Retour en Nouvelle Zélande

Des herbes de la Pampa à profusion (bien qu’on ne lui connaisse aucun ravageur ni aucune maladie, elle en rebute beaucoup car elle est très invasive, n’empêche que qu’est-ce que c’est beau à voir ondoyer sous le vent)

Je retrouve le capitaine à l’aéroport de Toulouse, non que nous ne soyons pas vus pendant ces quelques semaines, mais rasé de frais avec ses cheveux coiffés en arrière et son pull gris anthracite à col cheminée il ressemblait à s’y méprendre à un monsieur tout ce qu’il y a de plus normal, non pas le gendre idéal, quoique, mais le beau-père idéal c’est certain, bien sous tous rapports, il m’a même fait penser à tonton Michel le jour de ma première communion, bon sang y aurait-il un rapport de cause à effet sursauté je intérieurement tout en reprenant mon habitude de trotter sur ses talons en m’interrogeant (je sais faire plusieurs choses à la fois) sur le fait que sa nuque pourrait être la partie du corps du capitaine que je connais le mieux, une fois que nous étions ensemble en voiture j’ai entendu une interview de Carole Bouquet sur France Inter (le capitaine est très radio, très France Inter) dans laquelle elle disait sur le fait de se retrouver sur scène qu’elle était terrorisée mais qu’elle ne voudrait être nulle part ailleurs, illuminée par cet aveu qui faisait écho en moi, j’ai regardé le capitaine avec l’air de Newton qui se prend une pomme sur la tronche :

– Mais c’est ça tiens, c’est exactement moi sur le bateau ! terrorisée mais je ne voudrais être nulle part ailleurs !!!

La révélation

Merci qui ? merci Gotlib !

Il m’a lancé un long regard, comme pour fouiller au plus profond de l’amygdale du lobe temporal de mes 1,2kg (600g ?) de matière grise

– T’es terrorisée sur le bateau ?

– Meuh nooooon ! … mais bon ça m’arrive de stresser quoi (pieux zeuphémisme)

Il a continué à me sonder de son regard aussi pointu que le laser d’un dermatologue en pleine épilation définitive, j’ai pris l’air de rien, je fais ça très bien, il a arrêté, pas moi, on ne sait jamais…

Pour tout dire, il n’a pas juste passé son temps à enfiler un pull à col cheminée, oh que non, il a aussi enfilé … des skis ! (il était mono de ski à une époque) (je ne sais pas ce que j’ai avec les monos ou champions en tout genre, les barmen, les chanteurs ou guitariste de groupe métal, le bassiste ne pouvant être que le dernier choix bien évidemment, mais bon, à 15 ans je suis tout de même sortie avec le bassiste du groupe de mon frangin tellement il avait insisté) enfin bref, il en a profité aussi pour régater avec son fameux pote Henri sur le lac de Tau, première régate  3eme de leur catégorie, pas mal mais de quoi tout de même lui mettre un soufflet en pleine face, à la seconde ils étaient 1er de leur catégorie et 3ème toutes catés confondues sur 53 bateaux, ça l’avait vengé et tout ragaillardi genre l’âge n’a aucune prise sur lui, et des randos aussi, on ne peut pas l’empêcher de bouger. Je lui ai demandé si, du temps où il passait ses week-ends et vacances à régater sur la planète, ça lui était arrivé de perdre une régate à cause d’une erreur stratégique de sa part, figurez vous que oui, il me l’a avoué comme on se lâche après un verre de trop, oui, ça lui est bel et bien arrivé :

– Ah bon ?! Mais quelle faute tu avais faite par exemple ?! (consternation)

– Ooooeuuuuh … j’avais insisté pour qu’on envoie le spi et on a perdu du temps, il aurait mieux valu ne pas le faire …

Comme quoi ça fait belle lurette que ça lui colle à la peau cette envie permanente d’envoyer le spi, mais d’où peut bien lui venir cette impétuosité ?

Aéroport de Toulouse, un homme déambule en pull à col cheminée gris anthracite, sauras tu le trouver ?

Ce qu’il y a de bien à Toulouse c’est que l’enregistrement se fait pronto, cartes d’embarquements pour les 3 vols et valises qu’on ne récupérera qu’à Auckland, on s’envole hands in the pockets pour Munich, le temps d’y boire qui un café qui un thé on redécolle  sous la neige pour 13h de vol vers Singapour, changement de terminal et encore 9h de vol pour Auckland, sachez que sur Air New Zealand on sert des repas épicés à vous faire regretter de ne pas avoir un tube en plastique de la glotte à l’anus en lieu et place de muqueuses digestives douées de sensibilité autant que de capacités spasmistiques si je puis dire

On débarque en NZ frais comme des poissons de 8 jours, les lunettes du capitaine de traviole sur son nez et moi ne gardant de la bonne mine que je m’étais faite en quelques semaines françaises qu’un vieux reste de brushing élaboré la veille du départ, on a hâte de voir dans quel état est le bateau parce que le cyclone Gabrielle est passé par là ce qui avait un peu mis le capitaine sur les dents bien qu’il se soit exclamé que, de toutes façons, le bateau étant assuré, il n’y avait pas à s’en faire, à qui pensait il donner le change sous son air désinvolte, je me le demande pour de bon, c’est vrai ça, à qui ? … ah ça me vient : à lui, pardi 🙂

Une fois sur le hardstand de la marina, constat que le bateau va bien et n’a rien de plus que la perte d’un protège-compas envolé et que le pont et le cockpit sont noir de suie et bleu de fine et insidieuse poussière d’antifouling poncé car il est presque tout poncé, il faudra fignoler l’affaire et puis ensuite passer de l’apprêt avant de remettre de l’antifouling tout neuf, je me suis un temps demandé pourquoi il fallait mettre de l’après avant, avant de comprendre que c’était de l’apprêt, je m’en étais ouverte spontanément au capitaine qui avait ri en pensant que je blaguais, temps de latence  avant de comprendre ma propre blague qui n’en était pas une

Ça me fait tout drôle de retrouver Cap de Miol comme ma maison dans laquelle je reviendrais après les grandes vacances, on range nos affaires ainsi que le bricolage que le capitaine a rapporté dans un gros sac alors qu’il y a plein de magasins d’accastillage ici, mais je crois qu’on parle tellement mal anglais que de tenter d’acheter le moindre truc un peu technique dans le coin ferait se pendre l’innocent bougre qui se serait guillerètement avancé vers nous pour nous offrir ses services dans un sourire très nighteen-nighty-nine (quiconque a été aux States et a allumé une télé plus de 3 minutes saura de quoi je parle)

Et puis on prépare d’autres affaires car avant de reprendre la mer il y a la Nouvelle Zélande à visiter et c’est trop grand pour le faire en bateau, alors le capitaine a eu la bonne idée de louer … un CAMPER-VAN !

Niveau espace habitable c’est le genre de truc qui doit permettre après ça de faire le tour du monde dans une caisse à savon sans se trouver à l’étroit, on dirait un appartement parisien, quand on se penche pour se rincer les dents dans l’évier on a les fesses qui se posent sur la table à manger, table qui se transforme judicieusement le soir en sommier, en se contorsionnant pour se glisser sur l’une des banquettes pour s’installer à table, le capitaine s’exclame qu’il faut s’aimer pour supporter de vivre dans un espace aussi exigu

– Qu’est-ce que tu as dit ?

– J’ai dit qu’il faut s’aimer pour vivre là-dedans !

Il n’a pas l’air de se moquer dis donc, je souhaite qu’il n’en vienne pas à me désaimer si je dois faire caca dans ce qui sert de chiotte, de qui se moque t’on, heureusement il y a des toilettes publiques plein la NZ et on a téléchargé une appli qui nous dit où en trouver ainsi que des campings pour prendre une douche, c’est Camper Mate, qui aurait dit qu’une appli qui indique où trouver des chiottes deviendrait ma nouvelle meilleure amie, les voies du ciel sont impénétrables

Faut pas être claustro
le capitaine serait presque trop grand – c’est pas des nouilles mais de la salade de chou, miam miam, qui c’est qu’est tout content d’avoir du chou plutôt qu’une belle assiette de pâtes au beurre (son plat préféré) ?

Nous voilà partis pour la vie de bohème, nous posant certaines parfois près d’un bras de mer ou un bout de champ, d’autres parfois sur un parking au milieu de surfeurs vautrés sur des sièges de camping ras-du-sol qui tripotent leur smartphone pendant que leurs groupies s’affairent auprès d’un réchaud à gaz pour tambouiller de quoi leur remplir l’estomac, le capitaine et moi ne faisons pas exception à la règle, les générations passent, les lois occultes et ancestrales collent aux êtres comme du chewing-gum sur une semelle de crêpe et je suis bien la première à m’en satisfaire, après tout c’est lui qui conduit. Dans l’hémisphère sud c’est l’automne qui pointe son nez, et oui, plus on descend au sud plus ça caille, les douches froides au bord des plages ça devient limite, on se laisse alors tenter par des campings avec douches chaudes, 40$ NZ en moyenne la nuit pour garer son van dans un coin, ça fait réfléchir, l’idée d’une douche chaude fait de plus en plus souvent pencher la balance, jusqu’à ce que je ne demande même plus son avis au capitaine parce que pisser accroupie dans un seau au pied du lit la nuit passe encore, mais dégager des effluves nauséabondes planquées derrière un déo bon marché, merde alors ! (j’aime noircir le tableau grâce à cette touche élégante de déo bon marché), ça me fait penser que j’ai acheté un produit pour la douche bon marché (association d’idées) qui promet de vous faire la peau super douce, (moi je crois les étiquettes), ça j’ai compris bien que ça soit écrit en Anglais, mais le reste je n’ai pas lu, résultat ça pue la vanille chimique au point que c’en est ignoble, la seule fois où je l’ai utilisé, imaginant ma peau plus douce que douce et tout ce qui s’ensuit que ça vous fait pousser des ailes rien que d’imaginer cette peau si douce qui ferait se damner un saint, j’ai super mal dormi parce que cette satanée odeur était accrochée à ma peau pas plus douce et ça révulsait mes récepteurs olfactifs, dépitée comme Cendrillon quand le carrosse redevient citrouille, encore heureux que le nez délicat du capitaine ne l’ait pas deviné que ça lui aurait gâché sa nuit et son humeur tout aussi délicate, mais que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre, moi en tête de liste

Nous avons grosso modo 1 mois pour tout voir, on ne verra pas tout alors il faut choisir, surtout que notre camion n’avance pas vite bien que sa consommation en gasoil soit inversement proportionnelle à sa vélocité, c’est parti pour le niouziland-road-trip, en ture pour de nouvelles avenroutes pied au plancher, j’ai évité de dire au capitaine que je n’aime pas la route pour ne pas gâcher l’ambiance, et bien vous savez quoi, du coup ça passe beaucoup mieux, de toute évidence j’ai dû me brancher sur une autre partie de mon cerveau, j’en ferai don à la science pour étudier le phénomène

cadeau

Tout n’est pas racontable, non que cela relève d’inconvenance ou autre conduite peu louable, mais ça serait trop long, je m’en tiendrai donc aux épisodes les plus rocambolesques (rien du tout, c’est juste le mot qui me plait) ou notables, après la péninsule de  Coromandel qui ne me laisse comme souvenir impérissable que cette petite route aussi tortueuse que bien jolie, nous nous pointons dans la zone géothermique et sulfurisée de Rotorua, précisément sur le site de Wai-O-Tapu, région qui m’intéresse et m’interpelle au plus haut point parce que

– ça pue !

– mais non, ça sent le soufre !

(Devinez qui a dit quoi)

la boue est bouillante, on évite de prendre un bain

On s’en prend plein les narines et ici, comme me l’avait dit la nana de Marsden Cove Marina : en Nouvelle Zélande il n’y a que l’eau qui est gratuite ! Pour tout le reste tu paies, et même le prix fort, visiter le parc et prendre des notes en font partie, j’en prends le mien (de parti si tant et qu’il faille que j’explique mes vannes)

Ce que nous respirons est du sulfure d’hydrogène ou hydrogène sulfuré, gaz émis par les volcans et les sources chaudes, extrêmement toxique, quand on le respire, tout d’abord il irrite les yeux et donne une sensation de brûlure aux poumons, puis on perd l’odorat car le nerf olfactif est paralysé, ce qui ajoute au danger puisqu’on ne se méfie plus, la perte de connaissance s’ensuit puis l’arrêt respiratoire et enfin la mort par asphyxie et arrêt cardiaque. C’est mieux de le savoir plutôt que de croire que ça va nous soigner les sinusites chroniques (ma grande sœur faisait des cures de soufre à Aix-les-Bains quand elle était môme, comme elle est toujours de ce monde et que c’est tant mieux tellement je l’aime, j’en déduis qu’on ne lui faisait pas respirer ça tout de même … ou si ?!)

Malgré ces effluves pour le moins préjudiciables, on dirait la palette d’un peintre, mais mieux vaut ne pas y tremper son pinceau en se bouchant le nez car l’eau verte qui fume est à 75 degrés et bourrée d’arsenic, la bordure quant à elle est orange de par sa contenance en antimoine, produit mortel s’il en fut mais possédant des vertus contre la fièvre, la constipation et la gueule de bois. Il s’agit de l’élément chimique métallique de symbole Sb (du latin stibium), de numéro atomique 51, pour dire que c’est du sérieux. Son nom aurait été choisi en référence aux nombreux décès par empoisonnement accidentel qu’il aurait provoqué chez les alchimistes souvent aussi moines (il existe d’autres supputations mais j’ai choisi celle là qui me semble aussi plausible qu’anecdotique). Et rendez-vous bien : jadis était fabriqué un vin émétique, mélange de sel d’antimoine et de potassium, qui en tant que vomitif puissant pouvait expliquer certains succès médicaux, ce qui fut le cas dans la guérison de la fièvre de Louis XIV en 1658. Cette guérison mit fin à l’interdiction de cette substance proclamée en France en 1566 suite aux décès des fameux alchimistes/moines qui auraient ingéré cette substance. Il faut, en outre, noter, d’une part que l’antimoine était utilisé 3000 ans av JC comme fard à paupières, et d’autre part que de fortes doses (plusieurs centaines de milligrammes) peuvent entraîner une toxicité cardiaque, comme ça vous savez tout ce qui est intéressant à savoir.

Quant à l’arsenic (élément chimique de numéro atomique 33, symbole As tant qu’on y est), c’est un composant naturel de la croûte terrestre largement présent dans l’environnement, que ce soit dans l’air, dans l’eau ou dans la terre. Il est très toxique également sous forme inorganique. L’exposition prolongée à l’arsenic inorganique, principalement dans l’eau de boisson et les aliments, peut entraîner une intoxication chronique. Les lésions et les cancers de la peau en sont les effets les plus caractéristiques. Les personnes qui fument sont particulièrement susceptibles d’être exposées à l’arsenic inorganique naturel contenu dans le tabac, car les plants de tabac peuvent absorber l’arsenic naturellement présent dans le sol, tout ça fait réfléchir et ne pas rester trop longtemps à côté de cette étendue appelée Champagne Pool parce qu’en plus de ces couleurs incroyables et de la fumée qui s’en échappe, l’eau fait des petites bulles qu’on entend pétiller.

