précisant que Natasha va nous envoyer un taxi pour aller à l’immigration, et le visage du capitaine s’illumine :

– aaaaah ! ça doit être le pognon que j’ai filé en m’inscrivant à l’association !

Le capitaine nous a inscrit auprès de l’association de bénévoles OSASA qui est chargée d’accueillir les voiliers pour leur faciliter les formalités d’entrée, donc Eric en lien avec l’assoc’ se repointe et nous emmène à l’immigration, ça ferme à 16h, il est 15h57, je ne vous dis pas la tête de la nana à l’accueil qui s’occupe de nous et ne réussit à fermer le bureau qu’à 16h12 après avoir promptement bouclé les formalités et tamponné nos passeports. Lourde de reproches accablants.

De retour au quai, nous rencontrons Natasha qui nous y attend, totalement survoltée par la péripétie de l’année, à savoir que le capitaine, étant parti du bateau sans attendre la douane, aurait pu avoir une amende, finir en taule ou agressé sur la route, se perdre ou que sais-je encore de tous les dangers qui auraient parsemés sa route, quelques longues explications et un énorme soulagement de part et d’autre plus tard, nous retournons à bord, toujours à quai.

Là où il y a des parasols c’est un très bon resto et on y mange pour 3 fois rien !

Le lendemain matin c’est un singe qui me réveille, il est tranquillement assis à table et me regarde comme si j’allais le frapper, pschiiiiiit ! il file sans demander son reste et nous à la marina du Zululand Yacht Club, les pontons sont vétustes mais l’accueil charmant, on se fait bouffer par les moustiques et on va prendre une douche chaude !

A propos de cette souscription à OSASA pour la très modique somme de 300 ou 400 rands (en gros 15 ou 20 €, on ne sait plus) : moi j’ai trouvé ça chouette et ça l’aurait été beaucoup plus si le capitaine m’avait prévenue et que nous étions entrés en contact avec Natasha en arrivant, ça se serait passé comme sur des roulettes parce que visiblement tout le monde connaît ce circuit et ça simplifie les démarches. Mais le capitaine pense que ça ne vaut pas la peine et qu’on n’en a pas pour son argent, vous avez les deux avis, il ne vous reste qu’à choisir le vôtre !

le bar du Zululand Yacht Club, ze plaisse tou bi

And now, the best for the bravest among you ! (les sud af’ parlent anglais, faut vraiment que je m’y mette au lieu d’utiliser toujours Google Translate)

  • Le Canal du Mozambique est un bras de mer situé dans l’océan Indien occidental, le canal du Mozambique, c’est un ample détroit qui s’étire sur environ 1 600 kilomètres du nord au sud. Sa largeur (419 kilomètres dans sa partie la plus étroite) et ses eaux profondes (jusqu’à 3 200 mètres) en font un corridor maritime d’importance. L’histoire du Canal du Mozambique remonte à l’Antiquité, lorsque les marins arabes et indiens ont commencé à explorer cette région riche en ressources marines. Pendant des siècles, le Canal du Mozambique a été une route commerciale vitale pour les échanges entre l’Afrique de l’Est, l’Inde, le Moyen-Orient et l’Europe. Les marchands ont transporté des épices, des tissus, de l’ivoire, de l’or et des esclaves à travers cette voie maritime. Les Arabes ont également fondé des colonies sur la côte de l’Afrique de l’Est, notamment à Zanzibar, qui est devenue un important centre commercial et culturel. Au XVIe siècle, les Européens ont commencé à explorer le Canal du Mozambique et à établir des colonies sur la côte africaine. Les Portugais ont pris le contrôle de la région et ont utilisé le canal pour échanger des produits entre leur colonie de Goa, en Inde, et les côtes africaines. Les Français, les Britanniques et les Hollandais ont également établi des colonies sur la côte de l’Afrique de l’Est. Au XIXe siècle, le commerce des esclaves a été interdit, ce qui a conduit à un déclin économique de la région. Les colonies européennes ont alors commencé à exploiter les ressources naturelles de la région, notamment l’ivoire, les épices et les minéraux. L’exploitation des ressources naturelles a également conduit à la déforestation et à l’érosion des sols, ce qui a eu des conséquences néfastes sur l’environnement. Aujourd’hui, le Canal du Mozambique est toujours une voie maritime importante pour le commerce mondial. Il est également une zone de pêche importante et abrite une riche biodiversité marine, y compris des espèces rares comme les dugongs et les requins-baleines. Cependant, la région est menacée par le changement climatique, la surpêche et la pollution, ce qui souligne la nécessité de protéger cette zone vitale pour l’économie mondiale et l’environnement.
  • Chronos, à ne pas confondre avec Cronos le Titan, est le Dieu du temps, la personnification des heures du jour et de la nuit.
  • Les Vagues Scélérates sont des vagues qui apparaissent soudainement et qui peuvent atteindre des hauteurs de plus de 30 mètres, alors que la plupart des navires sont conçus pour affronter des vagues de 15 mètres. Une grosse tempête génère des vagues d’environ 12 m. Dans la houle, la vague scélérate emprunte son énergie dans celle contenue dans ses voisines, on parle de modulation d’amplitude, ou d’empilement par focalisation des fréquences. La vague scélérate est la combinaison de plusieurs vagues ordinaires.
  • La plus ancienne marque de tracteur : en 1892, les premiers tracteurs à essence au pétrole apparaissent : le Fröhlich et le Paterson.
  • Boire la coupe jusqu’à la lie : souffrir jusqu’au bout un mal ou une douleur ; subir une humiliation complète ; supporter une épreuve pénible jusqu’à son terme.
  • A propos de l’OSASA : suite aux confinements de 2020, l’Afrique du Sud avait été fermée aux yachts. Réalisant les problèmes, trois skippers sud-africains, Peter Sherlock, John Franklin et Jenny Crickmore-Thompson sont intervenus et ont inlassablement fait pression sur les principales autorités gouvernementales. Cela a abouti, en octobre 2020, à une directive autorisant l’entrée de petites embarcations en Afrique du Sud pour une période de 6 semaines pour des raisons humanitaires, via l’avis Maritime Notice 50. Au cours des 2 mois suivants, ce MN50 a permis le dédouanement de plus de 80 yachts, à la fois des visiteurs internationaux et des Sud-Africains locaux de retour de l’étranger. Le projet s’est prolongé après la période initiale, les petites embarcations étant toujours autorisées à entrer en Afrique du Sud alors que les niveaux de confinement se soient assouplis, à condition qu’elles respectent toutes les réglementations relatives au covid.  Pendant ce temps, il est devenu de plus en plus évident qu’il y avait un besoin clair d’un organisme de liaison pour travailler avec le gouvernement au nom des communautés de croisière hauturière et côtière ; pour les aider à comprendre le monde des yachts, ses besoins, ses limites et la contribution financière que cette industrie peut apporter à une économie. Il est également devenu évident qu’aucun organisme national en Afrique Australe ne représentait pleinement les skippers de haute mer et leurs conditions uniques. Soutenus par South African Sailing, les clubs nautiques côtiers, les marinas, SABBEX et l’industrie maritime, Peter, Jenny et John ont officiellement fondé l’OSASA, l’Ocean Sailing Association of Southern Africa. 

Mayotte, terre de France ! (depuis 1841)

à 8 000 km de la France (c’est dire qu’on n’est pas encore rentrés) entre le Mozambique et Madagascar

On devait partir le dimanche 19 novembre mais le capitaine a dit qu’on n’aurait pas de vent alors le samedi matin courses au galop, rangement du bateau poïpoïpoï, on est parti samedi vers 15h, au près pour descendre la côte Est de Mahé, magnifique, et puis cap au 232 droit sur Mayotte, vent à 18/20, 90 degrés bâbord amure, on fonce.

c’est la route qu’on a fait pour de vrai, c‘est le capitaine qui fait les petits points sur Navionics
ça bougeait pas mal …
… mais on est habitués

Nous sommes partis essorés, au sens propre du terme, il a fait tellement chaud et humide qu’on buvait 4 à 5 litres par jour aussitôt transpirés et qu’on se réveillait la nuit avec l’impression de vivre dans un inhalateur géant avec impossibilité  de lever le nez pour avoir de l’air frais, les corps exsudent, se liquéfient, ça use, j’ai vu des nanas qui bossent dans un pressing un jour où la clim’ fonctionnait à peine en crachotant, la sueur ruisselait de leur front comme si on essorait une éponge.

Ce n’est pas parce que nous naviguons que le beau temps dure, il ne dure pas, très vite grains, rafales aussi violentes qu’inattendues en direction, entre 2 grains le vent adonne, le capitaine dit qu’il faudrait mettre le spi, je ne relève même pas mais quoi, le spi ? Avec les grains et des rafales soudaines à plus de 30 nœuds ?! Il a peut-être noté mon manque d’enthousiasme, toujours est-il l’idée est proprement enterrée, des fois je me demande s’il ne me lance pas juste un défi, pour voir, c’est tout vu.

ça balance

Nuit, orages, vent dans tous les sens, on ne dort guère, le dimanche on est crevés mais on avance bien, à partir du moment où on galope le capitaine est content, nuit suivante, un bordel sans nom, orages, éclairs, tonnerre, pluie diluvienne, vent capricieux, rafales à plus de 35 qui nous font empanner sauvagement, GV et foc à contre, oui GV, vous avez bien lu, parce que nous, le frein de bôme on s’en sert comme bloqueur de bôme, justement pour éviter les empannages sauvages … bon, j’avais dit au capitaine en début de soirée que ça serait bien qu’on prenne un second ris pour la nuit afin d’avoir l’esprit un peu plus tranquille, en plus John de Broadsword (c’est le nom du bateau de John, John n’est pas un nobliaux) nous a prévenu que des orages étaient prévus, lui et Lucy naviguent quelque part devant nous.

– oooooh isabelle (pas content), je sais que toi tu aimes quand c’est (signe des mains pour dire calmos) mais j’ai pas envie d’avancer à 5 nœuds sous trinquette, 7 ok mais pas 5 !

– ah moi aussi je préfère, mais on ne choisit pas

On venait de finir les pâtes et j’allais chercher du yaourt (à la grecque, le capitaine qui en est friand m’a dit que celui-là était une vraie tuerie, je l’ai goûté du coup et c’est vrai que ça m’aurait presque fait aimer le yaourt), on avançait au près, le vent est monté à 40 d’un coup et le bateau s’est mis à gîter sévère, accroche-toi ! Passe-moi la commande ! je suis déjà accrochée et en train d’abattre en appuyant sur le bon bouton, mais rien ne se passe, je tends la commande au capitaine qui pense que je n’ai pas assez abattu et fait une tête de quand est-ce qu’elle saura faire tout comme il faut, il appuie sur le bouton, encore et encore, rien, ça serait pas la commande qui débloque ? BAAAAAM !!! tout à coup on empanne, on ne sait pas si une bourrasque est venue d’on ne sait où, ou si c’est la télécommande qui a finalement abattu de toutes nos sollicitations en une seule fois,

– le foc est à contre ! que je vois et que je crie

– mais non, c’est la grand-voile !

Juste ciel je n’ai pas encore la berlue ? Je vois bel et bien le foc gonflé à contre mais bloqué sur l’étai de trinquette, il se réveille

– merde le foc est à contre ! il faut l’enrouler !

Le capitaine a pris la barre et use de toutes ses forces pour lofer, enfin je crois, en fait je ne saurais dire ce qu’il y fait, je suis archi larguée, la pluie nous fouette et nos fringues dégoulinent de flotte, on ne distingue rien de rien, encore en plein jour on peut avoir une idée avec la position du soleil mais là, que dalle, je m’arc-boute sur la corde de l’enrouleur avec autant de chance de réussir à en faire quelque chose que de gagner au loto (ça me fait penser que j’ai joué avant de prendre la mer, si ça se trouve à l’heure où je vous parle je suis millionnaire),

– fais-le au winch !!

Ah ouais ? Alors qu’il m’a moult fois expliqué en épelant presque chaque mot pour les inscrire en lettres de feu dans ma cervelle qu’il NE FAUT JA-MAIS enrouler le génois au winch sinon on ne sent pas si quelque chose bloque et que c’est le meilleur moyen de tout casser ?

Mais je ne me le fais pas répéter, c’est la seule solution, je passe aussitôt le bout au self-telling et je mouline, le capitaine regrette déjà ce conseil, dans la tempête il a certains élans spontanés mais sa raison revient au galop, il me crie NON ! PAS AU WINCH ! Trop tard mon vieux, sinon on n’est pas sortis de l’auberge, avec ce génois et cette GV gonflés à contre le bateau contre gîte et je suppute que cela puisse déranger la manœuvre, aaaah je réussis à faire que le génois se libère de l’étai de trinquette,

– pas au winch !!! Laisse moi faire !

Bin voyons ! la confiance règne !

– non ! reste à la barre et je m’en occupe !

On n’a pas le choix parce qu’on ne peut pas le déventer derrière la GV et avec encore 36 nœuds de vent vas-y pour enrouler à la mano, si on commence à débattre maintenant on va perdre un temps fou alors je finis d’enrouler au winch, ça calme un peu le jeu, de son côté le capitaine a lâché la barre pour changer le chariot de côté, ça y est on réempanne, on est trempés et on grelotte alors on prend le temps de virer nos fringues et de passer un ciré avant de prendre un second ris et de mettre la trinquette, le bateau a repris son cap, je ne sais pas si l’adrénaline débouche la tuyauterie mais si oui, j’ai l’aorte et les carotides aussi propres qu’une évacuation d’évier passée à la soude caustique.

Vous avez vu « les choses de la vie ? » : on voit l’accident de voiture au ralenti, on a tout le temps de distinguer l’enchaînement des faits, les expressions des visages, tous les détails, et puis l’accident passe ensuite à vitesse normale, on ne distingue plus rien, ça va trop vite, bim bam boum et la voiture s’arrête … et bien c’était pareil cette nuit-là, quand je raconte, les mots prennent du temps, mais quand on y était, c’était bim bam boum on court dans tous les sens, on crie on manœuvre on fait sans réfléchir on fait bim bam boum c’est fini et il n’y a plus que l’adrénaline qui témoigne encore, le capitaine a mangé son yaourt.

Rebelote plus tard dans la nuit, orage, coup de vent violent, gîte qui fait tomber ce qui n’est pas suffisamment calé, on était couchés et le capitaine arrive à poil dans le cockpit comme une fusée tandis que je saute dans mon short et mes chaussures de pont, il se fait rincer par la pluie qui tombe à verse, il est pieds nus arc-bouté à la barre pour contrer la direction du vent, bon sang il va glisser comme un pet sur une toile cirée, je me jette à 4 pattes à ses pieds avec ses godasses, enfile tes chaussures ! et malgré l’intensité du moment ça me fait marrer car je me sens ridicule, que dis-je, je le suis, ridicule, il ne m’entend même pas, relâche le frein de bôme, bordel on a encore empanné avec ce vent, je l’entends maudire le frein de bôme qui pourtant nous a bien servi jusque-là, je me note de faire gaffe pour ne pas subir un jour le même sort, passer d’une seconde à l’autre du statut d’objet aimé à celui de bon à jeter, j’obéis à ses ordres sans fichtre savoir où on se trouve, il fait noir comme dans une mine désaffectée, il pleut des hallebardes, on ne voit plus rien avec ces lunettes sans essuie-glace, et sans lunettes il faut coller son nez sur le panneau du pilote pour comprendre ce qui se passe, et encore, quand je dis, totalement interloquée, que le vent est passé à 130 degrés de l’autre côté (ne me demandez pas lequel, je n’en sais rien), il me crie mais ne tiens pas compte de ça !!! alors je ne sais même plus de quoi je dois tenir compte si je l’ai jamais su un jour, je change le chariot de côté tandis que le capitaine barre toujours, on réempanne, PADAM ! bonjour les précautions, je remets le chariot tel qu’il était, le capitaine a retrouvé le cap, il fait une tête chagrine, il pense que c’est sa faute si on a empanné, moi je pense que c’est la faute des orages et du vent, mais il sait des choses que je ne sais pas et ça je le sais (ouah, on dirait du Gabin)

Plus tard, il reconnaîtra qu’il ne sait même pas si on virait ou on empannait dans ce merdier, et nous aurons confirmation que dans ce coin, le vent change radicalement et instantanément de direction comme un politique retourne sa veste (j’ai failli mettre « Rachida Dati » mais y’a pas qu’elle hein)

Lundi c’est plus calme, l’après-midi le vent tombe entre 5 et 10 et adonne, on compte 3 houles qui se croisent, autant dire qu’on est ballotés, on affale et on met le moteur, on ne va pas plus vite mais au moins ça ne bousille pas le gréement et ça économise le nerf irritabilophile du capitaine…

On en profite pour ouvrir les capots quand il ne pleut pas, ça empeste le poisson pourri sous l’annexe, on se croirait devant un stand de poissons fumés de marché chinois, ça filerait presque la gerbe, le capitaine dit que ça sent l’oiseau mais il a une dent contre eux, par contre ça ne m’étonnerait pas que ça soit cette odeur puissante qui fait qu’une ribambelle d’oiseaux  nous suit depuis ce matin, j’espère qu’aucun n’aura l’idée de vouloir se poser sur les panneaux solaires au risque de se prendre un coup de gaffe sur la tronche, l’amour des bêtes du capitaine s’étant étiolé au fil des bouses qu’il a nettoyées en pestant comme une concierge qui voit passer des mômes en bottes crottées alors qu’elle vient de finir de passer la serpillière dans les escaliers.

on a des chouettos couchers de soleil quand on n’est pas sous un orage

Une partie de la nuit au moteur et puis génois seul, avec 15/18 nœuds de vent on avance à 6/6,5 et on a la cagne de mettre la GV nuitamment, des fois le capitaine est humain, son niveau de perfectionnisme variant en fonction de son état de forme, mais bon, il faut qu’il soit vraiment crevé, je l’ai déjà vu faire des réglages, si pointus qu’ils me semblaient superflus, avec un mal de tête qui lui donnait la nausée, c’est dire que les épisodes orageux l’ont bien tanné.

Mardi matin ça va bien, on a entre 15 et 20 nœuds au travers, génois et GV, la mer est enfin plus rangée et ça fait du bien, dès que le vent adonne un tant soit peu le capitaine pense au gennaker, je lui rappelle que le GRIB prévient que le vent va forcir et qu’on va avoir des rafales, on est entré dans la zone nord de Madagascar et il l’a même noté sur son journal de bord

– ouais mais ça c’est demaing !

– déjà aujourd’hui, va voir sur le GRIB

On reste comme ça pour l’instant.

il est joli comme ça (soupir)

L’après-midi le capitaine fait une sieste dans le cockpit, le vent est stable, peu de temps après son réveil le vent passe à 25, on prend un ris, et puis il voit le ciel, se décide à enrouler le génois et mettre la trinquette, les orages ont été formateurs dirait on, à peine a-t-on fini que voilà un grain, vent à 30, pluie, on prend un second ris, la mer est forte, houle de travers, et des grosses vagues de 3/4 avant ou de 3/4 arrière mouillent le bateau, ça dure, je fais cuire des pâtes avec une extrême précaution parce que le bateau roule et tangue et la casserole danse sur le feu, comme on ne peut pas ouvrir le moindre capot tellement ça mouille, il fait une chaleur humide digne d’un hammam, je sors dans le cockpit pour m’aérer, le capitaine s’enquiert de mon état

– ça va ?

– oui oui !

Je me racle la gorge

– tu ne penses pas qu’on pourrait prendre un troisième ris ?

Je suis la prudence même, des éclairs zèbrent le ciel, devant nous de gros nuages noirs menacent, je n’ai aucune envie de revivre les épisodes d’empannages sauvages autant que nocturnes, en plus le capitaine m’a dit qu’on était un peu chargé (c’est pas qu’on a bu, c’est qu’on a un peu trop de surface de voile)

Il regimbe, j’avance ce pion d’être un peu trop chargé que je tiens de sa bouche même, et puis une énorme vague soulève le bateau, déferle à moitié dedans,

– ooooh que j’aime pas ça !

– moi non plus j’aime pas ça hausse t’il des épaules

Il descend devant la table à carte, 33 nœuds de vent, on serait au portant qu’on s’en ficherait comme de la taille de chaussures du Roi Charles, le pauvre, mais au travers… il cède, on prend le 3eme ris avant de manger pour être peinards, il bougonne qu’on n’avance plus qu’à 7 et quelques au lieu de 8 et quelques et qu’on navigue comme des octogénaires, je fais écran, on passe la nuit comme ça ce qui nous permet de dormir un peu quand c’est plus calme, dès que le vent remonte et que le bateau saute on est réveillés, à 6 heures du mat’  le capitaine lâche deux ris parce qu’on a plus que 20 nœuds, je pense qu’il est un peu rapide et oui, avant même de prendre le petit déjeuner le vent repasse à 30 et on reprend 1 ris, depuis on navigue avec 2 ris et trinquette, on avance entre 8 et 9, ça il aime, on a reçu un mail de John sur Broadsword, il est à 70 NM devant nous, il a aussi passé hier et la nuit dernière with 3 reefs and staysail, heureusement parce que si jamais il n’avait pris que 2 ris, le capitaine m’aurait fait un caca nerveux.

Plus tard le vent descend à 20/22 , 1 seul ris et génois, on avance à 9/10 avec 1,5 nœuds de courant portant, comme dit le capitaine ça envoie ! ou encore ça glisse tout seul ! tandis que je m’exclame on bombe ! (il aime bien cette expression, il s’en resservira plus tard en me disant c’est toi ça !). Puis ça varie, on prend et on lâche des ris, une fois trinquette, une fois génois, en fin d’après-midi c’est simple, c’est génois et GV déployés pour avancer à seulement 4 nœuds avec 12 nœuds de vent, et plouf ça tombe complet, comme prévu sur le GRIB, on affale et moteur, dans la nuit il y a des étoiles au-dessus de nous et au loin derrière c’est nuages noirs dans le ciel de mi-lune et éclairs, je préfère être là où on est.

Jeudi 23, en forme après avoir dormi 9 heures, 9 heures ! Le capitaine m’a laissée récupérer et s’est occupé de faire la nuit, de toutes façons il trouve que le coup de mettre le réveil un coup lui un coup moi ça n’est pas terrible parce que ça sonne quand on roupille ou bien on se lève quand ce n’est pas notre tour, je suis d’accord, il m’a dit qu’il gérait et je ne me suis pas fait prier.

Le soleil tape ce matin, et quand je dis tape c’est parce que sa chaleur vous tape comme un coup de fer à repasser, je mets des tauds pour nous en protéger, on prend le petit dej, au loin on croit voir une silhouette d’île mais on ne sait jamais de loin … un bel oiseau blanc, genre frégate mais blanc et la pointe des ailes noires, bec blanc, passe en rasant les flots en quête de poisson à se mettre sous la dent (je continue à me demander comment font les oiseaux pour déchiqueter leur proie sur l’eau), je me questionne à voix haute

– je me demande si les poissons peuvent voir leurs prédateurs quand ce sont les oiseaux ?

Pause

– en plus ils ont les yeux sur les côtés …(Dieu est à la source des inégalités)

Moue du capitaine qui exprime une méconnaissance totale du sujet, qui va peut-être même jusqu’à un inintérêt des plus profonds.

– Parce que les oiseaux, ce sont les extra-terrestres pour les poissons … les extra-merestres plutôt … poursuis je dans mon élan

Sourire avec sourcils en point d’interrogation

– si ça se trouve il y a plein d’extra-terrestres autour de nous mais on ne les voit pas avec nos yeux

– T’es sûre que t’as assez dormi ?

Je ne dis rien mais ça se tient grave comme raisonnement. Je trouve. Des fois, quand je lui tiens certains raisonnements de mon cru, il demande t’as bu l’apéro ? il me fait rire.

vous voyez Mayotte sous les nuages ?

À 10h45 locale, on voit Mayotte sous les nuages, à 11h on nous appelle sur la VHF, en français, on ne dira jamais assez à quel point c’est bon de comprendre les questions marmonnées à la VHF par des types qui ont tellement l’habitude de répéter les mêmes choses qu’ils ne prennent plus la peine d’articuler.

– On dirait qu’il y a 2 îles !

– Mais y’a, 2 îles (c’est pour ça) … Nous on va sur la petite, à Dzaoudzi.

Il y a la sécheresse sur Mayotte mais quand on arrive un gros grain arrive aussi, il y a quelques siècles, si on était arrivés avec la pluie, on nous aurait déifiés et donné à boire et à manger,  donc gros vent, on se grouille de tout fermer avant la pluie, le capitaine saucissonne la GV avec un bout parce que la fermeture éclair du lazy est cassée à cause des orages qui la fracassait contre la bôme,

si ça, ça n’apporte pas de la pluie, je m’appelle Albert

et puis ça passe, pas une goutte d’eau, on se serait fait pendre par nos propres sujets à peine gravis sur la plus haute marche, on a eu chaud (vous pouvez m’appeler Albert).

On longe la côte, c’est habité mais il n’y a pas que du pavillon dirait on ….

Nous arrivons au mouillage de Dzaoudzi, il y a foule,

Broadsword est mouillé à l’écart mais ça ne tente pas le capitaine qui nous fait faire un tour dans le mouillage et opte pour aller de l’autre côté de l’île,

quasi pas un chat,

on mouille là mais je dis au capitaine que si ça se trouve c’est pas pour rien qu’il n’y a pas un chat, on met l’annexe à l’eau et on va vers la plage à la rame, direction un ponton flottant, un gars qui nage comme un pro avec des lunettes de natation et un beau mouvement de crawl sort la tête de l’eau, on lui fait signe pour le prévenir qu’on l’a vu et qu’on ne va pas lui passer dessus, il s’arrête et on papote, nous dans l’annexe et lui en surnageant, on est sur un terrain militaire et on n’a pas le droit de débarquer (voilà voilà) mais on joue les innocents avec des grands yeux embués de navigateurs qui en ont bavé et qu’on ne peut humainement pas envoyer se faire voir, gagné, il nous dit que c’est bon pour aujourd’hui parce que si on va sur la plage publique un peu plus loin on se fera voler l’annexe, mais qu’il faudra faire autrement les prochaines fois, nous remercions le légionnaire avec un respect mâtiné de dévotion, un autre nous accueille sur la plage avec une mine de chien de garde, on lui assène notre petit couplet en ajoutant que le nageur nous a autorisé à débarquer et comme le nageur c’est le chef on nous laisse passer,  quand on revient plus tard c’est une nana légionnaire qui nous ouvre le portail en précisant qu’elle a reçu des consignes nous concernant, à savoir qu’il fallait qu’elle nous ouvre, il s’agit en une école de formation pour les légionnaires et ceux-là cassent l’image du légionnaire aussi sanguinaire que bas de plafond, lol (je déteste le lol, c’est la première et la dernière fois que je l’utilise).

Alors ! Mayotte !

Il nous faut faire la clearance d’entrée, donc le lendemain matin nous prenons l’annexe, cette fois avec son moteur, pour faire le tour de l’îlot de Dzaoudzi et débarquer sur un ponton surveillé, visiblement le seul endroit de l’île où l’on est certain de ne pas se faire piquer son annexe et c’est d’ailleurs pour cela qu’il y en a plein, le capitaine hèle un autre arrivant dans une annexe et lui demande s’il sait où on peut trouver le maître de port pour faire la clearance, le brave homme n’en sait fichtre rien et tend subitement un index vers un autre ponton, soulagé de se débarrasser de nous :

– lui là ! Il sait ! c’est le maître de port !

Alors vite on file vite sur le ponton d’en face en faisant des signes au gars, il vient vers nous, j’attrape le bord du ponton et lève la tête vers lui pour lui dire

– il paraît que vous êtes le maître de port ?

– ah non ! Je suis le capitaine de port

– c’est bien, vous êtes monté en grade !

Mais il rigole moyen et m’explique que le capitaine de port c’est un officier d’état alors qu’un maître de port c’est un employé privé dans une marina, chargé de dire où vont se garer les bateaux, on sent un léger mépris de caste, et puis le gars commence à nous raconter des tas de trucs sur Mayotte, son fonctionnement et les aberrations qui vont avec, quand on lui demande de signer notre clearance d’entrée il nous oppose un refus net, ce n’est pas son job, lui, ce qui lui prend son temps, c’est la surveillance de l’immigration clandestine car, chaque jour, environ 80 migrants accostent clandestinement sur l’île à bord de petites embarcations motorisées en provenance des Comores, à seulement 70km de Mayotte. L’Etat a positionné des radars de détection mais les patrouilles nautiques et la surveillance aérienne n’y font rien, je ne suis pas certaine que ce brave capitaine de port y fasse grand chose non plus.

– on nous avait dit d’appeler le canal 9 sur la VHF mais ça ne répond jamais explique le capitaine

– oui ! Je sais ! c’est son boulot mais il ne fout jamais rien !

Et de nous décrire les luttes intestines de cette île de branleurs, il nous quitte en nous indiquant où trouver le gars qui nous signera la clearance s’il le veut bien parce qu’il ne le fait jamais, mais que ça n’est pas lui qui fera le boulot des autres bien qu’il détienne dans sa sacoche (qu’il tapote d’une main pour appuyer ses dires) tout ce qu’il faudrait pour le faire mais qu’il ne le fera pas qu’on se le dise,  et s’en va retrouver John et Lucy de Broadsword pour les emmener faire des courses et déjeuner avec eux, on sent le gars débordé de boulot comme il a très longuement pris le temps de nous expliquer, toujours sur tous les fronts et que c’est pour ça qu’il ne fera pas le boulot des autres, on a bien compris, il est sympa et marrant comme tout, je ne saurais, par contre, qualifier son efficacité.

On gare notre annexe tant bien que mal au milieu des autres et filons prendre la barge pour Mamoudzou où se trouve la CCI, CCI où nous devrions trouver le fameux tire-au-flanc qui devrait nous signer cette clearance, trouvons l’immeuble de la CCI qui trône dans Mamoudzou comme un trophée sur le bureau d’un éduc spé qui s’est farci le marathon de sa vie,

mais un gars nous explique que le bureau de celui que nous cherchons se trouve dans un container juste à côté de la sortie de la barge que nous avons prise, demi-tour, qu’est-ce qu’on a été balancer un gars dans un container sur le trottoir alors que l’immeuble de la CCI est si grand, on trouve le container en question et le gars qui va avec, qui nous regarde comme si on débarquait de Mars avec notre demande de clearance qu’on aurait dû faire sur internet ou aller voir le maître de port de la marina où nous ne sommes pas, parce que ce n’est pas son boulot,

– ouais mais on a appelé sur le 9 pour avoir des infos et personne ne répond jamais

– ah … elle est en colère la VHF

Il ne répond plus à la VHF parce que le capitaine de port l’appelle plusieurs fois par jour pour râler qu’il ne répond pas aux plaisanciers alors que c’est son job,

– Non, c’est pas à moi de le faire

– Bon, on fait quoi alors ?

– Bon …je vais vous la faire alors (la mauvaise grâce incarnée)

Il se met devant son bel ordinateur posé sur un bureau vierge de tout dossier, va sur le site de la CCI en commentant qu’il ne sait pas où se trouve le papier de clearance d’entrée à imprimer, se plaint pendant 10 minutes qu’il ne l’a jamais fait et que ça le fait chier, finalement le trouve et nous l’imprime, heureux comme un gamin qui a réussi à l’arrache un puzzle de 4 pièces, nous le donne à remplir et nous explique qu’il faut aller à l’aéroport pour faire tamponner le papier par la PAF (police de l’air des frontières) qui s’occupe de l’immigration, et qu’une fois le papier tamponné on le photographie et on lui envoie par mail, je ne relève pas mais si c’est à lui qu’il faut renvoyer le papier c’est bien lui qui s’occupe des clearances ?

Pour partir il faudra faire le même trimballage, alors pour éviter de nous voir revenir il nous imprime de suite la clearance de sortie, ça lui évitera de chercher une seconde fois, on n’est pas des chevaux.

On reverra le capitaine de port en allant faire le plein de gasoil, il nous dira, l’air émerveillé, que nous sommes les premiers plaisanciers à qui l’autre aura fait la clearance d’entrée.

Quand nous repartirons et passerons à la douane pour faire tamponner la clearance de sortie, le douanier nous dira qu’avant ils tamponnaient mais plus maintenant, on aura beau lui demander, à plusieurs reprises, le pourquoi de la chose, la seule réponse que nous obtiendrons sera avant on le faisait, maintenant on ne le fait plus, le gars qui n’a qu’un seul neurone qui lui sert à répéter ce qu’on lui a appris, épatant. Quand y’a pas de solution, y’a pas de problème, démerde toi avec la douane de ton prochain port. (J’en profite pour rappeler qu’à l’impératif il n’y a pas de s pour les verbes du 1er groupe)

il fait presque nuit quand on s’en retourne à Dzaoudzi et je ne suis pas devin, mais je pense qu’on va s’en prendre sur le coin de l’œil encore une fois

Faire pipi pour une nana à Mamoudzou à l’heure où je vous écris n’est pas chose aisée : la sécheresse a induit des coupures d’eau, donc pas de toilettes dans les petits bistrots qui n’ont pas plus envie de prévoir de l’eau de mer dans des bouteilles ou autre astuce du genre, que l’autre de faire des clearances. J’ai demandé à notre source de savoirs, à savoir le fameux capitaine de port, par quel miracle cette île entourée d’eau de mer n’était pas capable d’en dessaler comme toutes les autres îles où nous sommes passés, mais ô merveille des merveilles, oui il y a une usine pour dessaler l’eau de mer, cependant les concepteurs n’ont pas tenu compte du marnage local, donc à marée basse le tuyau pompe de la vase qui bouche tout, résultat ça passe plus de temps à déboucher qu’à dessaler, donc grosse sécheresse avec des manifestations et des tags EAU SECOURS un peu partout … Macron a dit qu’il allait débloquer 150 millions d’euros supplémentaires pour Mayotte mais si c’est pour construire quelques beaux immeubles pour fonctionnaires planqués, ça n’aidera en rien les mahorais, quand on visitera l’île nous verrons des tas de bidonvilles, même en plein Mamoudzou, on y est passé à pied mais je n’ai pas pris de photos parce que ça aurait été franchement du voyeurisme indécent, mais c’est un choc …

Donc, le tour de Mayotte, pour ce faire on s’en va louer une voiture, la nana qui nous la loue la voiture nous annonce avec une détermination insistante qu’il ne faut pas aller se balader dans le sud parce qu’il y a des violences et les voitures se font caillasser, après deux secondes de pause, elle ajoute  que dans le Nord ce n’est pas une bonne idée non plus parce qu’il y a des violences aussi de la part de manifestants qui dénoncent la violence, faudrait qu’on m’explique la logique du raisonnement, je lui demande avec ironie :

– mais si on reste dans le quartier, c’est bon ?

Elle est ravie de me répondre que oui, si on limite notre balade à Mamoudzou et sa zone commerciale, tout ira bien, elle n’a pas l’air de capter que louer une voiture pour tournicoter autour du pâté de maisons est débile, le capitaine n’a pas l’intention d’obéir, ça se voit à la tête qu’il fait en la toisant, celle du grand scientifique droit dans ses bottes qui se fout de la tronche d’un chamane d’Amoraleza, c’est comme ça qu’on visite le nord.

le nord
les baies, c’est toujours plus beau

Arrive le moment de visiter le sud qui est verboten ! Archtung bicyclette ! comme on disait en cours d’allemand mais je n’ai jamais su pourquoi, peut-être une remarque fameuse d’un film culte que je ne connais pas, ça me fait penser quand j’enseignais au CREPS et que chaque année je réussissais à placer un mégateuf excellent qui tombait à plat jusqu’au jour où, enfin, il y en a un qui a réagi en se mettant à secouer la tête tout en chantant Bohemian Rhapsody (c’est un quizz, répondez en mettant votre réponse en commentaire et vous gagnerez une belle photo du capitaine).

Bref, je m’égare, le capitaine qui n’a peur de rien me dit haut et fort que la nana exagère parce qu’au nord tout s’est bien passé, on va aller au sud ! je me permets un avis mesuré, si on ne croit plus les gens qui sont censés connaître le coin,  où va-t-on,  mais n’insiste pas car ma prudence passe souvent à ses yeux pour de la pleutrerie, en plus je m’en fous c’est pas moi qui ai laissé l’empreinte de ma carte bancaire en caution pour payer le caillassage de bagnole si on va dans le sud, je lui précise juste que j’espère que, si cela devait arriver, la pierre ne viendra pas exploser ma vitre pour finir dans ma gueule, cette évocation fait quand même tiquer le capitaine qui serait autant responsable que le lanceur de pierre après tout, et où ça nous mène quand on est responsable … nous arrivons au rond-point fatidique, le capitaine met le cligno pour sortir à la prochaine direction Sud, tic tac, tic tac… un barrage dites donc ! Un camion militaire et des soldats qui empêchent de passer, le capitaine abdique, continue sur le rond-point et prend la sortie Mamoudzou,

– C’est ce qu’avait dit la nana, que les routes du sud sont barrées

– ouais

Le sujet est clos, on verra sur infos outre-mer qu’il y a eu un camion de l’armée incendié et que ça a fighté sévère, le capitaine a rendu la voiture dans l’état où on la lui avait louée et a récupéré sa caution.

Ce qui met le plus de beauté sur cette île ce sont ses femmes vêtues de leur Salouva aux couleurs éclatantes, quelques fois avec des paillettes et des fleurs brodées dignes des plus belles cérémonies, des femmes d’une élégance racée, certaines ont les traits extrêmement fins avec les pommettes hautes, une peau sombre lisse comme du papier de soie, les yeux noirs en amandes ornés de cils de biche, un corps élancé et souple, des beautés époustouflantes, je dis au capitaine que si j’avais une agence de mannequins, je viendrais recruter à Mayotte.

superbes

Nous changeons de mouillage pour l’îlot Bandrélé car le capitaine veut plonger dans la passe du même nom mais zaussi dans celle en S, tout un programme, ayant de mon côté plus ou moins définitivement abandonné l’idée de plonger sous-marinement avec bouteille, il va y aller avec John et Lucy, moi je resterai au bateau pour bosser, vive le travail qui me tire une belle épine du pied.

on se pose devant l’îlot Bandrélé

Parfois c’est long tout seul sur un bateau (pensée émue pour les marins qui font des tours du monde en solitaire, je ne sais pas comment ils font), et c’est encore plus long quand John et Lucy rentrent dans leur bateau pour me préciser que John est trop fatigué de la plongée du matin pour faire celle de la passe en S, le capitaine est resté là-bas pour la faire, il rentrera tard et je ne pourrai m’empêcher de penser à comment je retourne à Dzaoudzi au moteur pour rentrer en avion en France si jamais le capitaine clapote en plongée (j’ai honte) (mais c’est humain).

la passe en S vue du ciel

J’ai oublié de vous raconter : nous prîmes un apéro sur ce magnifique monocoque qu’est Broadsword (ça veut dire glaive en anglais, la classe), avec John et Lucy, tellement adorables, et c’est vrai que la plupart des navigateurs que nous avons rencontrés sont juste adorables, comme si la mer créait des liens d’adorabilité, dans le lot on a seulement vu un seul con, et sa femme ne l’était pas du tout mais elle avait des sacrés tics faciaux quand il ouvrait sa bouche, donc bien que John et Lucy ne parlent pas du tout français sauf pour dire bonnjou’ ! en se marrant, et bien que le capitaine et moi n’ayons en rien progressé en anglais mais sachions dire hello sans rire, nous avons passé une formidable soirée, et Lucy m’a avoué que pendant les orages dans la traversée des Seychelles à Mayotte, elle était assise par terre dans le carré et elle pleurait, je l’ai remerciée de tout cœur de savoir que je ne suis pas la seule à avoir la trouille … et de me dire que moi je n’avais pas pleuré, ce qui m’a fait remonter d’un cran dans ma propre estime et c’est pas rien.

Le mont Choungui est un sommet du Sud de l’île de Grande Terre à Mayotte culminant à 593 mètres d’altitude, à cheval sur les communes de Kani-Kéli et Chirongui

Il est déjà temps de quitter Mayotte, on a de la route, nous avions judicieusement profité de la voiture pour faire des courses et remplir le frigo avant de partir pour l’Afrique du Sud, 1400 NM à faire jusqu’à Richard’s Bay mais on s’arrêtera sur la route parce que la météo nous y obligera me dit le capitaine les yeux rivés sur les différents GRIB qu’il a téléchargé et les guides nautiques qu’il a lu, en anglais s’il vous plaît, ce qui est un tour de force, on ne peut pas vraiment dire qu’on capte ce qu’on lit dans les très grandes lignes, parfois il me demande de lire aussi et j’ai l’impression de loucher à suivre des yeux des phrases que je ne comprends pas, il me demande si je sais ce que ça veut dire, il est mignon, par quel miracle de la science infuse le pourrais je ? en plus quand je lui réponds quelque chose parce que je suis polie et que je trouve toujours un truc à répondre, fut ce n’importe quoi, il me rétorque avec ardeur que ce n’est pas ça et me fait une traduction sûrement plus valable que la mienne, vous aurez compris qu’on n’est pas sortis de l’auberge (expression chère au capitaine qu’il emploie à tours de bras quand il lit les infos), on s’en va donc un peu à la vas-y que j’te pousse emprunter le canal du Mozambique, qui vivra verra …

le capitaine verrouille la baille à mouillage (ah tiens, j’ai oublié d’enlever la drisse de spi de l’annexe pour la soulever afin d’avoir de l’air quand on est au mouillage, il a dû s’en occuper en revenant dans le cockpit, en même temps je faisais des crêpes, je suis toute excusée)

Jeudi 30 novembre, en route mauvaise troupe !

On y sera resté une semaine, c’est déjà ça

Aussi bon qu’un carré de chocolat à la fin du repas :

  • Impératif : énoncé de la règle par l’Académie Française : la terminaison est en «e» pour tous les verbes du 1er groupe conjugués à la 2e personne du singulier au présent de l’impératif (ex: chante, mange, etc.) Le verbe aller, quant à lui, est un irrégulier du 3e groupe. Il se terminera toujours par un «a» (« va »). Il y a cependant une exception : pour faciliter la prononciation, on ajoute un «s » quand ces formes sont suivies des pronoms adverbiaux «en» et «y». On les lie alors par un trait d’union au verbe. Exemples : «Vas-y », «manges-en». Néanmoins, si « en » et «y » dépendent d’un infinitif et pas directement du verbe conjugué à l’impératif, on ne met pas de «s» ni de trait d’union. Exemples : « Va en chercher », « ose y aller ». Bref, en l’absence des pronoms adverbiaux « en » ou « y », les verbes du premier groupe ainsi que le verbe « aller » ne prennent jamais de «s». (Pour rappel : les verbes du premier groupe sont tous ceux qui se terminent par « er», sauf aller, qui suit pour sa part la même règle à l’impératif.)
  • Le Salouva est le vêtement de la femme mahoraise par excellence. Il se compose de 2 parties : une grande pièce de tissu cousue sur un côté que la femme enfile et attache, la plupart du temps, au-dessus de la poitrine, et le Kishali, châle porté sur la tête ou sur les épaules. Cette tenue n’est pas considérée comme ayant une connotation religieuse, mais reste tout de même une tenue souvent portée dans un sens religieux comme culturel. Plus souvent portée par les femmes adultes, le Salouva n’est plus aussi souvent porté qu’avant. Cela s’explique par l’arrivé de l’occidentalisation sur l’île. Il est en quelque sorte devenu la « Tenue du Vendredi ». La tenue est souvent accompagnée d’accessoires tels que le masque de beauté Msindzano,qui est obtenu en mélangeant dans l’eau le koalin (argile blanche) avec de la poudre de bois de santal obtenu en frottant ce bois sur une pierre de corail. Il sert également à purifier la peau et à se protéger du soleil.
  • Amoraleza est une communauté chamanique créée il y a plus de trente ans au cœur des montagnes andalouses de l’Alpujarra.
  • Mayotte en quelques mots : le 25 avril 1841, sous le règne de Louis-Philippe Ier, le dernier sultan de Mayotte Andriantsoly, menacé par les royaumes voisins, a vendu son île au royaume de France en échange de sa protection. En 1848, l’île a intégré la République française. La population mahoraise est issue d’un métissage entre les populations d’origine bantoue et les différentes vagues d’immigration, principalement malgache. L’île se caractérise par une très forte densité : 511 habitants au km², faisant de Mayotte la seconde île la plus peuplée du sud-ouest de l’Océan Indien, après l’île Maurice. La population est de plus en plus concentrée autour d’un pôle urbain, Mamoudzou, chef lieu de l’île qui absorbe plus de 53 000 habitants (28% de la population totale). La natalité élevée et l’immigration, essentiellement clandestine, en provenance des îles voisines, sont à l’origine de cette croissance démographique très importante : le taux d’accroissement annuel moyen enregistré entre les deux derniers recensements est de 3.1 %. La population mahoraise est jeune : 55 % de la population totale a moins de 20 ans, pourcentage le plus élevé de tous les territoires français. L’île compterait 55 000 clandestins. Ces immigrés clandestins proviennent principalement des Comores, en particulier de l’île d’Anjouan, mais aussi de Madagascar et d’Afrique continentale. Les autorités françaises ont décidé d’accroître la répression de cette immigration clandestine et de renforcer les moyens matériels dévolus à la surveillance des côtes de Mayotte. La religion musulmane, implantée à Mayotte depuis le XVème  siècle, occupe une place majeure dans l’organisation de la société. 95 % des Mahorais sont d’obédience musulmane et de rite sunnite, mais leur pratique de l’islam est modérée. L’économie de Mayotte demeure quant à elle fragile. Si le tertiaire se développe au détriment de l’agriculture traditionnelle, le chômage demeure très important. L’île dépend ainsi beaucoup des subventions publiques et ses infrastructures demeurent peu développées.
  • J’ai toujours pas gagné au loto

Est-ce que les Seychelles ça vaut le coup ?

Me revoilà, nous n’avons pas coulé en pleine tempête et je n’ai pas été noyée par le capitaine un jour d’agacement ultime ou lors d’une quelconque partie de PMT (Palmes- Masque-Tuba pour les non-initiés dont je faisais partie il y a peu) mais nous étions rentrés en France pour 7 semaines, moi pour travailler, le capitaine pour faire à sa guise tandis que j’étais scotchée dans mon bureau le pied au plancher, je pense qu’il avait envie de voir d’autres têtes que la mienne, ce que je comprends, et qui me dévaste en partie, la plus conne car la plus amoureuse, l’autre partie étant un exemplaire exemple de droiture, de grandeur, de générosité, d’aspirations hautes zé saintes et j’en passe, mais voilà, la bataille est rude entre les deux, je voudrais le capitaine pour moi seule tout en voulant lui éviter la lassitude, c’est cornélien, je souffre (si), bref, nous avons retrouvé Cap de Miol hier, en Afrique du Sud où nous étions arrivés comme prévu, mais je vais vous raconter comment nous y sommes arrivés, rentrés hier donc, le bateau dé-gueu-lasse, plein de poussière de charbon apportée par le vent, et puis nos sacs à défaire avec tout le bricolage que le capitaine a rapporté de France alors qu’il paraît qu’on trouve tout ici et à pas cher, au bout d’un voyage de 24 heures sans quasi dormir, on a tout lavé, tout rangé et ça va être reparti mon kiki, my god j’espère que je saurai encore naviguer, j’ai le temps de réviser car on va sortir le bateau pour le caréner, mais quand j’y pense ça me coince le kiki (pour moi le kiki c’est la zone gorge-estomac, je précise vu comme d’autres me regardent quand je dis ça)

Je vous rafraîchis la mémoire en vous rappelant que nous venions d’arriver aux Seychelles, donc le sujet du jour c’est : est-ce que ça vaut le coup les Seychelles ?

on dirait que oui ?

Comme d’habitude, nous visitons, Victoria en l’occurrence, par la force des choses, les choses étant les paperasses de clearance, l’immigration et la douane, nous demandons poliment à des passants où se trouvent les bureaux de l’immigration et nous atterrissons dans des bureaux d’état civil et d’immigration où l’incompréhension ruisselle des visages auprès de qui nous nous enquérons,  jusqu’à ce qu’une nana percute et nous indique qu’il faut aller à l’immigration maritime à New Port, nous avons mis 3 bons quarts d’heure pour arriver jusqu’ici sous une chaleur de gueux, le long d’une route tellement fréquentée qu’on aurait cru une autoroute, avec des bas-côtés pas du tout prévus pour les piétons, ça nous a étourdi sévère en arrivant de tous ces jours de mer… Nous nous attardons encore un peu pour profiter du bain de climatisation qui nous requinque, reprenons notre chemin en sens inverse, bifurquons pour arriver au nouveau port dans lequel des thoniers déversent des tonnes et des tonnes de thons depuis des filets gigantesques, c’est incroyable de vider les océans comme ça, on nous interpelle, pas le droit de passer comme ça où c’est qu’on va donc se prendre des tonnes de thons sur la gueule, on nous fait passer par tout un dédale loin d’eux, prendre un badge visiteur, trouver ce qu’on cherche au diable vauvert et nous voilà devant le bureau d’immigration à 15h, comme ça ferme à 16h on a tout bon en toute logique, mais la porte est close avec un panneau qui indique un numéro de téléphone, nous n’avons pas de carte SIM locale alors allons frapper chez les douaniers qui nous reconnaissent puisqu’ils sont venus hier sur le bateau, ils appellent le gars de l’immigration qui ne reviendra pas avant demain matin, faudra revenir, bon, ça nous fera marcher hein, tant qu’à faire on fait les papiers pour les douanes, le gars nous demande au moins 5 fois les papiers qu’on lui a déjà donnés et qu’il a sous le nez, je finis pas me demander s’il sait lire, finalement il nous envoie payer une taxe dans un bureau à l’autre bout du quai, où on nous explique qu’il faut passer à la SMSA en ville et revenir ensuite chez lui parce qu’il faut demander une autorisation de naviguer dans les îles des Seychelles et payer une taxe en disant combien de jours on veut rester et attention ⚠️ si on reste plus de 30 jours et qu’on ne prévient pas il faut payer une taxe d’importation qui coûte bonbon, on rencontrera un couple d’écossais, John et Lucy et leur bateau Broadsword, ils sont rentrés 6 semaines chez eux en laissant leur bateau à Victoria sans faire la moindre démarche et ça leur a coûté 3000 € d’avoir dépassé les 30 jours, comment que tu fais la gueule si t’étais pas au courant … enfin bref, il faudra ensuite retourner au bureau des encaissements pour leur payer la taxe à eux et pas à la SMSA, mais la SMSA nous dira de payer directement chez eux, ça sent la magouille à plein nez, à se demander quelles caisses occultes se remplissent de toutes ces taxes.

Ça vous paraît compliqué ? c’est parce que ça l’est.

ça nous fait découvrir Victoria
et son marché

On a bien compris qu’il faudra revenir demain, en attendant on s’en va quérir une carte SIM locale avec de la data … 115 € les 25 Go ! Puis supermarché, constatons que les prix de la bouffe sont à l’allant des taxes et de l’internet, ça ferait presque passer Tahiti pour des rigolos avec leurs ananas à 6 €,  en sortant on comprend vite que l’orage qui commence à gronder va nous tomber dessus comme des vermicelles sur un donuts américain, on arrive trempés à tordre au bateau, nous tous rafraîchis et le pain imbouffable.

Nous restons quelques jours à Victoria pour que je puisse bosser puisqu’en navigation c’est mort,  tandis que le capitaine bricole, je visite un petit jardin de plantes médicinales tout en sachant que j’en trouverai plus sur l’île de la Digue.

Bwamalgas

Euphorbia tithymaloides

Traitement des indigestions et douleurs abdominales

Gro bonm

Plectrnathus amboinicus

Traitement de la toux et des rhumes

Vilakwa

Centella asiatica

En bain ou/ en infusion contre l’impétigo

Je vois aussi du gingembre, de la citronnelle, du patchouli, du faux basilic (qui est une plante envahissante qui infeste la Nouvelle Calédonie au point qu’il est interdit d’en avoir, ici on l’utilise contre les gaz intestinaux) … je finis par croire que la plante médicinale la plus utilisée au monde c’est le gingembre … bien que la menthe le soit aussi … et la sauge ! et la lavande !

Et donc, le 6 novembre on fait le plein de gasoil après avoir zigzagué entre les bancs de sable et manœuvré fingers in the nose, et zou, direction la Digue, 5 nœuds de vent et de la houle, c’est pas le plus fun, ça bouchonne comme le dit si bien le capitaine, imaginez un bouchon qui se dandine dans un jacuzzi et vous aurez une belle idée, et puis hop, ça monte, 10, 12, 14 nœuds, la gagne, on hisse l’une et on déroule l’autre, vent de travers, houle de 3/4 avant, et puis petit à petit ça refuse et on se retrouve au près, 10 nœuds, voiles bordées, on ne va pas bien vite mais on va et la houle nous remue bien, je m’assoupis dans le cockpit parce que la chaleur est écrasante…

c’est tout droit, fastoche

Quand je me réveille le ciel est gris et le capitaine en bas devant la table à carte, je suis encore dans le gaz sévère quand le bateau se met à gîter brutalement, le capitaine jaillit, le bateau gîte encore plus et l’eau s’engouffre côté bâbord, un grain ! hurle le capitaine mais j’avais compris, on s’agite comme des fourmis qui détalent après un coup de pied dans leur fourmilière :

– je fais quoi ?! j’ouvre la grand-voile ?!

– nan ! on roule le génois !

Mais bien sûûûûûr ! qu’est-ce que tu veux déventer le génois avec la GV quand le vent vient de face espèce d’anchois !

Il a sauté sur la barre et moi sur l’écoute de génois, que je relâche pour pouvoir tirer sur l’enrouleur, que dalle, le vent est trop fort,

– attends, j’abats !

C’est LA bonne idée, mais même pas le temps, voilà le bateau qui bascule d’un coup et va gîter de l’autre côté, avec ce vent il a lofé et on a viré, le génois est gonflé à contre,

– lâche tout !

– je lâche l’écoute de génois à fond ?! (je reformule avant de faire des bêtises)

– OUIIIIII !!!  (il n’aime pas que je reformule, il a l’impression de perdre du temps)

J’ouvre le taquet de l’écoute de génois qui file et se met à battre au vent comme l’hydre de Lerne ivre de colère, les 2 écoutes s’envolent et claquent et s’entortillent, je tire sur la corde de l’enrouleur, c’est trop dur, ça claque trop, peux pas enrouler

– TU PEUX ABATTRE UN PEU PLUS ?!

– OUAIS MAIS JE VOUDRAIS PAS EMPANNER ! …. PRENDS LA BARRE !!!

les écoutes font exactement comme cette fameuse Hydre

Quoâââ ? pour que ça soit moi qui empanne, non mais va te faire !

– NAAAAAAN !!

Il abat un peu plus et j’enroule, hi han, je tire, hi han, j’ahane sous l’effort, mais il crie à nouveau :

– DÉROULE !

– POURQUOI ? (C’est quoi cette lubie ?) (pendant tout ce temps le bateau gîte et roule et tangue, on se rattrape où on peut pour ne pas tomber)

– IL Y A DES PLIS !

– MAIS ?!?! ON S’EN FOUT !!! ON LE DÉROULERA PLUS TARD POUR L’ENROULER COMME IL FAUT !

– NAAAAAN ! DÉROULE !

Je déroule un poil dans ce joyeux foutoir et on enroule à nouveau, il y a plein de plis avec ce vent, rien à faire, je jette un œil au pilote, on a encore 33 nœuds, 33 nœuds au près c’est pas la même limonade qu’au portant, un bateau de pêcheurs passe à côté de nous, la Jolie Séraphine, on leur fait signe que tout est ok, il s’éloigne, ils sont hyper gentils les pêcheurs dis donc …. Une fois le génois enroulé avec ses écoutes en paquet de spaghettis collés, on reprend le cap, 2 ris et trinquette, pas bien longtemps après le vent tombe, normal, on lâche les ris tandis que je scrute l’horizon

– il y a un autre grain qui nous arrive dessus … et là, ça ne serait pas une tornade ?

Il y a une espèce de nuage blanc en tourbillon qui ne me paraît pas clair du tout 🌪️le pompon,

– bah on verra, hein, si c’en est une on n’y peut rien

Il a raison, pas la peine de flipper d’avance ou pour rien, si c’était une tornade elle ne nous est pas passée dessus, dans l’histoire on s’est pris des vagues dans le dos, dans la gueule, de la pluie, on n’a plus un poil de sec, l’avantage qu’il fasse aussi chaud c’est qu’on n’a pas froid et que ça va sécher sur la bête, en plus ici le pressing coûte une blinde, pour le prix de 4 pressings t’as une machine à laver mais on n’a pas la place dans le bateau.

En tous cas on est arrivés à la Digue.

je suis baba devant ces gros cailloux !

Le lendemain matin, annexe, ponton, à peine le pied posé sur la Digue qu’on se fait cueillir par un des gars qui a un panneau, c’est Zorro qu’il se fait appeler, il loue des vélos et ici pour visiter c’est vélo, il doit y avoir de la demande parce que les trottoirs sont remplis de vélos qui attendent le touriste qui débarque du ferry que l’on voit arriver, Zorro nous demande si on est venu en ferry et comme non mais en voilier depuis la France il nous claque un poing 👊 très yeah man et même à moi, ce qui est remarquable parce que souvent on s’adresse au capitaine et le reste n’est que menu fretin dénué de tout intérêt, les mâles parlent aux mâles et les marins aux marins.

Nous allons voir la fameuse anse de la Source d’Argent, vendue comme « parmi les plus belles et plus visitées au monde pour vous accueillir dans un décor féérique »… et c’est vrai :

très visitée

C’est carrément toute l’île qui est féérique, avec ces blocs de granit hallucinants

en bas c’est pas du granit mais mon menton 😉
c’est du granit rose !

Ici il y a des tortues géantes comme aux Galapagos, celles des Seychelles sont aussi appelées tortues éléphantines ou tortues d’Aldabra, du nom de l’atoll où se trouve leur principale colonie (on voulait y aller mais c’est interdit), elles font 300 kilos et sont donc les plus grosses tortues du monde, avant celles des Galapagos ! le capitaine qui n’a décidément peur de rien leur donne à manger, je lui demande si c’est de la salsepareille, il ne sait pas, pourtant la salsepareille c’est ce que mange les schtroumfs 😂

Et puis je prends mon temps dans le jardin de plantes médicinales et les plantations de vanilliers, je déborde d’infos que je mets progressivement en ordre, tout ça prend un temps de dingue, je vous raconterai plus tard.

et c’est souvent comme ça

Le programme du lendemain est arrêté, : Félicité ! Mais on part plus tard que prévu tellement il pleut, en même temps on n’a que 2,8 miles à faire, pas de vent, moteur, les Seychelles c’est chaud et humide et orageux, c’est la latitude qui veut ça, mais ça n’est pas vraiment agréable quand on n’a pas la clim’ …

On mouille devant Félicité, pas le droit d’aller à terre, ou alors si mais il faut payer, c’est ce que le capitaine a cru lire quelque part, cette île c’est 2 hôtels privés, 1500€ la nuit, les gens y arrivent en hélico, le mouillage est  blindé de charters, on en compte 10 quand on y est, chacun avec une dizaine de personnes à bord, ça fait 100 gus qui se baignent et font du paddle devant la vue imprenable des villas avec piscine à débordement de l’hôtel, ça me fait poiler…

On prend l’annexe pour aller voir la Fouche (je ne sais pas pourquoi mais ça me fait penser à Popeye qui montre la coulée du grand Bronze à Bernard) et les Cocos, il y a des vagues, l’annexe saute et je ne me sens pas en sécurité, je suis naze, on dort mal, il fait extrêmement chaud et lourd et il y beaucoup d’averses violentes, je me lève plusieurs fois par nuit pour ouvrir ou fermer les capots, et en journée la chaleur m’écrase comme une mouche sous une enclume, j’ai envie de rentrer au bateau et de dormir en étoile de mer, mais le mouillage est très rouleur et tintin pour se reposer la nuit venue, je ressemble de plus en plus à une pieuvre en décomposition (comme celle qu’on m’avait servie dans le resto de l’île de Sal, depuis je n’ai plus eu le cran de manger du poulpe)

la Fouche
L’ile Coco, ça valait le coup d’y faire un tour !

Jour suivant, on file d’un coup de moteur sur la Grande Sœur car tout est dans un mouchoir de poche, palmes, masque et tuba, plein de poissons dont des bans de poissonnets rayés vertical noir et blanc qui nagent avec nous, ils passent devant mon masque, me frôlent, ça glisse, c’est zen, j’adore !

y’a pas à dire, ça a de la gueule

Ça roule beaucoup ici aussi alors après le déjeuner, ni une ni deux le capitaine me sort on file sur Praslin ! je sens son impatience grandir tandis que je prends tout de même le temps de boire mon thé rooibos sans me brûler la gueule, enfin je passe mon short, allume les instruments, ferme les capots, c’est parti capitaine !

On passe devant le Maria’s Rock, il paraît qu’il y a un bistrot du tonnerre

Donc on arrive à Praslin, baie de Ste Anne, truffée de bouées et panneaux d’interdiction de mouiller, on se décide à aller demander en marche arrière entre deux bateaux de charter sur un ponton, où est-ce qu’on peut se mettre ? ah bin justement on peut se mettre au ponton si on veut, royal, le capitaine va à la capitainerie comme une majorette à son défilé, l’évidence, le pléonasme, et revient dare-dare, affolé comme notre majorette qui aurait perdu son bâton, 100 balles pour passer la nuit sur ce ponton pourri ! de qui se moque t’on, on largue les amarres et allons quelques mètres plus loin pour mouiller gratis non mais … je fais remarquer au capitaine qu’il y a un bateau avec une ancre avant et une ancre arrière à portée de notre longueur de chaîne, ce qui veut dire que si le vent tourne nous on tournera mais pas lui et qu’on risque de jouer au bateau tamponneur, mais le vent ne tournera pas !

– et s’il y a un grain ?

Il en fait fi d’un balayage de la main, dieu l’entende.

Le soir on mange des steaks au prix du caviar, et il y a un peu de déchets et le capitaine me dit de balancer ça à la flotte :

– tu ne crois pas que ça va attirer des bêtes ?

Et je me mets à imiter une espèce de gros phoque qui se traîne à terre avec une tête débile, le capitaine me regarde en se demandant visiblement s’il ne va pas définitivement en rester là, mais je continue mon imitation visqueuse et ça me fait bidonner encore plus, il se lève de table et fuit dans le cockpit en haussant les épaules

– mais tu déconnes jamais ?!

Je crois qu’il ne déconne jamais ou alors ça fait si longtemps qu’il a oublié (ou alors c’est moi qui suis tarée)

Nuit, BRUIT !  KLONGGGGggggg !!! le capitaine est à peine levé que le bateau résonne encore de quelques gggggg, un petit grain, tout petit, mais suffisant pour faire tourner le bateau qui a été se foutre dans le monocoque de Dream Yacht Charter, bordel on est glissé sous son étrave et son ancre raye la coque de Cap de Miol, il faut repousser le bateau et je m’y emploie des mains et des pieds mais le vent nous pousse dessus, heureusement le grain ne dure pas et on s’extirpe de là, on retourne se coucher, no comment, tant que ce n’est pas à mon actif je reste de marbre.

Le lendemain, annexe, ponton, bus pour la vallée de Mai, il fait une chaleur à crever mais sous les cocotiers c’est respirable, on apprend plein de choses.

Je ne vous parlerai que des coco-fesses parce que là aussi, j’en ai tellement à trier et ordonner qu’il va me falloir du temps !

Les coco-fesses, donc, c’est l’emblème des Seychelles, leur pulpe est vendue très chère, notamment en Chine, pour ses supposées vertus aphrodisiaques, il faut mouler la pulpe, la mettre dans de l’alcool fort et boire le tout, cela donne de la force, c’est le mythe. Il est interdit d’exporter leurs graines non vidées, et une récolte annuelle ne comprend que 2000 noix.

un magnifique coco de mer, arbre sur lequel poussent les coco-fesses

11 novembre : nous quittons la baie de Ste Anne pour Curieuse, en faisant le tour de St Pierre tout simplement magnifique :

Et on s’en va mouiller sur Curieuse, on passe le premier mouillage de Laraie Baie qui est archi rouleur (je l’avais bien dit au capitaine vu que la houle arrivait dessus) alors on contourne l’île pour aller sur l’anse St Jose, ça va beaucoup mieux mais il y a plein de patates de corail, je suis à la barre et le capitaine me guide, à droite, à gauche, point mort, avance, ça dure des plombes et finalement il descend l’ancre mais pense qu’on est sur des cailloux, il s’assied et s’exclame

– Bon ! Mayo !

De la mayonnaise, justement je me demandais si je n’allais pas sortir le pot qu’on trimballe depuis Papeete, ce n’est pas certain que la date de péremption ne soit pas dépassée gambergé-je, comment diable a t’il su que je pensais à ça ?

– Masque, tuba !

Aaaaah ! maillot ! Heureusement que j’ai fermé ma gueule, déjà qu’il est énervé que ça ne se passe pas comme il voudrait, il ne faut vraiment pas appuyer sur le bouton avec le genre de remarque débile dont je suis friande…

Voilà qu’il plonge pour aller voir et revient, bon, on relève l’ancre et c’est reparti pour des à droite et à gauche et tout droit et recule et avance, on mouille enfin, le capitaine replonge pour voir si tout est ok, tout est ok, on met les tauds pour se protéger du soleil et de la chaleur, on déjeune et annexe à l’eau pour une petite rando sur Curieuse qui, de 1883 à 1965 a servi de léproserie, je ne sais pas si cette chaleur/humide pouvait  arranger leurs lésions, je suis dans la dubitation la plus absolue à ce sujet.

Comme d’hab, ça grimpe dans les îles, et je préfère que le capitaine ouvre la marche

très joli point de vue
et en redescendant, une petite plage sublime pour nous seuls

On croise des tortues géantes :

Ce qui me fait me demander ce qu’il y a dans cette carapace :

c’est dingue comme bestioleen Chine la tortue est symbole d’Immortalité. Dans la cosmologie chinoise elle est associée au Yin, à l’eau, à l’hiver et au noir. Elle est utilisée en phytothérapie chinoise pour les traitements de la faiblesse dégénérative.

et des centaines de crabes qui se carapatent à notre approche :

Lendemain matin, on décide de nager avant de changer de mouillage, méfiante je m’enquiers

– il y a du courant ?

– à  peine !

Soit, allons y, mais très vite je m’épuise à force de lutter pour ne pas me laisser entraîner par ce courant d’à peine, je réussis à nager jusqu’à la plage avec mes petits bras, il me rejoint en nageant sur le dos, je lui explique que je vais remonter la plage à pied pour me laisser ensuite porter par le courant jusqu’au bateau, il ne veut pas, il faut tracer direct au bateau exige t’il sans m’en donner la raison pour autant, pffff …

– je nage avec toi !

Pfffff !!

Je n’y coupe pas, j’ai droit à une leçon de natation avec palmes, il m’encourage à sa façon :

– Tu nages mal, c’est pour ça que tu te crèves !

Moi j’essaie juste de rentrer au bateau, je l’envoie sur les roses, parfait, je ne te dirai plus rien ! pfffff ….

Une fois arrivée au bateau, crevée, je lui dis que les leçons de natation ce n’est pas pendant que je m’escrime mais au calme et dans un instant dédié, on ne le changera plus, on lève l’ancre pour aller 1,7 miles plus loin et en face, sur Praslin, Baie Chevalier anse Lazio, un des mouillages les plus réputés des Seychelles, le moteur tourne à seulement 1400 tours et on avance à 6,2 nœuds, ça me parait beaucoup, je dis au capitaine qu’on a du jus dans le cul et fonce voir quelle est la vitesse surface : 3,8 !

– tu vois ! on a 2,5 nœuds de courant portant !

– mais non, c’est la roue à aube qui ne tourne pas bien, on n’aurait jamais pu nager avec 2,5 nœuds de courant !

Peut-être. Mais ça m’étonne.

On arrive très vite dans cette fameuse Baie Chevalier, 4 catas, c’est raisonnable, et on file nager le longs des rochers en granit, il y en a plein sous l’eau, on se promène entre eux pour voir les bans de poissons, c’est magique, une véritable cathédrale sous-marine, une tortue passe, elle a l’air de voler en battant des ailes, au fur et mesure de la journée les catas de charters arrivent, 20 au plus fort de la journée, le capitaine remarque qu’on a l’air d’être les seuls tourdumondistes, on n’a vu que des catas de loc’ et des charters depuis que nous sommes aux Seychelles.

une tripotée de catamarans de location dans l’anse Lazio

En fin d’après-midi, quand le soleil brûle moins, nous prenons l’annexe pour aller voir l’anse Georgette un peu plus loin, seulement 2 charters, pas étonnant parce que c’est rouleur, on s’en retourne pronto à l’anse Lazio qui est vraiment paisible.

un dauphin suit l’annexe 🥰

14 novembre, on s’en va sur Silhouette en passant par les cousin-cousine pour les voir de près, mais on manœuvre sans arrêt alors on n’a pas le temps de vraiment voir, je ne peux même plus vous dire si j’ai réussi à prendre en photo le cousin ou la cousine :

en plus la balancine se coince une fois de plus dans une latte de la GV, le capitaine attrape la gaffe et moi je choque la balancine pour qu’il puisse l’attraper et la ramener du bon côté, ça y est elle est du bon côté, je la récupère vite fait avant qu’elle ne reparte,

– MERDEUUUHHH !!!

– Quoi quoi quoi ?

– La gaffe est à l’eau !

J’ai récupéré la balancine avec trop d’ardeur et ça a arraché la gaffe des mains du capitaine… le temps de faire demi-tour, on ne la voit déjà plus avec les vagues, la poisse, je vais à l’étrave et met la main en visière

– tu vois quelque chose ?

– non … non … ah si ! Je la vois ! légèrement sur tribord !

Le capitaine barre dans la direction indiquée et fait un 8 comme pour un exercice d’homme à la mer, il s’assied et me regarde en enlevant ses shoes :

– Tu peux me récupérer avec la gaffe ?

– Attends, quoi ? Tu veux aller à l’eau ?

– Ouais, je vais attraper la gaffe et tu nous récupères

– Mais qu’est-ce que ça change ? Entre repêcher juste la gaffe ou toi avec ? 😳

Parfois une certaine idée de sa logique me dépasse.

J’insiste pour qu’il laisse tomber cette idée saugrenue, il abonde, probablement a t’il la lucidité de se demander si j’arriverais vraiment à le récupérer, il passe à la barre pour reculer le bateau, accroupie sur la jupe je récupère la gaffe, je n’aurai pas à expliquer aux gendarmes que le capitaine s’est perdu corps et âme pour une histoire de gaffe.

Nous ne serons pas seuls

On dégote un magnifique petit mouillage au nord de Silhouette, superbe, ça donne envie de mettre une palme sur l’île, on y va à la nage, trop joli ! et plein de chauves-souris géantes qui traversent le ciel !

C’est pas un oiseau, c’est une chauve-souris

A notre retour sur le bateau, on constate que le côté hyper rouleur de ce mouillage a encore empiré, pas étonnant que des bateaux qui approchent s’en éloignent aussitôt, à 18h, ras le bol, on lève l’ancre pour rejoindre Victoria et mouiller à côté de la marina, il fait toujours aussi chaud et lourd …

Au près, alors au moteur, comme des vieux

On y reste 3 jours, dont un pour faire les paperasses de sortie, attendons la bonne fenêtre météo et, le 18 novembre, nous quittons les Seychelles pour Mayotte

bye

Alors est-ce que les Seychelles ça vaut le coup ? malgré la densité de touristes sur ces toutes petites îles ? on ne dirait pas parce que je cadre bien mes photos mais oui, il y a énormément de touristes dans les lieux les plus sympas, là où on était seuls ou presque, c’était vraiment moins bien, y’a pas à tortiller, mais oui, ça vaut résolument le coup, parce que c’est beau à se mettre à genoux et à remercier le ciel de tant de beauté 🙏

A peine 2 détails parce qu’il est tard à l’heure où je termine :

  • SMSA : Seychelles Maritime Safety Authority
  • Est-ce que le gros cierge a marché : oui ! le capitaine a réussi ! grâce au cierge et à nos prières ! merci à tous !
très bel autel dédié à la Vierge Marie sur l’île de la Digue

2500 NM

en Inde ? en Chine ? à Maurice, aux Seychelles ?


Faites comme moi, prenez un compas, placez la pointe sur les Cocos, faites un rond de 2500 NM de rayon et devinez où on va partir …le capitaine, dans sa bonté, m’a mise au jus, pour l’instant j’en sais plus que vous.