J’en profite pour vous indiquer que certains minéraux et métaux font partie de l’arsenal de la pharmacopée Chinoise et que les Taoïstes utilisaient le cinabre (sulfure naturel de mercure) en drogue d’immortalité. Ce type d’expérience reste déconseillé n’est-ce pas, il ne faut pas plus sniffer de la vapeur de mercure (élément chimique de numéro atomique 80, de symbole Hg, sinon vous serez frustrés) car des concentrations élevées peuvent causer des lésions à la bouche, aux voies respiratoires et aux poumons et sont susceptibles de provoquer la mort par insuffisance respiratoire, et certains composés du mercure peuvent provoquer de l’insuffisance rénale et des lésions gastro-intestinales, entre autres effets peu propices à la longévité, a fortiori à l’immortalité. Les Alchimistes Taoïstes avaient eu l’idée, qui peut sembler saugrenue, de croire que le fait de manger des aliments qui meurent ou pourrissent nous rendait nous-mêmes pourrissables et mortels, ce qui les avaient portés à utiliser des métaux (or, argent, plomb, mercure, etc) et des minéraux (cinabre, malachite, réalgar, etc), on peut toutefois remercier ces cobayes volontaires qui ont permis aux générations suivantes d’éviter de s’empoisonner.

Et d’où vient ce blanc comme de l’écume solidifiée ? et bien il s’agit de silice (forme naturelle du dioxyde de silicium SiO2). A l’état naturel, la silice cristalline, notamment le Quartz, est présente dans de nombreuses roches (grès, granite, sable). La silice amorphe d’origine naturelle correspond à la terre de Diatomée, elle est utilisée comme insecticide ménager, dans la fabrication de peinture, dans la clarification de la bière et du vin, et entre dans la composition de produit de consommation comme les produits cosmétiques, pharmaceutiques, dentifrices, ou additifs alimentaires. Le silicium, quant à lui, est un élément chimique désigné par le symbole Si dans la classification périodique de Mendeleïev. Il n’existe pas à l’état libre dans la nature mais se trouve combiné à deux atomes d’oxygène pour former le dioxyde de silicium SiO2, communément appelé silice. Si je vous en parle c’est parce que faire des cures de silicium organique, qui est une molécule fabriquée en laboratoire car elle n’existe pas à l’état naturel, a été une grande mode en son temps, peut-être dure t’elle toujours dans certains milieux. Il a été dit que « de nombreuses études scientifiques » ont démontré son impact sur les éléments constructeurs des tissus conjonctifs (os, muscles, peau, artères, …) et des résultats bluffant sur les cancers et maladies mortelles, comme à chaque fois que l’on veut vendre une molécule en tant que panacée universelle. Certes, le corps humain contient du silicium et en a besoin, on en trouve pour le combler dans l’eau, les céréales, les légumineuses, les oléagineux et les fruits, certains en étant plus pourvus que d’autres, mais comme tout abus, celui du silicium organique provoque de l’insuffisance rénale : il faut garder de la mesure en tout et se rappeler que rien ne vaut une alimentation saine, une respiration consciente, une activité physique, suffisamment de lumière naturelle, un bon sommeil, des amis, des amours et du rire pour avoir tout ce qu’il faut.

Et c’est imbibés de cette odeur délicate d’œuf pourri que nous nous rendons dans le parc national de Tongariro, j’ai la nette impression que tout bout de champ ou étendue de forêt est catalogué parc national par ici, les néo-zèdes savent vendre leur pays, je suis excitée comme une vierge au bal des débutantes car la rando que nous nous préparons à faire est réputée pour être l’une des plus belles au monde, vous m’avez bien lue L-UNE-DES-PLUS-BELLES-AU-MONDE, on a calculé qu’il faut se lever à 3 heures 1/2 pour choper la navette de 4h45 qui nous emmènera au pied du départ afin de commencer la randonnée à 5 heures, le capitaine m’ayant martelé dans les oreilles une fois de plus qu’on met trop de temps à se mettre en route et que nous sommes une bande de feignants à votre service

– But in the night we won’t see anything ânonné je au monsieur de probable ascendance irlandaise (il ressemble à Brendan Gleeson en plus mince) qui nous explique tout ça

Il me baragouine un laïus que je n’ai pas le courage de tenter de reproduire ici, mais je comprends qu’il y a des centaines de touristes qui font la rando chaque jour et que si on veut être tranquille on a tout intérêt à faire comme il dit, et que ce qu’il y a à voir c’est en haut que ça se passe et qu’il fera grandement jour d’ici à ce qu’on y soit, bon.

Réveil comme prévu à 3h30, saut du lit, petite toilette, œufs brouillés, pâtes, pain, amandes et raisins secs, le ventre plein comme une outre on s’habille comme au ski parce qu’il fait 4 degrés et que ça sera pire en haut, on se pèle grave dans le camion (c’est ainsi que nous avons baptisé le camper-van), le capitaine a déjà rejoint l’endroit où se trouve la navette, je m’y pointe à mon tour, la nuit est si noire que je ne vois rien ni personne, ah si ! Le capitaine !

– Il n’y a personne ? On est les premiers ?

– Nan ! on est les derniers ! comme d’hab ! Grouille toi !

Je me grouille aussi sec et monte dans la navette blindée de monde, les gens mangent des trucs sur leur siège alors bien entendu qu’ils ont gagné du temps, c’est mauvais comme tout pour la digestion, et nous voilà partis.

Le Tongariro Alpine Crossing ! balisé et panneauté en long, en large et en travers, je ne risque pas de me perdre ! La randonnée s’effectue en traversée à travers 3 des plus grands volcans de la Nouvelle-Zélande : le mont Tongariro, le mont Ngauruhoe et le mont Ruapehu, tous les 3 sacrés chez les Maoris.

On a laissé les autres partir devant pour être tranquilles (ils sont partis comme des flèches pour nous semer), je dis au capitaine que j’ai l’impression qu’on part du camp de base de l’Everest pour partir à son ascension, ce qui lui provoque l’ébauche d’un sourire, ma pensée magique est toujours très vive

Nous voyons le ciel s’éclaircir progressivement au fur et à mesure de notre avancée, mais les montagnes cachent toujours le soleil, et c’est en arrivant dans le Red Crater à plus de 1800 mètres d’altitude (pour l’Everest, tu repasseras) qu’il fait grand jour et bien froid

Et là :

Et là ! la fameuse montagne du Destin gravie par Frodon dans le Seigneur des Anneaux (c’est le mont Ngauruhoe) ! Alors je n’ai jamais tenu plus d’une demi-heure à tenter de regarder ce film tellement ça ne m’a pas intéressée, mais comme c’est écrit partout il aurait fallu que je sois vraiment illettrée pour ne pas être au courant. Nous immortalisons la montagne, chacun avec notre téléphone qui sait tout faire, nous sommes seuls dans le cratère, c’est juste gran-diose !

Jusque là, petite rando tranquille même s’il a fallu grimper sur quelques rochers, mais sortir du Red Crater est une autre histoire car nous marchons et dérapons dans des éboulis de lave et la pente est fort raide, en plus il y a un vent pas possible et je gravis la suite avec ma capuche sur mon bonnet et les doigts gelés, je dois ôter mes lunettes pleines de la buée de ma respiration, nous arrivons en haut plein brouillard et vent glacial

avec de la neige ça serait vraiment l’Everest !

Qui dit arriver en haut dit mourir là ou redescendre en bas, est-ce un choix, le début de la descente demanderait de chausser des skis : la pente est raide, le sol est meuble, les scories de lave roulent sous nos chaussures, c’est dur de se retenir de dévaler, mais avec un peu de chance on aura notre récompense parce que le clou du spectacle devrait être les lacs émeraude qui portent le nom de Ngarotopounamu, ce qui signifie les lacs couleur pounamu, le pounamu étant une pierre appelée également jade de Nouvelle Zélande ou greenstone. Au vu du brouillard épais, nous sommes dans un doute absolu, mais sait-on jamais …

Las, nous aurions dû voir ça :

Et nous avons vu ça :

Mais nous y étions ! Mais nous l’avons vu, de nos yeux vu !

L’émoi passé, il faut ensuite se coltiner la longue descente désertique, que nous finissons sous le soleil mais avec toujours un vent fort et froid

Quand la navette revient nous chercher, notre probable Irlandais d’ascendance est désolé de nous avoir fait lever si tôt parce que ceux qui ont fait la grasse mat’ ont eu une vue bien dégagée quand ils sont arrivés à l’heure où le soleil a eu fini de disperser le brouillard, il nous propose de nous y ramener demain gratis (la navette coûte 60$ NZ par personne) mais nous déclinons, c’est fait et malgré le brouillard, ou grâce à lui, c’était une superbe balade pittoresque qui m’a fait vibrer, et à cette heure là avec le vent et ce brouillard, on a quasiment été seuls tout du long, et ça c’est vraiment du luxe.

En plus le lendemain il faut filer à Wellington pour prendre le ferry afin de passer sur l’île Sud, hop : Wellington nous voilà !

Wellington est la capitale de la NZ, et non pas Auckland comme on pourrait le croire et comme j’y ai cru bravement jusqu’à ce jour, mais ce n’est pas si faux de l’avoir cru car Auckland en a été la capitale jusqu’en 1865, date à laquelle Wellington l’a remplacée, notamment parce qu’étant plus au Sud, elle était mieux placée pour être la capitale des deux îles.

Nous campons sur un parking réservé aux camper-vans à côté de ce trop beau van qui semble être un aménagement de camion pour les chevaux dixit le capitaine

Le parking est au bord de la route et sous le couloir aérien de l’aéroport tout prêt, chouette ambiance bien loin de la carte postale bucolique mais fort pratique pour rejoindre le point d’embarquement pour le ferry …

Visiter Wellington est une autre forme de randonnée, nous faisons au moins 15 kilomètres à pinces pour profiter de sa richesse culturelle et me plonger dans les plantes médicinales de NZ, musée, bibliothèque et jardin botanique, j’apprends qu’ici le Pandanus est le Phormium cookianum et a été nommé ainsi en hommage à James Cook, ce marin explorateur qui a mené 3 explorations dans l’océan Pacifique et a fait le tour complet de la Nouvelle Zélande en 1769.

Cependant ce n’est pas lui qui l’a découverte mais Abel Tasman en 1642 (on notera ci-contre l’hommage qui lui est rendu) cependant il en a établi une carte exceptionnellement précise qui a montré qu’elle comprend deux îles séparées par un détroit qui porte aujourd’hui son nom et que nous allons emprunter en ferry pour passer sur l’île Sud.

J’ai du pain sur la planche pour traduire de l’anglais les informations que j’ai prises sur les plantes endémiques de NZ, mais comme sur toutes les îles que nous avons visitées, il a été importé de nombreux arbres, plantes et fleurs, et je retrouve avec joie de la Germandrée commune qui pousse sur les sols rocailleux du sud de la France et a des vertus diurétiques, toniques et antiscorbutiques, on l’appelle aussi Sauge des bois ou Herbe des fièvres, la voilà cette jolie Germandrée (Teucrium) :

Et du Géranium rosat (une espèce de Pélargonium) bien plus connue sous forme d’Huile Essentielle que pour ses belles fleurs, quand je veux me parfumer je mets une goutte de cette H.E. sur ma nuque, c’est délicieux, elle a de multiples propriétés thérapeutiques car elle est anti-infectieuse, bactéricide, antifongique, astringente, anti-inflammatoire, cicatrisante, hémostatique, antalgique, tonique lymphatique, elle repousse les insectes (c’est pour ça que c’est bien d’en mettre dans des jardinières devant ses fenêtres) et régénère les tissus cutanés et elle fonctionne très bien pour les problèmes d’acné, quelle plante !

Et pour finir aujourd’hui, du Millepertuis ! Ou Herbe de la Saint Jean et encore mieux Herbe aux fées, Herbe aux mille vertus ou encore Chasse-diable, il s’agit du Millepertuis officinal (Hypericum). C’est une des plantes dont les propriétés thérapeutiques ont été abondamment étudiées. Traditionnellement utilisé en applications locales contre les brûlures superficielles, le millepertuis est désormais plus connu pour son usage dans le traitement des états dépressifs transitoires, légers à modérés. L’OMS reconnaît comme « cliniquement établi » l’usage du millepertuis par voie orale dans ces traitements.

Cependant, car il y a toujours un mais, certaines personnes sont allergiques au Millepertuis, et son usage est déconseillé aux personnes qui souffrent de troubles bipolaires, mais de plus il interagit avec un très grand nombre de médicaments et de plantes, ce qui en limite fortement l’usage : plus de 70 substances ou familles de substances ont été identifiées comme interagissant avec le millepertuis … il faut bien voir le type d’interaction car beaucoup d’interactions sont bénignes mais ce n’est jamais parce qu’une plante est naturelle qu’il faut penser qu’elle est inoffensive et en prendre sans se renseigner auprès d’un professionnel, qu’on se le dise. Mais à part ça, ça marche super bien comme régulateur d’humeur !

on est monté au jardin botanique avec le Cable-Car !

A suivre pour découvrir l’île Sud !

Wellington vue du Mont Victoria

Mais avant de partir, vous devez absolument savoir

  • Du poids de mon cerveau : Aujourd’hui, les moyennes retenues sont de 1 450 grammes pour le cerveau des hommes et de 1 300 grammes pour celui des femmes. Cependant, si l’on tient compte du poids corporel moyen, le poids cérébral des hommes et des femmes est proportionnellement le même. Reste la question de l’influence du volume du cerveau sur l’intelligence. Il y a consensus pour affirmer qu’elle est nulle. C’est la qualité qui compte, et non la quantité. Le poids du cerveau d’Einstein n’était que de 1 250 grammes, celui d’Anatole France de 1 000 grammes, et celui de Tourgueniev de 2 000 grammes.
  • L’odeur des œufs trop cuits provient de la décomposition du soufre en sulfure d’hydrogène libéré dans l’air qui produit ce gaz nauséabond caractéristique. Lorsque l’on cuit un œuf, une réaction chimique se déroule entre le fer présent dans le jaune de l’œuf et le soufre libéré par les protéines du blanc de l’œuf. On peut observer, à la limite entre le jaune et le blanc de l’œuf, une fine couche vert bleutée, qui est une coloration due à la libération de sulfure de fer.
  • Le soufre est un minéral, non-métallique, représenté par l’initiale S dans le tableau périodique des éléments. Il compte aussi parmi les oligoéléments indispensables de l’organisme humain. Au 11e siècle, il servait à fabriquer de la poudre à canon, au 15e siècle, on l’utilisait pour désinfecter de la peste noire, depuis la seconde moitié du 19ème il est utilisé avec succès comme antifongique et répulsif dans le monde agricole … et comme arme de guerre puisque sa fumée est toxique. Dans l’organisme humain, le soufre est un des composants des acides aminés soufrés, il entre dans la composition des vitamines B1 et B8 et participe à plus 400 réactions enzymatiques.
  • Et quid des cures d’eau thermale avec des eaux sulfurées : s’agit-il également de sulfure d’hydrogène ? et bien oui, les eaux thermales sulfurées ou sulfurisées en contiennent et sont utilisées avec des dosages précis et selon leur Ph pour traiter certaines affections des articulations et rhumatismes, les dermatoses prurigineuses, les inflammations allergiques ainsi que certaines maladies respiratoires telles que l’asthme, et la sinusite. Pour les affections respiratoires, on dispense cette eau localement sous forme de nébulisations, d’aérosols, de douches pharyngiennes ou d’insufflations…il faut vraiment bien doser !
  • Arsenic :
  • Fallait pas toucher l’arsenic :
  • Antimoine :
  • Mercure :
  • Soufre :
  • Silice :

Jusqu’au pays du long nuage blanc

Nuit calme, bien mais peu dormi, on voit Niue au loin, une vraie galette, ça me fait penser à Marie-Galante, je partage cette pensée au capitaine qui dit que pas lui mais pas du tout alors, bon, on n’est pas obligé non plus de penser la même chose, je lui en fait la remarque s’il se renfrogne quand j’ai mes propres pensées, il n’y aurait jamais de débat si on pensait tous la même chose, l’intérêt c’est tout de même de débattre, je trouve, lui le débat l’énerve en général parce que ça revient à le contredire, ce qui relève plus ou moins du crime de lèse-majesté (plus, à vrai dire)

De près, c’est pas Marie-Galante on est d’accord

Ce qui est chouette quand le temps est calme et qu’on prend le petit dèj sur nos genoux dans le cockpit, c’est qu’on a le temps d’avoir des vraies discussions, on peut même dire que c’est dans ces moments que j’en apprends le plus, et ce matin on parle de la dérive, c’est vachement intéressant parce que ce n’est pas, comme on pourrait le croire, les vagues ou la houle qui font dériver un bateau en le poussant, mais le vent sur la coque et les voiles d’un bateau …devant mon air égaré (un rien m’égare) le capitaine se lance dans un exposé sur la dérive qui a deux origines: le vent et les courants, les dits courants n’ayant rien à voir avec la houle ou les vagues, la houle et les vagues passant sous le bateau mais ne le poussant pas, le courant par contre si, comme si le bateau était posé sur un tapis roulant dans l’océan, selon le sens du courant parfois ça nous fait avancer plus vite, parfois ça nous freine, et d’autres fois ça nous fait dévier de notre cap, mais tout ça POUR REPONDRE A MA QUESTION DE DEPART entre deux bouchées : vaut-il mieux avoir un dériveur ou un quillard ?

Alors bien sûr, on a déjà évoqué le sujet quand on naviguait dans des atolls car les catamarans ou les dériveurs peuvent aller dans des endroits ou un quillard ne passe pas, puisque qu’ils peuvent relever leur(s) dérive(s) – pause : le capitaine me fait remarquer à juste titre qu’on ne devrait pas appeler dérive cette planche qu’on descend dans l’eau pour éviter que le bateau ne dérive, mais qu’elle devrait s’appeler plan antidérive (la définition de la dérive que je viens de donner est de moi et a le mérite de faire comprendre parce que les définitions intelligentes sont incompréhensibles, alors où se place l’intelligence dites moi )

un couple de redressement important = éviter de chavirer et ça suffit grandement pour en comprendre tout l’intérêt

Mais ce qui m’intéresse aujourd’hui, et qui fait subtilement suite aux coups de vent que nous avons essuyés, c’est de savoir quel bateau est le plus susceptible de ne pas chavirer en pleine mer, tenez vous bien, c’est le dériveur qui gagne ! j’en reste pantoise et stupéfaite, c’est terrible parce que par gros vent, la quille fait un croche-pied au bateau justement parce que ça l’empêche de dériver, alors qu’un dériveur ou un catamaran peuvent par gros vent relever leur(s) dérive(s) et glisser sur l’eau sans capoter …

– Mais alors ?! crachoté je mes miettes dans tout le cockpit, mais alors pourquoi t’as choisi un quillard (bougre d’inconscient) ?!

– Parce que c’est plus performant, plus stable et que ça va plus vite

On ne le changera plus …

Carrément une photo du capitaine, de 3/4 arrière OK, mais tout de même, moi j’dis que vous avez bien de la chance (la vache, il est beau hein ?)

On peut se mettre à une bouée, hourra on va pouvoir se poser ! rangeons le bateau, buvons une bière avec du saucisson, jamais rien mangé ni bu de meilleur,  la vie reprend ses droits (comme quand l’infirmière t’apporte un café une fois dans ta chambre après l’opération, c’est de la pisse d’âne mais tu le savoures tel un luxe d’une indécence consommée) il pleuvote et le temps est bas et gris, le capitaine fait de l’eau et moi du ménage et du pain, un peu de lessive, on dîne il est déjà 22h de Niue ce qui fait 23h de Tahiti, on est au bout de nos vies, après ça douche sur la jupe, effondrement sur la couchette, on a décidé de décider demain de ce qu’on va faire par rapport au nouveau coup de vent annoncé, l’heure n’est plus à la réflexion

Au matin il fait beau, comme on ne va pas attendre 5 jours sur le bateau sans rien faire vu qu’on n’a pas le droit d’aller à terre, Niue étant fermée encore aux navigateurs suite au covid, comme on ne va pas non plus filer sur le récif de Minerve car il faudrait naviguer 4 jours et on aurait à se taper cet autre coup de vent annoncé, que j’en ai moyennement envie on va dire, on décide de filer vers les Tonga, c’est ouvert aux navigateurs et on pourra patienter là 1ou 2 jours avant de continuer quand le vent sera redevenu plus urbain

… aussitôt dit, aussitôt fait, c’est parti au portant, spi aussitôt envoyé aussitôt affalé, le vent, farfadet malicieux, a déjà tourné, ma frange s’est coiffée horizontalement à gauche, signe de tribord amure, j’en fais la remarque au capitaine qui sourit du coin des yeux, 15 nœuds, vent à 130 degrés, on avance doucement à  5/6 nœuds, ça réconcilie avec l’océan

Le jour suivant, le vent oscille paresseusement entre 10 et 13 nœuds, quasiment de plein Est, et comme on va quasiment plein Ouest on se retrouve avec un vent plein cul de chez plein cul, alors problème parce que le mieux est de mettre le spi mais la GV va lui couper le vent … le capitaine tranche, on va affaler la GV et envoyer le spi allez zou

– ok, mais comment on fera pour affaler le spi sans le déventer sous la GV ? soufflé je du bout des lèvres pour ne pas paraître remettre son idée en question

– faudra pas attendre d’avoir 20 nœuds pour affaler … spi-pointe t’il de l’index

sous spi et rien que le spi

Pas bien longtemps plus tard le vent, imprévisible par nature, monte à 15/16, s’emballe soudain à 20, faut affaler fissa, on fonce à la manœuvre, le spi est ballotté à droite et à gauche et le bateau suit, le capitaine me crie son idée de mettre le génois pour déventer un peu le spi, on déroule le génois mais en étant plein cul il claque au vent, ça ajoute une jolie note au cirque ambiant, il faut affaler coûte que coûte avant que le vent ne forcisse encore, je donne un max de mou au bras puis saute sur la drisse de spi pour affaler afin que le capitaine puisse le récupérer sur bâbord, pourvu que le spi ne s’envole pas avec le capitaine, se passer de spi je saurais faire mais du capitaine c’est une autre limonade, voilà que l’alarme du pilote se met à biper car il est largué avec la direction qu’a pris le bateau, c’est vrai que c’est n’imp ce qui se passe ici

– coupe le pilote ! prends la barre !

je bloque la drisse de spi au taquet et saute sur la barre

– pour aller où ?!

– le cul au vent !

Mais rien à faire, le bateau n’obéit plus, il s’est mis de travers au vent car le spi est sur bâbord, gonflé contre la coque pour une moitié, l’autre gisant dans l’eau, le capitaine agrippé à lui pour éviter qu’il ne s’envole, impossible de le mettre cul au vent !

– alors mets toi face au vent !

Tout aussi impossible, logique, le spi est gonflé en travers et pousse le bateau, pour le coup je comprends bien tout sur la dérive, rien de tel qu’un exercice de terrain, je laisse tomber ces vaines tentatives pour aider le capitaine qui abandonne le spi pour aller à l’étrave décoincer le bras qui est bloqué et nous empêche d’affaler, pendant que j’enroule le génois qui ne fait rien que nous embêter à claquer de droite et de gauche et envoie valser les écoutes qu’on va finir par se faire éborgner si ça continue, le capitaine revient en zigzaguant au rythme du bateau ivre, on reprend là où on en était, réussissons à récupérer la partie supérieure du spi dans le bateau, reste à remonter le reste qui flotte dans l’eau, on le hisse en ahanant, peur de le déchirer, le vent le gonfle par endroit  comme des bulles chewing-gum géantes, je me jette dessus à 4 pattes pour éviter qu’il ne s’envole à nouveau, c’était bien la peine de prendre une douche, et puis on y arrive, c’est gagné, no comment sur le moment mais un peu plus tard j’avouerai au capitaine que c’est pour ça que le spi, j’aime moyen, à chaque fois il y a une merde, c’est clair que ça l’amuse lui, du moins tant qu’on ne déchire pas le matériel, il est tout guilleret de la tribulation, ça met du peps, on finit par mettre le génois tangonné point-barre, le vent redescend à 15, toujours plein cul, on avance à 5/6 soit ce qu’il faut pour arriver demain matin à la première île des Tonga du nord, à savoir Vava’u, que demande le peuple (je suis, le peuple)

sur la carte

C’est époustouflant de naviguer entre toutes ces petites îles, encore une découverte, on n’a jamais rien vu de tel !

et in situ

on s’est posé là, devant Neiafu, amarrés comme des chefs à une bouée sous une pluie battante, on a beaucoup de pluie depuis qu’on a quitté Maupiti, c’est dingue qu’il flotte autant

Nous filons faire la clearance et nous dirigeons en sautant d’une flaque à l’autre vers un vaste hangar que l’on nous a indiqué, quelques bougres (comme dit le capitaine) sont collés devant un téléviseur qui hurle un match de foot, on dérange mais ça n’émeut pas le capitaine qui sort ses paperasses et les agite sous leur nez, un des bougres se lève et traîne ses pieds jusqu’au bureau, nous sort toute une liasse de feuilles à remplir et finit par baisser le son du téléviseur pour faire un peu sérieux, il nous demande notre date d’arrivée, c’est facile, c’est aujourd’hui, le 2 novembre

– today ? november the third ?

– no, today, the second !

Le gars nous regarde de travers, nous lui rendons un même regard tout autant de travers, des cow-boys qui se jaugent avant de dégainer, on ne peut pas être ici et dire qu’on arrivera demain, c’est quoi ces foutaises ?

Et puis, éclair de génie, je me tourne vers le capitaine et lui tapote la cuisse d’excitation

– bon sang ! ça veut dire qu’on a passé la ligne du temps ! on n’a pas eu de 2 novembre ! on est passé directement du 1er au 3 !

– la ligne du temps ? c’est quoi ça ?

Bon, en fait c’est la ligne de changement de date mais je trouve que de dire la ligne du temps c’est plus mystérieux, plus magique, plus sciencefictionnel, plus dingue quoi ! Le passage de la ligne de changement de date fait passer d’un jour à l’autre à une même heure ou plutôt à un même moment de la journée, pouf un jour disparaît en un nuage de fumée !

– tu te rends compte ? on nous a privé de 2 novembre ! (alors qui on, dans quel but obscur vouloir nous en priver, je ne m’attarde pas sur ce genre de détail) … tu sais quoi ? l’an prochain on fait une fête à tout casser le 2 novembre !

Une fois calmée de l’effet que cette incroyable nouvelle a eu sur ma personne, le gars qui n’a rien compris de mon émoi nous demande des sous, le capitaine fait un saut dans une banque car nous n’avons pas d’argent tonguien, pendant que je regarde, émerveillée, le préposé (quand je dis préposé c’est que c’est impossible de savoir s’il est douanier, flic ou pêcheur qui arrondit ses fins de mois) coller des vignettes à la gloire des Tonga et mettre des sceaux et des tampons sur le document de clearance, c’est magnifique, on se croirait à un tribunal révolutionnaire qui tient à affirmer sa légitimité à coups de cachets et blasons officiels, je dirai au capitaine de me le donner quand il n’en aura plus besoin mais on nous le prendra en Nouvelle Zélande sans que je l’ai même photographié, je suis dègue

on ne sait pas si c’est la capitainerie, la gendarmerie, la douane … les trois ?
mais c’est là qu’on peut voir le foot

Et puis un rangement-de-bateau-courses-de-fruits-et-légumes-free-wifi-de-resto-pour-répondre-aux-mails-et-repas-au-dit-resto-tellement-pas-cher-comparé-à-Tahiti ! plus tard, nous hissons à nouveau les voiles, bien requinqués, direction notre prochaine escale.

départ vers le soleil couchant, en se faufilant entre toutes ces petites îles

Le lendemain matin nous passons devant la dernière île nord des Tonga, notre passage aura été bref mais nous aurons vu les Tonga et je dis au capitaine que ça m’a fait drôlement plaisir de les voir !

Le second soir, le capitaine accepte de goûter à la soupe miso en fronçant le nez au dessus du bol comme si les émanations de l’enfer allaient lui brûler les sourcils, il se lance courageusement et finalement apprécie, aimer serait un bien grand mot, mais ça commence à cailler et une petite souplette pour se réchauffer la couenne est bienvenue, on se croirait au ski, limite si on ne se file pas des grandes tapes dans le dos pour se réchauffer

Dans la nuit le vent adonne et descend, le capitaine tangonne le génois pendant que je dors, j’entends du bruit alors je me lève au radar pour l’aider (j’aurais pu crier SILEEEEEENCE !!! je me suis abstenue ne sachant pas s’il apprécierait la blague) mais c’est quasi fini, il me dit de retourner au dodo, je retourne au dodo, et puis au matin on arrive sur Minerva Reef, le récif Nord de Minerve, je crois le mouillage le plus improbable qui puisse être, top one des endroits les plus inattendus au monde, quand je pense que certains croient que le summum c’est de posséder une Rolex à cinquante balais, ça fait pitié

Pas l’ombre d’une île, juste quelques moutonnements à fleur d’eau … but where are we ?(je me réentraîne à baragouiner un vague anglais) :

à droite le reef Nord, à gauche le reef Sud
ces photos et celle du dessus viennent d’internet, n’ayant pas investi dans un drone

Et encore, le sable qu’on voit a été importé en barges en 1971 par un promoteur immobilier millionnaire de Las Vegas qui voulait y fonder une société et s’était fait élire (par qui ?) président avant de se faire destituer en 1973. En 1982, un groupe d’Américains, encore mené par ce fameux promoteur Morris Davis, avait tenté d’occuper les récifs, mais avait été expulsé par les troupes de Tonga après trois semaines, les gens sont fous !

On a, l’une le nez collé sur Navionics car le capitaine a vu quelque part que la passe n’y était pas indiquée au bon endroit, l’autre les yeux écarquillés pour la repérer, ce qui nous fait arriver dans le mascaret sans avoir affalé la GV mais comme on y est on ne se pose pas de questions, on se met face au vent pour affaler pronto, on peut dire que ça danse alors on fait comme on peut et la voile n’est pas très proprement pliée au grand dam du capitaine, on enquille la passe sans problème, je précise que celle-ci est notée au bon endroit sur Navionics si vous y allez un jour

3 bateaux au mouillage, pas un cocotier, des voix américaines à la VHF qui s’invitent entre bateaux pour le lunch, j’espère qu’on va y couper parce que les Ricains m’épuisent à force de faire semblant de comprendre leur charabia débité comme s’il fallait caser un maximum de mots dans une vie  pour gagner le paradis

C’est bien, on est au sec et à l’abri du coup de vent qui se prépare, et alors qu’en mer on ne voyait aucun bateau en vue ni sur l’AIS, plusieurs arriveront dans la journée pour s’abriter comme nous, on finira à 9 bateaux au mouillage …

Bon, c’est pas tout ça, on a des choses à faire avant d’arriver en Nouvelle Zélande, notamment caréner le bateau parce qu’on ne peut pas arriver là bas avec une carène sale, ni d’ailleurs avec des fruits ou légumes frais, ni viande ni poisson, non plus que de saucisson, c’est bien un des rares trucs de frais qui nous reste outre un chou rouge, quelques bananes, un ananas et 2 aubergines acquises à Vava’u, on mangera tout avant d’y arriver ou il faudra les balancer à la mer, on en profite pour faire des tris et ranger le bateau

c’est tout de suite le bordel sur un bateau

Il pleut souvent, et fort, alors le capitaine décide de changer l’anémomètre car la pluie à seaux semble être à la source des ratés du pilote, je ne savais pas qu’on avait un anémomètre neuf, ça fait plaisir, je le monte au mât entre deux saucées, mais quand il installe le neuf ça met le pilote en court circuit, il faut remettre le vieux, manquerait plus que le pilote nous lâche en plein baston, quand je pense à ça je comprends les marins qui picolent, ça s’appelle l’empathie

Plus tard on regarde différents modèles de météo, ils ne sont pas d’accord, on ne sait pas quand partir pour éviter le baston ou la molle ou le vent dans la gueule, on fait des calculs, on prend la règle pour voir où on sera et quand, autant se fier à la queue d’un chien qui battra à gauche ou à droite pour se décider … le capitaine délibère solitairement en long en large et en travers et décrète, en envoyant balader les modèles météo, qu’on partira samedi matin parce qu’on ne va pas moisir ici, et puis on verra bien, et c’est vrai qu’on verra bien, je lui fais confiance et aussi au bateau alors autant y aller, ça nous laisse demain vendredi pour caréner le bateau, le vendredi il fait un temps de chiotte, de la pluie, du vent fort, le capitaine passe 4 heures sous l’eau en tenue de plongée, je finis d’astiquer le bateau et cuisine d’avance pour quelques repas parce qu’il y a un des modèles qui ne prévoit pas de molle du tout sur la route si je puis me permettre :

le rouge et le pourpre c’est du baston … je décide d’arrêter de regarder les modèles météo !