On s’était dit que comme on passerait près des Chagos on s’y arrêterait, d’abord parce que ce n’est pas demain la veille que nous repasserons près des Chagos, mais aussi que ça nous ferait une halte sur la route comme on s’arrête dans un restoroute sur le chemin de retour, on a beau dire, un restoroute c’est encore les vacances, le capitaine avait écrit aux autorités des Chagos il y a plusieurs semaines pour leur demander l’autorisation de s’y arrêter mais on ne recevait pas de réponse, et justement il en a reçu une quand on était à Hmas (moi j’écrivais Xmas mais je l’ai vu écrit Hmas alors je m’aligne), alors cette réponse c’est qu’il fallait payer 100 £ en faisant un virement sur leur compte et que ça prendrait plusieurs semaines avant d’obtenir une réponse favorable ou non, on s’est regardé avec le capitaine, payer 100 £ et savoir qu’on aura le droit de s’y poser, passe encore, mais sans le savoir et en risquant de se faire déloger à coup de pied dans le cul, merci bien, on ne s’y arrêtera pas et c’est tout, à la limite si on a un problème on ira quand même et comme ce n’est pas habité, si on ne prévient pas et qu’on éteint l’AIS on devrait passer inaperçu, mais bon, l’idée c’est qu’on les dédaigne et qu’on se fait les 2515 NM jusqu’aux Seychelles (vous aviez trouvé la bonne réponse ?), soit 4657 kms d’une traite, ça fait une transat, si on fait du 7 nœuds de moyenne ça demandera 15 jours, ceci étant nous sommes sur l’océan indien et sa réputation n’est pas des plus tranquilles, le copain du capitaine qui a fait le tour du monde en 1 an avait commenté son passage ici de « front puissant, mer cassante », ce n’est pas engageant mais quoi, impossible de reculer, je télécharge fébrilement des GRIB qui tous nous donnent un vent d’Est ou d’Est-Sud-Est à 15/20 nœuds, j’aurais brûlé un cierge en faisant une prière qu’on n’aurait pas eu mieux , et de fait, cela fait deux jours que nous naviguons avec ce que le GRIB a prévu, on a bien quelques rafales à 25 mais ça ne fait rien car on est sous génois tangonné et au portant je me ris de 25 nœuds, mais à peine le vent faiblit il, un tant soit peu, un chouïa, que le capitaine parle de spier, je lui ai vertement répondu qu’on navigue peinard donc passerait si c’était pour 3 jours mais vu qu’on en a pour 2 semaines j’ai pas envie de me faire tabasser, et puis crotte quoi, on avance à 7,5 de moyenne, que demande le peuple, il a haussé les épaules,

– on ne se fait pas tabasser à 20 nœuds !

– ouais, pas sous génois tangonné mais sous spi le bateau ballotte dans tous les sens !

Et c’est vrai parce que le génois il est sur étai mais pas le spi, même le capitaine a dit que pour mettre le spi il faut que la mer soit plutôt calme (sinon le bateau roule et emporte le spi qui fait rouler encore plus et on fait culbutos et c’est la gerbe, peut-être que d’aucuns marins vous diraient que même pas mal mais bien sûr, ça serait de la frime et puis c’est tout) et je dois vous dire que bien que nous soyons au portant, la mer n’est pas rangée et on roule bien comme il faut, toujours est-il que pour l’instant on n’a pas mis le spi, et c’est moi qui ai installé le génois tangonné sous la supervision (aiguë) du capitaine, en général c’est lui qui installe et je l’aide en obtempérant à la vitesse de la lumière si j’entends ce qu’il me demande mais parfois il marmonne face au vent et je ne l’entends pas et ça l’énerve de me voir bailler aux corneilles , cette fois c’était le contraire et ça m’a bien plu, quand on reviendra je serai vraiment une équipière efficace, il m’aura fallu un tour du monde pour y arriver, encore heureux, parfois il me laisse aussi empanner la GV ou prendre un ris, la confiance s’établit petit à petit, je ne sais pas si ça vient de moi qui n’en inspire pas d’emblée ou si c’est lui qui ne fait pas confiance facilement en ce qui concerne son bateau, toujours est-il.

On file à 8 nœuds, pas besoin de spi quoi ! et on voit que ça bouge parce que je n’ai pas réussi à avoir une photo nette … et on voit aussi qu’on va quasi plein ouest et qu’il nous reste 2465 NM à tirer

De jour on est tout seul mais la nuit il y a des bateaux de pêcheurs un peu partout, des indonésiens, il y en a qui ont de la lumière mais pas pour la plupart, on les voit à l’AIS, quand on les appelle à la VHF ils ne répondent pas, on se demande avec déglutition s’il n’y en aurait pas qui n’auraient ni lumière ni AIS, on épie la mer à tour de rôle, on dort en pointillés, le jour suivant on voit aussi quelques cargos et pêcheurs, preuve qu’ils ne pêchent pas que la nuit comme j’aurais pu hâtivement le conclure, la nuit encore suivante, bien que nous surveillions presque assidûment (oui, presque, faut pas pousser), aucun bateau, en alerte pour rien donc, sinon y’a pas grand chose à raconter parce que le vent est stable et on file bien, pas besoin de manœuvrer, le capitaine a dit que je me démerde super bien pour la bouffe parce que je lui fais des plats nouveaux presqu’à chaque fois et que c’est toujours bon, maintenant il lui arrive de me demander avec un air gourmand ce que j’ai prévu alors qu’au tout début il se défendait de faire une croisière gastronomique et revendiquait vouloir une nourriture spartiate, un vrai dur, je ne fais rien de gastronomique mais je fais du bon manger parce que sinon ça serait d’un de ces tristes quand les seuls bons moments sont ceux des repas, pour tout dire il y en a certains autres des bons moments, par exemple euuuh … la douche tiens ! Ou quand je me fais un peu bronzer sur le pont pour ne pas être blanche comme un bidet (le bidet ! Quelle invention ! Passée de mode et pourtant, si je m’étais écoutée j’aurais fait un bouquin de photos des chiottes les plus remarquables dans lesquels j’ai eu l’honneur de déposer mon ADN, et dans cette très longue liste il y a les chiottes du Byblos à St Trop, avec 1 bidet à côté de chaque techio pour dame, la classe, dans le genre classe j’en ai utilisé de chouettes à Las Vegas, le luxe, mais celui qui tient le haut du pavé reste encore aujourd’hui un véritable autel dédié à la Vierge Marie, c’était quand même un peu chelou de pisser au milieu des cierges électriques) (un des pires c’est celui où tous les murs et le sol étaient en miroirs, l’horreur intégrale, ça donnait pas envie de pousser), vous vous posez peut-être la question de savoir s’il existe d’autres moments qui agrémentent joliment les grandes traversées, certes, et s’ils peuvent se dérouler par tous les temps comme le fait de manger, et bien oui, par tous les temps, et parfois je ne vous cache pas que c’est acrobatique, à propos d’acrobatique je précise que nous n’avons toujours pas ouvert le Scrabble, ce n’est jamais ça qui tente le capitaine, et puis aussi la gym que nous nous appliquons à faire régulièrement sinon on s’encroûte, avec tout ça les journées passent vite et on a bonne mine.

Mercredi 18 octobre, le vent a faibli et il y a encore une bonne mer alors on roule, le capitaine m’avertit quand il voit une grosse vague qui arrive, tiens toi isabelle ! conseil superfétatoire s’il en est, quand les voiles claquent ça le fait tiquer, parfois le vent remonte sous un nuage mais ça ne dure pas, le drapeau a encore perdu des plumes, il ne restera plus rien à me dédicacer si ça continue !

reconnaissez vous le drapeau français ?

Cette nuit à 3h, j’ai vu que notre cap était vraiment trop au sud, de 30 degrés par rapport à notre route (le pilote automatique est en mode vent donc si le vent tourne ça change notre cap) (je ne fais pas affront aux navigateurs qui me lisent, j’explique pour ceux qui ne savent pas), que faire, attendre pour voir si ça va revenir comme avant ? attendre le jour pour empanner ? … attendre me semble nuitamment la meilleure option afin de retourner dormir et laisser le capitaine faire de même, la petite voix du diablotin me siffle d’aller me recoucher, celle de l’angelot est outrée, se taire ! quel crime de lèse majesté isabelle ! 30 degrés du cap bon sang ! J’allume Navionics pour voir depuis combien de temps ça dure, et bien ça dure depuis trop longtemps c’est certain, je m’ébroue mentalement et vient m’asseoir près du capitaine pour le réveiller en douceur et lui partager ma pensée tandis que l’angelot fait la nique au diablotin (qui prendra sa revanche n’en doutons pas)

– capitaiiiiine ? chuchoté je sur le ton avec lequel on berce un enfant malade

le capitaine ouvre un œil qui se tourne aussitôt vers moi comme celui d’un caméléon, quoi ? prêt à dégainer son colt , je chuchote toujours en lui tapotant légèrement l’épaule

– on est trop sud, il faudrait empanner

Il se retourne d’un mouvement qui s’en fout en me demandant pourquoi je l’ai réveillé pour ça, plus tard ! voilà, c’est pour ça que je ne sais pas toujours quoi faire parce que les mêmes circonstances n’aboutissent pas toujours à une même conclusion, pour ne pas dire jamais, je me jette sur ma couchette le cœur en paix mais tintin pour me rendormir, j’étais trop prête à empanner, ce que nous faisons dès notre réveil et on en profite pour envoyer le spi, maintenant je me marre à chaque fois qu’on envoie le spi parce que je me rappelle d’une fois où je m’en étais occupée (sous la surveillance pénétrante du capitaine), il m’avait posé des questions au fur et à mesure de mon avancée, et maintenant tu fais quoi ? j’avais balayé d’un regard le tangon, la balancine, le hale-bas, le bras et l’écoute, tout étais mis en place, j’avais clamé

– je lance le spi !

Je m’étais mise à craindre qu’il aille jusqu’à vouloir que je le hisse toute seule alors qu’en général il est en pied de mât et moi au winch, mais non, avec une moue narquoise il avait fait le geste de balancer un truc par dessus bord

– comment ça tu « lances » le spi ?

pensant à une simple erreur de vocabulaire

– euuuuh … je l’envoie !

puis voyant sa tête accablée

– aaaah je monte le tangon déjà !

C’était la bonne chose à faire, maintenant à chaque fois qu’on envoie le spi, je le revois faire ce geste de balancer le spi en paquet dans la flotte et ça me fait marrer parce que je visualise la tête qu’il faisait

On a entre 15 et 20 nœuds plein cul, on avance entre 7 et 8, un peu de mer mais finalement on ne balance pas plus que sous génois tangonné, enfin guère plus, on a fait plus du tiers de la route, pourvu que le vent se maintienne, la nuit suivante le vent tombe à 12/14 et adonne, on se retrouve avec un cap trop nord, je me dis que ça va faire comme hier à savoir empanner dès le saut de la couchette, et puis non, le capitaine décrète qu’on prend d’abord le petit dèj et qu’on verra ensuite ce qu’on fait, de toutes façons comme on a le vent plein cul, on doit tirer des bords et on va ou trop nord ou trop sud, on prend le petit dèj et on attend de voir, le vent monte à 22, à 24, je la ramène

– on pourrait empanner et en profiter pour passer en génois tangonné ?

Le capitaine émet le son d’une vieille porte rouillée qui grince sur ses gonds,

– on ira moins vite (et tout le monde sait qu’il faut toujours aller plus vite) regarde il y a seulement 16 nœuds de vent maintenant !

– mais tu vois bien que ça monte progressivement, et puis le bateau zigzague de plus en plus, c’est désagréable

– ça fera pareil sous génois

Mensonge ! Oh le manipulateur qui essaie de m’embobiner !

Finalement le vent s’établit à 20 plutôt qu’à 16, on empanne et génois tangonné, pamdampatchi 🥁

Sinon j’ai ouvert une de ces fameuses boîtes de bœuf cuisiné à la casserole achetées aux Cocos, slurp me régalai je par avance … dé-gueu-lasse, une espèce de gélatine immonde avec exactement 8 petits dés d’une viande vraiment coriace sous la dent alors qu’en ayant trempé si longtemps dans sa boîte elle aurait dû se ramollir un minimum quoi, 3 petits pois et 4 cubes de carottes beaucoup trop ramollis pour le coup, imbouffable

– moi j’aurais pas acheté ça ! (la remarque empathique par excellence)

Et moi j’avais confiance en l’étiquette, c’est pourtant pas compliqué de faire une bonne daube de bœuf et de la mettre en boîte, pourquoi inventer une recette aussi dègue ?! (pour faire du fric isabelle), j’ai posé sur chaque bol de riz 4 petits dés de viande sans la sauce (de merde) et balancé les 98% de la boîte à la mer, j’aurais bien voulu voir la tronche des poissons qui l’ont goûté, à propos de poissons il y a plein de poissons volants ici, on trouve plein de bébés minuscules sur le pont, 5 millimètres voire moins, hier il y en a un qui a atterri à mes pieds et je me suis empressée de le renvoyer à l’eau, il a dû avoir la trouille de sa vie.

Le temps passe, les jours avec lui, on alterne spi et génois tangonné, surprenamment la mer est plus forte que le vent, croisée qui plus est, on est ballotés, mais au bout de quelques jours de mer, ballotés ou non c’est kif-kif, on le remarque à peine, sauf quand c’est vraiment une grosse vague, enfin résultat à un moment le capitaine me crie d’en bas regarde le spi ! quelle idée, bon, je suspends la lecture de mon polar pour regarder le spi, bin mince alors, il est tout entortillé autour de l’étai de génois

– bin mince alors ! il est tout entortillé autour de l’étai de génois !

Le bateau est parti à l’abattée avec une grosse vague, la GV a déventé le spi tandis que le bateau roulait sur l’autre bord et avec ce mouvement de balancier le spi est allé s’enrouler autour de l’étai.

– mais tu l’avais pas senti ?!

– bin non, j’avais bien senti qu’on ralentissait mais comme il y a moins de vent …

– choque l’écoute ! me crie t’il depuis les cabinets, il doit s’en remettre à moi qui, certes, veux bien choquer l’écoute mais dans quel but ? j’arrive en titubant devant le winch (ça roule) et voit le capitaine qui déboule en remontant son short quitte à trébucher, il fonce à l’avant du bateau regarder les dégâts et m’engage en criant à choquer en grand, je m’exécute mais ça n’a pas du tout l’air d’arranger nos affaires, je reborde aussitôt pour éviter que ça n’empire, il revient en aboyant qu’il aurait fallu faire quelque chose tout de suite, je le calme d’un ce n’est pas de ma faute olympien tandis que je débrasse et qu’il reprend le hale-bas, si ça ne marche pas d’un côté on tente de l’autre, c’est de la mienne ! qu’il me balance comme un môme en manque de repartie un peu finaude, m’enfin c’est à cause du vent et des vagues, je me retiens de lui signaler qu’à tout prendre il aurait mieux valu affaler le spi avant que le vent ne monte à 20 et plus mais qui c’est qui garde le spi le plus longtemps possible, bref, on réussit à le détortiller et à l’affaler sans le déchirer, on est seulement en train de le plier dans le cockpit que le capitaine relève le nez comme un chien aux aguets

– y’a plus d’air !

– comment ça y’a plus d’air ? il y a 17 nœuds !

Il serait prêt à renvoyer le spi, dès qu’on descend en dessous de 8 nœuds de moyenne maintenant, il se plaint qu’on se rabale et qu’on navigue comme des vieux, qu’est-ce qui faut pas entendre. En parlant de spi, je lui ai posé des questions sur la taille et le grammage des spis, il en a plusieurs mais il en voudrait un supplémentaire, taillé plus petit pour qu’il gonfle moins en haut afin de tenir jusqu’à 25 nœuds tranquille, bin voyons, ça voudrait dire qu’il garderait le spi jusqu’à 30, brûlons un cierge pour que cette idée soit définitivement éradiquée de sa cervelle monomaniaque.

Et chaque jour apporte son lot de cargos, des machins de 390 mètres de long et 65 de large, certains passent au loin, d’autres bien proches, nuit et jour il faut veiller, en tous cas on est à mi-chemin

Hier c’était pépouze, vent 14/15, GV et génois tangonné, un vrai dimanche, cette nuit sur le coup de 5h, heure des Cocos Keeling, vent à 12 qui est passé à l’Est, notre cap est à 40 degrés trop sud, on empanne et on voit le soleil se lever, avec toujours cette étoile scintillante qui nous indique l’Est tout au long de la nuit, je me demande si c’est Canopus parce que Canopus est la 3ème étoile la plus brillante après le Soleil et Sirius, et comme elle est située à environ 310 millions d’années-lumière du soleil, de loin on ne doit pas la voir bouger des masses …je me suis d’abord demandé si c’était Vénus parce qu’on peut la voir aussi dans l’hémisphère Sud, mais Vénus elle se lève à l’ouest et elle se couche à l’est, donc elle transite durant la nuit, ce qui prouve que ce n’est pas cette fameuse étoile … on en parle avec le capitaine pendant le dîner sur nos genoux dans le cockpit, il éteint sa lampe frontale après le café et on regarde le ciel, on est aux premières loges pour profiter du spectacle.

là c’est la lune à l’ouest, dernier tiers de la nuit, vous savez à quoi on le voit ?

Spi quand on veut avancer parce qu’on se traîne, mer croisée, chahutation, c’est pas le fun, ce qui est fun par contre c’est qu’à force je n’ai plus peur du spi, du moins quand on a ce temps et qu’on ne voit pas de grain à l’horizon. Empannage plus tard, le soir on affale pour passer la nuit tranquille, le lendemain matin le vent est acceptable, on laisse le génois tangonné, le capitaine se recouche après le petit dèj, je m’allonge sur le pont à tribord afin de continuer cette entreprise de brunissage de ma peau, ca ne fait pas 10 minutes que j’en profite quand j’entends ISA ?!

– j’suis là
Bon, flûte, je n’arriverai jamais à bronzer.

ISAAAA ?!?!?!

– JSUIS LÀ !!

Le capitaine surgit dans le cockpit, l’air tout affolé

– je ne te voyais pas ! j’ai regardé partout et je ne t’ai pas vue ! … dis donc ça fait quelque chose !

Je vois très bien ce que ça fait, ça m’est déjà arrivé de croire qu’il était tombé à l’eau !

Arrive midi, l’heure du crime, une claque porte (spéciale dédicace à mes cousins) (midi, et alors, je prends des libertés, l’écrivain fait ce qu’il veut), le capitaine et moi sommes affairés à une occupation qui nous distrait, le temps requis, de notre environnement, quand soudain KLOOONGGGggg, un sacré grand bruit, toutes affaires cessantes, le capitaine se dresse dans le cockpit, MEEEERDE PUTAIIIIN !!! hausse vertigineuse de mon taux d’adrénaline, je relève la tête, quoi quoi quoi ? on a empanné ! Comment Dieu est-ce possible sous pilote, génois tangonné et frein de bôme qui est un bloqueur de bôme vu comme le capitaine s’en sert, ce qui fait que la bôme n’a pas bougé et est toujours sur tribord, est-ce possible d’empanner rainsi ? C’est.
D’ailleurs on le voit avec le génois gonflé à contre (le capitaine me dira plus tard qu’il n’était pas gonflé à contre, et moi je vous dis que je n’ai pas la berlue) je bondis dans la descente pour attraper la commande du pilote tandis que le capitaine a sauté sur la barre en me criant d’appuyer sur stop, je n’ai pas mes lunettes alors je ne vois pas bien le bouton stop et puis si, stop, le capitaine a pris le pouvoir sur les éléments et braille que j’aurais dû appuyer sur le stop dans le cockpit au lieu d’aller chercher la télécommande, comme si j’avais la tête à ça extraite brutalement de ce qu’il me faisait subir, il est magnifique à poil à tenir la barre mais ce n’est pas le sujet, il m’ordonne, j’obéis, relâche le frein de bôme pour aider à passer la voile du bon côté, ok mais le génois est toujours à contre, j’invente pas, on est à la cape ! m’informe le capitaine, ce qui me fait une belle jambe (et prouve que le génois est à contre), je ne sais pas ce qu’il veut faire mais je sais qu’il va falloir faire alors je file fermer les écoutilles pour éviter de foutre des cordages dedans pendant la manœuvre (toujours cette sensation d’être une hôtesse de l’air qui déambule pour vérifier la fermeture des portes avant le décollage) (j’ai peut-être été une hôtesse de l’air dans une autre vie), au passage je cherche désespérément mon short et mon teeshirt des yeux, doux Jésus où est-ce que j’ai bien pu les balancer, ah ! les voilà ! je saute dedans à cloche-pied autant qu’à la hâte,

– mais qu’est-ce que tu fabriques ?!

– je m’habille !

Il ne sera pas dit que je vais aller courir sur le pont les miches à l’air, je ne pense pas que cela me mette à mon avantage bien que je sois consciente qu’autrui puisse être émoustillé par des trucs qui me dépassent (j’ai lu des choses), hop mes shoes et mes lunettes, hop je surgis dans le cockpit, prête à affronter les éléments, on réempanne du bon côté, on sécurise le tout, le capitaine s’approche de moi avec un sourire, qu’est-ce qu’on disait rappelle moi ? il n’est pas dit qu’il ne finira pas une tâche entamée avec tant d’ardeur alors il l’achève ardemment.

Plus tard on prend un ris, le vent est monté, on trouve qu’ici la mer est bien plus forte que ce qui devrait être avec ce vent, peut-être à cause des courants ? Peut-être pour coller à la réputation de l’océan Indien ?
Pour ne pas déranger le capitaine pendant qu’il mange, j’attends la fin du déjeuner pour lui demander

– Comment ça se fait que le bateau n’a pas réempanné tout seul dans la foulée ?

Il me sort son fameux regard qui se demande d’où je sors pour poser ce genre de questions :

– Bin … parce que la grand-voile n’était pas du bon côté !

– Aaaaaah !

Comme tout est simple quand on sait, et donc, pendant que je me rhabillais, il avait passé le chariot à bâbord ce qui avait permis de réempanner ensuite fingers in the nose, on n’a rien cassé et je peux vous dire que le frein de bôme a fait son office, la bôme est restée en place, et je peux vous dire aussi que ça fait bizarre d’être tribord amure avec la bôme à tribord, l’impression que le bateau est hors de contrôle, du moins du mien, le capitaine a tout de suite capté ce qui se passait et fait ce qu’il fallait, j’apprends encore et encore.

Le vent monte et on a du courant de face, la mer est hachurée et bien agitée, c’est pour ça qu’on bouchonne dit le capitaine, et il y a de gros nuages dans le ciel, en même temps où pourraient ils être, le soir en cuisinant capots ouverts, un gros poisson volant atterrit dans le bateau et se met à frétiller comme un fou sur le plancher, à un poil près il tombait dans la poêle et cuisait direct, tout de suite il empuantit le bateau, c’est fou ce que ça peut puer les flying fishes, le capitaine, n’écoutant que son courage et son bon cœur, attrape un bout de PQ pour éviter d’avoir les doigts qui schlinguent toute la nuit, saisit l’animal par la queue et le renvoie d’où il est venu, je ne sais pas s’il est indemne de son saut de l’ange mais encore un qui n’a pas dû comprendre ce qui lui arrivait.

le capitaine prend la température

Aujourd’hui le vent est encore monté, 25/28 établi, et on a eu des grains avec 33 nœuds, finalement on a pris 1 ris1/2 dans le génois et un 2nd dans la GV, on navigue comme des sexas s’est plaint le capitaine, n’empêche que depuis le bateau est nettement moins secoué et j’ai même pris ma douche sur la jupe. Et puisqu’il se plaint qu’on ne va pas assez vite :

– Pourquoi tu as voulu prendre un 2nd ris dans la GV après en avoir pris 1 dans le génois ?

– Pour équilibrer

Certes, mais encore ?

– sinon on lofe

– Ah ouais ? …. (neurones en action) Pourquoi ça fait lofer ?

– le génois il fait abattre le bateau parce qu’il est en avant du plan antidérive et la GV elle le fait lofer puisqu’elle est à l’arrière

– aaaaah ouaaaaaiiiiis

– Je te l’ai déjà dit isabelle

– ah ouais ? … moi j’ai besoin de plusieurs couches pour retenir… et toi tu retiens tout quand on te l’a dit une fois ?

– nan, moi je retiens rien
De cette belle nuance qui est sienne

Alors que revoilà la sous-préfète … (pour nos amis cinéphiles)

Jeudi 26 octobre, depuis hier les grains se succèdent à un rythme lent, ça lave le bateau, on n’a plus qu’un seul ris à la GV, mer toujours confuse et agitée alors sommeil encore en pointillés, plus tard on lâche le dernier ris, on a encore 16 à 20 nœuds

Vendredi 27, le vent est tombé à 10/12 au petit matin, avec la houle et les vagues décousues les voiles et la bôme claquent, après le petit dej on empanne et on envoie le spi, ça bouge toujours autant et la GV claque, on l’affale pour être seulement sous spi, on avance à 4,5, pour couronner le tout on a un courant de 0,8 de face, le bateau bouchonne toujours autant et c’est encore plus désagréable quand on n’avance pas, c’est double peine, on est à peine posés que le vent a tourné, il faut empanner donc affaler le spi, le capitaine constate

– on va se retrouver sans voile …

– on n’a qu’à mettre le génois pendant qu’on change tout de côté ? (je trouve toujours quelque chose à répondre)

– mouaifff ….

– ou alors on met le moteur le temps de renvoyer le spi ?

– mfffff

Bon, on affale, le spi danse et on en mouille une partie dans la manœuvre, je déroule le génois pendant que le capitaine récupère écoute et bras, le génois ne tient pas et claque dans tous les sens, les écoutes se balancent comme des fouets furieux à côté du capitaine, attention à toi ! aussitôt je l’enroule car il ne sert à rien et on met le moteur, on va voir ce que ça donne, on a bien fait, après le vent fait n’imp, passe de 5 à 10 et redescend, passe de 160 à 50 degrés et remonte, 3 jours comme ça soupire le capitaine avec une moue désabusée.

le GRIB n’est pas optimiste quant à la remontée du vent …

Hier en fin d’après-midi, très gros grain qui lave le bateau, comme on a tout fermé c’est une véritable étuve à l’intérieur, faire pipi en est angoissant parce qu’on ne sait pas si on ne sera pas évanoui de chaud avant d’avoir réussi à vider sa vessie, on passe la nuit au moteur et on essuie plusieurs grains, dès qu’il arrête de pleuvoir on ouvre en grand pour ne pas mourir cuits à la vapeur comme des raviolis chinois, ce matin pendant le petit dej le vent remonte à 12/14 de travers, on se doute que c’est l’effet d’un des gros nuages, mais finalement ça dure, la dernière bouchée avalée on déroule le génois puis on monte la GV, alors tenez vous bien : SANS SE METTRE FACE AU VENT 😵, comme il y a toujours de la houle et pas bézèf de vent, le capitaine a un peu lofé, laissé la bôme désaxée pour qu’elle soit grosso modo face au vent, et il l’a hissée là, sous mon ébahissement, c’est super pratique de faire comme ça ! que je me suis dit, me rappelant de certains hissages de GV face au vent avec une mer agitée qui me faisaient regretter d’avoir un estomac, le temps de le faire le vent est déjà retombé à 8, mais il est de travers alors on avance, et puis ça retombe comme c’était monté, le capitaine me dit qu’allez hop on affale et pendant que je remonte le charriot au milieu il lofe, il m’envoie relâcher le frein de bôme et passe le chariot de l’autre côté, je n’y comprends rien, il vire, bon, et puis on se remet au cap sur l’autre amure

– bin ?! on ne devait pas affaler ?

– si mais le vent est remonté quand j’ai manœuvré, et il est passé de 130 à tribord à 120 à bâbord

Ouais, vous vous doutez bien qu’en étant aussi versatile et avec ce ciel rien ne va durer, effectivement le vent retombe doucement

– aaaah là il faudrait mettre le gennaker
Il ne va pas me faire le coup j’espère !

– mais bon, pas la peine, sinon on ne va pas arrêter de manœuvrer
Je ne vous le fais pas dire.
De nouveau plus de vent, de nouveau on affale et moteur, au moins ça occupe, je me demande à voix haute si le fait de faire ce genre de manœuvre ne nous fait pas tomber la moyenne finalement, tut tut tut qu’il me fait avec sa langue en secouant la tête de gauche à droite (ça veut dire non), je n’en suis pas si sûre …
Nous sommes en gros à 5 degrés de latitude Sud,

– ce temps là c’est celui du pot au noir ! s’exclame t’il debout sur le pont, le nez levé vers ce ciel dans les camaïeux de gris
Tiens, je l’avais oublié celui là, il nous reste 230 miles à faire, on mettra un jour de plus que prévu, au moins on n’a plus 1 nœud de courant dans la gueule comme depuis 2 jours, du coup on avance à 5 nœuds au lieu de 4.

Des fois on met le génois, il balance sur son étai comme une grenouillère sur un fil à linge, on l’enroule, une couche nuageuse nous protège de la chaleur cuisante du soleil, c’est bien, finalement le capitaine dit que bon an mal an on avance ! il n’est plus dans la compète, il a juste envie d’arriver un jour.

Dimanche 29
Hier soir la lune était pleine, lumineuse au point que sont reflet sur l’eau était or, on a bien passé deux heures à simplement l’admirer, bien que je rompisse régulièrement le silence …

– Je me demande qui a appelé la lune « lune » … qui a compris pourquoi elle changeait d’apparence chaque jour et que ça formait des cycles et que ça recommençait… et idem pour le soleil … et tous les mots d’ailleurs, c’est fou ce que le langage peut exprimer, des choses, des émotions, des concepts … ça me ramène toujours à la même question, pourquoi tout ça, pourquoi nous, toute cette intelligence, plutôt que rien ?

Avec toutes les questions que je pose au capitaine quand on regarde le ciel, il me dit que je devrais acheter l’astronomie pour les nuls (du coup je viens de le faire en format Kindle, c’est moins encombrant dans le bateau). Pour les autres émanations de mon esprit, il ne pipe mot, il s’en fout pas mal.

Sinon, on est toujours au moteur, peu de vent mais de la houle courte qui fait rouler le bateau, ciel gris, grains, quand on met le génois il bat de l’aile comme un oiseau blessé, le capitaine décide de le tenter tangonné mais problème : quand on a la GV on tangonne au vent, alors là sans GV, on tangonne au vent ou sous le vent ? Je lui donne mon avis puisqu’il me pose la question

– je dirais sous le vent … mais c’est toi le spécialiste et tu as un raisonnement plus élaboré que le mien (tant qu’on parle de voile entendons nous bien, sinon je commence émettre des doutes) (j’en profite pour rappeler que j’ai de l’humour)

– … (front plissé de réflexion) … ouais … je dirais ça aussi … parce que ça sera mieux que ça soit le guindant qui reçoive le vent plutôt que la chute …
Voilà, chez moi c’est intuitif, chez lui élaboré.

On s’exécute, bon, on doit quand même prendre un ris pour qu’il batte moins, le tangon est à tribord, on est quasi plein cul bâbord amure, quand la houle (qui vient de 3/4, bâbord arrière) arrive, on gîte à tribord et hop le génois se gonfle, la houle passe et hop on gîte à bâbord et hop le génois claque, et ainsi de suite, la mer est vraiment chaotique, on avance à peine plus vite si je veux euphémiser, en plus on a 0.5 nœud de courant dans la gueule, tout pour plaire.

c’est mou


On range ce qu’il y a à ranger dans le cockpit tout propre grâce à ces grains, je demande si on range le bras de spi laissé en couilles-de-chat sur une filière à dessein, le capitaine temporise, on va peut-être avoir l’occasion de le renvoyer, à mon tour d’arborer une moue dubitative,

– avec ce qu’annonce le GRIB ?
Son visage manifeste la circonspection la plus totale, sait-on jamais ce que la nature nous réserve, j’ajoute

– et avec les grains qui se succèdent ?
Cet argument a raison de l’écoute de spi on la range et ça m’arrange, affaler le spi en urgence sous la pluie et les rafales alors qu’il ne nous fait avancer qu’à 3 nœuds entre les grains, merci.
On devrait arriver demain.

Mahé

Et oui, cochon qui s’en dédie, on arrive le lendemain matin, on voit île de Mahé devant et à tribord, celle de Praslin :

on la devine dans les nuages

Le capitaine change le drapeau au bout de sa vie pour un neuf, il est temps :

Le port contrôle nous appelle à la VHF, ils nous ont vu arriver, ils nous donnent une position GPS pour mouiller et nous disent de hisser le drapeau jaune, c’est marrant, c’est la première fois qu’on nous donne une position GPS pour aller mouiller !

on longe l’île au cerf

Le capitaine entre le point GPS sur Navionics et on y va, en se disant que bon, ok, mais pas besoin d’être précis au centimètre, et puis en approchant du point, on ne descend pas en dessous de 18 mètres de fond et il y a pas mal de houle, ça voudrait dire qu’il faudrait dérouler beaucoup de chaîne, et quand on passe pile sur le point GPS, il n’y a plus que 13 mètres de fond et très vite le fond repart à 20 mètres, il faut donc mouiller pile au point GPS, bon, je suis à la barre en marche arrière et le capitaine à l’étrave, prêt à appuyer sur le bouton à mon ordre (quel ascendant, je le tiens en mon pouvoir, ça va me monter à la tête), il ne peut pas s’empêcher de me dire par ici ou par là, à droite, à gauche, c’est dingue parce qu’il n’a pas Navionics sous les yeux alors qu’est-ce qu’il en sait, des fois ça m’énerverait presque, alors je fais ce que j’ai à faire et quand je pense qu’on est bons je lui crie vas-y ! 14 mètres ! le temps que l’ancre descende on devrait arriver pile sur les 13 mètres, gagné, on est des chefs, dans ma tête on se croirait dans un film américain quand les gars de la NASA se lèvent pour applaudir à tout rompre l’explosion d’une météorite qui menaçait l’humanité, on appelle les customs à la VHF et ils arrivent pronto sur un bateau pour sauter à notre bord, avec la grosse houle ça n’est pas si simple et les gars ont l’air sportifs comme des dugongs (appelés vaches marines en Nouvelle Calédonie) (quand je l’ai dit au capitaine il m’a répondu que ouais parce qu’ils broutent), ils y arrivent malgré tout et c’est parti pour la valse des papiers, très vite celui qui a l’air d’être le chef et encore plus fatigué que les autres nous déclare qu’il nous laisse tous les papiers, nous écrit une liste de ce qu’il nous faudra lui procurer en nous invitant à passer demain à terre au bureau des douanes et à l’immigration, et d’un signe tout ce monde lève le camp sans jeter le moindre coup d’œil dans le bateau, on serait venu avec des opossums pour envahir les Seychelles qu’ils n’en auraient rien su.

Eden Island, et derrière, Victoria sur l’île Mahé


On relève l’ancre pour aller à la marina d’Eden Island, je les appelle à la VHF pour les prévenir, leur demande de quel côté on sera amarrés malgré les signes de dénégation du capitaine qui doit trouver que ça fait clampin, mais je fais bien car le gars de la marina me dit que c’est à la méditerranéenne, donc sur pendille, heureusement que j’ai demandé parce qu’en général on prépare des pare battages et des amarres des deux côtés et ça n’aurait servi de rien, ma foi ça fait belle lurette qu’on n’a pas été sur pendille et je ne me souviens plus de ce qu’il faut faire, ça sent le cafouillage à plein nez, mais le gars m’a dit qu’ils nous aideront que je dis, soulagée, au capitaine,

– pas besoin ! tu sauteras sur le quai pour amarrer derrière et ensuite tu viendras choper la pendille jusqu’à l’avant pour la mettre au taquet

Bin tiens.

Quand on arrive à la marina, un gars sur un ponton nous fait de grands signes pour nous indiquer notre place, je fais de même pour lui répondre, le capitaine y va en marche arrière, je balance une première amarre au premier gars, une seconde au second, j’arrange les pare battages par rapport au catway, le gars me tend la première pendille en me conseillant de mettre des gants à cause des coquillages qui coupent les doigts, chevaleresque le capitaine enfile des gants et le fait à ma place, nous voilà arrimés sans un cri, sans une larme, très très bon accueil aux Seychelles !

J’ai demandé au capitaine de me dédicacer le drapeau que j’ai posé sur la table avec un marqueur, il devait être en panne d’inspiration car il l’a laissé là plusieurs jours, et puis comme j’insistais il a écrit « de la Nouvelle Zélande aux Seychelles, ça use ! » et signé de son prénom et de Cap de Miol.

– C’est pas une dédicace ça ! quand on demande à un écrivain de dédicacer son bouquin, il demande à qui, sinon ça peut être pour n’importe qui, alors est-ce que tu veux bien me le dédicacer ?

ça le dépasse ce que je lui raconte, mais il prend le marqueur et il ajoute :

avec un cœur ! ça c’est de la dédicace ❤️ !