Le soir le capitaine, crevé, s’écroule, le coup de vent prévu est bien là, ça souffle comme si une armée de flutiaux faisait une fanfare, et on a beau être au mouillage ça bouge sévère, le capitaine dort comme un plomb, on doit partir demain matin et je me demande si c’est judicieux, le vent finit par se calmer et je m’endors enfin, comme si demain n’existait pas …

Mais demain existe et c’est une bonne nouvelle, le temps est beau, le vent tellement tombé qu’on s’en va au moteur, 5 nœuds plein cul, on prend vers les Kermadec pour essayer de trouver de l’air mais tu parles, on passe de 4 à 12 nœuds et aussitôt à 2, 6, 8 … 3, pour couronner le tout il y a une grosse houle d’Est qui nous prend en travers et on est ballotés comme des culbutos, heureusement qu’on est amarinés

La combi du capitaine sèche et se balance, c’est le pendu dit le capitaine, ça me rappelle un jeu de quand j’étais petite ça, le pendu, vous vous rappelez ? (pour ceux qui ont oublié : https://fr.wikipedia.org/wiki/Pendu_(jeu))

Pour trouver de l’air, le capitaine a donc décidé de descendre plein sud, on obliquera plus tard vers l’ouest, ça rallonge un peu la route mais victoire, au bout de quelques heures de moteur le vent arrive, on peut enfin hisser les voiles, le vent dans les voiles tient le bateau et on est moins ballotés, on l’est quand même, ça perdrait de son charme sinon …

Dès le lendemain, vent fort, mer agitée, on navigue le plus souvent à 130 degrés du vent sous GV et génois, aussi quelques heures sous génois tangonné et au plus fort sous 1 ris + trinquette, ciel gris souris, uniforme et infini, pluie, tout est humide et froid, on a changé de planète, ça dure 2 jours et 2 nuits à s’habiller comme des cosmonautes et à s’attacher au bateau pour manœuvrer dans ce vent et cette pluie, mais c’est vrai que ça occupe sainement de manœuvrer, on voit la mer, on sent le vent, je ne pense pas et ne me pose pas de questions, je n’ai pas peur, je comprends mieux ce qui se passe qu’à l’intérieur du bateau, à l’intérieur je subis, à la manœuvre je fais partie du jeu, je suis utile, je suis une autre …

il pleut le jour, il pleut la nuit, il pleut toujours dans ce pays

NB : mettre le cristal coupe incroyablement le bruit, ça change pas mal la perception des éléments !

Et puis ça se calme, ça finit toujours par se calmer, et au matin, un albatros ! pendant le petit déjeuner dans le cockpit trempé assis sur nos culs mouillés, on le regardait tracer des ellipses dans le ciel, majestueux et immense, je ne pouvais pas le prendre en photo parce que je m’étais fait un sandouiche de pancakes avec du nutella (houuuuu la vilaine !) et j’en avais plein les doigts, le capitaine a dit la bouche en cul de poule qu’heureusement qu’il avait fini son petit dej en me voyant m’enfiler ça, parfois je me tape une hérésie nutritionnelle et je m’en fous à un point proche de mon inintérêt pour le Pléistocène, je mange en trouvant ça trop sucré tout en me régalant comme une gamine qui vide les fonds de verre au mariage de tonton, l’exception permet tout, l’interdit sublime tout, bref, j’ai tout de même réussi à le pécho un peu plus tard mais il était beaucoup plus loin de nous :

Et puis re-flotte, le capitaine n’hésite pas à aller manœuvrer seul pour que je ne me fasse pas tremper et pousse même la générosité à mettre son gilet de sauvetage avec la flash-light afin de me faciliter la tâche au cas où je devrais aller le récupérer s’il tombait à l’eau, il est d’une prévenance charmante … il faut dire que plus tôt je m’étais pris une vague en pleine poire et avais manœuvré pendant une bonne heure avec plus un poil de sec, il a eu pitié de me voir claquer des dents

du coup je bouquine sur la couchette du carré

Le 14 novembre à 14h10 locale soit 1h10 GMT, on passe l’antiméridien, l’antiméridien c’est l’équateur des longitudes peut-on dire ! On est passés en longitude Est, le capitaine s’exclame que ça sent le retour à la maison !

Mais point de rhum pour fêter ça, ça ne se fête pas comme le passage de l’équateur, pas question d’arroser le bateau et l’équipage de champagne comme en dansant sur les tables de la Voile Rouge à St Trop (quelle époque !) pourtant passer à 180° de longitude c’est quelque chose bordel !

Nuit suivante, on empanne sous une pluie battante et un vent à 30 nœuds établis, gilets de sauvetage et attachés avec une longe à l’avant du bateau ou en pied de mât pour changer le tangon de côté, en cirés, bottes, bonnets, malgré tout la pluie ruisselle dans mon cou et mon dos et aussi dans ceux du capitaine à voir sa tête, au matin il faut empanner de nouveau car le vent a tourné plein est, mais il ne pleut plus, ça caille quand même, le capitaine me demande si je tiens le coup, c’est bien qu’il me l’ait demandé aujourd’hui car je me suis habituée, s’il me l’avait demandé la nuit où on a eu du 45 nœuds au bon plein, j’aurais fort bien pu lui répondre que je voulais rentrer à la maison

Un avion de reconnaissance arrive en rasant Cap de Miol, on se croirait en guerre prêts à se faire mitrailler, il nous a appelle à la VHF pour contrôler d’où on vient et où on va, ça fait toujours plaisir de voir et d’entendre qu’il existe encore d’autres humains que nous deux dans ce petit espace devenu froid et humide comme le temps, quand je vais faire pipi j’ai dit au capitaine que ça me rappelle quand j’y allais en plein hiver à la ferme de ma grand-mère, le capitaine dit que j’exagère, jamais de la vie, on se pèle, on vit à l’intérieur du bateau c’est dire, et je me couvre quand je bouquine pour ne pas greloter

16 novembre, pétole, on finit par affaler et mettre le moteur, soleil, mmmmh soleil ! douche bien bien fraîche mais délicieuse, mmmmh propreté ! aéré le bateau pour que ça sèche, mmmmmh air sec ! balancé toute la bouffe prohibée pour arriver en NZ, notamment des farine périmées depuis moult, en espérant que l’avion de reconnaissance ne repassera pas quand on pourrait croire qu’on bazarde de la chnouf par-dessus bord, et pour ne rien gâcher, à midi on finit les cacahuètes, le saucisson et l’emmental , et comme on n’est plus à ça près on achève le chocolat !

soleil, mais on supporte carrément la polaire et le bonnet

On aperçoit les Poor Knights Islands en début d’après-midi et, sur le coup de 16h, l’île nord de la NZ, il reste 35 miles à faire, on arrivera de nuit, on s’en fout, on arrivera !

Grâce au ciel nous entrons dans le chenal de Marsden Cove Marina sans pluie, chenal étroit et peu profond, il fait nuit noire, je suis sur l’étrave avec une lampe torche pour éclairer les bateaux et les pontons privés à droite et à gauche afin que le capitaine puisse voir où slalomer, Navionics d’accord, mais voir ce qui se passe est plus qu’utile parce que les bateaux amarrés aux pontons privés ne sont pas notés sur la carte et ça déborde, on a bien préparé nos amarres et, arrivés au ponton C qui est le ponton d’accueil, je saute dessus, arrime la garde, le capitaine me lance une autre amarre et quand le bateau ne risque plus de se faire la malle, il saute à son tour sur le ponton pour amarrer tout bien comme il aime pendant que je m’occupe d’éteindre les appareils de nav’ et de ranger le fourbi … on est venus jusque là en voilier, on a fait combien de miles ensemble capitaine ? il ne sait pas, mais bon, 16 000 … au moins ! on se couche il est minuit

Dès potron-minet le lendemain, un douanier et un gars de la biosécurité débarquent à bord

au ponton d’accueil, un autre bateau nous y a rejoint dans la nuit

L’un nous tend une pile de paperasses à remplir, l’autre une seconde et, pendant que nous faisons nos devoirs, ouvre le frigo dans lequel ne subsiste qu’un reste cuisiné qu’il nous permet de garder pour notre repas de midi, soulève les planchers et scrute partout avec une lampe torche pour voir si nous n’avons pas de passager clandestin type cafard, blatte ou autre cancrelat, planqué un quartier de bœuf ou un pot de miel dans un recoin, j’ai tellement bien rangé et lavé à Vava’u et à Minerve que tout est rutilant, on mangerait par terre, quand il soulève le plancher où on stocke les bouteilles d’eau il n’en revient pas qu’on ait autant d’eau et si peu de rhum, puis il passe voir la coque, aussi propre qu’un sou neuf, le capitaine n’y a pas été de main morte ce qui fait que je lui ai même demandé si cela n’avait pas empiré sa douleur à l’épaule, haussement d’épaules blasé pour toute réponse, 2 heures après tout est bon, on peut rejoindre notre place dans la marina, il se remet à flotter

Comme on a quelques jours avant de sortir le bateau de l’eau, nous louons une voiture pour faire un tour dans le Nord de l’île Nord … la Nouvelle Zélande, pays du long nuage blanc, est d’une beauté hors norme, des collines verdoyantes avec des troupeaux gigantesques de bœufs ou de moutons, des falaises qui tombent dans la mer, des forêts, des torrents, de l’herbe et de la pluie et du vent et des nuages, un mouvement perpétuel de vie, j’en tombe amoureuse instantanément, un véritable coup de foudre …

les chutes de Whangarei

La marina de Whangarei et ses incroyables arbres de Noël (ils s’appellent vraiment comme ça ces arbres !)

Opua
Les dunes géantes …
de Te Paki

Cape Reinga, une fin du monde …

la Nouvelle Zélande c’est 5 millions d’habitants, 10 millions de vaches, 29 millions de moutons, des kiwis et des kiwis, des avocats et des opossums !

Et comme prévu, on sort Cap de Miol de l’eau … il va rester ici 3 mois, pendant que nous rentrons en France avant de le retrouver pour continuer notre périple

On passe quelques jours en l’air, faut faire attention de ne pas l’oublier parce que les gens qui tombent d’un bateau posé sur ber sont légion, on m’en a raconté des vertes et des pas mûres, le capitaine, toujours prudent, a pris soin d’attacher l’échelle !

Le dimanche, des oiseaux font leur nid dans la bôme, je les regarde faire, c’est trop chou, ils apportent des brins d’herbe séchée en pépiant, tout heureux d’avoir trouvé un endroit bien abrité, à mon avis le capitaine ne va pas être content, gagné, il bouche le trou de la bôme et chasse les intrus, sinon quand on reviendra on en aura toute une colonie qui aura chié partout, aucun argument ne peut tenir face à ce raisonnement, bye les piafs (tristesse)

Et puis Auckland by bus, puisque c’est de là qu’on prendra l’avion … comme sas de recompression ça se pose là !

tu veux de la civilisation, tu vas en avoir

Sa marina … et ses buildings, vus de la Sky Tower où nous sommes montés pour pas cher grâce au capitaine qui a acheté les billets sur son portable pour trouver une promo quand on a vu les tarifs au bas de la tour, quelle présence d’esprit capitaine !

On visitera l’île à notre retour, il y a tellement de choses à voir et à étudier, c’est d’une richesse infinie, j’ai déjà noté des arbres et des fleurs et des plantes jamais vues ni entendu parlé auparavant ! j’ai hâte !

Pour revenir, ça nous fait quelques heures de vol, escale à Houston, un temps fou pour passer la douane, on court pour attraper notre prochain vol et on réussit à l’avoir in extremis, et puis nous à Londres et les valises à Francfort, normal, et puis la France, 1er week-end de décembre, des vitrines de Noël, une foule qui se presse dans les galeries commerçantes, les gens qui se bousculent, les supermarchés où dégueule de la nourriture et tout ce qui peut se vendre, une surabondance hallucinante, bienvenue sur terre … quelle violence !

et à dans 3 mois les amis !

Mais on ne se quitte pas sans savoir ça !

  • Houle, vague et courants

La zone d’élan permettant au vent de lever une mer s’appelle le fetch. Plus le vent va souffler longtemps et sur une grande distance (donc plus le fetch est important) plus la hauteur des vagues sera grande. Les vagues sont directement issues du vent qui souffle instantanément, c’est la mer du vent. La formation des vagues dépend de la vitesse du vent, du temps pendant lequel il souffle et de la distance sur laquelle il souffle. En l’absence de vent, les vagues continuent librement leur propagation, c’est ce qu’on appelle la houle, qui est engendrée ailleurs, c’est la diffusion d’une onde. La houle c’est le souvenir des vagues, la mémoire du fetch. À proximité des côtes, les vagues et la houle sont modifiées par les fonds qu’elles rencontrent.

Les courants sont des déplacements d’eau de mer qui peuvent s’apparenter à d’immenses fleuves et rivières à l’intérieur de l’Océan. Ce déplacement considérable de masse d’eau répartit l’énergie solaire à la surface du globe et conditionne les températures entre l’équateur et les pôles. Les courants marins à l’image du célèbre Gulf Stream sont ainsi les grands régulateurs du climat planétaire. Les courants de surface correspondent aux déplacements d’eau de mer provoqués par la circulation atmosphérique (vents) à la surface de l’océan. Selon leur position sur le globe terrestre, ces courants sont chauds ou froids. En se déplaçant, ils permettent une meilleure répartition de la chaleur et régulent les climats locaux. De manière très perceptible, ces courants marins de surface suivent la même trajectoire que les vents dominants. Seule la présence des continents empêche les deux trajectoires de se confondre complètement. Bloqués par ces derniers, les courants prennent la forme de tourbillons, appelés gyres. Un autre facteur déterminant dans la direction des courants de surface est la force due à la rotation de la Terre, appelée force de Coriolis. La Terre tourne sur elle-même d’Est en Ouest. Ainsi, dans l’hémisphère Nord les courants sont déviés vers la droite et dans l’hémisphère Sud vers la gauche. Les courants profonds ne sont pas influencés par les vents, contrairement aux courants de surface. Appelés aussi courants de densité, ce sont les différences de salinité et de température qui créent les courants profonds. Sur le même principe que l’huile et l’eau qui ne se mélangent pas, une eau plus dense coule en profondeur sous les eaux moins denses sans s’y mélanger. C’est le froid et le sel qui augmente la densité de l’eau jusqu’à la faire plonger en profondeur. Ce mécanisme est à l’origine de la création de cette typologie de courants qui s’écoulent sur le bassin océanique, sous les eaux de surface moins dense, plus chaudes et moins salées.  Les courants de surface et de profondeur forment ensemble une boucle de circulation permanente à l’échelle mondiale : c’est la circulation thermohaline. Ce phénomène est ici schématisé sous la forme d’un tapis roulant parcourant tout le globe. Les eaux profondes (en bleu) prennent principalement naissance en Atlantique Nord et s’écoulent en direction de l’Atlantique Sud. Ces eaux profondes remontent progressivement puis se répandent ensuite dans l’Atlantique Sud, le Pacifique et l’Océan Indien. Le retour de cette grande circulation dans l’Atlantique Nord s’effectue via des courants chauds (en rouge), proches de la surface, dont la circulation est liée à la circulation atmosphérique (les vents).

On estime qu’une goutte d’eau effectue une boucle complète en un millier d’années environ.

Et, tant qu’à faire, voici la circulation atmosphérique générale, c’est à dire le sens du vent, c’est pas qu’un peu utile de le savoir quand on veut naviguer !

  • Les récifs de Minerva territoire de la République de Minerva brièvement indépendante en 1972, sont un groupe de deux atolls dans le Pacifique, au sud des îles Fidji et Tonga. Leur nom vient du baleinier Minerva parti de Sydney en 1829 qui s’est échoué sur le récif au sud. Un album de bande dessinée « Un empire sur pilotis » de Norbert et Kari de Godard est inspiré par l’histoire de la République de Minerva. Les deux récifs servent souvent de lieu d’ancrage aux yachts voyageant entre les îles Fidji et Tonga et la Nouvelle Zélande. North Minerva (Teleki Tokelau) offre l’ancrage plus protégé avec un passage unique, facilement négocié, orienté à l’ouest donnant accès à la grande lagune calme, et South Minerva (Teleki Tonga), en forme de 8, est plus difficile à aborder, surtout avec une mer agitée. Le capitaine a choisi le Reef Nord.
  • Le Pléistocène est la première époque géologique du Quaternaire et l’avant-dernière sur l’échelle des temps géologiques. Elle s’étend de 2,58 millions d’années à 11 700 ans avant le présent. Elle est précédée par le Pliocène et suivie par l’Holocène.
  • La Nouvelle Zélande est la Terre du long nuage blanc (Aoetaroa : nom maori de la Nouvelle-Zélande, signifie Terre du long nuage blanc) : la légende veut que les premiers Maoris arrivèrent en pirogue depuis la Polynésie. La première image qu’ils eurent de la Nouvelle-Zélande fut cette île enveloppée d’un long nuage blanc. D’où le nom qu’ils lui donnèrent.
  • L’opossum d’Australie, ou phalanger-renard, est arrivé en Nouvelle-Zélande dans les années 1850. Il a été introduit par les colons qui souhaitaient avoir des ressources de viande et de fourrure supplémentaires. Libérés de leurs prédateurs australiens comme le varan bigarré et se reproduisant deux fois par an, les opossums ont proliféré. Leur population est montée à plus de 60 millions d’individus. Le problème est que ces petits marsupiaux dévorent tout. Ils aiment particulièrement les arbres feuillus et entrent ainsi en compétition pour la nourriture avec les oiseaux indigènes. De plus, ils dévorent aussi les œufs de nombreux oiseaux. Enfin, ils sont également porteurs de la tuberculose bovine qui affecte les élevages. Pour limiter leur population, le gouvernement a donc mis en place un plan de contrôle dans le but d’éradiquer tous les prédateurs d’ici 2050.  Grâce au plan de contrôle de la population, le nombre d’opossums est aujourd’hui d’environ 30 millions soit deux fois moins qu’en 1980. Mais pour que leur population ne menace plus l’écosystème local, il faudrait que ce chiffre soit encore divisé par dix. C’est un véritable fléau, les néo-zélandais les haïssent et donnent volontiers un coup de volant pour les écraser sur la route (on en a vu pleins écrasés sur les routes !)
  • Le kiwi doré de Nouvelle Zélande est un fruit jaune et sucré, plus savoureux que le kiwi vert, sa variété «SunGold» brevetée par l’entreprise néo-zélandaise Zespri, se cultive dans l’illégalité dans la région du Sichuan en Chine, ce qui crée des tensions entre la Chine et les Néo-zélandais
  • Le Kiwi austral est un oiseau endémique de la Nouvelle-Zélande, il ne sait pas voler car son son sternum ne possède pas de bréchet, os sur lequel s’accrochent généralement les muscles pectoraux des oiseaux. Ses ailes se sont atrophiées avec l’évolution, lui ôtant la puissance musculaire suffisante pour voler.  C’est le symbole national de la Nouvelle Zélande, avec la fougère argentée

Cap sur la Niou Zilande

On mouille à l’entrée de la baie de Faanui

Mais sur la route, on a encore Bora-Bora à voir, la Mecque des hôtels sur pilotis ! s’exclame le capitaine et ça, pour voir de l’hôtel sur pilotis, on va en voir !

Mais je dis au capitaine qu’on est vraiment mieux sur le bateau

Le mouillage est très réglementé à Bora-Bora et on est obligé de prendre une bouée payante, mais au moins comme ça les fonds sont protégés, par contre quand toutes les bouées sont prises, tintin pour mouiller, encore qu’il existe 2 zones dites libres, mais seulement 5 bateaux peuvent y mouiller sans y rester plus de 36 heures, ça limite, mais bon, nous on trouve une bouée dispo près de la baie de Faanui et c’est bien, et le soir le capitaine décide d’aller manger au yacht-club, on est juste en face et c’est trop la classe, je serais presque prête à leur acheter un teeshirt pour frimer quand j’irai traîner dans des petits ports de seconde zone, mais les teeshirts sont à l’aune du reste, tellement trop chers, je zonerai dans les petits ports avec un bête teeshirt et en prime je n’aurai pas l’air de la connasse consumériste qui se la pète

Et pourtant comme ça, il ne paie pas de mine le Bora-Bora Yacht-Club !

Comme Bora c’est grand (la véritable orthographe de Bora Bora est Pora Pora – première née en tahitien – parce que le B n’existe pas. On l’appelle aussi Mai te pora – créée par les dieux – tandis que Bora tout seul c’est la bora, un vent de terre du Nord Nord-Est, sec et froid, soufflant avec violence l’hiver sur les côtes de l’Adriatique, le capitaine il connaissait même ça dis donc, n’empêche qu’on dit souvent Bora point barre), on loue un scooter pour en faire le tour

On nous a gracieusement pris en photo, le capitaine ressemble parfois à Tintin
ça me permettra de prendre cette splendide photo !

Et puis randonnée, ce n’est pas en scoot qu’on voit les plantes, alors hop on part à l’assaut du mont Ohue qui culmine à 727 mètres, on a vu pire mais, et ce que je saurai après coup, le capitaine s’étant bien abstenu de m’en faire part, voilà ce qu’en disent les descriptifs :

« L’ascension du mont Ohue est difficile et très raide par endroits. Renseignez vous sur la météo et n’hésitez pas à contacter un guide en cas de doute… Certaines parties très raides peuvent être un peu dangereuses, soyez patients et vigilants… A la redescente, après la série de cordes, attention à bien longer de nouveau la falaise par la gauche sur environ 500m, sans prendre les premiers sentiers qui descendent dans la forêt sur votre droite »

Quand je vous dis que le capitaine ressemble à Tintin reporter, tout est dans sa mise

Alors je confirme, c’est raide, glissant, humide, ça relève presque plus de l’escalade que de la rando, autant vous dire que je n’ai pas fait beaucoup de botanique ce jour là ! ils sont fous les bora-boriens !

Le capitaine connaissant du monde jusqu’à Bora-Bora, dont une monitrice de plongée qui travaille là, Christel (elle fait faire aux touristes des baptêmes en scaphandrier comme dans Le Trésor de Rackham le Rouge), nous passons une soirée ensemble au yacht-club où nous allons prendre des habitudes si ça continue, et avons droit à une soirée dite typique polynésienne avec des danseuses et un danseur du feu, je suis en joie à cette idée mais, pour tout dire, on est loin de la légende polynésienne avec ses filles de rêve au déhanché diabolique et ses garçons affûtés comme des indiens d’Hollywood …

On voit des bouts du capitaine, avec de la patience vous pourrez bientôt réaliser un puzzle, il se fiche comme d’une guigne des danseuses et parle de quoi, je vous le donne en mille … du programme !

… mais j’applaudis à tout rompre parce que je sais ce que c’est que de danser pour distraire le chaland, jadis je menais une troupe de pom-pom-girls et on faisait le show aussi bien pour le FC Metz à sa grande époque (bien révolue) que pour inaugurer la dernière Peugeot au garage du coin, ou encore émoustiller les flics à la fête de la gendarmerie, un sacerdoce

on était mignonnes dis donc

Le capitaine, jamais à court d’idée en général et de navigation en particulier, décide de changer de coin, nous voilà donc partis vers le motu Toopua où, paraît il, il est du dernier cri d’aller y plonger …

On ne nagera guère, pour ne pas dire pas du tout, la pluie tombant dru et serré ne nous y invitant guère, et puis il n’y aura pas de bouée de libre alors on reviendra mouiller devant le yacht-club, soulagés qu’il reste encore une bouée de libre, la nôtre (remarquez comme la nature humaine a tendance à s’approprier les choses) ayant été prise par un ostrogoth (nom masculin – qui ignore les bonnes manières et se comporte de manière grossière comme le ferait un barbare)

c’est la capitaine qui a voulu y aller, c’est lui qui n’a qu’à se mouiller

Aussi beau soit-ce, on ne s’attarde pas plus et allons faire notre clearance de sortie de la Polynésie Française à Vaitape, principale agglo de Bora, c’est vrai que ça existe les clearances ! on n’en a pas fait depuis les Gambier ! heureusement que le capitaine pense à tout (à tout !) parce que moi je serais partie le nez au vent et paraît il que c’est illégal de ne pas faire de clearance de sortie quand on part pour un autre pays, j’hoche la tête avec de grands mouvements approbateurs pour faire comprendre au capitaine que j’ai bien compris et qu’il peut se passer de me le répéter plusieurs fois en haussant le ton à chaque redite afin d’être certain que c’est rentré une fois pour toute dans ma caboche de linotte

on y va en annexe
sa mairie
son église

Direction la gendarmerie où une affiche me fait rappeler ce que différents popas m’ont raconté à propos des violences d’ici, alors que les gens ont l’air adorables, les femmes battent les maris, les maris battent les femmes, les deux s’y mettent pour battre les enfants, les incestes sont légion, les viols aussi, je n’en reviens pas, le rêve polynésien fait plus que de fendiller, il se fracasse, où que l’on soit le monde est brutal, comme dit le capitaine quand il lit les nouvelles : on n’est pas sorti de l’auberge, ici on a eu facilement accès à internet donc aux infos et il s’y est collé plus que de raison, ça le rend pessimiste, moi j’évite, je préfère m’intéresser aux plantes, ça m’épargne un ulcère

l’affiche chez les flics, faites tourner si vous avez affaire à ce genre de comportements

Notre prochaine étape est donc la Niou Ziland (c’est bientôt fini de parler confortablement le français, va falloir se remettre à l’angliche) mais, avant de quitter définitivement la Polynésie Française, petite halte à Maupiti, c’est sur notre route et le temps nous permet d’entrer dans la passe, ce qui n’était pas le cas il y a deux jours, la pluie et le vent rendaient l’entrée impossible, les locaux nous ont dit que c’était un temps à se faire claquer sur le récif, on a évité, aujourd’hui ça bouge un peu mais c’est peanuts

je me sens malgré tout plus légère une fois passée la passe, on se demande pourquoi

tête de quand ça va mieux (j’en reviens pas d’être si bien coiffée sur cette photo) (mais tout est relatif, je vous l’accorde)

Le capitaine m’apprend (que ne m’apprend il pas) qu’ici c’est plein de raies et que c’est le jour où jamais si je veux en voir, banco, nous voilà partis en annexe avec palmes, masques et tubas, on balance l’ancre de l’annexe par deux mètres de fond entre les coraux, je m’apprête à me laisser glisser dans l’eau quand le capitaine me stoppe d’un geste vigoureux et m’invite à (me somme de) faire comme les plongeurs pro : partir de la position assise sur le boudin de l’annexe et me laisser basculer en arrière dans l’eau … je pouffe, lève les yeux au ciel et descend vaille que vaille dans l’eau en m’accrochant des deux bras au boudin de l’annexe, autant dire que je l’envoie sur les roses lui et son idée saugrenue, en même temps il continue de croire en moi, c’est dingue, on fait un petit tour dans le coin, voyons quelques coraux et leurs poissons colorés mais point de raie, nous revenons à l’annexe et je me hisse dedans à la manière d’une otarie avec mes palmes en guise de nageoires, honk honk honk, le capitaine a de la peine pour moi mais je m’en fous comme de ma première trottinette que je n’ai jamais eue, dépités nous filons vers un autre motu avec pour projet d’en faire le tour à pied, nous y voilà et on se balade gentiment en tirant l’annexe derrière nous, de l’eau jusqu’aux genoux, et soudain … une raie passe à quelques mètres de nous … je saute sans bruit sur mon masque et mon tuba, m’allonge dans l’eau et commence à brasser dans sa direction, je n’ai pas eu le temps de remettre mes palmes et ça me fait l’impression d’avoir les jambes coupées sous le genou, je rattrape tout de même la raie et nous nageons côte à côte pendant quelques minutes, à ras du sol, et puis elle se lasse, fait un angle à 90 degrés et file, je reviens à l’annexe et bondis de joie devant le capitaine qui me montre une autre raie, là ! une autre ! je repasse aussitôt dans l’eau en douceur, la raie s’avance vers moi et nous nous retrouvons face à face, elle s’arrête et me regarde, les yeux dans les yeux, j’en ai le souffle coupé, je fais ooooh dans mon tuba, lentement elle commence à se déplacer, une soucoupe volante, je pars avec elle, à un moment elle s’arrête et s’enfonce dans le sable, immobile, je patiente, immobile autant qu’elle, et puis elle s’ébroue et nous repartons de concert, je la laisse continuer sa balade et vais retrouver le capitaine, passe le reste de la journée à m’exclamer sur le sujet, seul un léger tic au coin de sa paupière montre qu’il ne supportera plus longtemps mon allégresse, je me le tiens pour dit (c’est bizarre tout de même parce qu’en parlant avec des gens qui sont allés à Maupiti, ils ont vu des tas et des tas de raies, le capitaine et moi restons cois en nous interrogeant mutuellement du coin de l’œil pour ne pas passer pour des brèles)

Il n’est pas tard, nous avons encore le temps de louer des vélos pour faire le tour de l’île qui se fait en deux heures à tout casser, on ne compte pas s’éterniser ici car y’a d’la route jusqu’en NZ alors hop au trot

le bleu pour les garçons et le rose pour les filles
on ne risque pas de se tromper, il n’y a qu’une seule route
le capitaine a dit qu’on pouvait descendre tranquille, je crois que j’ai niqué les freins de mon vélo
la mer lui manque déjà

On passe devant le palais de corail d’Akhy ou Ah Ky mais c’est fermé, Ah Ky Firuu est un chanteur polynésien connu (vous connaissez ?) qui a commencé à construire son palais il y a une vingtaine d’années et ne l’a toujours pas fini.  Il cherche à reproduire l’ambiance d’un fond marin à l’intérieur de sa maison, déjà vu de sa barrière c’est quelque chose :

Et rando le lendemain, inévitablement, le Mont Teurafaatiu qui ne culmine qu’à 372 mètres, de la gnognote me dis-je, pourtant je sais qu’il n’est jamais bon de préjuger, je le sais mais il m’arrive encore de préjuger, on va bien s’amuser, ça va être beau, ma recette sera réussie, et j’en passe, au début ça m’amuse d’escalader des rochers de plus en plus hauts, mais plus ça monte plus c’est haut, et la vue a beau être épatante …

épatante

… c’est dur … arrivés presqu’en haut, haletante comme un chien par 50 degrés à l’ombre, nous tombons au pied d’un mur encore plus haut, et bien qu’il y ait une corde pour se tenir, je ne veux plus continuer, je me mets à pleurnicher cramponnée au rocher, je sais que je peux monter, mais ensuite il faudra redescendre et mon problème c’est la descente, je ne sais pas où poser le pied, je vois le vide, si je lâche je m’écrase comme une merde, j’ai peur,

– j’ai peur je te dis !