Encore un effort et vous pourrez retourner à vos occupations :

  • Faire la nique à quelqu’un : se moquer de, narguer quelqu’un – expression vulgaire et populaire venant de l’arabe nikah (faire l’amour) qui donna le mot français forniquer. Au Moyen-Âge, on utilisait faire le niquet pour montrer son mépris à autrui. Rapidement, cette expression se transforme en faire la nique. 
  • Les étoiles observées ne sont pas les mêmes dans l’hémisphère Nord et dans l’hémisphère Sud et c’est bien normal : l’hémisphère Sud dispose de 46 constellations (contre 39 dans le Nord), il est considéré comme le plus riche en étoiles mais on n’y voit pas la Grande ni la Petite Ourse, pas plus que Cassiopée ou Orion, et l’étoile Polaire qui indique le nord n’y est également pas perceptible. En revanche on y voit la Croix du Sud, la plus petite de toutes les constellations. Il s’agit de quatre étoiles formant une croix avec en son centre une cinquième, moins brillante que les autres, c’est la Croix du Sud qui permet de trouver le pôle Sud céleste dans cette partie du globe, elle apparaît sur le drapeau australien pour indiquer l’appartenance du pays à cet hémisphère.
  • Le dugong est un gros animal particulièrement placide, qui peut mesurer 4m de long pour un poids de 500 à 900 kgs. Le corps des dugongs est allongé, avec une tête dans le prolongement du corps, de tout petits yeux, un énorme ventre et des nageoires courtes et arrondies. Ils se nourrissent exclusivement d’herbes marines qu’ils broutent lentement sur le fond au moyen de leur gros museau. Ils en consomment jusqu’à 40kg par jour. Les dugongs sont des mammifères marins : ils ont le sang chaud, respirent de l’air et allaitent leurs petits. Ce sont d’ailleurs les deux énormes mamelles de la femelle, très visibles en période d’allaitement même depuis la surface, qui ont souvent fait prendre ces gros animaux pour des femmes aquatiques, à l’origine de nombreuses légendes de sirènes, d’autant plus qu’il leur arrive de chanter d’une voix aiguë pour communiquer. Leur nom signifie d’ailleurs “dame de la mer” en malais. C’est à cette ressemblance que les dugongs (et les lamantins, leurs cousins de l’Atlantique) doivent le nom de leur ordre dans la classification des biologistes : les “siréniens”. Les siréniens sont des mammifères retournés à la vie aquatique  comme les cétacés (dauphins et baleines) et les pinnipèdes (phoques, otaries et morses), auxquels ils ne sont pas apparentés. Comme les tortues, les dugongs sont des animaux qui vivent au ralenti : les femelles ne sont matures qu’entre 10 et 17 ans, et ne donnent naissance qu’à un seul petit tous les 7 ans ! En contrepartie, dans la nature les adultes ont une espérance de vie très longue, dépassant 70 ans. Le renouvellement de leur population est donc extrêmement faible, et la pêche peut éradiquer complètement l’espèce en quelques années  comme cela a été le cas à l’île Maurice, mais aussi aux Maldives et en de nombreux autres endroits. 
le dugong, une espèce menacée, le braconnage et le tourisme côtier sont ses deux principaux ennemis

Xmas & Cocos

Quand on fait des grandes navigations, par grandes j’entends longues, je n’ai pas la fatuité de penser qu’elles sont grandes de par une quelconque maîtrise des éléments marins ou ma seule présence, donc quand on navigue longtemps et qu’on arrive à terre, c’est à chaque fois comme si c’était la fin du voyage, et puis non, très vite il faut regarder la météo, préparer à nouveau le bateau et de quoi bouffer, faire la route, la prochaine étape est une autre fin de voyage, partir c’est mourir un peu, je pense qu’arriver aussi c’est mourir un peu, en même temps on meurt chaque jour un peu plus, bon.

Cette fois on revient d’avoir passé 2 semaines au pays, c’était bien de voir les vignes en septembre et la cueillette du raisin, j’en ai goûté un grain au bord d’un chemin, d’une délicioseté surlecultante, d’un goût ! d’un sucré ! je ne sais pas ce qu’en disent les œnologues mais je crois que 2023 sera une super bonne année si je me fie à ce seul grain, bref, nous revoilà à Darwin, Cap de Miol n’a pas coulé dans la marina (on nous avait demandé de laisser un jeu de clés à la capitainerie au cas où un incendie à bord se déclencherait ou en cas de coulage, les Australiens ont vraiment l’air de craindre ce genre de trucs, à croire que leurs marinas ne sont pas fiables), le bateau est prêt, on fait des courses et on quitte Darwin le 22 septembre, on a 4500 NM à faire jusqu’aux Seychelles mais il est prévu quelques arrêts, Asmore Reef au besoin, Christmas Island et les Cocos Keeling Islands ça c’est certain, à débattre pour les Chagos, on part au près avec 12 nœuds de vent, on avance à 6,5 grâce à un petit courant dans le cul bienvenu, on gîte un peu, c’est fou comme on perd vite l’habitude d’être sur un truc qui bouge mais au moins ça ne bouge pas bézef, les douaniers ont fouillé le bateau de fond en comble avant de nous laisser partir, ils cherchaient des armes ou de la drogue, 2 douaniers nous ont demandé d’un air sévère de rester dans le cockpit pendant que les 2 autres soulevaient les matelas et les planchers avec des lampes torches pour y voir, mais ils ont beau fouiller partout il y a des endroits qu’ils ne connaissent pas et où on aurait pu planquer tout ce qu’on veut, mais bon, on aurait bien trop peur pour jouer à ça, on est tellement plus serein quand on n’a rien à se reprocher, quand on est partis le capitaine se demandait s’il valait mieux avoir une arme à feu à bord pour dissuader d’éventuels pirates ou aucune arme pour ne pas se faire gauler par une douane, on a opté pour la seconde solution parce qu’il y a plus de douaniers que de pirates sur terre, et vraiment pas grand monde sur mer.

La mer est calme, moi aussi, le capitaine, lui, est malade, fiévreux, fébrile, yeux rouges et toussotements, il a chopé froid dans l’avion avec la clim’ ou c’est son voisin qui toussait qui lui a refilé on ne sait quoi, il râle qu’il est vieux parce que ça fait le 3eme jour qu’il est dans cet état et avant ça ne durait que 2 jours (avant c’était mieux, tout le monde le sait), ça ne l’empêche pas de manœuvrer sous un soleil de plomb, juste il laisse exhaler un soupir fatigué de temps à autre, il va dormir un peu tandis que je veille, je n’ai pas grand chose à faire, la preuve j’écris, on tire des bords :

Pour l’heure nous naviguons sur la mer de Timor, ça ressemble furieusement à la mer d’Arafura, pas de fond, couleur vert d’eau, pas de stress, ça finit par être si calme qu’on affale pour mettre le moteur, quitte à avancer à moins de 4 nœuds, autant être au cap plutôt que de continuer à tirer des bords comme des héros de la mer, des durs, des purs, ou des cons, c’est selon, on garde la GV et quand le vent adonne un peu on déroule le génois, ça nous fait parfois piquer une pointe à 6 nœuds et puis ça retombe, d’après la couleur du GRIB on n’est pas prêt d’avoir du vent, le capitaine m’avait prévenue que c’était fréquent ce temps là dans la mer de Timor.

le fichier météo prévoit pétole

Samedi 23 septembre
Hier soir j’ai mis des huiles essentielles sur la poitrine et la gorge du capitaine mais ça lui a fait l’effet d’une brûlure sur la peau, il s’est redressé sur sa couchette comme un ressort en vociférant, c’est l’enfer ! Il voulait un gant de toilette pour passer de l’eau fraîche dessus, le malheureux, tout en lui expliquant que les huiles essentielles ne sont pas hydrosolubles mais liposolubles (et craignant plus pour ma peau que pour la sienne) j’imbibai un coton d’huile d’olive et le lui tartinai en essayant habilement de détourner son attention par des propos pseudo-scientifiques, il se recoucha (c’est pour aller avec le temps du passé simple que je viens de décider d’utiliser histoire de changer un brin) (mais en fait je n’aime pas tant que ça le passé simple, c’est un peu ampoulé), j’allai le voir un peu plus tard et le feu semblait éteint, ce matin il m’a avoué que ça lui avait fait beaucoup de bien et qu’il allait mieux, ceci étant, avec la chaleur ambiante et celle dégagée par le moteur, quand il sort de la cabine il est brûlant, ça retombe un peu quand il s’aère, il n’est pas bien vaillant … et malgré tout il a voulu que je dorme cette nuit et m’a dit d’arrêter de mettre mon réveil toutes les heures, en fait ça le réveille aussi et on est deux à se lever, c’est ballot, bref j’ai dormi comme une souche.

Le vent remonte à 6/8 nœuds, toujours au près, on éteint le moteur et on met le pilote en mode vent, vent qui adonne et refuse à son gré, le bateau zigzague, et en plus on avance à moins de 5 nœuds, on n’est pas rendus … on voit des bancs de poissons qui s’ébattent, je pense qu’ils s’amusent et mangent de la friture qui nage en surface, le capitaine pense qu’ils essaient d’échapper à un gros poisson qui les chasse, j’aime cette diversité d’imagination selon sa façon d’être, c’est tellement parlant, qui vit sa vie comme un jeu et qui comme un combat …

vous en pensez quoi vous ?

Le capitaine m’a réclamé des huiles essentielles, précisant, pour limiter le côté positif, ne me brûle pas comme hier c’était l’enfer, à savoir qu’il n’a aucune brûlure sur la peau, pas plus que de rougeur, je mets de l’huile d’olive au creux de ma main et compte 2 gouttes de chaque, il s’inquiète, y’en aura assez pour que ça fasse effet ? je lui fais sentir le creux de mes mains après lui avoir étalé la précieuse mixture sur son torse fébrile (je pourrais écrire ce que je veux, son torse glabre et maigrichon, son torse velu et frissonnant de fièvre… quoi d’autre … son poitrail palpitant de vie … oh, son torse bodybuildé, pourquoi pas, un beau torse oint de péplum ou de calendrier des pompiers), donc il renifle le creux de mes mains :

– ça sent bon hein ?

moue :

– ça débouche le nez…

Non, il ne dira pas que ça sent bon, je ne sais pas ce qu’il risque en cas de positive attitude mais visiblement il y a un truc, au lieu de me laver les mains je les ai essuyées sur moi pour profiter que ça sente si bon, en pleine mer ce n’est pas si souvent la fête des narines (c’est jamais, l’odorat n’est pas un sens de pleine mer, sauf quand on cuisine) (ou si un oiseau a chié sur les panneaux solaires).

Dimanche 24, enfin le vent tourne sud-ouest après 8h, le capitaine, encore fiévreux mais qui va tout de même un peu mieux, hisse la GV qu’il avait affalée en pleine nuit puisqu’alors on avait si peu de vent, et de face pour faire bonne mesure, un pile petit vent d’Ouest, on a encore passé la nuit au moteur, là on a entre 7 et 10 nœuds, on avance entre 4,5 et 6 mais on avance à la voile, gloria, à part nous, il ne se passe rien … mais si, un avion de la border force australienne passe à ras du mas et nous appelle à la VHF pour des vérifications, c’était l’animation du jour.

Lundi 25
On n’a toujours pas remis le moteur, vent entre 4 et 10, au travers donc on avance, entre 3,5 et 5, quelques pointes à 5,5 qui mettent le capitaine en joie, il va beaucoup mieux et se baigne en se faisant tirer par le bateau :

moi j’aime pas ça

Au petit matin on a croisé un bateau militaire qui n’était pas sur l’AIS, comme les border forces australiennes nous ont demandé de les appeler si on note quelque chose de louche, je dis

– si ça se trouve c’est un navire militaire chinois ? Ou nord-coréen ?

– haha

– faut peut être appeler les border forces pour leur dire … oh, mais si ça se trouve qu’on les appelle ça va déclencher une guerre mondiale !

– HAHAHA ! Ça serait marrant ça ! (il est franchement hilare à cette idée)
Drôlement marrant.

le capitaine a collé l’autocollant parce que je pense que ça lui fera un souvenir de l’Australie, les souvenirs sont extrêmement rares et discrets dans le bateau : une raie en bois sculpté grande comme une main collée tête en bas alors on ne voit pas trop bien ce que c’est (Marquises), un autocollant de dauphin stylisé posé à l’envers sur le tableau électrique alors faut savoir que c’est un dauphin (Tahiti), un petit cœur en rafia tressé accroché sur une loupiote de la couchette avant que personne ne peut voir et c’est tout, sinon c’est que des ramassent poussière et c’est pas feng shui, le capitaine ne le sait pas mais il est à fond dans le feng-shui current

On alterne un peu de vent qui va et vient avec moteur, il fait super chaud, le capitaine va s’allonger sur une couchette où passe un peu d’air, en s’y dirigeant il me prévient, si tu vas prendre une douche tu me dis !, hier j’ai pris ma douche sans le lui dire et sans m’attacher, il n’a pas aimé, je ferais quoi, moi, sans toi ? je ne sais jamais s’il se moque ou s’il m’avoue que ma présence sert à quelque chose (si ça se trouve j’aurais bien besoin d’un psy finalement).

Pas de vent, pas de voile, moteur, on voit bien les dauphins qui jouent avec le bateau, j’ai eu une sacrée chance, je suis sortie pour voir si j’apercevais un bateau annoncé à 8 miles sur bâbord à l’AIS et j’ai vu les dauphins, il y en a eu une bonne dizaine et ils sont restés presque 10 minutes avec nous, une belle journée.

je ne m’en lasse pas

Pendant ce temps là le capitaine récupérait :

on devine sa silhouette confiante et endormie à gauche … et on voit qu’il n’y a vraiment pas de vent
c’est fichtrement beau la nuit qui descend sur une mer sans vent

Mardi 26, moteur, moteur, moteur, on décide de s’arrêter à Ashmore Reef pour attendre du vent, le capitaine prévoit de caréner mais il se remet à peine de sa crève et je ne trouve pas que ça soit le moment, il pense au bateau, je pense à lui, en attendant il remet du gasoil dans le réservoir, faire ça en pleine nav ça montre à quel point il n’y a pas de mer et pas de vent :

je peux vous dire que c’est un sacré bordel d’aller chercher les bidons de gasoil au fond du coffre arrière, de les sortir, de transvaser et de tout ranger après

Quand on arrive à Ashmore Reef, c’est comme à Minerva Reef sur la route de la Nouvelle Zélande : une cuvette posée sur la mer, sauf qu’à Minerva on avait un grand vent et il y avait plusieurs autres voiliers qui s’y étaient réfugiés, et ici pas un pète et pas un péquenot, on est vraiment paumés de chez paumé, tu vois la dune ?

– La quoi ?

– La dune !

La dune ? ! crotte, la fièvre est remontée ! le capitaine tend le doigt, ah ouaaaaiiiis !

Il y a une langue de sable au milieu de l’eau ! Terre ! crié je

Des oiseaux viennent survoler le bateau en tournant la tête pour voir ce qui se passe par ici, pan ! Pan ! fait le capitaine, on dirait que ça lui plairait une chasse aux canards !

On nous appelle à la VHF, c’est Cap York, on le voit qui arrive dans notre dos, un navire militaire, ils viennent même nous montrer quelle bouée prendre dans le mouillage, top 👍 y’a plus qu’à attendre le vent.

noble canot s’il en fut

Jeudi 28, 10h40, entre 5 et 8 nœuds de vent ce qui n’est guère, mais on lève le camp parce que ça ne va pas tarder à remonter qu’ils disent, hier le capitaine a caréné le bateau et moi j’ai bossé et refait des crêpes, on a 1030 miles à faire, on n’est pas rendus, on a bien fait de partir parce que très vite le vent est monté à 10/12 et on a mis le spi, on avance à 6 nœuds, vent à 145, si ça se maintient on sera à Xmas dans une semaine,

– tranquille ! que je dis au capitaine

– pour le moment

– on peut quand même dire qu’à l’instant T on est tranquille (allez, fais un petit effort)

– … ouuuuuais … (même là il hésite à abonder)

Pourvu que ça dure, mon souhait est exaucé puisque ça monte même à 14/15 avec des pointes à 17/18, on avance à plus de 7, pointes à plus de 8, sur une mer à peine houleuse, parfait, si seulement c’était tout le temps pareil.

par ici les couchers de soleil sont rouges, le soleil une boule feu sur la ligne d’horizon
et la lune à l’Est, on est gâtés

Vendredi, Samedi, même contexte, sous spi, le vent monte ou descend, adonne ou refuse, on empanne de temps en temps, ça occupe, c’est calme, c’est bien, on a tout de même fait 150 NM dans les dernières 24h, ça fait du 6,25 de moyenne, le spi c’est bien, le courant aussi parce que depuis hier soir on a entre 1 à 1,5 nœud de courant portant et qu’il n’y a pas bézef de vent, des plages à 10/12 et d’autres à 14/16 (quand même).
Les empannages sous spi se passent sans un mot plus haut que l’autre, aucun stress et je sais ce qu’il y a à faire, parfois le capitaine lance un ordre, reprends de la balancine, brasse, reprends du barber, il finit par un parfait ! et un sourire, la vie est un long fleuve tranquille.

Dimanche 1er octobre, on a dû affaler et mettre le moteur à 5h du mat’ et après une journée de pétole on a pu à nouveau hisser les voiles sur le coup de 17h, c’est reparti avec 10/12 nœuds de vent à 70 degrés, on file à 7,5 sous GV et génois.

Comme ça ne bouge pas beaucoup, on fait de la gym tous les jours ! Le capitaine m’a dit tu es courageuse ! en me voyant faire des abdos, je suis motivée que je lui ai répondu, et pour être certaine qu’il saisisse mon allusion, j’ai ajouté

– je ne veux pas devenir un boudin et que tu ne m’aimes plus
Il a souri en regardant par terre, de ce sourire qui lui plisse le coin des yeux et qui me fait fondre pour tout dire et je crois qu’il a marmonné que lui non plus ne veut pas devenir un boudin avant de faire quelques séries, il faut dire qu’on n’a pas souvent l’occasion de faire des séances : soit le bateau bouge trop en nav, soit on est au mouillage et le cockpit est rempli de ce que bricole le capitaine, soit il pleut à verse et le cockpit est trempé, soit je bosse et le capitaine bricole, il va falloir tout recommencer quand on rentrera de notre périple.

Mardi 3
On voulait du vent, on en a, après avoir affalé le spi avant-hier en fin de journée, on a d’abord eu du vent de 15 nœuds à 70 degrés donc ça secouait un peu, puis ça a adonné progressivement et depuis hier on a du vent a 125/130 degrés qui est passé de 17/18 à 20/25 nœuds, et une mer formée de travers, heureusement qu’on navigue depuis quelques jours car on est amarinés, hier soir, et comme quoi on ne cesse jamais d’être naïfs, pensant que nous étions à l’abri d’une grosse vague et comme il fait très lourd, nous avions laissé le capot sous l’annexe et un autre sous le vent ouverts (oui, je dis bien sous le vent, comme quoi ça ne risque rien), ça ne faisait pas 5 minutes que j’avais demandé au capitaine si on ne ferait pas mieux de fermer et qu’il avait répondu d’une moue qui soupesait le bénéfice/risque, noooon, ça craint pas, qu’une vague a déferlé sur le pont et a rempli le bateau depuis les deux capots grands ouverts, celui sous le vent autant que l’autre, ça criait merde dans tous les sens pendant que nous saisissions tout ce que nous avions sous la main susceptible d’absorber l’eau de mer, c’est râlant parce qu’il faudra soulever tous les planchers pour éponger ce qui est passé dessous, quelle bande d’abrutis, j’avais proposé au capitaine de prendre un ris parce que ça secouait beaucoup (cuisiner dans ces conditions c’est crevant) (j’ai l’impression d’être une hôtesse de l’air qui balade son chariot dans des turbulences) et qu’on n’avait pas besoin de naviguer à plus de 11 nœuds, mais il m’avait répondu qu’avec seulement 22 nœuds de vent pas besoin, résultat à 4h du mat’ on n’avait quasi pas dormi tellement ça bougeait, il a pris un ris et on a battu tous les records parce qu’on a fait du 10,5 de moyenne cette nuit, il faut dire qu’en plus du vent on a 2 nœuds de courant dans le cul alors ça aide, à cette vitesse on va gagner 1 jour et arriver demain au lieu de jeudi, ça c’est le genre de nav qui plaît au capitaine, moi je dois dire qu’entre naviguer entre 8 et 15 nœuds sous spi sur une mer calme et avec 25 nœuds à 120 degrés et une mer agitée de travers, ça repositionne le spi en haut du podium.

je peux vous dire que ça valse en cuisine

Le drapeau français a morflé, j’ai demandé au capitaine de ne surtout pas le jeter quand il va le changer, et de me le dédicacer, visiblement il se demande si je blague, j’ai insisté afin qu’il comprenne que c’est vraiment important pour moi, en plus il a de la chance, je pourrais préférer une Maserati Quattroporte à un vieux drapeau méconnaissable, je ne coûte pas cher (je ne vois même pas à quoi ressemble cette caisse mais j’en ai entendu le plus grand bien).

c’est pas très patriotique

4 octobre, la mer est grise comme le ciel, on n’est plus qu’à 15 NM de Xmas, on avance bien et la mer est plus calme, c’est surtout qu’on est à 140 du vent alors les vagues sont plus arrière et ça secoue moins, parfois le génois claque parce qu’une vague nous fait abattre, le capitaine voudrait tangonner le génois

– Pour les 15 miles qui restent à faire ?!

– ça fait encore 3 heures de nav jusqu’au point de mouillage !
je ne dis rien mais pense très fort qu’on s’en fouuuuuuut, 3 heures en regard de 12 jours qu’est-ce qu’on s’en fout, il a dû l’entendre car il est parti s’allonger sans tangonner.

Je guette pour quand on verra la terre, bon sang ça y est je la vois, elle est dans la brume, terre terre terre !


Mon téléphone est passé à l’heure locale, 2h1/2 de moins qu’à Darwin, comme on suit à peu près le soleil on se décalait au fur et à mesure à la louche, par exemple ce matin on a pris le petit déjeuner à 10h de l’heure qui s’affichait sur nos montres, mais en fait il était 7h30, c’est un peu plus marin comme horaire. Ce ne sont pas des poissons qui nous accueillent ici mais des oiseaux, plein d’oiseaux !

L’île Christmas abrite plusieurs espèces d’oiseaux endémiques comme le ninoxe de Christmas, le carpophage de Wharton, le Zostérops de Christmas, le fou d’Abbott et Collocalia natalis, arf arf arf ! blague mise à part, je pense que ce sont des fous

Bon, nous nous attendions à un mouillage cosy mais nous nous retrouvons près de l’usine de phosphate et à côté d’un énorme ponton et d’un cargo, well well, appelons les Border Force sur le 16, rendez-vous sur la plage, accueil hyper sympathique, après avoir tout de même vérifié nos passeports et les papiers du bateau, le gars de la biosécurité qui ressemble à un des Deschiens nous dit que tout a été fait à Mackay donc il n’a plus rien à faire, on voit grave le mec qui est payé à ne rien foutre et qui le tient pour un acquis social, un des douaniers nous donne un plan de l’île et nous explique où sont les supermarchés, la station de gasoil et le resto sympa du coin, nous faisons un tour de reconnaissance et rentrons au bateau manger un morceau puis nous coucher, fourbus.

on est tout proche de l’Indonésie, mais on n’ira pas, faut faire des choix
un ponton énorme pour une si petite île
on est dans baie de Flying Fish Cove

Comme à chaque arrivée après plusieurs jours de navigation, il faut refaire le plein d’eau, mais ici point de marina pour faire les pleins depuis un ponton comme des nantis, on doit faire des allers retours en annexe avec nos bidons et nos bouteilles vides pour les remplir à un robinet public, et puis ensuite plein de gasoil, nous voilà sur la route avec chacun 4 bidons de gasoil de 20 litres à remplir, au bout de 3 minutes une voiture s’arrête pour nous emmener, même pas besoin de faire du stop, une fois nos bidons remplis à la station je demande à un gars qui fait le plein de son bateau à moteur (sur une remorque) s’il retourne près du ponton et s’il pourra nous emmener nous et nos bidons, oui bien sûr avec plaisir qu’il peut, il vit sur cette île depuis 16 ans et travaille dans l’écologie, est marié à la principale de l’école et a 2 enfants de 10 et 8 ans, élever des enfants ici est génial parce que c’est hyper sécuritaire et cool, 2000 habitants et tout le monde se connaît, pas de vandalisme ni de serial killer, je lui demande si ça prépare les enfants à vivre dans le monde normal, il sourit et me dit qu’il ne le croit pas, mais est-ce un mal … ça prend son temps, la journée y passe et le lendemain on cherche une laundry, à la capitainerie ils ont dit au capitaine qu’il n’y en a pas, moi j’ai demandé à une vendeuse du supermarché chinois qui parle un anglais aussi mauvais que le mien et ne comprend pas plus mon accent que je ne comprends le sien, mais mon oreille a saisi qu’il y a peut-être quelque chose en face d’un lodge dont le nom termine par tree, en regardant sur la carte je vois le Mango Tree Lodge, alors nous voilà partis avec nos sacs de linge dans un caddie que j’ai emprunté au supermarché pour marcher une bonne demi-heure sous un soleil de plomb en poussant le caddie comme Zézète épouse X, arrivés au fameux lodge, aucune laundry en vue mais une dame qui s’affaire avec un plumeau sur un balcon, je l’interpelle et lui demande s’ils font laundry, qu’on vient du bateau et qu’on aurait besoin de laver notre linge, elle ne comprend pas ce que je lui raconte mais le capitaine ne dit que 2 mots washing machine et tout s’éclaire, elle m’explique alors que sa boss n’est pas là et nous fait signe de la suivre dans une buanderie pour utiliser une machine mais c’est un secret, elle vient des Philippines et ira en Europe avec son mari l’an prochain, je lui dis que si elle veut bien manger il faut aller en Italie et en France, on peut laver et sécher notre linge, je lui demande combien on lui doit mais elle ne veut surtout pas, c’est un service qu’ils proposent aux clients du lodge, nous on n’est pas clients mais on a une bonne tête.

Maeva, le bateau de Jonathan et Cécile que nous avions vu à Nouméa puis à Darwin arrive, ça fait plaisir, nous avons une vie sociale pendant 2 jours à s’inviter les uns les autres à manger sur un bateau ou l’autre et à boire de la bière et du vin 🍷 et on ne dira jamais assez à quel point ça fait du bien, on passe un vrai bon moment, on leur dit qu’on voulait louer une voiture pour visiter l’île mais il n’y a plus de voiture dispo, ce qui est étonnant vu la masse de touristes qu’il n’y a pas, je ne sais pas comment Jonathan se débrouille mais une nana de l’office de tourisme lui prête carrément la sienne et nous embarquons tous les 4 à bord d’un vieux pickup rouillé, au moins on n’aura pas peur de l’abîmer, et nous partons à la découverte de cette île surtout connue pour ses crabes rouges, et comme la migration des crabes rouges commence, il y a déjà pas mal de routes fermées, on se met en quête d’en voir, on en verra ! mais si peu qu’à mon avis il ne s’agit que de quelques pauvres hères égarés …

Chaque année, au début de la saison des pluies, des millions, des mi-llions ! de crabes rouges (Gecarcoidea natalis) traversent la petite île pour se reproduire et pondre leurs œufs dans la mer. Ces larves ainsi libérées, servent de festin aux requins-baleine et aux raies manta, 14 espèces de crabes et environ 45 millions de crabes rouges endémiques vivent sur Christmas Island.

Nous on n’en a pas vu beaucoup, mais en pleine migration ça donne ça :

ça fait très oiseaux d’Hitchcock … en plus freaky

Ici les religions se côtoient, les bouddhistes représentent 16,8 % de la population, les musulmans 14,7 %, les catholiques 7,1 %, d’autres pratiquent diverses religions ou aucune 61,4 %, le matin et le soir on entend les prières du muezzin au mégaphone, sur la route on visite 2 temples taoïstes, tout ce monde se côtoie dans une sérénité exemplaire…

Le seul endroit de l’île où on peut avoir de la connexion wifi, c’est à coté de la banque derrière la poste et c’est gratuit, par contre uniquement aux heures d’ouverture de la banque, et les panneaux d’informations sont des tableaux noirs sur lesquels on écrit à la craie, la véritable écologie est presqu’ici (mais rien n’est jamais parfait, l’usine de phosphate fait plutôt tache dans le décor)

Nous avons également vu le centre de rétention pour immigrés le plus grand et plus high-tech de l’Australie, d’une capacité de 1 200 détenus, blindé de caméras de vidéo-surveillance, micros, portes électriques, grillages électrifiés, détecteurs de mouvements, surveillance par micro-ondes, bornes d’identification des détenus et sa pièce de surveillance à distance, un quartier pour bébés de huit bâtiments … L’île Christmas est depuis surnommée l’île de la détention, ou l’île prison. Le camp est parfois comparé à celui de Guantanamo. Avec Cécile on n’a pas voulu prendre de photos, j’aurais eu l’impression d’être un des automobilistes dans Dupont la joie, quand dans les bouchons de la route des vacances il y a un accident …

Et puis nous nous sommes arrêtés sur la côte Sud et ses geysers d’eau, on se serait crus sous des brumisateurs !

Le soir on mange au resto du coin mais curieusement il n’y a que nous d’attablés, ce n’est pas très fréquenté le samedi soir et pour manger c’est plat unique en barquette à emporter, curry indien, épicé à en avoir le trou de balle qui pleure dès la première bouchée, ils sont fous les indonésiens, je ne mange pas tout par frousse de faire des trous dans mes muqueuses alors je le take away parce que ça peut toujours servir en mer, sur le chemin la sauce piment coule sur mon tee-shirt et mon bermuda, j’ai eu beau laver ce n’est pas parti, ça ne partira jamais, ça doit être le piment qui colore.

c’est ce teeshirt là que j’ai flingué, je suis dègue, je l’aimais trop

On repart le lendemain, dimanche 8 octobre, des dizaines et même des centaines d’oiseaux nous accompagnent, certains s’aventurent dangereusement près de la girouette, le capitaine crie pour les chasser, saleté d’oiseaux ! c’est juste magnifique, un véritable show :

Il fait beau et chaud, peu de vent sous le vent de l’île bien que nous ayons eu de belles rafales dans tous les sens en hissant la GV :

le tracé c’était pour rester face au vent, ça vous donne une idée !


Avant-hier et hier nous avons fait le plein de courses parce que jusqu’aux Seychelles il n’y aura quasi rien, peut-être quelques fruits aux Cocos et encore, heureusement qu’un avion est arrivé la nuit d’avant avec des œufs, des fruits et des légumes car il n’y avait plus un œuf ni une pomme ou une banane, la bouffe est hors de prix pire que partout ailleurs, une petite laitue iceberg 11 AUD, 1 AUD l’œuf, on en a eu pour une fortune et en plus en viande et poisson ils ne vendent que du congelé et comme on n’a pas de congélateur j’ai acheté quelques boites de bœuf braisé et de poulet au bacon, je ne sais pas ce que ça va donner, je me suis dit que ça agrémenterait le riz de temps en temps, ça me rappelle qu’il doit rester une boîte de tripes quelque part, bon sang je parie que le capitaine va vouloir que je pèche !

Lundi 9, c’est plutôt peinard, selon les périodes de la journée ou de la nuit on a entre 13 et 25 nœuds, à 120 degrés en gros, mer idem, de temps en temps ça éclabousse un peu mais sans plus, GV + génois, le capitaine est tenté par le gennaker mais bon, on avance à 6,5 c’est pas mal, l’océan indien est clément, pour l’instant ! temporise comme d’habitude le capitaine, finalement on met le gennak, ça nous fait aller à 1 nœud de plus, on retombe dans la moyenne, faut pas faire moins de 7 si on veut arriver de jour aux Cocos

Mardi 10
On a affalé le gennak sur le coup de 19h hier, vent 23/25 qui avait refusé, on a passé la nuit sous GV et génois, vent 20 de travers, mer agitée de 3/4 arrière, ce matin vent à nouveau 23/25, mer hachée a dit le capitaine, il a pris un ris tandis que je faisais griller des tartines à la poêle, on en profite, on a encore 2 jours de pain, ensuite ça sera crêpes pour lui et semoule ou porridge pour moi, pas que j’aime pas les crêpes, mais c’est plutôt long à faire alors quand je mange de la semoule, les crêpes durent plus longtemps, c’est mon côté feignant.

Nous parlons peu, des fois je raconte ma vie au capitaine, des trucs que je sais pertinemment lui avoir déjà raconté et que je sais tout aussi pertinemment qu’il ne s’en souvient pas l’once d’un début parce qu’il ne m’écoute que d’une moitié d’oreille les bons jours, ou alors je lui pose des questions sur sa vie à lui ou sur la voile, ça ça lui ouvre les conduits auditifs, hier quand je réglais le génois je voulais me perfectionner alors je lui ai dit que je ne savais pas trop quand est-ce que je dois changer le point de tire ou agir sur l’écoute, il m’a dit de regarder les penons, ce qui n’a pas du tout répondu à ma question, bon, j’ai réglé autant le point de tire que l’écoute comme d’hab et au bout du compte les penons n’étaient pas parfaitement horizontaux, comme d’hab, le capitaine a fini par dire que c’était bien comme ça, bon, c’est comme ça que je fais quand je règle le génois toute seule, les penons parfaits ça dure jamais, sinon on gîte pas mal alors pour faire pipi assise c’est chiant parce que les fesses sont de travers mais le pipi coule droit, on s’en fiche plein les fesses, à se demander à quoi pensent ceux qui font les aménagements des bateaux.

Au bout de 70 heures de nav’, soit moins de 3 jours, ce qui démontre une bonne moyenne c’est pour ça que je précise, on est mouillés devant Direction Island, une des îles des Cocos, tranquille bien qu’on ait eu du vent à 20/22 pour remonter la GV afin de lâcher les 2 ris qu’on avait pris et l’affaler dans la foulée, et bien également qu’on ait dû surveiller les fonds pour ne pas se planter vu que c’était marée basse et plein de patates de corail, des pointes noires viennent tourner autour du bateau, des fois qu’on balancerait de la bouffe, je ne crois plus que c’est pour nous dire bonjour, c’est dommage :

l’eau est juste un miracle

On s’évertue sans résultat à appeler la police fédérale sur le canal 16 jusqu’à ce que Basile et Jeremy du voilier Ulmo passent en annexe et nous rappelle ce que nous avaient dit les Border Forces à Xmas, à savoir qu’il fallait les appeler sur le 20, c’est moche de vieillir, on les appelle et ils ne tardent pas à venir nous poser quelques questions d’usage, a t’on des armes à feu à bord, des animaux, des plantes, a t’on l’intention d’emmener de la bouffe du bateau à terre, a t’on des penchants criminels, nous répondons non partout, je ne suis pas certaine que quiconque réponde autre chose, montrons nos passeports, on nous donne une petite documentation sur le lieu en nous indiquant qu’on pourra avoir du wifi sur Home Island, quand ils sont partis on met l’annexe à l’eau et on fonce sur Home Island, vent de 25 nœuds et vagues de face, presque 30 minutes de trajet, on y arrive trempés avec de l’eau plein l’annexe, on passe payer le droit de mouiller pour 3 nuits, soit 30 AUD, passons au petit supermarché dans lequel, ô joie, nous trouvons des poires, un ananas et des super belles mandarines, achetons de la data pour passer quelques messages en restant au pied de l’antenne car dès qu’on s’en éloigne on ne capte plus rien, et prenons des renseignements pour aller jusqu’à West Island en ferry demain matin, va falloir se lever à 5h pour avoir le temps de se préparer et revenir ici en annexe, c’est quand qu’on dort s’il vous plaît ? Quand on sera vieux !

On arrive à l’heure pour prendre le ferry de 7 heures :

Nous arrivons au ponton

Et ensuite il faut prendre un bus pour aller jusqu’à la ville de cette île de 6.23 km², l’archipel faisant lui 14 km² dans un lagon de moins de 110 km², un vrai timbre-poste dans l’océan indien.

A l’aller comme au retour, le ferry est rempli d’ados en uniforme de collège et de travailleurs, la majeure partie des femmes porte le hidjab, les gens sont très posés, je trouve cet endroit complètement dingue, toute cette organisation humaine au milieu de nulle part

Le soir on retrouve Cécile et Jo de Maeva, on ne se reverra pas car ils filent sur La Réunion alors que nous irons sur les Seychelles, on fait la fête avec des steaks, on n’est pas prêts de remanger de la viande, avant de partir, le lendemain on fait un saut sur Direction Island, on voit les souvenirs laissés par des navigateurs

Et puis demain on reprend la route…

Cap de Miol et Maeva

A little bit more for the best of you !