– mais non ! tu peux le faire ! je sais que tu peux le faire !

Son discours racoleur de coach à la con me laisse de glace et je le laisse aller seul jusqu’au sommet, continuant de sangloter, toute honte bue, assise au pied du mur

je sanglote au pied du mur

Je finis par manger le chocolat que j’ai dans mon sac et me laisser distraire par ce joli lézard jaune (sûrement celui qui a donné son nom à Moorea), si je suis toujours en larmes de dévastation jusqu’au trognon quand le capitaine redescendra il ne comprendra pas, je ne sais pas si c’est l’homme en général ou le capitaine en particulier qui n’est pas apte à comprendre ce genre de truc, et puis j’entends sa voix

– isa ?! t’es là isa ?!

à son ton, on dirait même qu’il a peur pour moi, ou alors que je me sois barrée, dégoûtée de la vie, je me mets debout, lui fais signe et on redescend tous les deux, je suis au bout de ma vie que je lui dis, il ne me croit pas allons allons isabelle ! alors nous allons allons

on sort par la seule passe bien étroite comme on peut le constater

Le lendemain on s’en va, bien qu’un coup de vent soit annoncé pour dans deux jours, mais le capitaine m’explique qu’on s’arrêtera à Maupihaa (qui s’appelle aussi Mopelia pour simplifier les choses), le temps de laisser passer ce coup de vent, à savoir que la passe de Maupihaa est bien plus étroite que celle de Maupiti et que si ça se trouve on ne pourra pas y entrer, advienne que pourra, de toutes façons on est partis

Quand on navigue près des îles ou des atolls, on fait des vrais quarts, il y a risque de croiser des pêcheurs ou des plaisanciers, guère de cargos dans le coin mais sait-on jamais, le soir venu je prends donc le 1er quart et laisse le capitaine dormir jusqu’à 1 heure, à son réveil on manœuvre, je me couche il est déjà 2h, m’endort probablement pas avant 3, debout 6h30 pour entrer dans la passe, je baille à m’en décrocher la mâchoire, plus on approche, plus ça remue … on se regarde avec le capitaine

– ce qu’il y a c’est qu’on ne peut pas faire demi-tour une fois dans la passe, elle est trop étroite

– c’est ce que je pensais justement … on fait quoi alors si une fois dans la passe on n’arrive pas à avancer ?

– biiiiiiiinnnnn …

On n’en sait fichtre rien … on se regarde à nouveau

– on continue ?

– ouais, on continue

On pourra toujours s’arrêter à Palmerston, mais déjà on se prend un bon 30 nœuds, 30 nœuds c’est que dalle quand on est au portant, mais pour l’heure on est au travers et c’est plus rock’n roll, sur le coup de 13 heures on prend un second ris, on enroule le génois et on met la trinquette, on n’avance plus qu’à 7.5 nœuds et le capitaine trouve qu’on se traine, mais c’est plus cool et le bateau gîte moins, la nuit finit par tomber comme elle sait faire, le vent forcit et la mer avec lui, je me couche avec le plexus tendu comme la corde d’une guitare de gitan, le capitaine veille sans bruit, je l’entends se taire et attendre, on est en plein dans le coup de vent prévu, le bateau gîte, vibre comme un poisson hors de l’eau, je suis recroquevillée les yeux fermés sur ma couchette et mes cuisses tremblent, j’ai envie de faire pipi mais pas de me lever, je ne veux rien savoir, rien voir, juste attendre que ça passe, finalement qu’est-ce qui était prévu ? on a combien de vent ? ça va monter jusqu’où ? le capitaine a pris un 3ème ris et laissé juste un bout de trinquette, il faut avancer parce que sinon les vagues nous rattrapent et déferlent dans le bateau, alors on avance, secoués par les vagues et ce vent, et le bruit, le bruit ! j’essaie de distraire mon esprit mais à chaque vague qui s’éclate sur le bateau, à chaque mouvement intempestif et violent, à chaque vibration encore plus intense, mon estomac se tord et me ramène au sujet du moment ou comment vivre l’instant présent, faudra que j’aie une petite discussion avec le Dalaï Lama … au petit matin ça redevient plus calme, 25 nœuds de vent, de la petite bière, je suis encore livide de la fatigue de la nuit, je demande au capitaine combien on a eu de vent

– 45 nœuds

– c’est tout ?! j’aurais bien dit 50 … 60 !

– ouais mais on était bon plein

– et tu as déjà eu du vent de 60 nœuds ? ou 70 ?

– nan … et j’espère ne jamais en avoir

On arrive à Palmerston 3 jours après, 3 jours à 20/25 nœuds de vent en moyenne, toujours de travers, avec deux houles croisées pour pimenter le plaisir, on compte bien s’y arrêter pour éviter le prochain coup de vent prévu, on sait que Palmerston est toujours fermé aux navigateurs pour cause de covid (faudrait aussi les prévenir que la dernière guerre mondiale est terminée) mais on espère qu’il y aura une bouée de prévue pour les marins de passage qui restent à leur bord … à voir, donc … on s’en approche comme de la Terre Promise, honnêtement ça ferait du bien de se poser une nuit quoi

Palmerston fait partie des îles Cook

On s’approche … pas l’ombre d’un souffle de vie … finalement on voit une bouée mais rien n’est engageant, mon dieu comme ce n’est pas engageant ! on se regarde avec le capitaine, l’un comme l’autre se demandant ce qu’il y a de mieux (ou de pire) : rester là ou se taper un autre coup de vent

– on fait quoi ? on continue ?

– ouais, on continue

alors on repart

45 nœuds, c’est fait, je sais que ça secoue mais le bateau passe fingers in ze noze, alors go quoi, à l’abri de cet atoll le vent est tombé à 17 nœuds, en s’en éloignant le capitaine râle y’a pas d’air ! et tente de me persuader de le laisser envoyer le pépin, je m’y oppose farouchement, dès qu’on sera éloignés de Palmerston on va retrouver le vent d’avant y arriver, logique, et ça ne loupe pas, 30 minutes plus tard on file, poussés par un vent de 25 nœuds … qui monte progressivement, le lendemain matin on a 28/30 nœuds, mais on a le vent à 130 degrés maintenant, c’est moins brutal quand ça vient de 3/4 arrière

on ne l’entend guère mais je sais quand il m’appelle et que je dois venir recta

… qui passe rapidement à 35 nœuds, mais comme je me ris de ce petit 35 nœuds désormais, que, de plus, cela fait plusieurs jours qu’on navigue et que, de loin et de surcroît c’est ce qu’on a eu de plus mouvementé jusqu’ici, je décrète qu’on a bien droit à un peu de réconfort et me lance dans la confection d’une bonne pâte à crêpes pour en faire un gros tas pour 3 jours tant qu’à faire, 8 œufs, 500 grammes de farine, 900 ml de lait, 50 gr de beurre fondu, un peu de sucre vanillé, un peu de sucre et un peu de rhum, miam miam, je mets la première crêpe à cuire quand le capitaine me demande si je vois quelqu’un sur l’AIS, je vais y jeter un œil juste quand une vague plus grosse que les autres colle une grosse claque au bateau … mon plat de pâte à crêpes s’élève dans les airs, je bondis au ralenti en hurlant les mains tendues en avant pour rattraper le plat, on croirait qu’on égorge le cochon, et puis tout s’accélère le plat tombe au sol, rebondit et roule, la pâte à crêpes s’éclate, se répand, éclabousse les cloisons, dessine de grands jets tel un artiste déchaîné, je hurle de plus belle, déverse un chapelet d’insultes à mon encontre, connasse ! connasse ! non mais quelle connasse ! du fond de sa couchette le capitaine tente un c’est de ma faute parce que je t’ai dit d’aller … que je coupe d’un péremptoire mais non c’est de la mienne qui ne me soulage en rien (je ne vais pas non plus le condamner injustement en pensant échapper à des réprimandes dont il a là-propos de m’épargner), j’attrape frénétiquement des éponges et me jette à 4 pattes pour ramasser le plus vite possible cette pâte visqueuse et collante qui s’infiltre dans les planchers et va tout me pourrir, le bateau roule, la pâte s’étale de bâbord à tribord et de tribord à bâbord tandis que je glisse d’un côté à l’autre comme une catcheuse dans un combat de boue …

Une fois tout nettoyé (plus d’une heure), j’apporte victorieusement au capitaine la seule crêpe rescapée mais trop cuite puis, rassasié (ironie) le capitaine prend un 3ème ris, voilà notre coup de vent qui arrive, du 38 à 43 nœuds, on maîtrise on maîtrise (quand je dis on, c’est le capitaine qui maîtrise le bateau et moi qui maîtrise ma trouille), j’ai quand même bien fait de ne pas trop manger, de toutes façons ça coinçait un peu, ça nous dure quelques heures, on reste à l’intérieur …

le pilote tient le coup, j’irai brûler un cierge
depuis le cabinet de toilette, une fois la porte fermée, plus de bruit, c’est reposant

Quand ça retombe à 25 nœuds, ça paraît tout calme, il faut remettre du torchon annonce le capitaine, on lâche les ris, désormais c’est à Niue qu’on espère arriver demain et se poser pour une nuit, mais comme pour Palmerston, c’est toujours fermé aux navigateurs …

on a laissé en place un bout de la porte parce qu’on s’est pris des bonnes vagues dans le cockpit

Et c’est par ici que ça continue de se passer 👇!

  • Le Popa, plus justement Popa’a c’est l’étranger de race blanche, le « grillé ». Il est individualiste, le Polynésien est communautaire, il ne comprend pas les nuances de ce monde insulaire. Le Popa’a veut tout expliquer, il fait des histoires ; mais le Maohi, du moins son élite, veut apprendre la langue du Popa’a et aller à l’école du Popa’a, l’éducation par l’école et la langue internationale permettant seule l’accès au développement tant mental qu’économique.
  • La chanson Jolie Polynésienne de Ah Ky Firuu : https://youtu.be/emteyLtQ0N0
  • Palmerston est un atoll composé de 35 motu, sa superficie totale est de 2,1 km². Son lagon peu profond s’étend du Nord au Sud sur 10 kilomètres et d’Est en Ouest sur 7 kilomètres. Il n’existe pas de traditions polynésiennes sur l’île, il est probable qu’elle fut peuplée temporairement à l’époque pré-européenne, des anciennes tombes et des outils lithiques y ayant été découverts. L’atoll alors inhabité fut pour la première fois visité par James Cook le 16 juin 1774. Il la baptisa Palmerston en l’honneur de Lord Palmerston, alors à la tête de l’Amirauté britannique. Vers 1850 le Capitaine Bowles, un marchand britannique basé à Tahiti, fit escale sur l’île et découvrit quatre Européens affamés, à la tête desquels se trouvait un certain Jeffrey Strickland qui s’était autoproclamé roi de l’île, celui ci abandonna ses droits à Bowles en échange de leur rapatriement sur Rarotonga (la plus grande des îles Cook). Bowles vendit par la suite Palmerston à un planteur basé à Tahiti et d’origine écossaise, un certain John Brander.  Ce dernier y plaça au début des années 1860 William Marsters, un jeune aventurier accompagné de ses trois épouses qui fondèrent une micro colonie métisse. À son décès le 22 mai 1899, l’île était peuplée de plus de 100 habitants. L’atoll est aujourd’hui peuplé de 63 personnes qui descendent toutes d’une des trois épouses de William Marsters, ayant donné lieu à trois branches familiales. Pour limiter la consanguinité, les mariages à l’intérieur de chacune de ces branches sont aujourd’hui interdits. Palmerston fut officiellement annexé par le Commandant C.L. Kingmill le 23 mai 1891, avant de passer comme le reste des îles Cook sous contrôle néo-zélandais en 1901.
  • Niue est un État libre associé avec la Nouvelle-Zélande. Cette île est située dans le sud de l’océan Pacifique, à l’est de Tonga et à l’ouest des îles Cook. C’est une île de corail couvrant une superficie de 258 km², ce qui en fait l’un des plus petits États au monde avec Saint-Kitts-et-Nevis (261 km²), les îles Marshall (181 km²) et le Liechtenstein (160 km²). La plupart des habitants de l’île Niué descendent de colons polynésiens venus par canoë de Tonga, des Samoa et des Fiji, il y a environ 1000 ans. Elle ne fut découverte par James Cook qu’en 1774, qui la baptisa Savage Island en raison de l’hostilité avec laquelle il y avait été reçu. Les premiers missionnaires britanniques arrivèrent après l’expédition de Cook, mais le christianisme ne fut définitivement implanté qu’en 1846. L’île fut alors administrée par la London Missionary Society jusqu’en 1900 où elle devint officiellement un protectorat britannique en même temps que les îles Cook. les îles Cook furent officiellement annexées le 7 octobre 1900 par la Nouvelle-Zélande. L’année suivante, l’île Niué subit le même sort, bien que traditionnellement les îles Cook et l’île Niué avaient toujours été associées aux Samoa et à Tonga. En 1974, la Nouvelle-Zélande accorda l’autonomie politique à l’île Niué en libre association avec la Nouvelle-Zélande. Ce statut d’État libre associé à la Nouvelle-Zélande permettait aux Niuéens de conserver leur citoyenneté néo-zélandaise tout en maintenant l’autonomie dans leur propre pays. Néanmoins, l’île Niué dépend tellement totalement des subventions de la Nouvelle Zélande (six millions de dollars US annuellement pour 2000 habitants). Depuis 1990, la Nouvelle-Zélande envisage de déplacer toute la population en raison du manque de ressources et des risques imminents que l’océan submerge l’île en raison de l’augmentation du niveau de la mer. En janvier 2004, l’île a été dévastée par le cyclone Heta.
  • Légende du lézard jaune qui donna son nom à l’île de Moorea : autrefois, Temaiatea et son épouse demeuraient dans l’île de Tupuai-Manu qui s’appelle désormais Maiao. La jeune femme tomba enceinte et accoucha d’un œuf. L’époux prit l’œuf et le porta dans une petite grotte près du rivage nommée Vaionini où il le déposa. Une nuit, Temaiatea vahine eut une vision dans son sommeil. Elle vit qu’elle avait mis au monde un garçon à la peau jaunâtre. Elle se réveilla et raconta ce songe à son époux. Quand le jour se leva, l’homme partit observer œuf qu’il avait laissé dans la grotte. Il constata que l’œuf avait éclos : c’était un bébé lézard de la même teinte que dans le rêve de sa femme. Temaiatea donna à ce lézard le nom de lézardjaune, Moo-rea. Lui et sa femme nourrirent Moo-rea dans cette petite grotte jusqu’à ce qu’il soit grand. Lorsqu’il devint énorme, la femme prit peur et dit à son époux : « Il nous faut abandonner Moo-rea , sinon, bientôt, il nous mangera. » Le mari refusa en lui disant : «C’est tout de même notre enfant aimé auquel nous avons donné le nom de Moo-rea » Mais comme la femme insistait, l’homme céda à ses instances. Il construisit une pirogue, pour fuir l’île. Quand elle fut terminé le couple quitta Maiao et en se dirigeant du coté du soleil levant. Ils abordèrent Tahiti par la passe de taapuna et trouvèrent refuge sur un pic montagneux. Le petit lézard jaune, Moo-rea, ne cessait de penser à ses parents qui l’avaient élevé et nourri avec tant d’affection. Mais comme cela faisait longtemps que l’on ne lui avait pas apporté à manger, il réalisa que ses parents l’avaient abandonné. De désespoir, il se jeta à la mer et nagea vers le levant. Lorsque Moo-rea eut perdu la terre de vue, il affronta le courant Teara-Veri (scolopendre ou cent-pieds), puis en sortit. Ce courant n’est pas hérissé de vaguelettes mais sa course est comme celle du scolopendre. Moo-rea fit face à un second courant que l’on appelle Tefara (Le Pandanus) car c’est un courant « épineux » comme le Pandanus. Moo-rea réussit à se dégager de ce courant, mais il était épuisé. Il affronta un troisième courant nommé Tepua (Le savon) car c’est un courant puissant. L’écume de la mer est comme de la mousse de savon. Epuisé par sa lutte contre ces trois phénomènes de la nature, il se noya. Son corps dériva et alla s’échouer sur le rivage de Vai Anae à Aimeho à (ancien nom de l’île de Moorea). Au petit matin, deux hommes partirent à la pêche. Lorsqu’ils parvinrent à la plage de Vai Anae, ils virent cette énorme chose gisant sur le sable et coururent avertir les gens de l’île en criant : « C’est un lézard jaune ! E moo re’a ! ». Depuis ce jour on nomme Aimeho : Moo-rea, c’est à dire Moorea.

Nana* Tahiti

* ça veut dire aurevoir en tahitien

Ça y est, on lève le camp, mais pas pour aller bien loin, pour Moorea juste en face, le pile en face est seulement à 10 NM mais nous on va jusqu’à la baie de Cook, ça fait une vingtaine de miles à la louche

Si on veut profiter de Moorea il faut partir en matinée, ok capitaine, capitaine qui allume les appareils de navigation sur le coup de 11 heures (bel et bien en matinée), mais il sera dit que nous ne partirons jamais à l’heure prévue car le pilote lance un bip strident qui déchire nos tympans … consternation

c’est pas des blagues

Le capitaine maugrée, pour une fois à juste titre, n’avons-nous pas fait réparer le pilote crévindiou ? mais il est vrai que les jours précédents il a plu à seaux, ce qui rappelait fortement l’ambiance humide de Toau, ceci expliquerait il cela, sans même reprendre son souffle il saute sur son téléphone et appelle Thomas de Nke qui passera demain matin, il va donc falloir passer une nuit de plus à la marina, autre coup de fil (bien que les portables ne soient plus reliés au réseau téléphonique par un fil, cette expression me reste, je ne saurais vous dire si les jeunes ont même idée de ce que ça veut dire 😏) et, une fois l’intendance organisée et comme attendre lui coûte puisque cela perturbe son programme, il décide (enfin) de monter au mât pour voir ce que donne l’anémomètre, je remercie le ciel que ça se soit mis à biper encore à quai, bien que le ciel se foute éperdument de ce qui peut bien se passer ici-bas j’ai la faiblesse de le prier ou de le remercier quand bon me semble, ça ne mange pas de pain

Une demi-heure plus tard, la voix du capitaine tombe du ciel telle une injonction divine

– branche le pilote !

– A y’est ! (pour bien vous représenter la scène, j’ai dévalé la descente puis remonté dans le cockpit, aussi vite que me le permettait mon anatomie)

– ça marche ?

Roulement de tambour … aurai je le cœur à faire languir le capitaine perché en haut du mât ? … non, je ne sais pas faire ça, c’est comme pour les cadeaux, j’ai un mal fou à garder la surprise jusque sous le sapin, quand les enfants étaient petits on jouait aux devinettes tout le mois de décembre pour me faire patienter

– …. ça marche !

Je redescends le capitaine, ça va vite maintenant, longtemps j’avais peur de lâcher la drisse sous son poids et de le voir tomber à mes pieds comme un sac de mou de veau, mais il s’énervait qu’on n’allait pas y passer 3 heures, alors je laisse filer la drisse maintenant, c’est comme pour le reste, tout va plus vite une fois qu’on sait, mais il faut savoir rester prudent quand une vie ne tient qu’au fil qu’on a entre les mains  (faudrait pas qu’il m’énerve, un accident est si vite arrivé)

un mou de veau fort appétissant (figurez vous que le mou c’est le poumon)

Grâce à une sagesse acquise à grands renforts de bêtises assénées à tous vents qui m’ont valu bien des revers, je fais comme papa m’a appris et tourne ma langue 7 fois dans ma bouche avant de parler pour ne rien dire, ce qui me fait judicieusement me taire, mais ma pensée qui m’obéit rarement présume qu’on aurait gagné bien du temps si le capitaine était monté au mât plus tôt pour vérifier l’anémomètre, en même temps je n’avais qu’à y monter moi-même après avoir appris à démonter et en remonter un, la mine penaude je remercie le capitaine pour son intervention rapide et efficace, que dieu fasse qu’il ne puisse jamais lire dans la nébuleuse calamiteuse de ma cervelle, re coups de fils à Nke et à la marina pour tout annuler, on part avec deux heures de retard, ce n’est même plus une surprise

On se faufile entre les ferries, il y en a en permanence qui font la navette entre Moorea et Tahiti, ça fait des vagues qui font rouler le bateau, une partie de mon corps se révulse et implore ça va pas recommencer ?! je ne suis plus habituée après ces 4 semaines à quai, il faut presque tout réapprendre, heureusement les repères reviennent vite, les 20 miles sont vite avalés à scruter l’océan pour tenter de voir des baleines, mais que nenni … et c’est tant mieux, avec la mode de nager avec les baleines, celles-ci sont pourchassées par les bateaux qui amènent leurs clients, quand il y a une baleine plusieurs bateaux rappliquent et des dizaines de personnes se mettent à l’eau sans respect des animaux ni des règles de sécurité, c’est affligeant et c’est rien de le dire … vous avez vu ce qui est arrivé à la baleine Moon ? et bien c’était pas nous

Moorea à l’approche
en arrivant on longe un hôtel sur pilotis de carte postale, je suis comme une gamine d’en voir un en vrai, combien coûte une nuit là-dedans (entre 500 et 900 € de ce que j’ai vu sur internet)  

On arrive devant la baie de Cook … just waow

notez ce qu’il y a de notable sur cette photo extraordinaire de la baie de Cook, ou devrais je dire cette photo de l’extraordinaire baie de Cook

Moorea, plus justement Mo’orea se traduit par Lézard Jaune, elle a été découverte en 1767 par l’anglais Samuel Wallis qui l’a vue en débarquant à Tahiti. En 1777, Cook s’est rendu à Mo’orea lors de son dernier voyage en Polynésie, il a débarqué dans la baie d’Opunohu, et la baie adjacente à celle ci a été nommée baie de Cook en son honneur

Le lendemain, rando ! pour découvrir l’île et ses trésors, et pour commencer, des chants d’oiseaux comme cela fait des mois que je n’en ai pas entendus de manière aussi nette, ça me file encore plus de frissons que si j’écoutais du Bach dans la chapelle Sixtine

Si vous avez 1 heure 52 minutes et 28 secondes à tuer, c’est le moment d’écouter sa messe en si : https://youtu.be/BjrPFTyQ0Qk

la vue est un trésor pour les yeux

On se balade au milieu des au milieu des Heliconia (ou faux oiseau de paradis, et à Tahiti on les appelle pince de crabe – attention si vous en mettez chez vous, quand l’air est trop sec elle devient un nid à araignées rouges)

des queues de chat (l’acalypha de son nom botanique, qui est utilisée en pharmacopée traditionnelle pour ses propriétés diurétiques, émollientes, expectorantes, laxatives et anti diarrhéiques). Les enfants tahitiens s’amusent à imiter les chats en en glissant dans leur ceinture 🐈‍⬛🐈!

et dans des forêts de faux fromagers (ce sont les arbres qui envahissent le temple khmer bouddhiste de Preah Khan sur le site d’Angkor au Cambodge)

Héliconia
Queues de chat
un tronc de faux fromager

Et je tombe aussi sur du ricin ! dont on tire bien entendu l’huile de ricin, qui est connue pour redonner de la souplesse et de la douceur aux cheveux et qui stimulerait même leur repousse (ça je demande à voir car si c’était si efficace, pourquoi y aurait-il autant de chauves) … MAIS ! toutes les parties de la plante sont plus ou moins toxiques, les graines étant les plus dangereuses, cette toxicité est due à la ricine qui est 6000 fois plus toxique que le cyanure et 12000 fois plus que le venin de crotale ! …Par ingestion, elle provoque des symptômes intestinaux sévères (coliques, diarrhées, vomissements), avec une déshydratation puis un état de choc et la mort. Par voie respiratoire, elle développe une toxicité encore plus grande en provoquant des œdèmes pulmonaires hémorragiques. Un dixième de grammes est suffisant pour tuer un homme de 100 kilos. Il n’existe pas d’antidote. Vous êtes prévenus 😵‍💫

je l’ai prise en photo mais je n’y ai pas touché 😉

Avant 1960 l’économie de l’île était basée sur la culture du coprah, du café et de la vanille, mais aujourd’hui la production pilote est celle de l’ananas, fruit dépuratif et détoxifiant par excellence, on en longe des champs entiers, on en mangera, une vraie tuerie !

Et, incontournable, nous passons découvrir l’authenticité polynésienne du Tiki Village …

Un fare, maison traditionnelle polynésienne. À l’origine, le terme ‘fare’ signifie ‘maison / abri / habitation’ en tahitien. Le fare était traditionnellement construit en bambou et recouverts de feuilles de pandanus et de palmiers, de différentes grandeurs.

je vous ai fait un zoom sur l’inscription de droite « soyez amoureuses, vous serez heureuses », remède simple et efficace !

Nous réenfourchons notre fier destrier dont le pilote tient le coup (🤞) pour continuer notre route, toujours vers l’ouest, et après une nav’ de nuit (85 NM soit 158 kms, on a bien roulé), faisons une halte à Huahine que nous explorons aussi à pinces, les randos sont hyper raides sur ces îles, je suis parfois à un doigt de capituler tellement j’en ai plein les pattes, on trouve des lantaniers et du lierre rouge comme dans le midi de la France, mais aussi du jasmin des Antilles , des pommiers cajou et des badamiers, ça me console de m’être écorché les genoux en grimpant sur les rochers

je peux vous dire qu’une vue comme ça, ça se mérite ! On voit super bien le lagon et la passe par laquelle nous sommes entrés

vous reconnaissez le lantanier ?
un pommier-cajou
du jasmin des Antilles, dommage que vous n’ayez pas l’odeur !

Ci-dessus les fruits du badamier, mais ce sont ses feuilles et les jeunes pousses qu’on emploie en médecine traditionnelle pour traiter les bronchites, les pustules d’origine infectieuse et les inflammations des testicules ou du ventre

Après ça, on change de mouillage pour aller de l’autre côté de l’île …

Et le soir venu je fais une séance d’acupuncture au capitaine qui se plaint de son épaule, mais il manque de régularité, il faudrait que je lui en fasse plus souvent et le capitaine n’est pas assidu, il a toujours quelque chose de mieux à faire …

on voit bien les faisceaux du deltoïde, lui qui se plaint de se démuscler vue d’œil

Sans s’attarder, nous repartons vers Raiatea, une autre île entourée d’un lagon, ce qui est la spécificité des îles de la Société et leur beauté incomparable, on entre dans la passe presqu’en se curant le nez, bientôt on va frimer dans les passes, même pas mal

Raiatea en vue
les vagues déferlent sur la barrière de corail, c’est magique

J’avais hâte d’y être pour visiter le jardin botanique de Faaroa, pour cela nous remontons la rivière Aoppomau dans la vallée de Faaroa, j’ai l’impression de remonter l’Amazone, l’aventure me grise !

à la pêche le monsieur

Et bien ça veut le coup d’être venus jusque là, je m’émerveille dans ce jardin où foisonnent, entre autres, des centaines d’Heliconias, des roses de porcelaine, des fleurs de lune absolument sublimes, des cyperus, des châtaigniers polynésiens, des crinums asiatiques et des dragonniers de chine, et tellement d’autres ! quand je reconnais des plantes ou des arbres le capitaine me dit que je vais finir par être une vraie botaniste, pour une fois il est optimiste (ou alors il veut me demander quelque chose)

Voilà des fleurs de lune (spathiphyllum), rien que le nom ça fait rêver, et quand on sait que c’est LA plante porte-bonheur, qui attire la chance, l’amour et l’argent, ça fait encore plus rêver ! Si vous manquez d’idée pour un cadeau de Noël, foncez !

Encore celle-là et j’arrête la verdure pour aujourd’hui (j’aime bien vous raconter les plantes qui ont une anecdote, c’est comme ça que le cerveau retient le mieux) – donc je vous présente la plante des muets qui est dépolluante, idéale à mettre dans sa maison car très efficace contre les substances polluantes présentes dans les peintures, solvants, fumées et vernis, MAIS ses feuilles sont toxiques, si on les lèche ou on les mâche, cela entraîne des sensations de brûlures, des irritations au niveau de la bouche et de la gorge ainsi que des gonflements, et pire,elles peuvent aussi provoquer l’hypersialorrhée, une suffocation par hypersalivation et une perte de la parole … d’où son nom, prudence est mère de sûreté !

Et puis après, on passe à Tahaa, et on visite un autre jardin, de corail celui là, qui m’émerveille tranquille autant que la passe sud de Fakarava alors que ça n’a pas du tout les mêmes dimensions : on a pied partout et quand on ne peut pas le poser c’est parce qu’il y a tellement de coraux qu’il n’y a même plus de place pour un orteil, le seul bémol c’est qu’il y a pas mal de monde, notamment des gens qui piétinent les coraux en baskets, ça me fait mal, c’est pourtant pas compliqué de prendre une bouée et/ou des palmes et de nager à l’horizontale ?! Mais personne ne fait la police, aucun panneau n’indique comment faire, que d’impuissance

Je remonte le courant à la nage (vers le haut et la gauche de la photo ci-dessous) en rentrant le ventre pour ne pas me faire déchirer par les coraux et puis je me laisse descendre, portée par le courant entre les coraux et les poissons, ça bombe, c’est bonnard au possible, je ris tout haut dans mon tuba et ça me fait avaler de la flotte

vue de Google Earth pour avoir une idée, on voit carrément les coraux même du ciel, il n’y a pas de fond !
la photo n’est pas de moi, mis c’est pour vous montrer : sublime, non ?