  • L’île Christmas a une superficie de 135km2 pour une population de 1 843 résidents en 2016, son isolement géographique et le peu de perturbation humaine qu’elle connaît ont conduit à un niveau élevé et rare d’endémisme parmi sa flore et sa faune, ce qui présente un intérêt certain pour les zoologistes et les botanistes, elle doit son nom au capitaine William Mynors qui l’a nommée le jour de Noël 1643, depuis le 1er octobre 1958, la souveraineté de l’ile a été transférée de la Grande-Bretagne à l’Australie pour 2800000£ à titre de compensation pour la perte des revenus tirés des phosphates.
  • L’archipel de Cocos Keeling est constitué de deux atolls coralliens plats, 27 îles coralliennes, d’une superficie de 14,2km2, une altitude maximale de 5m et couvertes de cocotiers. Seules les iles de West Island et Home Island sont habitées par une population de 600 habitants. Les îles ont été découvertes en 1609 par le capitaine britannique William Keeling (d’où leur nom), mais aucune colonie ne s’est établie avant le début du 19e siècle, l’archipel n’a jamais suscité d’intérêt jusqu’au début des années 1820, lorsqu’une famille, les Clunie-Ross, y débarque avec des Malais pour exploiter les cocotiers, c’est l’abondance de cocotiers qui a permis l’exploitation de cocoteraies et a donné son nom actuel aux îles. Les Britanniques ont annexé les îles en 1857 et, pendant le siècle suivant, elles ont été administrées depuis Ceylan ou Singapour. Le territoire a été transféré à l’Australie en 1955.
  • Dupont Lajoie est un (excellent) film français réalisé par Yves Boisset en 1974 et sorti en 1975 avec Jean Carmet, Isabelle Huppert, le superbe Jean Bouise, Jean-Pierre Marielle, Henri Garcin, Jacques Villeret, Robert Castel, Michel Peyrelon …

L’immensité australienne

l’Australie peut être considérée soit comme le plus petit continent, soit comme la plus grande île du monde

Prenez votre temps, il y a pas mal de lecture pour rattraper mon retard, alors on commence tout de suite : il nous faut aller de Mackay à Darwin, soit contourner 1/5ème de l’Australie, ça en fait des miles nautiques, mais nous allons faire aussi un peu de tourisme en navigant de mouillage en mouillage d’une île à l’autre derrière la grande barrière, le but étant de découvrir les Whitsunday, c’est toujours la capitaine qui se rencarde et me dit par où on va passer, je suis toujours d’accord, on s’en va toutes voiles dehors au portant, ce qui est une image car justement on se la joue feignant avec le génois seul, pas la peine de mettre la GV et de tangonner le génois pour de si courtes distances, comme je dis au capitaine on n’est pas des chevaux.

Pour la photo je n’ai pas du tout tracé notre parcours, c’est ma première fois sur Keynote sur ma tablette et pas sur mon PC sous Windows et PowerPoint, alors je rame un peu, mais au moins ça vous donne une idée du trajet

Le 18 juillet, date mémorable à inscrire d’une pierre blanche sur vos tablettes comme disait maman, le capitaine fait sa petite sieste en me laissant aux commandes, je lui ai dit, en jetant un œil (averti) sur Navionics, qu’il allait falloir empanner tôt ou tard, ouais mais pas tout de suite, d’accord mais je vois bien qu’on s’écarte de plus en plus de notre cap et que si j’attends trop ça va nous faire finir au travers, et vu la mer qu’il y a, ça sera moins rigolo, je prends mon courage à 2 mains et y vais pour mon premier empannage seule depuis le départ – on a que le génois alors c’est pas de jeu me direz-vous mais ! c’est pas si facile car il y a 26/29 noeuds de vent et je n’ai pas la GV pour le déventer, je ne veux surtout pas réveiller qui vous savez en manœuvrant, encore moins qu’il assiste à ma manœuvre, au secours, bon, je roule le génois à moitié pour qu’il passe entre son étai et celui de trinquette, c’est le capitaine qui dit qu’il n’y a pas besoin de l’enrouler complètement sinon je l’aurais fait, vous pensez bien, j’abats progressivement, prudence prudence, c’est trop progressif, beaucoup trop, le génois bat de l’aile et ça fait un boucan d’enfer, au lieu d’abattre encore plus franchement je continue à y aller pas à pas, je mets un temps fou, finis par dérouler le génois du bon côté en tirant la langue, toute cette hésitation s’est faite ressentir jusqu’à la moelle de chaque os du capitaine qui arrive grognon comme un gamin qu’on oblige à retourner à l’école en plein jeu de billes, je prends les devants en confessant que je sais que j’ai empanné trop tard (ce que je ne lui dis pas c’est que sous le coup de l’émotion je sens mes bras et mes cuisses qui tremblent), il enfonce le clou, c’est bien trop tard et on aura du chemin en plus ! en même temps on n’aura que 1,8 miles à faire de plus ai-je calculé sur Navionics avec le compas, c’est pas la mer à boire, et puis on peut y aller direct on n’aura plus besoin de réempanner lui fais-je miroiter, il clame que de toutes façons on n’en aurait pas eu besoin (je le sais parfaitement, mais on peut toujours essayer), je lui rappelle néanmoins que j’ai empanné toute seule, quêtant, si ce n’est une caresse, un sourire, un mot, ça ne l’émeut aucunement, j’ai merdé, j’ai mis beaucoup trop de temps pour changer de cap, je le lui avoue puisque faute avouée est à moitié pardonnée (des clous), j’aurais dû y aller franco de 30 degrés direct, mais tu le sais enfin isabelle ! Ouais, maintenant que je l’ai fait je le sais, c’est bien ancré lui assuré-je, pour l’heure on navigue au travers et les vagues mouillent le bateau comme prévu, le capitaine n’a pas envie de se faire chahuter, il laisse tomber le mouillage envisagé et abat pour filer directement au portant sur le mouillage suivant, 10 miles de plus c’est peanuts, on se pose tranquillou, la prochaine fois j’enroulerai complètement le génois et pi c’est tout.

On voit très bien là où j’ai empanné magistralement, et au lieu d’aller sur Goldsmith Island (avec la marque bleue) après le passage dans Hillsborough Channel, on a continué sur Thomas Island :
On dirait pas, mais quand on se prend ça en travers ça mouille, c’est pour ça que le capitaine a mis un vêtement de pluie, ça veut tout dire
Le mouillage de Thomas Island, bien protégé, je vous le conseille 😉

19 juillet nous arrivons allègrement à Shaw Island, le vent ne manque pas, en passant Burning Point on voit 3 catas qui sont mouillés, on se demande où on va pouvoir se mettre pour être tranquille quand justement l’un s’en va alors que nous arrivons, et bin tiens on va aller prendre sa place, toujours du vent, ça va de 15 à 25 et il varie de direction comme (trop) souvent dans les mouillages, le capitaine me laisse la barre au ralenti et s’en va le nez au vent à l’avant du bateau pour descendre l’ancre, j’attends benoîtement qu’il me fasse signe d’arrêter le bateau pour lâcher la pioche, il est loin le temps où je flippais en arrivant dans un mouillage paisible, mal va m’en prendre mais attendez, au lieu de ça il est toujours debout et me fait signe d’aller à gauche, un cueing visuel qu’on appelle ça en fitness, je pousse la barre, et là paf une rafale, je me fais direct embarquer par le vent qui nous pousse à droite
Hurlement.


Le capitaine revient dans le cockpit énervé comme un chien à qui on a chipé son os, il jappe à mes oreilles, fait faire demi-tour au bateau en braillant que j’allais me foutre sur le cata, m’enfin j’aurais réagi s’il y avait eu péril en la demeure, mais je ne dis rien parce que sinon il n’est pas prêt d’enrayer son disque, il repart à l’avant descendre l’ancre, furax, on finit par mouiller, il me crie d’avancer et on peut sentir à 10 lieues à la ronde que ça lui coûte de me solliciter :

– vers où ?

– avancer !!! Ça veut dire vers l’avant !!!

D’accooooooord, j’avance, je ne sais pas pourquoi je dois avancer donc je garde la barre droite puisqu’il veut que j’aille vers l’avant, mais le vent pousse le bateau d’un côté alors on part à gauche, puis de l’autre alors on part à droite, mais c’est toujours vers l’avant puisque la barre est droite et que l’avant c’est l’étrave, je m’en fous à un point qui lui ferait de la peine s’il le savait, j’obéis juste à son vers l’avant

– Point mort !!! (Tu m’étonnes)

Je mets le point mort, il finit par me demander de venir l’aider, haha aurait-on besoin de l’aide d’une aussi mauvaise équipière, je viens, l’aide pour protéger la coque de la main de fer et c’est fait en 10 secondes, je repars à l’arrière sans le regarder, j’ai juste envie de tomber dans un abîme sans fin où plus jamais personne ne m’engueulera pour une broutille, il y a eu une rafale quand on était au ralenti et ça a embarqué le bateau, où est le problème qu’il a fallu ensuite recommencer, mais où est le problème ?! Que le marin qui ne s’est jamais fait embarquer par une rafale au mouillage me jette la première bouteille de rhum !

Fidèle à lui-même qui se repent de ses emportements, il arrive derrière moi un peu plus tard et, penaud, m’entoure de ses bras

– pardon d’avoir crié

– ….

– …

– Ça sert à quoi de crier ?

Je lui ai déjà expliqué, et vous le savez, encore et encore, qu’à part stresser moi et bousiller l’ambiance, ça ne sert à rien du tout, il le sait mais il crie, une habitude, une sale manie (Monsieur et Madame Teuzmanie ont un fils, comment s’appelle t’il) (Gédéon), je ne lui dis pas que ça me donne envie de me laisser tomber en arrière dans l’eau et de sombrer, d’oublier les cris, d’oublier la vie, il hausserait les épaules, il dirait que je suis bien une fille, juste une fille, qu’il ne comprend pas les filles, le soir il a mal au ventre :

– C’est parce que je t’ai énervé dis-je avec un grand sourire

– Ouais ! Mais toi t’as pas mal ! … … (il descend la descente qui s’appelle descente même quand on la monte) … toi t’as mal au coeur …
Oui.

Mais avant ça, l’après-midi on a essayé le nouveau moteur, lui toujours ronchon avec l’œil bas et lourd qui pèse comme un couvercle, moi triste comme une équipière sur qui un capitaine a crié (y’a pas pire, capitaines du monde entier, sachez le), il marche mais il fume (le moteur), c’est un 2 temps au lieu d’un 4 temps (j’espère que j’ai bien retenu) donc il y a de l’huile dans l’essence comme dans les mobs de mon adolescence, et le réservoir est à côté du moteur, 20 litres, quand on arrive sur la plage il n’y a pas de fond alors on doit tirer l’annexe et ces 20 litres ça pèse, on le fait sans un mot, avant de s’arrêter de concert dans un râle épuisé, nos coudes tout distendus par l’effort

– Fait chier ! En plus c’est marée montante … dit-il d’un ton hargneux des plus rebutant (si même la marée est contre lui, où va le monde)

– Ah non, j’ai vu sur Navionics qu’elle sera basse à 17h34 (espérons que ça va lui mettre du baume au cœur)

– Ouais, à Mackay, pas ici ! (mon cul)

– Non, j’ai regardé sur une île juste avant celle là donc …

Il ne m’écoute plus et est parti, il se retourne a peine

– Assieds toi sur l’annexe !

Il dit qu’il ne veut pas que je marche pieds nus ici, tu parles, il a envie de rester seul pour cuver sa rage pendant que je garde l’annexe, il argumente en s’éloignant, c’est l’Australie vous comprenez, il y a des crocodiles et des tas de bestioles dangereuses, des mygales, des veuves noires et des tarentules qui viennent jusque dans les maisons se planquer dans les chiottes, l’horreur quand ça te remonte sur la cuisse pendant que tu fais pipi, je m’assieds sur l’annexe bien que ça soit visible que la mer descend, on pourrait se croire en Bretagne avec cette marée basse très longue qui dénude la vase, je vois le capitaine arrêté au loin devant un panneau puis qui marche le long de la plage, tandis que l’eau se retire et que la marée continue de descendre, toute une vie émerge et grouille, des Bernard l’Ermite et des autres qui leur ressemblent mais ont une longue antenne qui balaie l’avant de leur minuscule coquille et une espèce de plume de paon qui dépassent derrière, et puis je vois passer une espèce de moucan ou de tenard (mouette-canard) qui court sur ses petites pattes et a un long bec très rouge, le capitaine revient et me tire de ce spectacle pour tirer l’annexe jusqu’à l’eau avant que ça ne descende encore plus, aucun commentaire sur les horaires de marée, le nouveau moteur a du mal à repartir, le capitaine déverse son trop-plein de haine sur ce fichu moteur et se rassérène finalement quand celui-ci se met à ronronner tout en nous enfumant (vent de dos), le soir venu, le capitaine m’a détristée, il sait très bien me détrister. Très bien.

On n’avait pas été bien loin
Un peu rouleur ce joli mouillage

20 juillet, on continue, le bateau roule (de roulis), la position debout est on ne peut plus instable, le capitaine passe près de moi, je saute à sa perpendiculaire en mettant les bras en croix pour le laisser passer :

– Qu’est-ce que tu fais ?

– L’acrobate ! Le clown !

– Aaah je croyais que tu faisais le gendarme

De la vision des choses, on ne le dira jamais assez, en plus je serais presque vexée, où est-ce qu’on a vu que je pouvais même de loin avoir le début d’un comportement de gendarme ?!

Nous nous posons à Whitehaven beach, ze place to bi du coin, c’est touristique et il y a une douzaine de bateaux mouillés, le ciel est couvert et quand on n’est pas à l’abri du vent on met sa petite laine, il y a un peu de people qui finit par remonter sur le traine-couillons à moteur, quand tout le monde est parti la plage est à nous, c’est le luxe, les couillons c’est comme les cons et l’enfer, c’est les autres, le sable est plus fin que fin, il crisse sous les pas, c’est le sable le plus fin du monde, plus fin que de la farine, encore un cadeau du ciel.

On se caille un peu je dois dire
Mettez le son ! (La trace de pas en haut à👆 gauche de l’image me rappelle le jeu du kadélioscope de Denise Fabre) (ça nous rajeunit pas)

Quand on rentre au bateau, ça roule toujours autant, ça va pas le faire pour roupiller, il fait bientôt nuit mais on a juste le temps de filer sur l’île en face (le coin est truffé d’îles) sur une bouée pour être tranquilles, tu parles, de 2h30 à 5h du matin le capitaine se lève et se relève, s’échine à bricoler l’amarrage parce qu’on cogne dans la bouée, le vent a tourné et nous pousse dans un sens mais le courant est contraire qui nous pousse dans l’autre, on rebondit sur la bouée comme un battant sur sa cloche, finalement je me lève aussi parce que pas possible de dormir avec ce boucan, qu’est-ce que c’est que ce cirque capitaine ! à nous deux on réussit à hisser la bouée hors de l’eau et on l’attache en l’air au bateau, on peut se rendormir et on le fait jusqu’à 9h.

21 juillet Sawmill Bay, superbe mouillage, et le lendemain, rando, c’est bon de marcher et de botaniser un peu, comme on change de mouillage tous les jours on n’a pas vraiment de temps pour visiter, en même temps la plupart des îles sont désertes et se ressemblent, mais bon, quand on peut ça fait plaize.

Il faut toujours grimper sur les îles :

mais arrivés en haut, ça vaut le coup d’œil à chaque fois, jamais déçus !

Je trie mes récoltes en revenant au bateau :

Propre et rangé le bateau !

Ensuite Airlie beach, petite bourgade balnéaire, il y a plein de bateaux qui naviguent dans le coin, c’est week-end et l’australien fait prendre l’air à son sailing vessel où à son hors-bord de pêche, le temps est couvert, frais, venteux, il pleut régulièrement, je me suis pris une vague dans le dos en manœuvrant et j’arrive transie au mouillage, les gars du coin sont torse nu sur leurs bateaux, i sont fous les australiens (et tout rouge sous l’assaut des éléments). Comme ici on a une bonne connexion, j’en profite pour travailler puisque vu le temps pourri nous sommes astreints à rester sur le bateau, le lendemain il flotte toujours mais il faut aller faire des courses pour remplir le frigo alors on y va sous la flotte après avoir écopé l’annexe, on est trempés, vent, pluie, froid, ici c’est l’hiver en même temps.

Du people au mouillage, du vent, du roulis, de la pluie
Des temps comme ça, ça donne de ces ciels et de ces lumières !

Puis direction Cap Gloucester, c’est venté et on se tape un passage très serrage-de-cul avec moins de 3 mètres de fond (sur la photo il y a encore 8 mètres mais ça remonte vite)

Le lendemain c’est encore pluvieux, c’est fou ce qu’on a comme flotte depuis qu’on est arrivés en Australie, on part sous un arc-en-ciel ciel pour Upstart Bay à 47 NM

La journée est sublime, on voit une baleine sauteuse au loin et j’ai même le temps d’aller prendre mon téléphone pour la filmer !

On passe devant Guthalungra (c’est mon iPhone qui le dit, sans ça je ne l’aurais jamais su) et ses empilements de roches incroyables :

Arrivés à Upstart Bay on mouille et on remouille parce qu’il y a des cailloux et que l’ancre ne tient pas, la 3eme est la bonne, et vous remarquerez que tout se passe dans la sérénité sinon je vous l’aurais dit, parfois les manœuvres sont orchestrées comme de véritables ballets chorégraphiés, ça glisse tout seul, c’est le genre de truc quand je le dis au capitaine il me répond que je me moque, sûrement pas, ça serait blasphématoire au possible.

Le jour d’après on se lève dès potron-minet car on a 69 NM à faire et on veut arriver de jour à Magnetic Island, sur Horseshoe Bay précisément (ça c’est pas mon iPhone mais le capitaine qui sait), on alterne génois tangonné et spi, une belle nav bien occupée, je n’ai pas vu ce qui était magnétique et c’est pas faute d’avoir cherché, avant d’aller le lendemain sur le mouillage de Lucinda via Orpheus Island (et ça je l’ai pompé sur le journal de bord du capitaine), là on mouille près du ponton et des barges à côté d’une usine, ce n’est pas très bucolique comme décor, en plus le ponton laisse passer la houle, le jour tombe et on ne va pas plus loin car il n’y a pas de fond, on passe une nuit pourrie tellement ça roule.

Pas très bucolique, certes, mais ça fait une superbe photo (c’est un ponton qui amène le sucre fabriqué par l’usine qui est une usine de canne à sucre)
Très rouleur
C’est fou parce que c’est quand même beau vous ne trouvez pas ?

En s’engageant le lendemain dans Hinchinbrook Channel, on voit un joli petit mouillage à peine plus loin, ça nous apprendra à mouiller trop tôt et à lire de traviole les avis sur ce mouillage parce que ça parlait d’un troquet sympa ce qui aurait dû nous mettre la puce à l’oreille car près du ponton il n’y avait pas plus de troquet sympa que de curé dans une mosquée.

Mangrove Island le 30 juillet, un peu le clou de la tournée, on emprunte Hinchinbrook Channel depuis le Sud à Lucinda jusqu’au Nord à Cardwell :

on va naviguer entre l’île Hinchinbrook et le continent
L’île Hinchinbrook (aussi appelée Pouandai par le peuple aborigène Biyaygiri) est située dans la région de la Cassowary Coast et l’état du Queensland, un peu de géo ne nuit pas
Et i fait pas chaud

On dirait un décor de théâtre planté là, comme si on avait posé des rangées de panneaux peints les uns derrière les autres pour donner de la profondeur à la scène :

Parfois on croit qu’un arbre flotte à la surface, et puis non :

Je ne vous dis pas ce que c’est, regardez la vidéo 😉

Quand on en sort : 5 noeuds de vent, 5 mètres de fond, on avance à 5 noeuds (on a mis le moteur + GV car au près serré), on déjeune peinards parce que ça relève presque d’une balade en barque le long du canal du midi, je fais un café pour le capitaine en le prévenant qu’il est chaud parce qu’il est frais, c’est Ionesco qui serait content.


On continue jusqu’à Maurilyan Harbour, il est 18 heures, la nuit tombe mais le vent et la pluie, eux, se sont levés, et là, étonnement, les bateaux sont mouillés cul au vent, c’est dingue ça, mais pourquoi ? c’est à cause du courant isabelle, et bien le courant doit y aller parce que le vent y va fort de son côté, en plus il n’y a pas de fond et plein de bateaux sont déjà mouillés, poïpoïpoï comment qu’on va faire, où qu’on va se mettre dis donc, on tournicote dans le mouillage pour aviser et on se pose pas trop loin d’un des voiliers dont le gars arrive aussi sec sur son pont en piaillant, on va finir par l’emboutir au changement de marée qu’il nous explique en anglais et très fort pour nous faire peur mais on voit bien que c’est lui qui a peur, on ne sait jamais dans ce genre de cas si on a affaire à un gars timoré genre qui prend un virage dans une bagnole électrique comme s’il était au volant d’un semi-remorque, à un qui ne veut pas de voisin et aimerait que tous les mouillages lui soient privatisés, ou à un marin sérieux qui connaît son affaire, il nous dit encore que faut pas rester là avec force gestes comme pour chasser les mouches, on s’en rend vite compte parce que le courant nous a déjà bien poussés vers lui, on lui fait un geste d’apaisement ok man, et on relève l’ancre pour aller un peu plus loin mais ça nous fait le même coup avec une bouée jaune, si on reste là on va s’entortiller autour aussi sûr que je ne sais plus où sont rangés les filtres à huile, 3eme tentative, le capitaine m’interpelle en urgence

– mais pourquoi tu mets la marche avant ?!

– parce que le courant me fait reculer et qu’il n’y a plus que 3 mètres de fond !

– ah ! c’est bieng ! ( liesse en nos cœurs)
On relève encore l’ancre et finalement on se pose dans le port au plus près de la digue, justement l’endroit que voulait éviter le capitaine, tout ça pour ne dormir que quelques heures et repartir quand il fait encore nuit, on a de la route jusqu’à Cairns.

Un gamin de 6 mois qui joue sur un télécran ? Non ! Nos errances dans ce mouillage, c’était rigolo
Mouillés dans le port, donc

Depuis notre arrivée, on trouve quand même que l’Australie, c’est humide …

Au moins, les cirés servent à quelque chose…
Faut pas se fier à l’éclaircie

Cairns ! Ça c’est le genre d’arrivée dont on ne peut que se rappeler ! La baie est gigantesque, pas de fond, l’eau a une couleur cuivrée kaki clair absolument sublime et unique

devant, le temps est couvert n’est-il pas

On arrive dans le chenal comme la cavalerie avec 25/30 noeuds au près, pluie diluvienne, marée basse, dès qu’on s’approche trop des bouées qui le délimitent, le fond remonte à 3 mètres, des cargos nous croisent ou nous doublent et on fait bien gaffe de s’écarter au maximum sans déborder du chenal, c’est interminable et Cairns est encore loin :

Loin et sous la flotte (et j’ai zoomé)

Je m’inquiète de savoir où et quand on pourra affaler, le capitaine trouve toujours qu’on aura l’espace donc le temps, je suis en général moins optimiste et en plus je déteste le faire à toute berzingue avec l’œil rivé sur le sondeur, une main sur la barre pour garder le bateau face au vent et l’autre à la drisse de GV pour la laisser filer pendant que le capitaine me crie alternativement choque ! doucement !!! face au vent ! lofe ! abats !! attends ! mais choque !! et que ça m’essouffle rien que de vous le raconter, mais bon, avant de prendre le coude du chenal qui va vers la marina on arrive à le faire, du moins en partie, le capitaine aurait aimé qu’on remonte la GV en entier avant d’affaler pour lâcher le ris, faut pas rêver, on n’a pas l’espace, on affale avec le ris et on verra plus tard.
On se pointe la gueule enfarinée à la marina, amarrage sans encombre (si), nous avions fort civilement fait une demande de réservation par mail, à la suite duquel il nous avait été demandé d’envoyer les clauses d’assurance du bateau, nous avions bien évidemment obtempéré et on nous avait répondu on ne sait pas trop quoi en anglais et aussi en nous expliquant qu’on ne voudrait pas de nous, ce n’est pas ça qui avait ébranlé le capitaine, donc il va à la capitainerie avec son sac jaune et son sourire dans sa bonne gueule, revient 1 heure après, le dit sourire figé comme une sauce gélatine au fond d’un plat : les cons, ils ne veulent pas de nous, s’il n’est pas explicitement écrit noir sur blanc dans les clauses d’assurance que si jamais le bateau coule dans la marina l’assurance paiera pour l’enlever, on n’a pas le droit de rester … c’est pour ça que la marina est aux 3/4 vide et que le mouillage en face est blindé de monde, bon, c’est sûr que d’être à la marina c’est plus facile pour aller se balader, faire les courses et laver le bateau, mais bon, le capitaine qui sait y faire a décroché le droit de faire le plein d’eau alors on le fait et on lave le bateau à grande eau avant de filer au mouillage de l’autre côté du chenal, chenal qui parait beaucoup plus large quand il faut le traverser comme on traverserait une autoroute à pied plutôt que quand on se faisait doubler par un cargo, en fait ce mouillage est dans un fleuve qui charrie de la vase et dans lequel il y a un courant très puissant, que ça soit à marée montante ou descendante, il n’y a que le sens qui change, on mouille avec le sens du courant contraire à celui du vent, ce qui est une belle chienlit et on doit s’y reprendre à deux fois parce qu’on ne sait pas ce que ça va donner une fois l’ancre posée, où est-ce que le bateau va s’immobiliser et qu’est-ce que ça peut donner quand le courant va s’inverser ? Ça sera marrant d’ailleurs parce qu’on verra tous les cas de figure possibles, on se retrouvera côte à côte avec un bateau qui était pourtant mouillé loin de nous, on verra parfois les lumières de Cairns par le capot de la cuisine et d’autres par celui des toilettes qui sont à l’opposé, le côté vraiment moins fun ça sera pour prendre la douche sur la jupe, en temps normal le bateau est face au vent donc on est à l’abri du vent pour se doucher, là on se prendra le vent en pleine poire et en plus il fait moche, frisquet il flotte un crachin très breton, faut être motivé pour se laver.

le mouillage est près du chenal comme je vous l’ai dit, et pour aller à terre, on le traverse à la perpendiculaire (je filme depuis le capot de la cuisine)

On attendait une éclaircie pour aller à terre :

La voilà ! Go !

On doit donc prendre l’annexe pour aller visiter Cairns, quand je dis visiter c’est un grand mot, il nous faut trouver un lavomatic et un supermarché, mais bon, on visitera un peu quand même, on regarde bien à droite et à gauche avant de traverser le chenal, moteur de l’annexe à fond pour éviter les ferries et cargos qui vont et viennent en faisant de la grosse vague (les gougniafiés !), nous attachons l’annexe et partons à la découverte de Cairns avec nos sacs de linge sale dans chaque main.

On y arrive à marée basse, c’est clair et net
Dedans c’est vert et joli

Et on continue déjà car on a encore beaucoup de miles à faire pour contourner cette immensité Australienne, le 2 août on s’arrête pour passer la nuit à Low islets, 20/25 noeuds, de la houle, et il faut attraper une bouée, je suis à la barre et c’est le capitaine qui doit l’attraper avec la gaffe, aujourd’hui je vais lui montrer de quel bois je suis faite et le laisser baba devant tant de maîtrise, je me répète mon plan presqu’en bougeant les lèvres : il y a du vent donc il faut que je laisse assez de gaz pour ne pas me faire embarquer et il suffira que je mette un bon coup de marche arrière pile devant la bouée pour arrêter le bateau afin que le capitaine la cueille du bout des doigts, gonflée à bloc j’arrive sur la bouée, le capitaine gueule

– tu arrives comme une balle ! Arrête le bateau !

C’était mon plan, il me coupe l’herbe sous le pied dis donc, allez hop marche arrière, il se penche et attrape la bouée, je crois que c’est gagné quand il se met à braire, il l’a lâchée, j’ai mis trop de gaz pour la marche arrière et le bateau a reculé

– on a perdu la gaffe enculé (e ?) !

– Oh regarde ! elle flotte ! (une putain de chance)

En miaulant comme un chat qui se coince la queue dans une porte, il me prend la barre des mains et m’envoie sur la jupe, approche le bateau à reculons, accroupie et me tenant d’une main, j’allonge mon bras libre et récupère la gaffe, il nous faudra encore 2 essais avant de réussir à choper la bouée, je tente de ramener le capitaine à de meilleurs sentiments envers ma personne :

– tu vois bien, j’apprends à chaque fois, petit à petit je maîtriserai de mieux en mieux le moteur, déjà là ça va de mieux en mieux quand même !

– C’est ça … (air las)

Il a fallu s’y reprendre et récupérer la gaffe
Un joli petit mouillage

3 août, le temps s’est dégagé, on part tôt pour Hope Island, la lune est levée :

Arrivée avec 30 noeuds de vent, glurps, sur bouée, glurps again, mais tenez-vous bien ! bon dosage moteur on la prend du premier coup, je répète : bouée du premier coup avec 30 noeuds et moi à la barre, qu’est-ce qu’on dit ? bin rien, c’est normal, c’est même le minimum, on ne va pas non plus s’attendre à un encouragement et puis quoi encore, ça bouge un peu mais ça ne roule pas, tant mieux parce que dans la soirée on a 35 noeuds établis, ça va encore forcir dans la nuit, on se lève à 6 heures, on a 65 NM à faire pour Lizard Island, on ne chôme pas (RAS, je ne m’étale pas)

À chaque fois le capitaine se demande si on va être protégé et la plupart du temps, on l’est, ici on passe une nuit super tranquille – c’est Hope Island sur la photo, et ça serait un comble qu’on ne puisse pas espérer un mouillage tranquille avec un nom pareil

5 août, lever 4 heures, 83 NM à faire, encore une baleine sauteuse (on a vu beaucoup de baleines, même des qui ne sautaient pas mais nageaient tout près de nous en faisant jaillir leur geyser de flotte) 2 cargos croisés, 1 autre qui nous appelle à la VHF car il va nous doubler, on est en plein dans un rail, c’est moi qui réponds et je reste muette face à ce que baragouine incompréhensiblement Tasman Spirit, je bondis dans le cockpit pour demander au capitaine s’il a compris puisqu’il y a un haut-parleur dans le cockpit, on pense qu’il nous prévient qu’il va nous doubler par un côté mais bon, lequel, on a du vent, 1 ris à la GV + génois tangonné et on fait des pointes à 12/13 noeuds, c’est dire que ça souffle, donc une éventuelle manœuvre prendrait un certain temps et Tasman Spirit arrive plein pot (suspense)

Ça avance plutôt bien

Je reprends la VHF, we are french and we didn’t understood, can you repeat slowly please, ah ! On comprend ce coup ci qu’il va nous doubler par starboard,

– c’est quel côté starboard ?!

– je ne sais plus si c’est bâbord ou tribord !

C’est bien la question.

On crie autant pour s’entendre que pressés par l’urgence, doit-on empanner pronto ou pas, je dévale dans le carré, ouvre un équipé et fouille dans les bouquins pour trouver le dico anglais/français, le feuillette aussi vite que possible avec mon index humidifié pour accrocher les feuilles,

– starboard ! J’ai ! C’est tribord !
et saute sur la VHF, ok for starboard, en même temps on s’en doutait vu son cap en arrivant près de nous, heureusement parce qu’on a pas besoin d’empanner, il y a d’autres cargos sur l’AIS mais on s’en fout, ils sont plus loin et on sort du rail avant qu’ils nous approchent, je préfère, le mouillage dans lequel on se pose est sauvage et beau, une fois le bateau rangé le capitaine me dit que je suis héroïque

– pffff ! n’importe quoi !

– mais si, tu fais tout bien et tu me supportes, tu es héroïque
J’en reviens pas dites donc, et je n’arrive plus à me rappeler pour quelle raison il a bien pu me dire ça, c’est ballot.

Sinon, une autre fois, un autre cargo nous a appelé pour nous demander s’il devait passer sur notre green board ou notre red board, et ça c’était vachement bien parce que green c’est tribord et red c’est bâbord, il devait être entraîné à causer avec des frenchies.

Tasman Spirit qui nous double par starbobard, le capitaine l’a ensuite appelé pour le remercier de son call comme on dit maintenant

En passant le Cap Melville il y a 40 noeuds (j’exagère, on a 39,7), au près bon plein ça déménage, le capitaine barre et s’éclate,

Passage du Cap Melville …
… au point N°6

On mouille un peu plus loin, à Flinders Island où tout est d’un calme, on n’en revient pas,

Pour être calme, c’est calme

Le jour suivant encore une étape de 65 NM jusqu’à Morris Island (quand je vous dis que c’est immense l’Australie)

Nous mîmes pied à terre et fîmes le tour de cette petite île, certes petite mais avec un reef très grand qui nous a bien protégé de la houle

7 août, de Morris Island à Cap Weymouth ça nous fait 60 NM, 25 noeuds et plus en rafale, je surveille tout ça tandis que le capitaine fait une sieste, tout d’un coup c’est n’importe quoi, le vent tourne et j’abats pour récupérer le coup mais le vent se fout de ma gueule, bordel j’abats et j’abats encore, on dirait que le vent tourne autour du bateau, la voix du capitaine s’élève du fond de sa couchette, qu’est-ce qui se passe ?!

– je sais pas, le vent tourne et ça n’arrête pas !
Soudain je me rends compte qu’au lieu d’abattre je lofais, je crois bien que j’ai besoin de dormir, il faut dire que c’est assez crevant ces navigations sans se poser plus de quelques heures, on se lève tôt, on navigue, on manœuvre, on mange, on dort et rebelote, en plus j’arrive pas à faire la sieste moi,

– ah c’est bon, j’ai corrigé, tu peux te rendormir !
La loose.

L’Australie est immense, vous le savez maintenant, mais humide comme je vous ai dit, et venteuse pour couronner le tout ! On notera habilement que la mer de Corail n’est jamais profonde à l’intérieur de la grande barrière

8 août vers le cap suivant, à savoir le cap Grenville à Margaret Bay, 50 NM
On longe le continent et malgré nos espérances il n’y a pas plus d’internet que de beurre au cul (expression du capitaine qui m’a mise en joie)
2 ris + trinquette quand le vent est passé à 35, encore des cargos, on calcule à quelle heure le cargo qui descend vers nous à 14 noeuds nous croisera, ça me rappelle les devoirs d’école, un train qui part de Paris et l’autre de Marseille, qui aurait cru que ça me servirait un jour sans même bosser à la SNCF.

Ça galope

9 août, Escape River, comme son nom l’indique on va mouiller dans une rivière, on y arrive au portant sous 30 noeuds de vent, avec 2 ris et le génois roulé et on avance quand même à 8 noeuds, c’est le courant qui nous pousse, le capitaine me fait fermer les écoutilles et mettre le gilet de sauvetage, ça se rétrécit et les fonds remontent, les vagues et le courant risquent de nous faire valser, et

– si on touche le fond ça va nous faire tout drôle ! Tiens toi isabelle !

Toucher le fond à cette vitesse ça serait pire que moyen , mais il faut bien avancer alors on avance, à un moment donné on n’a que 2,3 mètres de fond et on fonce toujours en klaxonnant à 8 noeuds sans pouvoir ralentir, on se regarde en serrant les mâchoires comme si ça pouvait arranger nos affaires, quand ça remonte à 3 on se marre, on a eu chaud aux fesses, on est encore une fois seul au mouillage mais ô surprise, plus tard un voilier vient mouiller un peu plus loin, c’est le premier que l’on voit depuis Cairns.

Le 10 on repart d’Escape River aux Laudes ou quasi, pour aller sur Seisia avec le passage du Cap York et du détroit de Torres … le DÉTROIT DE TORRES ! Ça fait tellement longtemps que j’en entends parler, quand les gens demandaient au capitaine c’est quoi la suite du programme il répondait invariablement la grande barrière de corail, l’Australie, détroit de Torres avec le regard perdu dans le vide comme s’il s’y voyait, ça m’est devenu mythique, alors aujourd’hui attention ça sent le mythe.

Pour s’y rendre on passe par le passage d’Albany, tout étroit entre 2 petites îles, pas de vagues, courant qui nous pousse, on marche à plus de 10 noeuds avec l’impression de se traîner, on n’en revient pas, ça fait attraction Disneyland en plein,

Passage d’Albany en vue
ce que ça donne sur Navionics

Et, enfin, on arrive au fameux détroit de Torres, on se prend des risées à 40 au travers, on prend un second ris, je prends des photos et demande plusieurs fois si c’est bien là, si on est bien en train de le passer, pas que je le loupe, si c’était bien ça et qu’on l’a passé, oui isabelle, oui oui oui !

C’est bien là
Le phare du Cap York (10° 41′ 14,32″ S, 142° 31′ 53,46″ E), au bout de la péninsule, point le plus septentrional de l’Australie, on y était

Même avec les jumelles on n’arrive pas à voir la Papouasie Nouvelle Guinée de l’autre côté du Détroit, mais bon, elle est tout de même à 80 NM, ça fait loin pour la voir, on n’y a pas mis les pattes parce que ça craint (piraterie contre des navires dans les eaux côtières, en particulier dans la baie de Milne et sa capitale, Alotau – fraudes liées aux cartes de crédit et aux guichets automatiques bancaires – détournements de voiture qui se produisent à Port Moresby et le long de l’autoroute entre Lae et l’aéroport Lae Nadzab – barrages routiers illégaux et agressions si on ne paye pas – agressions sexuelles, y compris viols collectifs – attaques contre des randonneurs, tensions interethniques qui provoquent des actes de violence… et serpents venimeux pour couronner le tout, le genre d’endroit où envoyer son emmerdeur de voisin qui tond sa pelouse un dimanche à 6h)

On notera que tout ce temps là nous naviguions le long des côtes du Queensland

Ce n’est pas qu’on est déjà las, mais faut bien continuer alors on enchaîne jusqu’à Seisia pour y mouiller, c’est tout petit le mouillage et il y a 3 bateaux, 1 voilier et 2 locaux à moteur, il n’y a pas de fond derrière ni devant ni des côtés, il va falloir se poser au milieu du triangle formé par ces 3 bateaux, au delà il n’y a pas de fond (je sais que je répète mais il faut bien cerner le contexte) :

il ne faut pas se fier à l’idée qu’on pourrait s’en faire, le diamètre du cercle dans lequel il est possible de mouiller est en gros délimité par ces 3 bateaux

Je suis à la barre et le capitaine à l’étrave, comme d’hab, on mouille, je pousse un gros soupir car une fois l’ancre ancrée on peut se détendre, mais le capitaine n’est pas content car le reef derrière nous n’est pas suffisamment loin à son goût, il a des doutes (il met la barre de la perfection très haut), on remonte l’ancre à mon grand dam et le vent aussi remonte, 30 noeuds, flûte, le capitaine me dit d’aller à droite mais à droite il y a le monocoque alors j’y vais mollo, le capitaine hurle de plus en plus fort À DROITE !! Mouif, c’est vague à droite, il veut aller où exactement, je dois être un peu conne parce que je me doute bien à l’entendre qu’on glisse sur la mauvaise pente mais que faire, je continue légèrement à droite pour lui faire plaisir mais trop peu visiblement parce qu’il revient presque en courant dans le cockpit en aboyant que je l’écoute pas, il me prend la barre, fait une marche arrière brutale comme si un boulet de canon arrivait sur le cockpit, recommence la manœuvre en allant se coller au monocoque (qui est vide et c’est tant mieux, ça nous évite des explications fumeuses avec eux) tout en criant encore et encore que je ne l’écoute pas, que je ne lui OBÉIS pas

je file à l’intérieur pour ne plus l’entendre, et il me balance

– et pas la peine de faire ta crise !

Je me retiens mais j’ai bien envie de lui demander c’est qui qui pique sa crise, respiration, respiration, ooooooohmmmmm, respiration, faire écran, s’isoler, ooooohmmmm …

– alors je le fais puisque tu ne veux pas m’aider et que tu ne m’écoutes pas et que tu ne vas pas à droite quand je te dis d’aller à droite !!!

Je reviens d’un saut dans le cockpit, ohm de mes couilles,

– mais ça veut dire quoi à droite ? Toi tu savais où tu voulais aller mais tu ne m’as pas dit où ! À droite c’est quoi ? À 10 degrés ? 30 ? 90 ? Pourquoi tu ne m’as pas dit d’aller à 10 mètres du bateau par exemple ? Ça c’est précis !

– T’as eu peur d’aller à droite et c’est tout ! T’as eu peur du bateau et tu ne m’écoutes pas ! (c’est pas faux)

On mouille l’ancre sans plus un mot, sans échanger un seul regard, nos âmes sont lourdes comme le temps, le grain annoncé par les rafales arrive, le capitaine marmonne qu’on rangera le bateau quand ça sera passé alors je rentre mais il reste sous la pluie pour ranger tout seul pendant que je cuisine le potiron derrière mes lunettes de soleil pour planquer mes yeux rougis

Plus tard le capitaine s’excuse, il n’aurait pas dû crier, il a gâché notre passage dans le détroit de Torres qu’il me dit,

– mais si tu m’avais dit d’aller au cul du bateau et que le vent me pousserait donc que ça ne craignait rien, j’aurais su qu’il fallait aller carrément à droite

– je suis un con, je ne suis pas pédagogue, j’aurais dû te dire qu’on recommençait la manœuvre et c’est tout, la prochaine fois je ferai comme ça, bon, on boit une bière pour fêter notre passage ?

On se partage une bière, il est désolé de voir mes yeux rouges, je suis désolée qu’il soit désolé, que de désolation, mais ça passe et puis voilà, à chaque fois j’apprends, ça va bien finir par être parfait à chaque fois bordel. Je songe de plus en plus sérieusement à investir dans un appareil pour communiquer en navigation, ça doit bien exister, une espèce de casque talkie-walkie pour lui demander où tu veux que j’aille exactement et qu’il me réponde précisément, histoire de huiler les rouages, bordel !

Enfin, ici on a de l’internet (ça console, c’est dingue) mais ça rame, on se croirait presque aux Gambier quand on avait de la 2G, mais à part cette modernité relative, Seisia c’est mort, il y règne une ambiance de désœuvrement pittoresque, des ados passent leur journée debout dans le sable à balancer mollement dans la mer un hameçon au bout d’une canne, des gars sont allongés pendant des heures à l’ombre du ponton, des pickups passent en envolant une poussière rouge qui retombe comme la vie qu’ils avaient mis le temps de leur passage pour aller voir le fameux Cap York, la station service est déserte et me fait penser à Bagdad Café :

Le supermarket
Et ses préconisations

Nous devons faire le plein d’eau et de nourriture, on balance les bidons dans l’annexe et faisons un premier voyage jusqu’à un terrain de camping qui possède un robinet à cet effet, revenons en les portant à bout de bras, 20 litres par bidon alors un seul aller-retour et on est naze, le capitaine veut changer de méthode, il va voir sur le ponton et bingo, il y a un robinet, donc on retourne vider nos bidons pleins dans les réservoirs du bateau et on revient avec les bidons vides sous le ponton, à marée basse, l’idée c’est de garer l’annexe là pour n’avoir qu’à monter par l’échelle avec les bidons vides et les redescendre pleins par le même chemin, je suis dubitative … on s’approche avec prudence entre les piliers du ponton mais les vagues nous poussent sur un pilier ou un autre, la surface des piliers est pleine de coquillages coupants, on attache l’annexe tant bien que mal et le capitaine me dit de rester dans l’annexe pour empêcher les vagues de la claquer sur un pilier et que les coques ne la déchirent, je me met debout dedans avec les mains sur un pilier et je me coupe les doigts, les essuie sur mon bermuda pour ne pas tâcher l’annexe, dieu m’en garde, pendant que je m’amuse à repousser l’annexe tout en évitant de faire du steak haché de mes doigts, le capitaine remplit les bidons et les descend tant bien que mal sur l’échelle, on réussit à les mettre dans l’annexe sans dégât et à sortir de dessous du ponton sans la déchirer, un vrai coup de bol. Je ne suis pas du tout certaine que de faire des allers-retours de cette sorte soit plus économique en temps et en énergie que de sortir le déssalinisateur du coffre arrière pour faire de l’eau, mais j’dis ça, j’dis rien.

Et puis courses, mangé dans le boui-boui du camping, pris le café au boui-boui d’art à côté qui fait du café et du thé où, chance, et je dois dire que la chance me sourit souvent, c’est là qu’on me renseigne sur les plantes de la médecine Bush du nord de la péninsule, le nord de l’Australie est peu habité et plutôt sauvage, pas de pharmacies à tous les coins de rues, pas beaucoup de rues à vrai dire, à se demander si c’est possible de choisir de venir vivre ici.

C’était vachement bon

Le 12 août on part de Seisia pour le Cap Wessel sur Marchinbar Island, 350 NM

Ça fait un bail qu’on n’a pas navigué de nuit, 160 degrés du vent, 20 noeuds, risées à 27/28, génois tangonné, soleil, easy … puis 15 noeuds, on avance à 7,5/8 … nous ne sommes pas encore dans la mer d’Arafura mais toujours dans Endeavour Strait, pas de fond, pas de vagues, easy easy easy ! Je fais part au capitaine de ma joie, ne rêve pas isabelle, tu verras quand on sera dans la mer, il sait mettre l’ambiance y’a pas à dire.

Le capitaine regarde où on en est avec ses doigts
Avant aujourd’hui, je ne savais même pas qu’il existait une mer Arafura

Entrons dans la mer d’Arafura à 14h35 et ça bouge tout de suite plus mais bon, rien à voir avec Baranquilla quand on naviguait au large de la Colombie.
Moins de 11 mètres de fond, les vagues ne sont pas hautes mais se suivent très serrées, et les fonds restent très hauts, on navigue plein ouest … pas plus de 60 mètres de fond au plus profond là où nous passons, c’est fou, c’est une grande piscine.

Le 14 août à 17h on mouille à Two Island Bay sur Marchinbar Island, ce qui nous permet de dormir tout notre saoul, seuls au mouillage, à part quelques cargos vus sur la ligne d’horizon, nous n’avons vu qu’un seul voilier, un seul ! depuis plusieurs jours, le nord de l’Australie n’est pas ce qu’on appelle une région de villégiature balnéaire…

Le capitaine nettoie la coque et on y reste un jour de plus pour qu’il fasse aussi la carène harnaché de son équipement de plongée, un travail de forçat à chaque fois, de mon côté je bosse, j’ai du retard avec tout ce qu’on a navigué et qui ne laisse vraiment pas le loisir pour autre chose.

Au scotch-brit
On va se dégourdir les mollets sur l’île, Cap de Miol est seul au mouillage
C’est un peu habité
On s’est demandé si ce n’était pas des traces de crocodile, j’ai bien regardé autour de moi pendant la balade (plus tard on m’a dit que non quand j’ai montré la photo alors je vous le dis)

Jeudi 17 on lève l’ancre à 17h pour Cap Crocker à 254 NM, grand largue jusqu’à 19h puis génois tangonné, cap au 273, on avance à 6 noeuds avec un vent de 12/15, le vendredi on a un courant de face de 0,5 noeud et avec un vent de 10 on n’avance plus qu’à 4,5, du coup, pour gagner du temps, le samedi au lieu de s’arrêter sur Cap Crocker on continue pour aller mouiller entre Smith Point et Black Point.

Il fait bien plus beau et bien plus chaud depuis qu’on a passé le détroit de Torrès

Dernière ligne droite pour Darwin dimanche 20 août, 135 NM, une rigolade, 25/30 noeuds, pointes à 32/33 au cap de Cobourg Peninsula, 1 ris sous GV, pas de génois car on va trop vite, on n’a que 130 NM à faire, le capitaine dit qu’on aurait dû mettre que le génois mais c’est trop tard.

Toujours pas de fond !

Il faut lofer alors on met le génois avec 2 ris pour équilibrer le gréement, le capitaine parle de le tangonner (on est à 140 du vent alors quand une vague fait abattre le bateau un tant soit peu, le génois claque) mais quoi m’exclamé je, dans moins de 13 miles on lofe encore alors le temps de monter tout le bastringue il sera presque temps de le démonter, le capitaine laisse tomber et j’en suis fort aise, on n’est pas en régate, merde.

Une fois le cap contourné, le vent descend, la mer se calme, on a 2 noeuds de courant de face, ça sent les embruns plein le nez, on croirait que c’est Noël et que ma tante Michèle et maman ouvrent les Marennes d’Oléron dans la cuisine en s’enfilant un verre de blanc, la mer est verte, l’atmosphère pleine de particules d’humidité qui étirent les couleurs comme un coup de pinceau, c’est unique, ça me fait toujours des émotions intenses, ces lieux improbables qui ne se mettent à exister que parce que je les découvre.

Quand on lofe encore pour passer la cap Don, on se fait dépaler à dache (sic) à cause du courant, en plus on est au près, si jusqu’ici vous ne connaissiez pas l’expression dépaler à dache, vous êtes comme moi, on en apprend tous les jours aux côtés du capitaine.
On tire des bords et puis le courant combiné au vent nous font prendre le bon cap, ça y est, on est dans le golfe Van Diemen,

Plus tard le vent tombe, on met le moteur et on avance à 8 noeuds avec le courant, on voit des marmites un peu partout, le voilier suédois qui était à 8 miles devant nous ce matin est à 6 miles derrière nous, on aura rarement atomisé quelqu’un comme ça.
Et plus que 5 noeuds, la mer frissonne comme à notre départ de Nouméa, je dis au capitaine que le vent c’est comme l’énergie qui court au niveau de la peau des êtres vivants, tout ce que je lui raconte à ce niveau là l’interpelle comme des évidences, le fait de l’énoncer lui en fait prendre conscience.
Le soir le ciel est rouge sang et la virgule de la lune brille avant toutes les étoiles, on ne parle jamais dans ces moments de grâce, mais c’est comme une prière …

Le capitaine me laisse dormir, quand il me réveille c’est pour accoster au ponton avant l’écluse de la marina de Cullen Bay, je bondis de ma couchette et cours partout les yeux pleins de sommeil pour mettre les amarres et les pare-battages, heureusement maintenant que j’ai l’habitude je le fais vite (et bien, surtout)

Darwin !

Le ponton est petit et il y a plusieurs bateaux qui sont même amarrés les uns aux autres par manque de place, des gars viennent nous dire de partir et d’aller mouiller plus loin, qu’on nous appellera à la VHF quand ça sera notre tour, malgré son charme légendaire le capitaine n’arrive à rien, l’australien est insensible au charme capitainérien, on s’en va mouiller plus loin, échange à la VHF avec un autre voilier au mouillage, il faudra retourner au ponton à 13h30 et s’amarrer contre eux, ok, on y retourne à l’heure dite, c’est marée basse et le chenal d’entrée est très étroit et très peu profond, on passe de justesse.

On voit que nous sommes allés au ponton, ressortis pour aller mouiller, revenus au ponton devant l’écluse pour entrer dans Cullen Bay Marina

Et on s’amarre pour attendre les douanes et la bio-sécurité car ici, même si on a déjà passé la bio-sécurité en arrivant en Australie, il faut recommencer car nous allons dans une marina fermée après avoir passé l’écluse, il ne faut pas apporter des coquilles collées sur le bateau ou dans les conduits, après une fouille du bateau et de nombreuses questions qui remplissent une fois de plus de nombreuses feuilles de papier avec les réponses identiques à celles que nous donnâmes moult fois, un gars saute à l’eau avec des bouteilles de liquide rose qu’il injecte dans la sortie des chiottes et du lavabo, on doit attendre 10 heures que ça fasse effet avant de pouvoir entrer dans la marina, nous passons la nuit au ponton.

Le lendemain, écluse ! Ça rappellerait un peu Panama sauf qu’il n’y a qu’une écluse, qu’elle est toute petite, que c’est le capitaine et moi qui gérons les amarres et que c’est fait en 10 minutes, on se dirige vers notre place attitrée, pas de vent, on se gare et on s’amarre d’autant plus facilement qu’au passage le capitaine a reconnu Maeva, un voilier qui était avec nous à Nouméa, on leur a fait signe bonjour et Cécile et Jonathan ont accouru pour nous aider à amarrer … le capitaine n’aime pas l’aide, saute ! Qu’il me crie tandis que je lance l’amarre à Cecile, je finis par sauter pour lui faire plaisir et Cécile me dit en douce qu’elle a le même sur son bateau, on se bidonnera comme deux gamines quand on se racontera nos capitaines le soir où on prendra l’apéro ensemble, on est soeurs de capitaine, elle me raconte des anecdotes et m’avoue que lorsqu’il crie ça la bloque complètement et qu’elle n’est plus bonne à rien, que son capitaine aussi crie plus fort quand il y a d’autres bateaux donc des témoins, les deux capitaines tendent l’oreille pour tenter de percevoir ce qui nous fait rire à ce point mais ils en sont pour leurs frais, ça nous aura fait du bien de partager ça.
Ils nous racontent aussi l’aventure d’un gars arrivé après eux, il avait un bateau en panne d’essence et avait réussi à se faire tracter jusqu’au ponton avant l’écluse de Cullen Bay, bateau avec pont en teck : la bio sécurité visite son bateau et voit une termite, ils ont l’œil, et plus tard quand ils reviennent avec un produit pour éradiquer les termites, le gars leur dit que c’est bon, qu’il a lavé le bateau, la bio sécu s’exclame, quoi ?!?! Il a balancé une termite à la flotte ?!?! Qui va aller se reproduire et envahir l’Australie d’une nouvelle race toxique ?!?! Ils ont fichu le mec dehors et l’ont banni à vie de l’Australie, interdiction d’y remettre les pieds, ça ne plaisante pas !

La marina est bien tranquille et ça fait du bien …

On le voit bien d’ici

Nous verrons peu Darwin mais tout de même, après avoir discuté avec le gars du poste à gasoil de la marina pendant que le capitaine faisait le plein, celui-ci m’ayant dit que c’est vrai qu’il y a des crocodiles partout, qu’on ne les voit pas mais que eux nous voient (ponctué d’un hochement de tête à la mine grave), que si on veut les voir il faut aller sur les plages la nuit avec une lampe torche et on verra leurs yeux cruels briller, j’ai dit au capitaine qu’on ne pouvait pas partir d’ici sans voir des crocodiles alors on a pris nos mini-vélos pour se balader dans Darwin et on a été voir les crocodiles, des vrais, vivants et tout et tout, à part eux, un soir en rentrant à la marina après avoir été faire quelques courses à perpète (encore une marina avec des bistrots et des magasins de souvenirs mais pas de supérette ni de boulangerie), j’ai vu une chauve-souris de là bas … pas une roussette hein, une chauve-souris avec des ailes immenses qui avaient l’air d’être faites en cuir de vache, Batman qui m’est passé à ras de la tête, j’ai accéléré le pas je peux vous le dire.

Son centre ville (c’est pas que c’est désert, c’est qu’il fait tellement chaud que tout le monde est à l’intérieur des bistrots climatisés)
Sa grande roue
Un trop chouette cinéma
… pour avertis
ses drôles d’oiseaux
et ses crocodiles

Nous laissons Cap de Miol à la marina pour 2 semaines car nous devons faire un aller-retour en France, j’ai des paperasses à signer et le capitaine a une vie en France + 3 jours de voyage aller et 3 retour, quand on reviendra ça sera ravitaillement et on repartira pour 4500 NM jusqu’aux Seychelles avec 2 arrêts de prévu sur la route.

On a volé dans un A380 !

Un tout petit plus parce que c’était déjà long :

  • Une marmite = un tourbillon, un vortex d’eau
  • voilà les chauve-souris australiennes (appelées renards volants) :

L’immensité australienne

l’Australie peut être considérée soit comme le plus petit continent, soit comme la plus grande île du monde

Prenez votre temps, il y a pas mal de lecture pour rattraper mon retard, alors on commence tout de suite : il nous faut aller de Mackay à Darwin, soit contourner 1/5ème de l’Australie, ça en fait des miles nautiques, mais nous allons faire aussi un peu de tourisme en navigant de mouillage en mouillage d’une île à l’autre derrière la grande barrière, le but étant de découvrir les Whitsunday, c’est toujours la capitaine qui se rencarde et me dit par où on va passer, je suis toujours d’accord, on s’en va toutes voiles dehors au portant, ce qui est une image car justement on se la joue feignant avec le génois seul, pas la peine de mettre la GV et de tangonner le génois pour de si courtes distances, comme je dis au capitaine on n’est pas des chevaux.

Pour la photo je n’ai pas du tout tracé notre parcours, c’est ma première fois sur Keynote sur ma tablette et pas sur mon PC sous Windows et PowerPoint, alors je rame un peu, mais au moins ça vous donne une idée du trajet

Le 18 juillet, date mémorable à inscrire d’une pierre blanche sur vos tablettes comme disait maman, le capitaine fait sa petite sieste en me laissant aux commandes, je lui ai dit, en jetant un œil (averti) sur Navionics, qu’il allait falloir empanner tôt ou tard, ouais mais pas tout de suite, d’accord mais je vois bien qu’on s’écarte de plus en plus de notre cap et que si j’attends trop ça va nous faire finir au travers, et vu la mer qu’il y a, ça sera moins rigolo, je prends mon courage à 2 mains et y vais pour mon premier empannage seule depuis le départ – on a que le génois alors c’est pas de jeu me direz-vous mais ! c’est pas si facile car il y a 26/29 noeuds de vent et je n’ai pas la GV pour le déventer, je ne veux surtout pas réveiller qui vous savez en manœuvrant, encore moins qu’il assiste à ma manœuvre, au secours, bon, je roule le génois à moitié pour qu’il passe entre son étai et celui de trinquette, c’est le capitaine qui dit qu’il n’y a pas besoin de l’enrouler complètement sinon je l’aurais fait, vous pensez bien, j’abats progressivement, prudence prudence, c’est trop progressif, beaucoup trop, le génois bat de l’aile et ça fait un boucan d’enfer, au lieu d’abattre encore plus franchement je continue à y aller pas à pas, je mets un temps fou, finis par dérouler le génois du bon côté en tirant la langue, toute cette hésitation s’est faite ressentir jusqu’à la moelle de chaque os du capitaine qui arrive grognon comme un gamin qu’on oblige à retourner à l’école en plein jeu de billes, je prends les devants en confessant que je sais que j’ai empanné trop tard (ce que je ne lui dis pas c’est que sous le coup de l’émotion je sens mes bras et mes cuisses qui tremblent), il enfonce le clou, c’est bien trop tard et on aura du chemin en plus ! en même temps on n’aura que 1,8 miles à faire de plus ai-je calculé sur Navionics avec le compas, c’est pas la mer à boire, et puis on peut y aller direct on n’aura plus besoin de réempanner lui fais-je miroiter, il clame que de toutes façons on n’en aurait pas eu besoin (je le sais parfaitement, mais on peut toujours essayer), je lui rappelle néanmoins que j’ai empanné toute seule, quêtant, si ce n’est une caresse, un sourire, un mot, ça ne l’émeut aucunement, j’ai merdé, j’ai mis beaucoup trop de temps pour changer de cap, je le lui avoue puisque faute avouée est à moitié pardonnée (des clous), j’aurais dû y aller franco de 30 degrés direct, mais tu le sais enfin isabelle ! Ouais, maintenant que je l’ai fait je le sais, c’est bien ancré lui assuré-je, pour l’heure on navigue au travers et les vagues mouillent le bateau comme prévu, le capitaine n’a pas envie de se faire chahuter, il laisse tomber le mouillage envisagé et abat pour filer directement au portant sur le mouillage suivant, 10 miles de plus c’est peanuts, on se pose tranquillou, la prochaine fois j’enroulerai complètement le génois et pi c’est tout.

On voit très bien là où j’ai empanné magistralement, et au lieu d’aller sur Goldsmith Island (avec la marque bleue) après le passage dans Hillsborough Channel, on a continué sur Thomas Island :
On dirait pas, mais quand on se prend ça en travers ça mouille, c’est pour ça que le capitaine a mis un vêtement de pluie, ça veut tout dire
Le mouillage de Thomas Island, bien protégé, je vous le conseille 😉

19 juillet nous arrivons allègrement à Shaw Island, le vent ne manque pas, en passant Burning Point on voit 3 catas qui sont mouillés, on se demande où on va pouvoir se mettre pour être tranquille quand justement l’un s’en va alors que nous arrivons, et bin tiens on va aller prendre sa place, toujours du vent, ça va de 15 à 25 et il varie de direction comme (trop) souvent dans les mouillages, le capitaine me laisse la barre au ralenti et s’en va le nez au vent à l’avant du bateau pour descendre l’ancre, j’attends benoîtement qu’il me fasse signe d’arrêter le bateau pour lâcher la pioche, il est loin le temps où je flippais en arrivant dans un mouillage paisible, mal va m’en prendre mais attendez, au lieu de ça il est toujours debout et me fait signe d’aller à gauche, un cueing visuel qu’on appelle ça en fitness, je pousse la barre, et là paf une rafale, je me fais direct embarquer par le vent qui nous pousse à droite
Hurlement.


Le capitaine revient dans le cockpit énervé comme un chien à qui on a chipé son os, il jappe à mes oreilles, fait faire demi-tour au bateau en braillant que j’allais me foutre sur le cata, m’enfin j’aurais réagi s’il y avait eu péril en la demeure, mais je ne dis rien parce que sinon il n’est pas prêt d’enrayer son disque, il repart à l’avant descendre l’ancre, furax, on finit par mouiller, il me crie d’avancer et on peut sentir à 10 lieues à la ronde que ça lui coûte de me solliciter :

– vers où ?

– avancer !!! Ça veut dire vers l’avant !!!

D’accooooooord, j’avance, je ne sais pas pourquoi je dois avancer donc je garde la barre droite puisqu’il veut que j’aille vers l’avant, mais le vent pousse le bateau d’un côté alors on part à gauche, puis de l’autre alors on part à droite, mais c’est toujours vers l’avant puisque la barre est droite et que l’avant c’est l’étrave, je m’en fous à un point qui lui ferait de la peine s’il le savait, j’obéis juste à son vers l’avant

– Point mort !!! (Tu m’étonnes)

Je mets le point mort, il finit par me demander de venir l’aider, haha aurait-on besoin de l’aide d’une aussi mauvaise équipière, je viens, l’aide pour protéger la coque de la main de fer et c’est fait en 10 secondes, je repars à l’arrière sans le regarder, j’ai juste envie de tomber dans un abîme sans fin où plus jamais personne ne m’engueulera pour une broutille, il y a eu une rafale quand on était au ralenti et ça a embarqué le bateau, où est le problème qu’il a fallu ensuite recommencer, mais où est le problème ?! Que le marin qui ne s’est jamais fait embarquer par une rafale au mouillage me jette la première bouteille de rhum !

Fidèle à lui-même qui se repent de ses emportements, il arrive derrière moi un peu plus tard et, penaud, m’entoure de ses bras

– pardon d’avoir crié

– ….

– …

– Ça sert à quoi de crier ?

Je lui ai déjà expliqué, et vous le savez, encore et encore, qu’à part stresser moi et bousiller l’ambiance, ça ne sert à rien du tout, il le sait mais il crie, une habitude, une sale manie (Monsieur et Madame Teuzmanie ont un fils, comment s’appelle t’il) (Gédéon), je ne lui dis pas que ça me donne envie de me laisser tomber en arrière dans l’eau et de sombrer, d’oublier les cris, d’oublier la vie, il hausserait les épaules, il dirait que je suis bien une fille, juste une fille, qu’il ne comprend pas les filles, le soir il a mal au ventre :

– C’est parce que je t’ai énervé dis-je avec un grand sourire

– Ouais ! Mais toi t’as pas mal ! … … (il descend la descente qui s’appelle descente même quand on la monte) … toi t’as mal au coeur …
Oui.

Mais avant ça, l’après-midi on a essayé le nouveau moteur, lui toujours ronchon avec l’œil bas et lourd qui pèse comme un couvercle, moi triste comme une équipière sur qui un capitaine a crié (y’a pas pire, capitaines du monde entier, sachez le), il marche mais il fume (le moteur), c’est un 2 temps au lieu d’un 4 temps (j’espère que j’ai bien retenu) donc il y a de l’huile dans l’essence comme dans les mobs de mon adolescence, et le réservoir est à côté du moteur, 20 litres, quand on arrive sur la plage il n’y a pas de fond alors on doit tirer l’annexe et ces 20 litres ça pèse, on le fait sans un mot, avant de s’arrêter de concert dans un râle épuisé, nos coudes tout distendus par l’effort

– Fait chier ! En plus c’est marée montante … dit-il d’un ton hargneux des plus rebutant (si même la marée est contre lui, où va le monde)

– Ah non, j’ai vu sur Navionics qu’elle sera basse à 17h34 (espérons que ça va lui mettre du baume au cœur)

– Ouais, à Mackay, pas ici ! (mon cul)

– Non, j’ai regardé sur une île juste avant celle là donc …

Il ne m’écoute plus et est parti, il se retourne a peine

– Assieds toi sur l’annexe !

Il dit qu’il ne veut pas que je marche pieds nus ici, tu parles, il a envie de rester seul pour cuver sa rage pendant que je garde l’annexe, il argumente en s’éloignant, c’est l’Australie vous comprenez, il y a des crocodiles et des tas de bestioles dangereuses, des mygales, des veuves noires et des tarentules qui viennent jusque dans les maisons se planquer dans les chiottes, l’horreur quand ça te remonte sur la cuisse pendant que tu fais pipi, je m’assieds sur l’annexe bien que ça soit visible que la mer descend, on pourrait se croire en Bretagne avec cette marée basse très longue qui dénude la vase, je vois le capitaine arrêté au loin devant un panneau puis qui marche le long de la plage, tandis que l’eau se retire et que la marée continue de descendre, toute une vie émerge et grouille, des Bernard l’Ermite et des autres qui leur ressemblent mais ont une longue antenne qui balaie l’avant de leur minuscule coquille et une espèce de plume de paon qui dépassent derrière, et puis je vois passer une espèce de moucan ou de tenard (mouette-canard) qui court sur ses petites pattes et a un long bec très rouge, le capitaine revient et me tire de ce spectacle pour tirer l’annexe jusqu’à l’eau avant que ça ne descende encore plus, aucun commentaire sur les horaires de marée, le nouveau moteur a du mal à repartir, le capitaine déverse son trop-plein de haine sur ce fichu moteur et se rassérène finalement quand celui-ci se met à ronronner tout en nous enfumant (vent de dos), le soir venu, le capitaine m’a détristée, il sait très bien me détrister. Très bien.

On n’avait pas été bien loin
Un peu rouleur ce joli mouillage

20 juillet, on continue, le bateau roule (de roulis), la position debout est on ne peut plus instable, le capitaine passe près de moi, je saute à sa perpendiculaire en mettant les bras en croix pour le laisser passer :

– Qu’est-ce que tu fais ?

– L’acrobate ! Le clown !

– Aaah je croyais que tu faisais le gendarme

De la vision des choses, on ne le dira jamais assez, en plus je serais presque vexée, où est-ce qu’on a vu que je pouvais même de loin avoir le début d’un comportement de gendarme ?!

Nous nous posons à Whitehaven beach, ze place to bi du coin, c’est touristique et il y a une douzaine de bateaux mouillés, le ciel est couvert et quand on n’est pas à l’abri du vent on met sa petite laine, il y a un peu de people qui finit par remonter sur le traine-couillons à moteur, quand tout le monde est parti la plage est à nous, c’est le luxe, les couillons c’est comme les cons et l’enfer, c’est les autres, le sable est plus fin que fin, il crisse sous les pas, c’est le sable le plus fin du monde, plus fin que de la farine, encore un cadeau du ciel.

On se caille un peu je dois dire
Mettez le son ! (La trace de pas en haut à👆 gauche de l’image me rappelle le jeu du kadélioscope de Denise Fabre) (ça nous rajeunit pas)

Quand on rentre au bateau, ça roule toujours autant, ça va pas le faire pour roupiller, il fait bientôt nuit mais on a juste le temps de filer sur l’île en face (le coin est truffé d’îles) sur une bouée pour être tranquilles, tu parles, de 2h30 à 5h du matin le capitaine se lève et se relève, s’échine à bricoler l’amarrage parce qu’on cogne dans la bouée, le vent a tourné et nous pousse dans un sens mais le courant est contraire qui nous pousse dans l’autre, on rebondit sur la bouée comme un battant sur sa cloche, finalement je me lève aussi parce que pas possible de dormir avec ce boucan, qu’est-ce que c’est que ce cirque capitaine ! à nous deux on réussit à hisser la bouée hors de l’eau et on l’attache en l’air au bateau, on peut se rendormir et on le fait jusqu’à 9h.

21 juillet Sawmill Bay, superbe mouillage, et le lendemain, rando, c’est bon de marcher et de botaniser un peu, comme on change de mouillage tous les jours on n’a pas vraiment de temps pour visiter, en même temps la plupart des îles sont désertes et se ressemblent, mais bon, quand on peut ça fait plaize.

Il faut toujours grimper sur les îles :

mais arrivés en haut, ça vaut le coup d’œil à chaque fois, jamais déçus !

Je trie mes récoltes en revenant au bateau :

Propre et rangé le bateau !

Ensuite Airlie beach, petite bourgade balnéaire, il y a plein de bateaux qui naviguent dans le coin, c’est week-end et l’australien fait prendre l’air à son sailing vessel où à son hors-bord de pêche, le temps est couvert, frais, venteux, il pleut régulièrement, je me suis pris une vague dans le dos en manœuvrant et j’arrive transie au mouillage, les gars du coin sont torse nu sur leurs bateaux, i sont fous les australiens (et tout rouge sous l’assaut des éléments). Comme ici on a une bonne connexion, j’en profite pour travailler puisque vu le temps pourri nous sommes astreints à rester sur le bateau, le lendemain il flotte toujours mais il faut aller faire des courses pour remplir le frigo alors on y va sous la flotte après avoir écopé l’annexe, on est trempés, vent, pluie, froid, ici c’est l’hiver en même temps.

Du people au mouillage, du vent, du roulis, de la pluie
Des temps comme ça, ça donne de ces ciels et de ces lumières !

Puis direction Cap Gloucester, c’est venté et on se tape un passage très serrage-de-cul avec moins de 3 mètres de fond (sur la photo il y a encore 8 mètres mais ça remonte vite)

Le lendemain c’est encore pluvieux, c’est fou ce qu’on a comme flotte depuis qu’on est arrivés en Australie, on part sous un arc-en-ciel ciel pour Upstart Bay à 47 NM

La journée est sublime, on voit une baleine sauteuse au loin et j’ai même le temps d’aller prendre mon téléphone pour la filmer !

On passe devant Guthalungra (c’est mon iPhone qui le dit, sans ça je ne l’aurais jamais su) et ses empilements de roches incroyables :

Arrivés à Upstart Bay on mouille et on remouille parce qu’il y a des cailloux et que l’ancre ne tient pas, la 3eme est la bonne, et vous remarquerez que tout se passe dans la sérénité sinon je vous l’aurais dit, parfois les manœuvres sont orchestrées comme de véritables ballets chorégraphiés, ça glisse tout seul, c’est le genre de truc quand je le dis au capitaine il me répond que je me moque, sûrement pas, ça serait blasphématoire au possible.

Le jour d’après on se lève dès potron-minet car on a 69 NM à faire et on veut arriver de jour à Magnetic Island, sur Horseshoe Bay précisément (ça c’est pas mon iPhone mais le capitaine qui sait), on alterne génois tangonné et spi, une belle nav bien occupée, je n’ai pas vu ce qui était magnétique et c’est pas faute d’avoir cherché, avant d’aller le lendemain sur le mouillage de Lucinda via Orpheus Island (et ça je l’ai pompé sur le journal de bord du capitaine), là on mouille près du ponton et des barges à côté d’une usine, ce n’est pas très bucolique comme décor, en plus le ponton laisse passer la houle, le jour tombe et on ne va pas plus loin car il n’y a pas de fond, on passe une nuit pourrie tellement ça roule.

Pas très bucolique, certes, mais ça fait une superbe photo (c’est un ponton qui amène le sucre fabriqué par l’usine qui est une usine de canne à sucre)
Très rouleur
C’est fou parce que c’est quand même beau vous ne trouvez pas ?

En s’engageant le lendemain dans Hinchinbrook Channel, on voit un joli petit mouillage à peine plus loin, ça nous apprendra à mouiller trop tôt et à lire de traviole les avis sur ce mouillage parce que ça parlait d’un troquet sympa ce qui aurait dû nous mettre la puce à l’oreille car près du ponton il n’y avait pas plus de troquet sympa que de curé dans une mosquée.

Mangrove Island le 30 juillet, un peu le clou de la tournée, on emprunte Hinchinbrook Channel depuis le Sud à Lucinda jusqu’au Nord à Cardwell :

on va naviguer entre l’île Hinchinbrook et le continent
L’île Hinchinbrook (aussi appelée Pouandai par le peuple aborigène Biyaygiri) est située dans la région de la Cassowary Coast et l’état du Queensland, un peu de géo ne nuit pas
Et i fait pas chaud

On dirait un décor de théâtre planté là, comme si on avait posé des rangées de panneaux peints les uns derrière les autres pour donner de la profondeur à la scène :

Parfois on croit qu’un arbre flotte à la surface, et puis non :

Je ne vous dis pas ce que c’est, regardez la vidéo 😉

Quand on en sort : 5 noeuds de vent, 5 mètres de fond, on avance à 5 noeuds (on a mis le moteur + GV car au près serré), on déjeune peinards parce que ça relève presque d’une balade en barque le long du canal du midi, je fais un café pour le capitaine en le prévenant qu’il est chaud parce qu’il est frais, c’est Ionesco qui serait content.


On continue jusqu’à Maurilyan Harbour, il est 18 heures, la nuit tombe mais le vent et la pluie, eux, se sont levés, et là, étonnement, les bateaux sont mouillés cul au vent, c’est dingue ça, mais pourquoi ? c’est à cause du courant isabelle, et bien le courant doit y aller parce que le vent y va fort de son côté, en plus il n’y a pas de fond et plein de bateaux sont déjà mouillés, poïpoïpoï comment qu’on va faire, où qu’on va se mettre dis donc, on tournicote dans le mouillage pour aviser et on se pose pas trop loin d’un des voiliers dont le gars arrive aussi sec sur son pont en piaillant, on va finir par l’emboutir au changement de marée qu’il nous explique en anglais et très fort pour nous faire peur mais on voit bien que c’est lui qui a peur, on ne sait jamais dans ce genre de cas si on a affaire à un gars timoré genre qui prend un virage dans une bagnole électrique comme s’il était au volant d’un semi-remorque, à un qui ne veut pas de voisin et aimerait que tous les mouillages lui soient privatisés, ou à un marin sérieux qui connaît son affaire, il nous dit encore que faut pas rester là avec force gestes comme pour chasser les mouches, on s’en rend vite compte parce que le courant nous a déjà bien poussés vers lui, on lui fait un geste d’apaisement ok man, et on relève l’ancre pour aller un peu plus loin mais ça nous fait le même coup avec une bouée jaune, si on reste là on va s’entortiller autour aussi sûr que je ne sais plus où sont rangés les filtres à huile, 3eme tentative, le capitaine m’interpelle en urgence

– mais pourquoi tu mets la marche avant ?!

– parce que le courant me fait reculer et qu’il n’y a plus que 3 mètres de fond !

– ah ! c’est bieng ! ( liesse en nos cœurs)
On relève encore l’ancre et finalement on se pose dans le port au plus près de la digue, justement l’endroit que voulait éviter le capitaine, tout ça pour ne dormir que quelques heures et repartir quand il fait encore nuit, on a de la route jusqu’à Cairns.

Un gamin de 6 mois qui joue sur un télécran ? Non ! Nos errances dans ce mouillage, c’était rigolo
Mouillés dans le port, donc

Depuis notre arrivée, on trouve quand même que l’Australie, c’est humide …

Au moins, les cirés servent à quelque chose…
Faut pas se fier à l’éclaircie

Cairns ! Ça c’est le genre d’arrivée dont on ne peut que se rappeler ! La baie est gigantesque, pas de fond, l’eau a une couleur cuivrée kaki clair absolument sublime et unique

devant, le temps est couvert n’est-il pas

On arrive dans le chenal comme la cavalerie avec 25/30 noeuds au près, pluie diluvienne, marée basse, dès qu’on s’approche trop des bouées qui le délimitent, le fond remonte à 3 mètres, des cargos nous croisent ou nous doublent et on fait bien gaffe de s’écarter au maximum sans déborder du chenal, c’est interminable et Cairns est encore loin :

Loin et sous la flotte (et j’ai zoomé)

Je m’inquiète de savoir où et quand on pourra affaler, le capitaine trouve toujours qu’on aura l’espace donc le temps, je suis en général moins optimiste et en plus je déteste le faire à toute berzingue avec l’œil rivé sur le sondeur, une main sur la barre pour garder le bateau face au vent et l’autre à la drisse de GV pour la laisser filer pendant que le capitaine me crie alternativement choque ! doucement !!! face au vent ! lofe ! abats !! attends ! mais choque !! et que ça m’essouffle rien que de vous le raconter, mais bon, avant de prendre le coude du chenal qui va vers la marina on arrive à le faire, du moins en partie, le capitaine aurait aimé qu’on remonte la GV en entier avant d’affaler pour lâcher le ris, faut pas rêver, on n’a pas l’espace, on affale avec le ris et on verra plus tard.
On se pointe la gueule enfarinée à la marina, amarrage sans encombre (si), nous avions fort civilement fait une demande de réservation par mail, à la suite duquel il nous avait été demandé d’envoyer les clauses d’assurance du bateau, nous avions bien évidemment obtempéré et on nous avait répondu on ne sait pas trop quoi en anglais et aussi en nous expliquant qu’on ne voudrait pas de nous, ce n’est pas ça qui avait ébranlé le capitaine, donc il va à la capitainerie avec son sac jaune et son sourire dans sa bonne gueule, revient 1 heure après, le dit sourire figé comme une sauce gélatine au fond d’un plat : les cons, ils ne veulent pas de nous, s’il n’est pas explicitement écrit noir sur blanc dans les clauses d’assurance que si jamais le bateau coule dans la marina l’assurance paiera pour l’enlever, on n’a pas le droit de rester … c’est pour ça que la marina est aux 3/4 vide et que le mouillage en face est blindé de monde, bon, c’est sûr que d’être à la marina c’est plus facile pour aller se balader, faire les courses et laver le bateau, mais bon, le capitaine qui sait y faire a décroché le droit de faire le plein d’eau alors on le fait et on lave le bateau à grande eau avant de filer au mouillage de l’autre côté du chenal, chenal qui parait beaucoup plus large quand il faut le traverser comme on traverserait une autoroute à pied plutôt que quand on se faisait doubler par un cargo, en fait ce mouillage est dans un fleuve qui charrie de la vase et dans lequel il y a un courant très puissant, que ça soit à marée montante ou descendante, il n’y a que le sens qui change, on mouille avec le sens du courant contraire à celui du vent, ce qui est une belle chienlit et on doit s’y reprendre à deux fois parce qu’on ne sait pas ce que ça va donner une fois l’ancre posée, où est-ce que le bateau va s’immobiliser et qu’est-ce que ça peut donner quand le courant va s’inverser ? Ça sera marrant d’ailleurs parce qu’on verra tous les cas de figure possibles, on se retrouvera côte à côte avec un bateau qui était pourtant mouillé loin de nous, on verra parfois les lumières de Cairns par le capot de la cuisine et d’autres par celui des toilettes qui sont à l’opposé, le côté vraiment moins fun ça sera pour prendre la douche sur la jupe, en temps normal le bateau est face au vent donc on est à l’abri du vent pour se doucher, là on se prendra le vent en pleine poire et en plus il fait moche, frisquet il flotte un crachin très breton, faut être motivé pour se laver.

le mouillage est près du chenal comme je vous l’ai dit, et pour aller à terre, on le traverse à la perpendiculaire (je filme depuis le capot de la cuisine)

On attendait une éclaircie pour aller à terre :

La voilà ! Go !

On doit donc prendre l’annexe pour aller visiter Cairns, quand je dis visiter c’est un grand mot, il nous faut trouver un lavomatic et un supermarché, mais bon, on visitera un peu quand même, on regarde bien à droite et à gauche avant de traverser le chenal, moteur de l’annexe à fond pour éviter les ferries et cargos qui vont et viennent en faisant de la grosse vague (les gougniafiés !), nous attachons l’annexe et partons à la découverte de Cairns avec nos sacs de linge sale dans chaque main.

On y arrive à marée basse, c’est clair et net
Dedans c’est vert et joli

Et on continue déjà car on a encore beaucoup de miles à faire pour contourner cette immensité Australienne, le 2 août on s’arrête pour passer la nuit à Low islets, 20/25 noeuds, de la houle, et il faut attraper une bouée, je suis à la barre et c’est le capitaine qui doit l’attraper avec la gaffe, aujourd’hui je vais lui montrer de quel bois je suis faite et le laisser baba devant tant de maîtrise, je me répète mon plan presqu’en bougeant les lèvres : il y a du vent donc il faut que je laisse assez de gaz pour ne pas me faire embarquer et il suffira que je mette un bon coup de marche arrière pile devant la bouée pour arrêter le bateau afin que le capitaine la cueille du bout des doigts, gonflée à bloc j’arrive sur la bouée, le capitaine gueule

– tu arrives comme une balle ! Arrête le bateau !

C’était mon plan, il me coupe l’herbe sous le pied dis donc, allez hop marche arrière, il se penche et attrape la bouée, je crois que c’est gagné quand il se met à braire, il l’a lâchée, j’ai mis trop de gaz pour la marche arrière et le bateau a reculé

– on a perdu la gaffe enculé (e ?) !

– Oh regarde ! elle flotte ! (une putain de chance)

En miaulant comme un chat qui se coince la queue dans une porte, il me prend la barre des mains et m’envoie sur la jupe, approche le bateau à reculons, accroupie et me tenant d’une main, j’allonge mon bras libre et récupère la gaffe, il nous faudra encore 2 essais avant de réussir à choper la bouée, je tente de ramener le capitaine à de meilleurs sentiments envers ma personne :

– tu vois bien, j’apprends à chaque fois, petit à petit je maîtriserai de mieux en mieux le moteur, déjà là ça va de mieux en mieux quand même !

– C’est ça … (air las)

Il a fallu s’y reprendre et récupérer la gaffe
Un joli petit mouillage

3 août, le temps s’est dégagé, on part tôt pour Hope Island, la lune est levée :

Arrivée avec 30 noeuds de vent, glurps, sur bouée, glurps again, mais tenez-vous bien ! bon dosage moteur on la prend du premier coup, je répète : bouée du premier coup avec 30 noeuds et moi à la barre, qu’est-ce qu’on dit ? bin rien, c’est normal, c’est même le minimum, on ne va pas non plus s’attendre à un encouragement et puis quoi encore, ça bouge un peu mais ça ne roule pas, tant mieux parce que dans la soirée on a 35 noeuds établis, ça va encore forcir dans la nuit, on se lève à 6 heures, on a 65 NM à faire pour Lizard Island, on ne chôme pas (RAS, je ne m’étale pas)

À chaque fois le capitaine se demande si on va être protégé et la plupart du temps, on l’est, ici on passe une nuit super tranquille – c’est Hope Island sur la photo, et ça serait un comble qu’on ne puisse pas espérer un mouillage tranquille avec un nom pareil

5 août, lever 4 heures, 83 NM à faire, encore une baleine sauteuse (on a vu beaucoup de baleines, même des qui ne sautaient pas mais nageaient tout près de nous en faisant jaillir leur geyser de flotte) 2 cargos croisés, 1 autre qui nous appelle à la VHF car il va nous doubler, on est en plein dans un rail, c’est moi qui réponds et je reste muette face à ce que baragouine incompréhensiblement Tasman Spirit, je bondis dans le cockpit pour demander au capitaine s’il a compris puisqu’il y a un haut-parleur dans le cockpit, on pense qu’il nous prévient qu’il va nous doubler par un côté mais bon, lequel, on a du vent, 1 ris à la GV + génois tangonné et on fait des pointes à 12/13 noeuds, c’est dire que ça souffle, donc une éventuelle manœuvre prendrait un certain temps et Tasman Spirit arrive plein pot (suspense)

Ça avance plutôt bien

Je reprends la VHF, we are french and we didn’t understood, can you repeat slowly please, ah ! On comprend ce coup ci qu’il va nous doubler par starboard,

– c’est quel côté starboard ?!

– je ne sais plus si c’est bâbord ou tribord !

C’est bien la question.

On crie autant pour s’entendre que pressés par l’urgence, doit-on empanner pronto ou pas, je dévale dans le carré, ouvre un équipé et fouille dans les bouquins pour trouver le dico anglais/français, le feuillette aussi vite que possible avec mon index humidifié pour accrocher les feuilles,

– starboard ! J’ai ! C’est tribord !
et saute sur la VHF, ok for starboard, en même temps on s’en doutait vu son cap en arrivant près de nous, heureusement parce qu’on a pas besoin d’empanner, il y a d’autres cargos sur l’AIS mais on s’en fout, ils sont plus loin et on sort du rail avant qu’ils nous approchent, je préfère, le mouillage dans lequel on se pose est sauvage et beau, une fois le bateau rangé le capitaine me dit que je suis héroïque

– pffff ! n’importe quoi !

– mais si, tu fais tout bien et tu me supportes, tu es héroïque
J’en reviens pas dites donc, et je n’arrive plus à me rappeler pour quelle raison il a bien pu me dire ça, c’est ballot.

Sinon, une autre fois, un autre cargo nous a appelé pour nous demander s’il devait passer sur notre green board ou notre red board, et ça c’était vachement bien parce que green c’est tribord et red c’est bâbord, il devait être entraîné à causer avec des frenchies.

Tasman Spirit qui nous double par starbobard, le capitaine l’a ensuite appelé pour le remercier de son call comme on dit maintenant

En passant le Cap Melville il y a 40 noeuds (j’exagère, on a 39,7), au près bon plein ça déménage, le capitaine barre et s’éclate,

Passage du Cap Melville …
… au point N°6

On mouille un peu plus loin, à Flinders Island où tout est d’un calme, on n’en revient pas,

Pour être calme, c’est calme

Le jour suivant encore une étape de 65 NM jusqu’à Morris Island (quand je vous dis que c’est immense l’Australie)

Nous mîmes pied à terre et fîmes le tour de cette petite île, certes petite mais avec un reef très grand qui nous a bien protégé de la houle

7 août, de Morris Island à Cap Weymouth ça nous fait 60 NM, 25 noeuds et plus en rafale, je surveille tout ça tandis que le capitaine fait une sieste, tout d’un coup c’est n’importe quoi, le vent tourne et j’abats pour récupérer le coup mais le vent se fout de ma gueule, bordel j’abats et j’abats encore, on dirait que le vent tourne autour du bateau, la voix du capitaine s’élève du fond de sa couchette, qu’est-ce qui se passe ?!

– je sais pas, le vent tourne et ça n’arrête pas !
Soudain je me rends compte qu’au lieu d’abattre je lofais, je crois bien que j’ai besoin de dormir, il faut dire que c’est assez crevant ces navigations sans se poser plus de quelques heures, on se lève tôt, on navigue, on manœuvre, on mange, on dort et rebelote, en plus j’arrive pas à faire la sieste moi,

– ah c’est bon, j’ai corrigé, tu peux te rendormir !
La loose.

L’Australie est immense, vous le savez maintenant, mais humide comme je vous ai dit, et venteuse pour couronner le tout ! On notera habilement que la mer de Corail n’est jamais profonde à l’intérieur de la grande barrière

8 août vers le cap suivant, à savoir le cap Grenville à Margaret Bay, 50 NM
On longe le continent et malgré nos espérances il n’y a pas plus d’internet que de beurre au cul (expression du capitaine qui m’a mise en joie)
2 ris + trinquette quand le vent est passé à 35, encore des cargos, on calcule à quelle heure le cargo qui descend vers nous à 14 noeuds nous croisera, ça me rappelle les devoirs d’école, un train qui part de Paris et l’autre de Marseille, qui aurait cru que ça me servirait un jour sans même bosser à la SNCF.

Ça galope

9 août, Escape River, comme son nom l’indique on va mouiller dans une rivière, on y arrive au portant sous 30 noeuds de vent, avec 2 ris et le génois roulé et on avance quand même à 8 noeuds, c’est le courant qui nous pousse, le capitaine me fait fermer les écoutilles et mettre le gilet de sauvetage, ça se rétrécit et les fonds remontent, les vagues et le courant risquent de nous faire valser, et

– si on touche le fond ça va nous faire tout drôle ! Tiens toi isabelle !

Toucher le fond à cette vitesse ça serait pire que moyen , mais il faut bien avancer alors on avance, à un moment donné on n’a que 2,3 mètres de fond et on fonce toujours en klaxonnant à 8 noeuds sans pouvoir ralentir, on se regarde en serrant les mâchoires comme si ça pouvait arranger nos affaires, quand ça remonte à 3 on se marre, on a eu chaud aux fesses, on est encore une fois seul au mouillage mais ô surprise, plus tard un voilier vient mouiller un peu plus loin, c’est le premier que l’on voit depuis Cairns.

Le 10 on repart d’Escape River aux Laudes ou quasi, pour aller sur Seisia avec le passage du Cap York et du détroit de Torres … le DÉTROIT DE TORRES ! Ça fait tellement longtemps que j’en entends parler, quand les gens demandaient au capitaine c’est quoi la suite du programme il répondait invariablement la grande barrière de corail, l’Australie, détroit de Torres avec le regard perdu dans le vide comme s’il s’y voyait, ça m’est devenu mythique, alors aujourd’hui attention ça sent le mythe.

Pour s’y rendre on passe par le passage d’Albany, tout étroit entre 2 petites îles, pas de vagues, courant qui nous pousse, on marche à plus de 10 noeuds avec l’impression de se traîner, on n’en revient pas, ça fait attraction Disneyland en plein,

Passage d’Albany en vue
ce que ça donne sur Navionics

Et, enfin, on arrive au fameux détroit de Torres, on se prend des risées à 40 au travers, on prend un second ris, je prends des photos et demande plusieurs fois si c’est bien là, si on est bien en train de le passer, pas que je le loupe, si c’était bien ça et qu’on l’a passé, oui isabelle, oui oui oui !

C’est bien là
Le phare du Cap York (10° 41′ 14,32″ S, 142° 31′ 53,46″ E), au bout de la péninsule, point le plus septentrional de l’Australie, on y était

Même avec les jumelles on n’arrive pas à voir la Papouasie Nouvelle Guinée de l’autre côté du Détroit, mais bon, elle est tout de même à 80 NM, ça fait loin pour la voir, on n’y a pas mis les pattes parce que ça craint (piraterie contre des navires dans les eaux côtières, en particulier dans la baie de Milne et sa capitale, Alotau – fraudes liées aux cartes de crédit et aux guichets automatiques bancaires – détournements de voiture qui se produisent à Port Moresby et le long de l’autoroute entre Lae et l’aéroport Lae Nadzab – barrages routiers illégaux et agressions si on ne paye pas – agressions sexuelles, y compris viols collectifs – attaques contre des randonneurs, tensions interethniques qui provoquent des actes de violence… et serpents venimeux pour couronner le tout, le genre d’endroit où envoyer son emmerdeur de voisin qui tond sa pelouse un dimanche à 6h)

On notera que tout ce temps là nous naviguions le long des côtes du Queensland

Ce n’est pas qu’on est déjà las, mais faut bien continuer alors on enchaîne jusqu’à Seisia pour y mouiller, c’est tout petit le mouillage et il y a 3 bateaux, 1 voilier et 2 locaux à moteur, il n’y a pas de fond derrière ni devant ni des côtés, il va falloir se poser au milieu du triangle formé par ces 3 bateaux, au delà il n’y a pas de fond (je sais que je répète mais il faut bien cerner le contexte) :

il ne faut pas se fier à l’idée qu’on pourrait s’en faire, le diamètre du cercle dans lequel il est possible de mouiller est en gros délimité par ces 3 bateaux

Je suis à la barre et le capitaine à l’étrave, comme d’hab, on mouille, je pousse un gros soupir car une fois l’ancre ancrée on peut se détendre, mais le capitaine n’est pas content car le reef derrière nous n’est pas suffisamment loin à son goût, il a des doutes (il met la barre de la perfection très haut), on remonte l’ancre à mon grand dam et le vent aussi remonte, 30 noeuds, flûte, le capitaine me dit d’aller à droite mais à droite il y a le monocoque alors j’y vais mollo, le capitaine hurle de plus en plus fort À DROITE !! Mouif, c’est vague à droite, il veut aller où exactement, je dois être un peu conne parce que je me doute bien à l’entendre qu’on glisse sur la mauvaise pente mais que faire, je continue légèrement à droite pour lui faire plaisir mais trop peu visiblement parce qu’il revient presque en courant dans le cockpit en aboyant que je l’écoute pas, il me prend la barre, fait une marche arrière brutale comme si un boulet de canon arrivait sur le cockpit, recommence la manœuvre en allant se coller au monocoque (qui est vide et c’est tant mieux, ça nous évite des explications fumeuses avec eux) tout en criant encore et encore que je ne l’écoute pas, que je ne lui OBÉIS pas

je file à l’intérieur pour ne plus l’entendre, et il me balance

– et pas la peine de faire ta crise !

Je me retiens mais j’ai bien envie de lui demander c’est qui qui pique sa crise, respiration, respiration, ooooooohmmmmm, respiration, faire écran, s’isoler, ooooohmmmm …

– alors je le fais puisque tu ne veux pas m’aider et que tu ne m’écoutes pas et que tu ne vas pas à droite quand je te dis d’aller à droite !!!

Je reviens d’un saut dans le cockpit, ohm de mes couilles,

– mais ça veut dire quoi à droite ? Toi tu savais où tu voulais aller mais tu ne m’as pas dit où ! À droite c’est quoi ? À 10 degrés ? 30 ? 90 ? Pourquoi tu ne m’as pas dit d’aller à 10 mètres du bateau par exemple ? Ça c’est précis !

– T’as eu peur d’aller à droite et c’est tout ! T’as eu peur du bateau et tu ne m’écoutes pas ! (c’est pas faux)

On mouille l’ancre sans plus un mot, sans échanger un seul regard, nos âmes sont lourdes comme le temps, le grain annoncé par les rafales arrive, le capitaine marmonne qu’on rangera le bateau quand ça sera passé alors je rentre mais il reste sous la pluie pour ranger tout seul pendant que je cuisine le potiron derrière mes lunettes de soleil pour planquer mes yeux rougis

Plus tard le capitaine s’excuse, il n’aurait pas dû crier, il a gâché notre passage dans le détroit de Torres qu’il me dit,

– mais si tu m’avais dit d’aller au cul du bateau et que le vent me pousserait donc que ça ne craignait rien, j’aurais su qu’il fallait aller carrément à droite

– je suis un con, je ne suis pas pédagogue, j’aurais dû te dire qu’on recommençait la manœuvre et c’est tout, la prochaine fois je ferai comme ça, bon, on boit une bière pour fêter notre passage ?

On se partage une bière, il est désolé de voir mes yeux rouges, je suis désolée qu’il soit désolé, que de désolation, mais ça passe et puis voilà, à chaque fois j’apprends, ça va bien finir par être parfait à chaque fois bordel. Je songe de plus en plus sérieusement à investir dans un appareil pour communiquer en navigation, ça doit bien exister, une espèce de casque talkie-walkie pour lui demander où tu veux que j’aille exactement et qu’il me réponde précisément, histoire de huiler les rouages, bordel !

Enfin, ici on a de l’internet (ça console, c’est dingue) mais ça rame, on se croirait presque aux Gambier quand on avait de la 2G, mais à part cette modernité relative, Seisia c’est mort, il y règne une ambiance de désœuvrement pittoresque, des ados passent leur journée debout dans le sable à balancer mollement dans la mer un hameçon au bout d’une canne, des gars sont allongés pendant des heures à l’ombre du ponton, des pickups passent en envolant une poussière rouge qui retombe comme la vie qu’ils avaient mis le temps de leur passage pour aller voir le fameux Cap York, la station service est déserte et me fait penser à Bagdad Café :

Le supermarket
Et ses préconisations

Nous devons faire le plein d’eau et de nourriture, on balance les bidons dans l’annexe et faisons un premier voyage jusqu’à un terrain de camping qui possède un robinet à cet effet, revenons en les portant à bout de bras, 20 litres par bidon alors un seul aller-retour et on est naze, le capitaine veut changer de méthode, il va voir sur le ponton et bingo, il y a un robinet, donc on retourne vider nos bidons pleins dans les réservoirs du bateau et on revient avec les bidons vides sous le ponton, à marée basse, l’idée c’est de garer l’annexe là pour n’avoir qu’à monter par l’échelle avec les bidons vides et les redescendre pleins par le même chemin, je suis dubitative … on s’approche avec prudence entre les piliers du ponton mais les vagues nous poussent sur un pilier ou un autre, la surface des piliers est pleine de coquillages coupants, on attache l’annexe tant bien que mal et le capitaine me dit de rester dans l’annexe pour empêcher les vagues de la claquer sur un pilier et que les coques ne la déchirent, je me met debout dedans avec les mains sur un pilier et je me coupe les doigts, les essuie sur mon bermuda pour ne pas tâcher l’annexe, dieu m’en garde, pendant que je m’amuse à repousser l’annexe tout en évitant de faire du steak haché de mes doigts, le capitaine remplit les bidons et les descend tant bien que mal sur l’échelle, on réussit à les mettre dans l’annexe sans dégât et à sortir de dessous du ponton sans la déchirer, un vrai coup de bol. Je ne suis pas du tout certaine que de faire des allers-retours de cette sorte soit plus économique en temps et en énergie que de sortir le déssalinisateur du coffre arrière pour faire de l’eau, mais j’dis ça, j’dis rien.

Et puis courses, mangé dans le boui-boui du camping, pris le café au boui-boui d’art à côté qui fait du café et du thé où, chance, et je dois dire que la chance me sourit souvent, c’est là qu’on me renseigne sur les plantes de la médecine Bush du nord de la péninsule, le nord de l’Australie est peu habité et plutôt sauvage, pas de pharmacies à tous les coins de rues, pas beaucoup de rues à vrai dire, à se demander si c’est possible de choisir de venir vivre ici.

C’était vachement bon

Le 12 août on part de Seisia pour le Cap Wessel sur Marchinbar Island, 350 NM

Ça fait un bail qu’on n’a pas navigué de nuit, 160 degrés du vent, 20 noeuds, risées à 27/28, génois tangonné, soleil, easy … puis 15 noeuds, on avance à 7,5/8 … nous ne sommes pas encore dans la mer d’Arafura mais toujours dans Endeavour Strait, pas de fond, pas de vagues, easy easy easy ! Je fais part au capitaine de ma joie, ne rêve pas isabelle, tu verras quand on sera dans la mer, il sait mettre l’ambiance y’a pas à dire.

Le capitaine regarde où on en est avec ses doigts
Avant aujourd’hui, je ne savais même pas qu’il existait une mer Arafura

Entrons dans la mer d’Arafura à 14h35 et ça bouge tout de suite plus mais bon, rien à voir avec Baranquilla quand on naviguait au large de la Colombie.
Moins de 11 mètres de fond, les vagues ne sont pas hautes mais se suivent très serrées, et les fonds restent très hauts, on navigue plein ouest … pas plus de 60 mètres de fond au plus profond là où nous passons, c’est fou, c’est une grande piscine.

Le 14 août à 17h on mouille à Two Island Bay sur Marchinbar Island, ce qui nous permet de dormir tout notre saoul, seuls au mouillage, à part quelques cargos vus sur la ligne d’horizon, nous n’avons vu qu’un seul voilier, un seul ! depuis plusieurs jours, le nord de l’Australie n’est pas ce qu’on appelle une région de villégiature balnéaire…

Le capitaine nettoie la coque et on y reste un jour de plus pour qu’il fasse aussi la carène harnaché de son équipement de plongée, un travail de forçat à chaque fois, de mon côté je bosse, j’ai du retard avec tout ce qu’on a navigué et qui ne laisse vraiment pas le loisir pour autre chose.

Au scotch-brit
On va se dégourdir les mollets sur l’île, Cap de Miol est seul au mouillage
C’est un peu habité
On s’est demandé si ce n’était pas des traces de crocodile, j’ai bien regardé autour de moi pendant la balade (plus tard on m’a dit que non quand j’ai montré la photo alors je vous le dis)

Jeudi 17 on lève l’ancre à 17h pour Cap Crocker à 254 NM, grand largue jusqu’à 19h puis génois tangonné, cap au 273, on avance à 6 noeuds avec un vent de 12/15, le vendredi on a un courant de face de 0,5 noeud et avec un vent de 10 on n’avance plus qu’à 4,5, du coup, pour gagner du temps, le samedi au lieu de s’arrêter sur Cap Crocker on continue pour aller mouiller entre Smith Point et Black Point.

Il fait bien plus beau et bien plus chaud depuis qu’on a passé le détroit de Torrès

Dernière ligne droite pour Darwin dimanche 20 août, 135 NM, une rigolade, 25/30 noeuds, pointes à 32/33 au cap de Cobourg Peninsula, 1 ris sous GV, pas de génois car on va trop vite, on n’a que 130 NM à faire, le capitaine dit qu’on aurait dû mettre que le génois mais c’est trop tard.

Toujours pas de fond !

Il faut lofer alors on met le génois avec 2 ris pour équilibrer le gréement, le capitaine parle de le tangonner (on est à 140 du vent alors quand une vague fait abattre le bateau un tant soit peu, le génois claque) mais quoi m’exclamé je, dans moins de 13 miles on lofe encore alors le temps de monter tout le bastringue il sera presque temps de le démonter, le capitaine laisse tomber et j’en suis fort aise, on n’est pas en régate, merde.

Une fois le cap contourné, le vent descend, la mer se calme, on a 2 noeuds de courant de face, ça sent les embruns plein le nez, on croirait que c’est Noël et que ma tante Michèle et maman ouvrent les Marennes d’Oléron dans la cuisine en s’enfilant un verre de blanc, la mer est verte, l’atmosphère pleine de particules d’humidité qui étirent les couleurs comme un coup de pinceau, c’est unique, ça me fait toujours des émotions intenses, ces lieux improbables qui ne se mettent à exister que parce que je les découvre.

Quand on lofe encore pour passer la cap Don, on se fait dépaler à dache (sic) à cause du courant, en plus on est au près, si jusqu’ici vous ne connaissiez pas l’expression dépaler à dache, vous êtes comme moi, on en apprend tous les jours aux côtés du capitaine.
On tire des bords et puis le courant combiné au vent nous font prendre le bon cap, ça y est, on est dans le golfe Van Diemen,

Plus tard le vent tombe, on met le moteur et on avance à 8 noeuds avec le courant, on voit des marmites un peu partout, le voilier suédois qui était à 8 miles devant nous ce matin est à 6 miles derrière nous, on aura rarement atomisé quelqu’un comme ça.
Et plus que 5 noeuds, la mer frissonne comme à notre départ de Nouméa, je dis au capitaine que le vent c’est comme l’énergie qui court au niveau de la peau des êtres vivants, tout ce que je lui raconte à ce niveau là l’interpelle comme des évidences, le fait de l’énoncer lui en fait prendre conscience.
Le soir le ciel est rouge sang et la virgule de la lune brille avant toutes les étoiles, on ne parle jamais dans ces moments de grâce, mais c’est comme une prière …

Le capitaine me laisse dormir, quand il me réveille c’est pour accoster au ponton avant l’écluse de la marina de Cullen Bay, je bondis de ma couchette et cours partout les yeux pleins de sommeil pour mettre les amarres et les pare-battages, heureusement maintenant que j’ai l’habitude je le fais vite (et bien, surtout)

Darwin !

Le ponton est petit et il y a plusieurs bateaux qui sont même amarrés les uns aux autres par manque de place, des gars viennent nous dire de partir et d’aller mouiller plus loin, qu’on nous appellera à la VHF quand ça sera notre tour, malgré son charme légendaire le capitaine n’arrive à rien, l’australien est insensible au charme capitainérien, on s’en va mouiller plus loin, échange à la VHF avec un autre voilier au mouillage, il faudra retourner au ponton à 13h30 et s’amarrer contre eux, ok, on y retourne à l’heure dite, c’est marée basse et le chenal d’entrée est très étroit et très peu profond, on passe de justesse.

On voit que nous sommes allés au ponton, ressortis pour aller mouiller, revenus au ponton devant l’écluse pour entrer dans Cullen Bay Marina

Et on s’amarre pour attendre les douanes et la bio-sécurité car ici, même si on a déjà passé la bio-sécurité en arrivant en Australie, il faut recommencer car nous allons dans une marina fermée après avoir passé l’écluse, il ne faut pas apporter des coquilles collées sur le bateau ou dans les conduits, après une fouille du bateau et de nombreuses questions qui remplissent une fois de plus de nombreuses feuilles de papier avec les réponses identiques à celles que nous donnâmes moult fois, un gars saute à l’eau avec des bouteilles de liquide rose qu’il injecte dans la sortie des chiottes et du lavabo, on doit attendre 10 heures que ça fasse effet avant de pouvoir entrer dans la marina, nous passons la nuit au ponton.

Le lendemain, écluse ! Ça rappellerait un peu Panama sauf qu’il n’y a qu’une écluse, qu’elle est toute petite, que c’est le capitaine et moi qui gérons les amarres et que c’est fait en 10 minutes, on se dirige vers notre place attitrée, pas de vent, on se gare et on s’amarre d’autant plus facilement qu’au passage le capitaine a reconnu Maeva, un voilier qui était avec nous à Nouméa, on leur a fait signe bonjour et Cécile et Jonathan ont accouru pour nous aider à amarrer … le capitaine n’aime pas l’aide, saute ! Qu’il me crie tandis que je lance l’amarre à Cecile, je finis par sauter pour lui faire plaisir et Cécile me dit en douce qu’elle a le même sur son bateau, on se bidonnera comme deux gamines quand on se racontera nos capitaines le soir où on prendra l’apéro ensemble, on est soeurs de capitaine, elle me raconte des anecdotes et m’avoue que lorsqu’il crie ça la bloque complètement et qu’elle n’est plus bonne à rien, que son capitaine aussi crie plus fort quand il y a d’autres bateaux donc des témoins, les deux capitaines tendent l’oreille pour tenter de percevoir ce qui nous fait rire à ce point mais ils en sont pour leurs frais, ça nous aura fait du bien de partager ça.
Ils nous racontent aussi l’aventure d’un gars arrivé après eux, il avait un bateau en panne d’essence et avait réussi à se faire tracter jusqu’au ponton avant l’écluse de Cullen Bay, bateau avec pont en teck : la bio sécurité visite son bateau et voit une termite, ils ont l’œil, et plus tard quand ils reviennent avec un produit pour éradiquer les termites, le gars leur dit que c’est bon, qu’il a lavé le bateau, la bio sécu s’exclame, quoi ?!?! Il a balancé une termite à la flotte ?!?! Qui va aller se reproduire et envahir l’Australie d’une nouvelle race toxique ?!?! Ils ont fichu le mec dehors et l’ont banni à vie de l’Australie, interdiction d’y remettre les pieds, ça ne plaisante pas !

La marina est bien tranquille et ça fait du bien …

On le voit bien d’ici

Nous verrons peu Darwin mais tout de même, après avoir discuté avec le gars du poste à gasoil de la marina pendant que le capitaine faisait le plein, celui-ci m’ayant dit que c’est vrai qu’il y a des crocodiles partout, qu’on ne les voit pas mais que eux nous voient (ponctué d’un hochement de tête à la mine grave), que si on veut les voir il faut aller sur les plages la nuit avec une lampe torche et on verra leurs yeux cruels briller, j’ai dit au capitaine qu’on ne pouvait pas partir d’ici sans voir des crocodiles alors on a pris nos mini-vélos pour se balader dans Darwin et on a été voir les crocodiles, des vrais, vivants et tout et tout, à part eux, un soir en rentrant à la marina après avoir été faire quelques courses à perpète (encore une marina avec des bistrots et des magasins de souvenirs mais pas de supérette ni de boulangerie), j’ai vu une chauve-souris de là bas … pas une roussette hein, une chauve-souris avec des ailes immenses qui avaient l’air d’être faites en cuir de vache, Batman qui m’est passé à ras de la tête, j’ai accéléré le pas je peux vous le dire.

Son centre ville (c’est pas que c’est désert, c’est qu’il fait tellement chaud que tout le monde est à l’intérieur des bistrots climatisés)
Sa grande roue
Un trop chouette cinéma
… pour avertis
ses drôles d’oiseaux
et ses crocodiles

Nous laissons Cap de Miol à la marina pour 2 semaines car nous devons faire un aller-retour en France, j’ai des paperasses à signer et le capitaine a une vie en France + 3 jours de voyage aller et 3 retour, quand on reviendra ça sera ravitaillement et on repartira pour 4500 NM jusqu’aux Seychelles avec 2 arrêts de prévu sur la route.

On a volé dans un A380 !

Un tout petit plus parce que c’était déjà long :

  • Une marmite = un tourbillon, un vortex d’eau
  • voilà les chauve-souris australiennes (appelées renards volants) :

Vers l’Australie

Cette fois ci c’est la bonne

Replaçons le contexte parce que ce que je vais vous narrer remonte à un tantinet, et encore heureux que je puisse publier parce que par là où on passe c’est très loin d’être évident, bref, je vous renvoie à début juillet, quand nous quittâmes Nouméa pour de bon, assoyez vous et laissez vous prendre par le vent de l’aventure (si on veut)

On va naviguer parallèlement au tropique du Capricorne, plein ouest

Debout 6 heures en ce 6 juillet, le capitaine veut s’arrêter aux Chesterfields, il y a 500 miles à faire, si on fait du 7 noeuds de moyenne ça fait 3 jours et ça nous ferait arriver au matin, si on tombe à 6 noeuds ça fait 3 jours 3/4, la nuit serait déjà là et il faudrait passer une nuit de plus en mer parce que c’est un mouillage délicat qu’il faut aborder en plein jour pour y voir clair, ça ne le tente pas, en même temps le vent fait ce qu’il veut et il n’existe pas encore de bouton pour programmer ce qu’on souhaiterait, je me demande si un jour l’être humain n’y arrivera pas quand on voit tout ce qu’on voit et qu’on sait ce tout qu’on sait …m’enfin, se lever à 6 heures quand on est sûr de rien …bon, debout.

On sort par la passe ouest, à savoir la passe de Uitoe, cap au 292, pas de vent, alors moteur … c’est mal barré pour arriver dans 3 jours aux Chesterfields… quoique, motivé, le capitaine pousse les gaz pour avancer à 7 noeuds, il espère du vent pour midi et continuer sur cette belle moyenne, l’avantage pour l’instant c’est qu’il n’y a pas de vagues pour nous ralentir ni pour nous rendre malades.
Longue houle de sud-est, mer d’argent, la houle se brise sur le reef, c’est l’avantage qu’il n’y ait pas de vent, on assiste à un spectacle merveilleux.

Je regarde de tous mes yeux, on pourrait se moquer et me dire que je n’en ai que deux comme les copains, mais c’est le regard qu’on porte aux choses et aux gens qui détermine le nombre d’yeux qu’on utilise, et il y a des yeux invisibles qui incrustent ce qu’on regarde en argentique dans le cerveau, cette fois on quitte vraiment la Kanaky, et je me rends compte que je m’y étais drôlement attachée, en même temps je m’attache à presque tout (je réfléchis pour voir à quoi je ne me suis pas attachée, c’est simple, c’est là où on n’est pas restés, dès qu’on reste quelque part, je m’attache)

une fois sortis du lagon, la mer est un lac

Plus tard le vent monte à 2,5 noeuds, la mer frissonne …


et puis 4,5 : des frissons partout !


à 7 noeuds, ça frise carrément, on assiste en direct-live à un cours pour connaître la force du vent en regardant la mer :


Le capitaine hisse la GV tout seul il ne veut pas de mon aide, il n’a que ça à faire et ce n’est pas avec 7 noeuds de vent qu’on risque grand-chose, en plus il trouve toujours qu’il a pris de la brioche et qu’il faut qu’il se dépense pour ne pas lâcher l’affaire, je le laisse se dépenser.

15h30, 5 à 7 noeuds de vent à 100 degrés, bâbord amure, on voit toujours la Kanaky, ce n’est pas qu’on n’avance pas, c’est qu’elle est grande.

Le soir on a 7/8 noeuds, on envoie le spi, parfois le vent pass à 12/13 et on avance à 6, c’est la gagne, mais le lendemain matin, 4/5 noeuds, on avance à moins de 3 … parfois à moins de 2 😳… si on avait seulement 200 miles à faire on mettrait le moteur qu’on se dit, mais il nous en reste 850 jusqu’en Australie, il vaut mieux être prudents et économiser la gazoline, vu notre vitesse et notre cap on décide d’aller directement sur Mackay sans s’arrêter aux Chesterfields qui rallongerait notre route de 50 miles et on n’en a pas besoin quand on voit ce non-vent et puis bon, une île de plus ou de moins après tout (la manière d’envisager les îles dépend de l’instant T) (je ne sais pas pourquoi on ne dit pas l’instant I) …

c’est mou

Et tant qu’on y est ça tombe encore, moins de 3 noeuds, et pis : ça refuse, on affale le spi et on essaie le génois … ça tombe encore, moins de 2 … on affale tout et moteur, doucement pour économiser la gazoline, on croise les doigts pour que le vent remonte, le GRIB le dit mais le GRIB est comme tout le monde, il n’a pas toujours raison, le capitaine se demande s’il n’y a pas une tornade qui nous arrive dessus en voyant un nuage au loin, il prend une douche sur la jupe et va se coucher, il a réglé le spi plusieurs fois cette nuit et est en dette de sommeil, il me laisse seule avec la tornade en vue, j’espère que ce ne sont que des traînées de pluie, ce le sont, le capitaine est un peu comme moi on dirait, la fatigue lui fait voir les choses un peu en pire.
Un avion de la marine nationale passe à ras du bateau, un falcon ! dit le capitaine, réveillé pour le coup, à peine le temps de se demander quel est ce sifflement que l’avion rase Cap de Miol dans un vacarme assourdissant, on devait vérifier sur internet si c’était bien un Falcon et puis on a oublié.
Au menu du soir, ça occupe de faire à manger : pâtes d’avoine et pak choï, le capitaine tire une de ces tronches à cette annonce, qu’est-ce que je vais encore lui faire avaler, j’ajoute dans un cri de liesse saucisse ! il se détend, il aime la saucisse, en plus on dirait des vraies pâtes dit-il en goûtant l’avoine, tout va bien.

Jour 3, samedi 8 juillet – 15/18 noeuds au travers puis 22/23, on prend un ris, la mer se creuse, peu agitée à agitée, on voulait du vent, on en a, pas pour longtemps.

Voyez comme le vent change la mer !

Jour 4, dimanche 9 – entre 2 et 8 noeuds au travers, après la nuit au moteur – plein d’oiseaux ! on a tout le temps de les regarder … et puis c’est facile de cuisiner parce que ça ne bouge pas, j’avais fait des courses sympas à Nouméa, y’a pas à dire, rien ne vaut la France pour la bouffe, voyons voir un peu ce que ça donne : salade d’épinard au poulet et croûtons faits maison (donc dans du beurre, le capitaine trouve que c’est bon, tu penses), salade de pommes de terre au saumon fumé, pâtes bolognaise sans tomates (l’acidité de la tomate ne lui réussit pas), alors je mets beaucoup d’oignons, riz au curry et lait de coco + crevettes, jambon et écrasé de pommes de terre, plat récessif s’il en est, confit de potiron, sauté de pak-choï etc etc … il se régale,

– je me régale dis !
Ça me fait plaisir.

Jour 5 / lundi 10 – sous spi, 13/14 noeuds, on avance à 5,5/6 en se déroutant un peu mais au moins on avance, le capitaine aimerait arriver jeudi et il nous reste 470 miles, faut pas traîner – le ciel ressemble à un champ de coton

J’ai mal à la tête depuis 3 jours, le capitaine me demande souvent si ça va et essaie de trouver une cause, c’est ce que tu as mangé ? Tu fais de l’hypertension ? Tu n’as pas assez bu ? Pas assez dormi ? Ça serait pas les gass d’échappement ? bin non on n’est plus au moteur depuis plus de 24h, tu as attrapé froid ? avec un petit sourire de commisération qui soulagerait la misère du monde à lui tout seul, c’est quand même pas de chance d’avoir mal au crâne pour une fois que la nav’ est plutôt cool ! Coolitude relative, le vent est instable, adonne ou refuse, le capitaine n’arrête pas de régler le spi (si ça se trouve c’est le spi qui me donne mal au crâne, voire l’idée même du spi), m’oubliant moi et mon mal de tête, il se met à tripoter les données du pilote parce qu’il trouve toujours qu’il ne réagit pas assez vite, il voudrait que le pilote anticipe

– mais comment veux-tu qu’une machine anticipe ? Comment elle ferait pour savoir les aléas des vagues et du vent ?

– Si ! elle doit enregistrer tout ce qui se passe et en tirer des conclusions pour anticiper !

C’est le genre de truc qui le met à cran, la question c’est est-ce que c’est possible un pilote qui anticiperait à ce point là ? c’est le cerveau du capitaine qu’il faudrait greffer au pilote, mais bon, comme d’hab quand il tripote les boutons du pilote sous spi, le bateau part sans y être invité, cette fois c’est au lof, je saute sur la barre en même temps que le capitaine qui, plus rapide que moi, récupère le bateau et me demande si j’ai eu peur, non réponds je, j’étais prête parce qu’à chaque fois que tu tripatouilles le pilote ça fait comme ça, tu vois, je fais mieux que le pilote, j’anticipe ! il rit.

Comme je m’instruis à sa source d’abondance, je demande au capitaine comment faire pour affaler le spi quand on est seul, il n’a pas trop envie de causer mais j’insiste, et là il me livre son astuce, prenez note : il faut glisser une écoute entre la GV et la bôme, ok ok … ouais ouais ouais …

– mais ? une fois que l’écoute est au winch et le spi bordé on ne peut plus l’enlever pour la passer sous la GV ! (Voyez comme je suis)(de suivre et non d’être, quoique)

– ébé tu en attaches une autre !

– aaaah !

– pourquoi tu voudrais affaler toute seule ?

Ça m’ennuie de le lui dire mais il faut bien :

– Au cas où tu tomberais à l’eau sous spi

– Mais tu te fais pas chier, tu coupes la drisse, l’écoute, le bras !

– ah bon ? J’y avais pensé mais je ne voulais pas te récupérer en te disant que tu n’as plus de spi !

– mais on s’en fout !

j’attends 3 secondes

– il vaut mieux que je les coupe dans quel ordre ?

Discussion, a t’on une chance de récupérer le spi si on coupe la drisse en premier (je sais bien qu’il voudrait garder son spi malgré tout)

– mais surtout, il faut faire gaffe que les bouts ne s’emmêlent pas en dessous

Ouais, je ne perdrais pas mon temps à vérifier ça plutôt que d’aller le repêcher, encore qu’il ne faudrait pas que les bouts s’entortillent dans l’hélice, on ne le dira jamais assez, si tu tombes à l’eau t’es foutu, pince-moi autant que pince-mi.

Jour 6 mardi 11 / re sous spi, avec 15 noeuds ça va, mais quand ça monte à 20/23 c’est tout de suite moins rigolo parce que quand le vent monte le bateau part au lof, le spi se met à claquer et le bateau à gîter, le capitaine saute sur la barre pour abattre fissa, quand je lui demande des explications sur le réglage du spi il s’exclame qu’il ne faut surtout pas lofer

– sinon ton spi il couche le bateau !

– naaaaaan ?! (Il veut me ficher la trouille)

– Bien sûr que si ! 150 m2 de voile ça te couche le bateau !

Autant vous dire que tintin pour réussir à faire une sieste, je serais à un doigt d’avoir à nouveau mal au crâne …

Le soir on affale pour être peinard la nuit, je baiserais les pieds du capitaine si je me laissais aller, génois tangonné, bien inspirés car le vent monte soudain à 25 noeuds, puis 27/28, ça se met à flotter et on finit même par prendre un ris, si on avait dû affaler le spi là dessous merci – la surveillance est de rigueur parce qu’on arrive près de la grande barrière de corail, il commence à y avoir du trafic, on a vu 3 cargos et 1 bateau de passagers rien qu’aujourd’hui, ça augmente les probabilités d’en encastrer un, on traverse le rail des cargos, il y en a un sur l’AIS, il est encore à 14 miles mais il avance vite ! Ça tient me bien réveillée, au moins maintenant je sais que même si le cargo semble très proche sur l’AIS, pas besoin de réveiller le capitaine en fanfare, on a tout le temps de voir venir, n’empêche que je suis bien contente de sortir du rail des cargos.

Quart de nuit
on traverse un rail de cargos

Jour 7 / mercredi 12
Ce n’est pas parce que maintenant on est à l’intérieur de la barrière de corail qu’on est arrivés, on a encore de la route mais ça devrait aller pronto avec 23/25 noeuds en vent arrière, génois tangonné, on se résous à prendre 2 ris à la GV et 1 ris au génois, on va trop vite alors il faut ralentir pour arriver demain matin

c’est ce qu’on appelle la mer du vent

Spectacle de bienvenue, une horde de dauphins vient jouer avec le bateau et dans les vagues, ils se laissent porter par les vagues comme des bodyboarders et font des sauts de dingue, on est debout sur l’étrave avec le capitaine, parfois une grosse vague soulève le bateau qui monte vers le ciel, et déferle devant l’étrave, d’une beauté à pleurer, la mer est verte, on voit qu’on a passé la barrière de corail et que les fonds ne sont plus aussi profonds, à l’heure où je vous écris on n’a que 77 mètres de fond, ce n’est pas du tout la même mer qu’au grand large mais ça bouge autant, les vagues sont serrées entre elles.
Je raconte au capitaine que cette nuit, même si ma raison me disait que les cargos étaient loin, je faisais des calculs pour voir s’il y avait des risques, parce qu’en regardant l’AIS ils paraissaient tellement proches, n’importe qui me dirait mais ouiiiii, c’est tellement ça ! moi aussi ça me fait ça, toi être humain, moi être humain, nous se comprendre !

Le capitaine : t’as qu’à changer d’échelle et ça s’éloignera
Voilà voilà, moi être humain, toi marin, de pied en cap (de miol).

Quand il a traversé l’Atlantique en 82 avec son pote Henri, ils n’avaient ni GPS, ni pilote automatique (enfin ils en avaient un pourri qui ne marchait que par petit temps et selon son bon vouloir) et encore moins d’AIS, ils ont barré la plupart du temps à mains nues, et toujours au sextant et à la caboche pour faire les calculs sans se tromper, ça me semble totalement infaisable, il faut être zinzin,

– Je pense que c’est grâce au pilote automatique qu’il y a plus de monde qui fait des grandes traversées maintenant, dis-je, convaincue

– plutôt le GPS je dirais

Où l’on voit que ça lui avait plus coûté de se demander où ils se trouvaient sur la planète que de barrer.

Comme je n’ai pas beaucoup dormi la nuit précédente, je le préviens que je vais m’allonger, à peine me suis-je jetée comme une perdue sur la couchette que le capitaine hurle en tapant sur la casquette du cockpit isaaaaaa ! Baleiiiiine ! Je bondis, baleine ! Je remonte la descente fesses à l’air pour ne pas manquer ça, et je la vois, énorme, gigantesque, diplodocueste, qui saute hors de l’eau en venant vers nous et fait jaillir des monstrueuses gerbes d’eau en retombant dans l’eau, et qui saute encore, elle avance à une vitesse folle, quelle puissance ! Tout de même ma gorge se serre parce que si jamais elle joue au poisson volant et vient sauter dans le bateau, on sera mal, je prends mon portable mais une vague fait basculer le bateau et la bôme coupe ma prise, elle continue son chemin et ses bonds, un jour j’investirai dans un appareil photo de pro avec un téléobjectif de pro que je grefferai sur mon front pour avoir des photos de pro instantanées (à ce moment de mon récit je dois avouer que je n’ai toujours pas utilisé ma pseudo go-pro parce que je n’arrive pas à l’attacher et je n’ai pas trop étudié le mode d’emploi, mais je vais m’y mettre)

Comme on ne voit rien je vous ai fait un arrêt sur image quand elle commence à sortir de l’eau, quelle poisse que cette vague qui m’a fait rater ma prise de vue !

17h47 de Nouméa : Terre ! On voit la terre ! A peine mais c’est elle, pour fêter ça je prépare une tisane et pendant que nous la sirotons dans le cockpit je vois une immense gerbe d’eau à l’horizon, baleine ! Baleine ?… rien ne se passe, et puis si, on la voit qui saute à la verticale, l’horizon c’est loin mais elle est tellement énorme qu’on la voit comme un cargo, et puis juste derrière le bateau passe la queue d’une autre, ton appareil ! Ton appareil ! Mais on aura beau guetter encore 1 heure, le spectacle est terminé
25/28 noeuds, 3 ris dans la GV et génois roulé, on avance encore à plus de 7 noeuds, on a 1 noeud de courant portant, ça nous pousse.

Nuit, déjà, nuit, encore, nous veillons car il y a des cargos partout, le jour n’est pas encore levé, je me réveille car le bateau est secoué dans tous les sens, le capitaine manœuvre comme un damné dans le cockpit, on passe sous un grain et il n’y a plus d’air, par contre la mer est bien agitée, les vagues claquent sur la jupe parce qu’on n’avance plus et que ce n’est pas facile de manœuvrer quand le bateau n’avance pas, une fois bien rincés par le grain, le vent remonte et on peut continuer vers l’entrée du chenal en laissant la horde de cargos derrière nous, le jour pointe et je fais le petit déjeuner, des œufs, des crêpes, quand on ne dort pas assez il faut manger !


On approche de Mackay

Direction marina de Mackay, on va aller sur le ponton d’accueil qui est aussi le ponton de gasoil, avant nous y arrivons au ralenti, ça vaut mieux, le ponton est perpendiculaire au vent, voilà le choix qui se présente : soit d’être écartés du ponton par le vent si on se gare ponton à bâbord, soit d’êtres poussés sur le ponton par le vent si on se gare ponton à tribord, le capitaine ne veut pas abîmer la bateau, on (il) choisit de s’amarrer par bâbord, il veut que je barre pour aller lui-même mettre les amarres, je refuse catégoriquement, avec ce vent je serais fichue d’aller me foutre contre la digue, le capitaine me couvre de recommandations et s’approche du quai, je tiens la garde bien serrée dans ma petite main et j’attends que le bateau soit assez prêt du quai pour sauter, saute ! Saute isabelle ! j’attends encore, mais SAUTE ! SAUUUUTE !!! là d’accord, je peux, je saute, manque de m’étaler de tout mon long tellement le quai est bas par rapport à d’habitude, c’est le poste de gasoil qui récupère ma chute, le capitaine crie déjà que je dois mettre la garde sur telle bitte, je cours bras tendus mais c’est déjà trop tard, déjà le bateau a avancé, bordel il va finir dans le mur, je galope vers une autre bitte pendant que le capitaine gueule va à l’avant ! alors je balance la garde autour de la bitte la plus proche et fonce vers l’avant , à l’arrière ! Va à l’arrière ! Vite ! demi-tour en faisant crisser les pneus, j’attache l’amarre arrière, ça grommelle à bord, le capitaine finit par sauter sur le quai et nous finissons d’amarrer le bateau, je le préviens qu’il est trop loin du quai et qu’on ne pourra pas remonter à bord, comment on va faire ?! on se met à tirer sur les amarres pour le rapprocher suffisamment et ça demande de l’huile de coude parce que le vent est fort, c’est bon on peut remonter à bord, le capitaine me tombe dessus et me fait la leçon sur l’amarrage, je lui dis que tout va très vite et qu’il me donne des ordres auxquels je n’ai pas le temps de répondre avant qu’il m’en donne d’autres, que ça va plus vite d’ordonner que de faire et que j’ai perdu du temps à presque me casser la gueule sur le quai et que pourquoi râler puisqu’on est amarrés, on peut se calmer, non ?

Le GPS nous positionne bien au ponton de gasoil, les zigouiguis jaunes c’est quand on a affalé la GV, remonté l’hydrogénérateur et mis les pare battages et les amarres, ça prend son temps et on a attendu d’être au calme pour faire tout ça

Il se rend à la capitainerie pour prévenir de notre arrivée et revient, on doit attendre la douane et la bio-sécurité, un autre voilier, Champagne, vient s’amarrer de l’autre côté du quai, trop facile pour eux parce que le capitaine s’en occupe après qu’on lui ai lancé les amarres, ils mettent des pare-battages tout le long de leur tribord tellement le vent les colle au quai, puis ils attendent, comme nous.
La nana de la bio-sécurité passe nous prévenir qu’elle nous laisse déjeuner avant de faire sa visite, afin qu’on mange ce qui nous reste au lieu de jeter, je lui demande si il faudra jeter ce qui est cuit, flûte, en Australie ils nous font jeter même les légumes cuits, j’ai gâché du bon gaz pour rien, en plus elles sont dégueulasses ces endives cuites, je les balance et je fais des œufs, sinon ça sera poubelle, les œufs aussi ils les balancent.
Elle revient plus tard et inspecte tous les placards et le frigo, clame à plusieurs reprises que le bateau est drôlement propre même dans les coins (je récupère des points auprès du capitaine) et puis deux nanas de la douane se pointent, l’une d’elles râle parce qu’il n’y a pas de marche pour monter sur le bateau et qu’il faut lever la jambe bien haut et se tirer à bout de bras pour se hisser (alors tu vois bien comme c’est haut que je te l’avais dit !), les deux douanières comme celle de la bio-sécurité sont de sacrés gabarits, 1m80 tranquille et 80 kilos tranquille, je me demande si les australiens ne mangeraient pas trop de bœuf aux hormones, paperasses dans tous les sens, signatures, consignes en tous genres, le capitaine retourne à la capitainerie et revient avec des badges et une place attitrée, tu crois que t’es tranquille mais t’es jamais tranquille, maintenant il faut aller se garer à notre place, c’est pas de pot on sera amarrés sur notre tribord donc il faut changer les pare-battages et les amarres de côté, pendant que le capitaine barre prudemment vers la dite place, je mets tout de l’autre côté, le capitaine a choisi une place pour que le vent nous éloigne aussi du catway, il n’a pas envie d’entendre toute la nuit le bateau couiner contre les pare-bat’ écrasés contre le catway … on approche de notre place, le capitaine insiste pour que je prenne la barre, même pas en rêve

– Nan mais t’as vu ! La place est toute étroite entre le catway et le gros bateau à moteur !

Dont le moteur énorme dépasse loin derrière, un coup à s’encastrer dedans. Mais ça serait mal connaître le capitaine, qui réussit comme un chef à se glisser juste dans la place, il faut sécuriser vite car le vent nous pousse sur le gros bateau à moteur, j’ai sauté sur le quai et passé la garde de travers sur la bitte au milieu du catway parce que je vais trop vite parce qu’on me crie déjà d’aller à l’avant, pendant que j’attache l’amarre avant on (on !) me crie d’ALLER DERRIÈRE alors je me dépêche et cours derrière parce que le vent pousse le cul du bateau vers l’énorme moteur sus-décrit, le capitaine a sauté sur le catway et me donne des ordres dans tous les sens, râle que je n’ai pas assez tendu l’amarre avant, ça fait un peu trop pour moi alors j’ose

– ah mais ça commence à bien faire ! Merde ! tu me fais chier !!! (Putain ça soulage)

Je remonte à bord à la recherche d’un couteau pour lui crever un œil (mais non enfin ! ne croyez pas tout ce que je vous raconte ! je remonte à bord pour le fuir lui et ses ordres et ses reproches, je le fuis !), il se renfrogne et décide de ne plus rien me demander puisque c’est comme ça, il peut très bien raccourcir l’amarre avant tout seul pour rapprocher le bateau du catway puisque je suis trop conne pour l’avoir fait comme il faut et qu’il faut bien me montrer comment on fait les choses parfaitement, il tire sur l’amarre, et ah, tiens, il ne se passe rien … bon …il tire plus fort … rien … qu’à cela ne tienne, il s’arc-boute et veut ramener le bateau de toutes ses forces … que dalle, le vent souffle trop fort, il n’y arrive pas plus que moi et moi ? Est-ce que je crie et tempête et fais de grands signes à l’encontre du ciel qui m’est témoin ? voix du capitaine qui me parvient :

– passe la marche avant et avance le bateau (il ne crie plus et oserais presque le s’il te plaît) (c’est encore un peu tôt pour lui)

Je m’exécute et ensemble nous réussissons à amarrer le bateau comme le veut le capitaine, à savoir parfaitement, on est coincés bien serrés entre le bateau à moteur et le catway, mais là on peut souffler, le capitaine est tout contrit comme à chaque fois qu’il perd son calme et que j’en fais les frais, il arrive près de moi, me dit qu’il est désolé, qu’il était inquiet parce qu’il avait peur que je me fasse mal en sautant sur le catway (mais prends moi pour une brêle !) que j’ai bien fait tout comme il fallait, qu’il est désolé de m’avoir fait de la peine parce qu’il voit bien que ça me fait de la peine, bon, ce n’est pas grave après tout, et je n’aurais rien à vous raconter sans ces épisodes épiques, parce qu’en live c’est vraiment épique.
On range le bateau et on s’en va poser le pied en Australie.

Mackay, Australie donc, en plein hiver, il fait assez doux dans la journée mais le vent est frisquet et on supporte grandement une polaire, les nuits sont plutôt fraîches et on a même mis 2 couvertures une fois parce qu’on avait froid, à part ça que dire de Mackay … pas grand chose, on loue une voiture pour aller faire des courses parce qu’il n’y a rien près de la marina, même pas une boulangerie, et en priorité trouver une carte SIM avec de la data, j’ai lu que c’était Telstra le mieux donc on cherche un magasin Telstra, il y en a deux, dans 2 zones commerciales, au premier magasin ils nous disent de revenir dans deux heures et notent mon nom sur une liste, impatient le capitaine me drive dans l’autre, là c’est une liste en attente de 3 jours, on revient dare-dare dans le premier pour l’heure prévue, c’est bon, ça nous a fait visiter Mackay : pas vraiment de centre-ville, du moins comme nous les connaissons en France, une église sans âme, des rues désertes parsemées de pavillons en bois derrière des carrés de pelouse, des zones commerciales interminables et des centres commerciaux énormes et remplis de monde, beaucoup d’hommes avec des grandes barbes et des ventres qui leur empêchent de voir quand ils font pipi, beaucoup de femmes en surpoids, presque toutes en leggings, tee-shirts et savates, très peu voire pas d’élégance, ce n’est pas moi qui relève le niveau encore que j’aie passé mon bermuda rose qui plaît bien au capitaine parce qu’il est près du corps, le capitaine aime le moulant qui dessine les formes alors que j’aime être à l’aise et déteste ce qui engonce, je comprends la mode australienne si tant est que ce soit une mode, c’est plutôt un way of life qui me fait grave penser à l’Amérique, les gens sont simples et directs, pas de chichis, les bistrots et terrasses qui nourrissent le peuple de fish and chips et de hamburgers sont pleins, ce premier contact me fait dire que l’Australien de base est brut de décoffrage, ça nous sera confirmé plus tard au fil de nos rencontres quand nous papoterons avec des groupes de jeunes français venus travailler dans les mines de fer Australiennes ou dans les fermes pour des récoltes diverses, ou encore comme serveurs dans des bistrots, c’est clair, c’est brut…
Nous n’avions pas l’intention de rester à Mackay et rien ne nous y retient, le frigo étant rempli nous quittons la marina pour commencer une longue remontée le long de la côte Australienne, à l’intérieur de la barrière de corail.

De Nouméa à Mackay
La marina de Mackay la nuit c’est bien joli

Ne perdons pas les saines habitudes ! voilà un petit plus pour les non-marins :

  • L’état de la mer est la description de la surface de la mer soumise à l’influence du vent et de la houle. La terminologie associée a été normalisée par les services de météorologie maritime pour fournir aux navires et aux installations situées en mer une information qui puisse être utilisable. Pour l’instant je ne suis allée que jusqu’à la mer forte et je peux dire que ça me suffit.
  • Il est dit de la mentalité australienne que l’Australien est très optimiste et plein de bonne volonté, que les Aussies sont de nature plutôt avenante, qu’ils parlent facilement à tout le monde, ne volent pas, ne se regardent pas de travers, ne s’énervent pas sur les autres et ne passent pas leurs journées à critiquer le voisin ( mais qui fait ça ?!). Il est également dit que les australiens sont passionnés par le sport, bon, on n’a pas dû voir les mêmes …

On repasse à Nouméa

notre route, très grosso modo

Avant tout, je sais, j’ai du retard sur mes publications mais j’ai des excuses, 1) j’ai eu plein de boulot et 2) pas de connexion, et en plus entretemps je suis rentrée 2 semaines en France pour des paperasses, avec les trajets ça fait 3 semaines, ça ne va pas s’arranger ces prochaines semaines parce que les distances à naviguer vont être longues, que je n’aurai guère de connexion non plus, mais je vous raconterai tout sans faute, soyez patients et ne vous inquiétez pas pour nous (soit on sera morts et ça ne sera plus la peine de s’inquiéter, soit on sera en vie et ça sera déjà pas mal) ( ce qu’il faut éviter c’est le capitaine mort et moi en vie en sursis).

regarder le coucher de soleil ça occupe

Alors, pour retourner à Nouméa chercher ce sacré moteur, on avait quasiment 500 miles à faire, plus ou moins au près, il a fallu en prendre son parti, dès le 1er jour ça a donné le ton avec un vent à 18/20 et des risées 23/25, le hic c’est qu’on naviguait au près bon plein avec les vagues du vent donc ça secouait pas mal à bord, tribord amure qui fait que le bateau gîtait avec la cuisine en haut ce qui n’est pas des plus simples pour cuisiner car tout manque de finir sur ma pomme, mais j’avais cuisiné des plats d’avance par prudence, cette fameuse prudence qui est mère de sûreté.

Toujours ce premier jour, le capitaine dort, je vois qu’on arrive sous un gros nuage et me dit flûte, c’est bien ma veine qu’il roupille juste quand le vent forcit et change de direction, on a 25/28 nœuds, toujours au près bon plein, mais on n’est plus au cap, on est trop sud car on suit le vent puisque le pilote automatique est en mode vent, j’attends de voir ce que ça donne (j’attends toujours de voir ce que ça donne parce que je n’aime pas, mais pas du tout, manœuvrer pour rien), je me dis que c’est pas plus mal d’aller plus sud parce qu’ensuite on pourra abattre un peu et ça sera plus confort … mais voilà que je me souviens avec autant de soudaineté que d’inquiétude d’un des réveils de sieste du capitaine qui avait râlé que je n’avais pas corrigé le cap pendant son sommeil, comme dit le proverbe Chinois, la première fois c’est une erreur, la seconde c’est qu’on le fait exprès,  je me précipite pour abattre et retrouver le cap, il faut alors régler les voiles sous la pluie, beh oui, je descends le chariot, je choque un peu GV et génois, j’aurais presque l’impression d’être un marin, mais ce qui m’étonne c’est que je n’entends pas piailler isabelle ! Qu’est-ce que tu fais ?! c’est suffisamment incroyable pour le notifier. Bon, pas longtemps plus tard on sort du nuage, le vent revient comme si de rien n’était et on revient au cap et au près, il faut à nouveau régler les voiles alors hop, je remonte le chariot et borde GV et génois, aaah cette fois ça y est isabeeeelle ! Qu’est-ce que tu fais ?!

Bien fière de moi je dois dire, je lui fais le topo face à son grand corps debout mais encore vacillant de sommeil et son sourcil froncé de celui qui fouille dans ce que je raconte pour comprendre ce qui s’est passé et surtout où se trouve la faille, putain de faille, je déglutis parce que ma superbe s’étiole devant son sourcil qui se fronce de plus en plus jusqu’à rejoindre son nez, on dirait de la pâte à modeler qui dégouline :

– Mais il fallait rester cap au Sud ! Fallait pas corriger le cap !

Des fois je pourrais me jeter à l’eau de désespoir.

S’ensuivent des explications de part et d’autre, je me défends en arguant que ça a duré si peu de temps que ça n’aurait pas pu infléchir notre route au point de changer notre allure de manière durable et agréable, il termine par (il aime avoir le dernier mot)

– ouais mais tu t’es fatiguée pour rien

– ça me fait manœuvrer et c’est pas plus mal (moi aussi)

the night is falling (je m’entraîne, les Aussies ils parlent anglais)

Sur cette route on a eu des moments calmes qui m’ont réconciliée avec les traversées mais une partie de la traversée a ressemblé à ce premier jour, du vent, et comme je dis au capitaine c’est tant mieux comme ça on avance, du près, du près bon plein ou du travers, des vagues, du tangage, certains bords en bâbord amure, la plupart en tribord amure, sommeil entrecoupé par le bateau qui saute, une vague qui claque, un réglage de voile (autant dire qu’il y a eu des jours avec douche et des jours sans), on pensait être plus à l’abri en longeant la côte de la Nouvelle Calédonie, que dalle, même pour finir en contournant le cap sud par le canal de Havannah pour aller sur Nouméa, le vent a suivi, on a eu du près serré, on a tiré des bords tandis que d’autres bateaux traçaient tout droit, voiles affalées et au moteur, des fois c’est bien aussi voiles affalées et au moteur, mais pas très digne si on y pense,

nous on a tiré des bords jusqu’au bout (sauf dans le canal de Woodin carrément coupé de tout vent et de vagues, il y a juste un courant fort).

Petit dèj dans le canal de Woodin, on en profite parce que c’est calme
arrivée toute vapeur sur Nouméa, on avançait à plus de 8 nœuds

Mais voilà que le capitaine a une de ses lubies en arrivant, il veut tout de suite faire le plein de gasoil puisqu’on va passer devant le ponton de gasoil, bon, avec moi aux commandes, bon, il me prévient que le vent va nous éloigner du ponton désiré, bon, le capitaine me dit de mettre les gaz et d’y aller à 45 degrés, j’aime pas mettre les gaz pour me garer mais je commence quand même à avoir compris certains trucs, notamment que quand le vent nous pousse, si on ne met pas de gaz on n’y arrive jamais, alors je mets des gaz et suis les ordres du capitaine, et croyez moi si vous voulez mais on se gare comme des pros sous le regard de la nana de la pompe qui nous applaudit et s’exclame qu’elle admire le capitaine tellement pédagogue alors que d’habitude elle ne fait qu’entendre gueuler sur les bateaux, le capitaine a ce petit sourire de charmeur satisfait qui me donnerait envie de le baffer si je m’écoutais, je lui casse le coup en riant et en disant à la nana qu’elle n’a qu’à naviguer quelques jours avec lui pour voir toute l’étendue de sa pédagogie, j’ajoute que ça me rassure grandement de savoir que ça crie sur les autres bateaux, pour repartir c’est moins cool, l’espace est fort petit et il y a des bateaux partout, pour éviter de me crier dessus (à juste titre, entendons nous bien) et garder son aura auprès de sa nouvelle groupie, il préfère prendre la barre et nous allons nous garer tranquillement à notre place sans un mot plus haut que l’autre, Nouméa here we are.

Ça m’a fait plaisir de revoir Nouméa, c’est fou comme on prend vite des habitudes, comme on se sent chez soi dès qu’on reconnaît un endroit, on a mangé un morceau au Bout du Monde et ils avaient mis du chauffage, c’est l’hiver ici et les soirées étaient carrément frisquettes.

Y’avait pas un rat, pourtant c’était un jeudi

Un soir on a bu l’apéro sur le catamaran Kumbaya avec Hubert, Juliette et leurs 4 enfants Louise, Agathe, Paul et Berthille, ils ont participé à une émission sur TF1, vacances au soleil famille nombreuse ou un truc comme ça, ils sont partis en 2020, là ils arrivent de Nouvelle Zélande, ils ont eu un temps de chiotte avec des vagues, Juliette me dit qu’elle en avait ras le bol et qu’elle avait hâte d’arriver, je l’assure de toute ma compassion, même leur petit Paul a été malade pour la première fois depuis qu’ils naviguent, Hubert nous dit que le catamaran c’est pire que le monocoque parce que la vague touche la première coque et dévie le bateau et bam ! elle s’enquille sur la seconde coque et là c’est franchement brutal, rien n’est parfait, ça cause boutique sérieux entre les deux hommes, le capitaine est en train de parler de notre déssalinisateur :

– C’est quelle marque ? (Hubert)

– Rain man

– Aaaah …et il compte les allumettes à toute vitesse ?

Flottement chez le capitaine, je préviens Hubert :

– Il n’est pas cinéphile

On se marre, regard de noyé chez le capitaine, on l’a perdu, il a bien dû voir quelques films dans sa vie, des jours où le club de voile devait être en grève ou en inventaire, le fait est que toute conversation traitant de séries ou de films le laisse dépourvu, il faut en hâte revenir à la mer, à la voile, aux régates, aux marins et aux courses au large (moi ça me fait du bien parfois de parler avec des gens normaux).

ici on est comme à la maison

Et puis le capitaine récupère le moteur, passe un temps fou à trouver la place pour ranger les désormais deux moteurs dans le grand coffre du cockpit déjà plein jusqu’à la gueule, mais il y arrive, il arriverait à rentrer un cube dans un trou cylindrique (il aurait pu sauver Apollo 13) (il ne comprendrait pas, n’insistez pas) on fait le plein d’eau, des courses de bon manger car oui ! à Nouméa on trouve du vrai bon jambon, de vrais bons fromages, du vrai bon pain, après le Vanuatu Nouméa c’est la Terre Promise, l’abondance, le paradis, j’ai l’intention de nous faire péter la panse sur le trajet pour l’Australie qu’on se le dise !

Mais avant de partir et de se taper sur le ventre, il faut caréner le bateau mais l’eau de la marina est tellement dégueulasse que le faire ici risquerait de filer des amibes par les trous de narine au capitaine, alors on s’éloigne pour aller sur un ponton dans un coin plus propre, il n’y a pas beaucoup de vent, il me laisse aux commandes pour sortir de notre place, aller jusqu’à l’autre ponton et m’y garer, je lui avoue que les manœuvres de port me stressent, il me rétorque que lui aussi et que justement il faut que j’en profite quand il n’y a pas de vent, j’en profite avec cette joie sereine que personne ne songerait à me dénier, le capitaine enfile sa tenue de G.I-Joe et plonge, 3 heures plus tard et le bateau propre comme un sou neuf, nous rejoignons notre place initiale, moi toujours à la barre, on ne change pas une équipe qui gagne, le capitaine me corrigeant quand il voit que je suis mal emmanchée, deux nanas arrivent en courant pour nous aider à amarrer, ah les braves dames, j’arrive tout en douceur le long du catway et elles s’exclament que bravo et que je n’aurais pas eu besoin d’elles, je leur dis que je dois tout au capitaine, elles ne me croient pas, vous et moi on sait que si.

On est prêts pour l’Australie, on part demain, 950 miles à faire, pas un pète de vent, on verra bien.

Les étoiles du marin, c’est cadeau

Oui, vous y avez droit, on ne lâche rien !

  • Rappel pour ceux qui n’étaient pas là :
  • C’est quoi les Aussies : le surnom de l’Australie est OZ , cela est dû à la prononciation anglaise des 2 lettres “O” et “Z” qui se disent “ozie” qui est la prononciation du mot “aussie”.  Aussie est le nom utilisé pour appeler les australiens.