Je me méfie des coraux parce que quand on avait rencontré Sylvain et Isabelle d’Oxygen, Sylvain nous a raconté comment il s’était fait déchirer sur des coraux et il nous a montré ses cicatrices, Isabelle avait dû ouvrir les plaies pour y mettre du citron et tuer les coraux entrés dans la peau de Sylvain, j’ai vu les cicatrices et je peux vous dire qu’il faut éviter à tout prix de se blesser sur des coraux, je croyais qu’ils poussent ensuite sous la peau mais a priori c’est une légende urbaine, je reste dans une dubitation absolue, le capitaine m’a mise en garde plus d’une fois touche pas les coraux isabelle ! et je lui obéis, ce qui lui fait plaisir à peu de frais

On change de mouillage en navigant dans le lagon, bien contents d’être à l’abri derrière la barrière de corail quand on voit les vagues qui s’éclatent dessus et le vent qui souffle assez fort, on arrive à Tapuamu de l’autre côté de Tahaa, bon, comme d’hab on se repère sur le sondeur qui annonce 25 mètres, et sur Navionics pour voir ce que ça donne plus loin, à savoir 21 mètres, on avance encore vers la côte parce qu’on ne va pas jeter l’ancre avec autant de fond, le capitaine se met soudain à gueuler et à gesticuler comme s’il venait de se prendre 220 volts dans les roustons, trop tard, on est planté dans la vase, c’est passé à 1.5 mètres de fond d’un seul coup, on n’a rien vu venir, je me dis qu’on n’a pas fini d’entendre médire de Navionics (qui nous rend tellement de services d’un autre côté donc voilà quoi) … bon bon bon, pas de panique, un coup de moteur en marche arrière et ça ira tout seul, hop hop hop … bon, pas de panique on pousse un peu les gaz … bon, pas de panique on fait hurler un peu le moteur … bon, pas de panique, ok, mais on fait quoi ? jamais à court de ressource, le capitaine m’annonce posément qu’il va monter sur la bôme

– comment ça tu montes sur la bôme ?

Comme si c’était l’heure de jouer à chat perché ?

– mais oui !

En s’exécutant aussitôt tout en me laissant interdite et coite

– ouvre la bôme ! m’ordonne t’il pendant qu’il se pose en bout de bôme comme un moineau en équilibre sur la pointe d’une branche de saule pleureur … hum hum, pas terrible ça … non ! plutôt comme un aigle royal sur, sur … sur le bord d’une falaise tiens, tout royal qu’il est, l’aigle

Toute à ces pensées récréatives dont j’ai le secret, je descends le chariot au maximum et ouvre la bôme en relâchant l’écoute, le capitaine s’impatiente et voudrait avoir le don d’ubiquité pour le faire à ma place, pour le faire vite, et bien, et mieux sans doute, mais il ne peut rien contre moi perché là où il est, alors je continue ma manœuvre tranquillou

– mais tu veux faire quoi ?

et lui, comme une évidence :

– faire pencher le bateau avec mon poids le plus loin possible !

– haaaaaaa !

Vous m’en direz tant

Le voilà qui se met à tendre les jambes vers l’extérieur, qui se pend à un seul bras, une vraie démonstration de pole dance …

il est joli

… mais on dirait qu’il s’échine pour rien et qu’il faudra attendre que la marée monte, si tant est qu’elle ne soit pas déjà haute, songé je en me grignotant un ongle, le capitaine me tire de ma torpeur méditative

– il bouge ?

Bé non il bouge pas, je lui annonce l’information du ton grave qu’il sied à pareille mauvaise nouvelle, le capitaine essaie encore de tressauter sur la bôme et, vaincu, me réclame de le rentrer dans le bateau, je mouline le winch pour ramener la bôme quand oooooh putain !

– il bouge ! le bateau bouge !

– mets le moteur ! allume le moteur !!!

Je fonce allumer le moteur et

– ramène moi sur le bateau !

Des ordres dans tous les sens, je n’ai que deux bras et ils ne sont pas télescopiques, au bout du compte il saute dans le bateau et reprend la manœuvre, on sort de là et on va s’amarrer à une bouée un peu plus loin, il me dit qu’il préviendra Navionics pour ajuster le tir lors de la prochaine mise à jour, faut que je le lui rappelle d’ailleurs, je ne sais pas s’il y a repensé depuis …

Et le lendemain, pensez donc, on a juste à tracer tout droit pour filer sur Bora-Bora, alors zou !

et on n’est pas tous seuls à y aller

Et maintenant, on s’assied en tailleur sur le sol, et en rond autour d’un bon feu pour écouter

  • Voilà pourquoi Huahine est coupée en deux : un jour, le Dieu Hiro voulu se rendre sur l’île de Huahine en pirogue. Le vent, le To’erau, se leva et la pirogue glissa rapidement sur les vagues. Hiro, attentif, scruta la terre devant la pirogue. Dans la nuit noire, il avertit ses frères de bien surveiller la pirogue, car au moment où le vent tournera, ils risqueraient de passer à côté de Huahine. Hiro leur dit : « je vais me reposer. Réveillez moi lorsque la terre sera proche. Et méfiez vous, lorsque la brume se lèvera, notre pirogue risque de traverser la terre. » Le vent se mit à tourner et gonfla la voile. Cependant, les frères de Hiro ne réveillèrent pas leur ainé car la pirogue filait agréablement, poussée par le vent. La pirogue traversa alors l’île et la coupa en deux parties : Huahine Nui la grande, et Huahine Iti la petite. A son réveil, Hiro vit que l’île avait été coupée en deux. Et tandis que  la pirogue continuait sa traversée, il perdit sa pagaie. Il tenta alors d’arrêter la pirogue en jetant son hameçon sur l’ile. De nos jours, on peut encore voir la rame et l’hameçon de Hiro depuis la baie de Maroe, gravés dans la montagne (avec un peu d’imagination, on arrive à les voir).
  • …et voici l’histoire de la légende de Hotu  Hiva : aux temps lointains vivait dans l’île de Hawaiki (ancien nom de Raiatea), Hotu Hiva, la fille de Tū tapuari’i, un des chefs des îles sous le vent. Cette jeune princesse avait depuis sa tendre enfance pour compagnon de jeux un garçon de son âge nommé Teaonuimaruia. Quelques années plus tard, le père de Hotu Hiva annonce à sa fille qu’il lui a choisi comme mari un grand chef de Raiatea. Ils se rendent tous deux à Raiatea pour les présentations. Mais une fois dans l’île, Hotu-Hiva dépérit et tombe malade. Les guérisseurs se succédèrent à son chevet, en vain. La jeune fille leur dit : « Ce n’est pas mon corps, mais ma pensée qui est malade ». Le cœur de Hotu Hiva est ailleurs, il penche pour Teaonuimaruia. N’acceptant pas ce mariage forcé, la princesse fuit son île, de nuit, en se cachant dans un pahu ou grand tambour. Le cœur de Hotu Hiva est ailleurs, il penche pour Teaonuimaruia. N’acceptant pas ce mariage forcé, la princesse fuit son île, de nuit, en se cachant dans un pahu ou grand tambour. Hotu-Hiva part discrètement à la recherche de son ami Teaonuimaruia, sans révéler son identité de crainte d’alerter les guerriers de son père. Toutefois, elle participe à une fête donnée en l’honneur du dieu Tane (le dieu de l’amour et le gardien du paradis éternel). Elle séduit la foule qui est littéralement ensorcelée par cette belle vahine. Même le dieu Tane tombe amoureux de la princesse et apparait sous la forme d’un oiseau sacré. Averti de l’arrivée d’une très belle jeune femme sur l’île. Le chef du district de Maeva charge deux princes guerriers de la lui amener. Il la prend pour femme mais comprend très vite qu’elle en aimait un autre. Par dépit, il la livre chaque soir à un homme diffèrent qu’il désigne; Enfin un jour la délivrance arrive, lorsque son ami d’enfance Teaonuimaruia la reconnaît et découvre sa triste situation, il tue le chef du district de Maeva et épouse sa bien aimée Hotu Hiva. Leur union scelle l’unification de l’île et inaugure la dynastie de Te pa’uihauroa. Ils eurent quatre fils. Puis Teaonuimaruia décède et Hotu-Hiva épouse alors un chef de l’île de Matahiva (Mataiva) et met au monde quatre autres fils. Ces huit garçons partagèrent l’île de Huahine en huit districts sur lesquels ils régnèrent.
  • L’archipel de la Société comprend 14 îles. Elles sont réparties en îles du Vent (dont Tahiti et Moorea) et en îles Sous-le-Vent (Bora Bora, Huahine, Raiatea, ou Maupiti notamment)
  • Les blessures de coraux sont bien connues des plongeurs tropicaux. Elles concernent de multiples espèces et peuvent parfois perdurer pendant des mois. De la même famille que les méduses, le corail est un animal venimeux. Son épiderme est recouvert de capsules, les nématocystes, remplies d’une toxine composée notamment d’histamine. Si en tant normal ce poison lui sert à paralyser ses proies, il peut également être extrêmement urticant chez l’homme. Les capsules en contact avec la peau s’y accrochent grâce à un crochet et libèrent leur venin, provoquant alors brûlures, démangeaisons, rougeurs ou encore formation de petites vésicules. La plupart du temps, la réaction est immédiate. Mais dans certains cas, le corail peut agir comme un véritable bombe à retardement, provoquant ces symptômes des semaines voir des mois plus tard. Car les capsules sont vivantes et, logées sous la peau, peuvent libérer leur venin en différé. La priorité face à une envenimation par le corail est de ne pas faire éclater les capsules intactes. Interdiction absolue donc de frotter la plaie et de la rincer à l’eau douce, ce qui peut favoriser l’ouverture des capsules. L’application de citron ou de vinaigre sur la plaie pendant plusieurs jours est un moyen souvent recommandé par les plongeurs expérimentés. Les composés acides inhibent en effet l’action des toxines et soulagent la blessure. 
  • Le fameux temple khmer bouddhiste de Preah Khan sur le site d’Angkor au Cambodge, envahi par les faux fromagers :
étonnant, non ? comme aurait dit Desproges
  • La baleine Moon est une baleine à bosse, elle souffre d’une grave blessure à la colonne vertébrale et n’a utilisé que ses nageoires pectorales (ce qui équivaut à nager avec ses bras) pour nager 4800 kilomètres entre la Colombie-Britannique et Hawaii, dans ce que Janie Wray, PDG et chercheuse principale pour B. C. Whales, décrit comme étant un exemple déchirant d’une collision avec un navire. Cette photo a été prise début décembre, on pense que Moon ne survivra pas longtemps …

Tahiti, des gens, des arbres, des torrents et une vague

au bout du ponton, Papeete

Les premiers jours dans une marina c’est toujours passer l’aspirateur, laver le linge, nettoyer le bateau de fond en comble parce que de l’eau salée s’est infiltrée partout, tout comme ce que j’ai pu laisser tomber en cuisinant, du café, de l’huile, un bout de patate sauteuse ou des grains de riz ou aussi ah tiens c’est quoi ce truc tout desséché, un bout d’oignon, un grain de maïs ? prendre une douche chaude et se faire un gommage des pieds à la tête (c’est quoi encore ce truc tout desséché, mince c’est ma peau ?!) et réparer les dégâts bien que nous soyons plutôt épargnés de ce côté-là quand on voit ce qui peut se passer sur d’autres bateaux moins chanceux, un pilote en panne ça n’empêche pas le bateau d’avancer … cependant, cependant ! les rares fois où je raconte des anecdotes à des personnes croisées, le capitaine minimise toujours mes dires, genre que ce n’est rien de barrer parce qu’on n’a plus de pilote hahaha vous m’en direz tant, mais il a tout de même évoqué le fait d’investir dans un régulateur d’allure, et je sais bien que ça serait pour palier à une nouvelle défaillance du pilote, c’est que ça l’a pas tant fait poiler que ça la panne du pilote

Voilà que le jour dit, Thomas de chez Nke se pointe pour réparer le pilote, l’automatique entendons nous bien, pas le capitaine qui, le cœur lourd, s’attend à devoir passer commande de pièces qui mettront des semaines à arriver, le tout aggravé d’une addition pas piquée des hannetons, les temps sont durs, je lui ai demandé s’il pense devoir acheter un nouveau pilote, bin non a-t-il répondu avec le regard de commisération qu’il me réserve quand ma pensée est si éloignée de la sienne qu’il n’en revient pas et me considère comme si j’étais un objet dont la nature et l’origine restent encore obscures à ce jour …

on dirait qu’on dérange mais c’est le contraire, c’est le grand ménage

Je saute sur Thomas dès son arrivée pour lui demander ce que c’est qu’un bus, je n’en peux plus de ne pas savoir, et bien c’est tout bêtement les fils noirs qui sont les bus, échange de regards bêtes avec le capitaine, au bout d’une heure de bips et une facture de 80€, champagne, ou comment avoir l’impression d’avoir gagné de l’argent puisqu’économiser c’est comme si on en avait gagné (c’est typiquement avec ce genre de raisonnement débile que je peux dépenser trop de fric quand c’est les soldes), le pilote est censé être réparé et Thomas s’en retourne après nous voir demandé plusieurs fois si on avait démonté l’anémomètre, toujours pas mais ça marche alors pourquoi s’emmerder à monter en haut du mât n’est-ce pas capitaine ?

on se prend des sacrées saucées suivies d’arcs-en-ciel pour nous récompenser de regarder le ciel

Après tout ça, ça y est, à moi du temps pour rencontrer des gens, guérisseurs, botanistes, herboristes, thérapeutes, randonner sur l’île pour y trouver des plantes, accumuler des données qu’il faudra ensuite classer, hiérarchiser, vérifier, un travail de fourmi … je n’aurai pas le temps de tout vous raconter, mais certaines rencontres valent le coup, comme ce rendez-vous avec Sunny, Sunny what’s so true, I love yoooooou (au cas où : https://youtu.be/ghGiv7YLC7Q)

Sunny Moana’Ura Walker (le fameux païen ci-dessus) est de descendance écossaise me dit-il quand je lui demande dans son pickup d’où il vient parce que Sunny Walker ça ne fait pas très polynésien comme nom lui avais je posé la question, mais à ce moment-là je ne connaissais pas son nom en entier et c’est Moana’Ura qui en fait toute sa noblesse, il suit une tradition de guérisseur par son arrière-arrière-grand-père qui avait le don, nous roulons sur une piste jusqu’au marae Tupuhaea dans la vallée de Hamuta, marae ancien d’au moins 300 ans (certaines pierres ont été déposées par des invités venus de Rapa Nui et Rapa Iti, de Nouvelle-Zélande, de Huahine, du Canada, de Nouvelle-Calédonie… ) qui a été retrouvé et resacralisé lors d’une cérémonie dont il est l’initiateur

– Combien de temps dure une cérémonie de ce type ?

– Ça peut être 10 minutes ou plusieurs heures, ça dépend du « folklore » (il met les guillemets avec ses doigts en parlant de folklore)

– Je pense que ce folklore comme tu dis peut servir à se mettre dans le bain progressivement, à se préparer ?

– Oui bien sûr, mais certains ne s’attachent qu’au folklore, il n’y a pas de véritable spiritualité

Sa spiritualité est une reconnexion avec la spiritualité polynésienne d’avant la christianisation massive de la Polynésie, il m’explique qu’au cours de ses voyages, notamment pendant ses 15 années dans la marine militaire, il a été inspiré par le bouddhisme puis par le taoïsme dont il s’est senti plus en accord, et en revenant au pays il s’est rapproché de la spiritualité de ses ancêtres tout en notant ses points communs avec le taoïsme, il a fait des recherches historiques et a découvert Opuhara et son travail de résistant pour préserver les croyances ancestrales. Désormais Sunny incarne le nouvel âge de la spiritualité ancestrale et revendique sa croyance polythéiste ou « néo païenne » , on évoque les dieux tutélaires et les dieux secondaires

– Il y a combien de dieux ?

– Des centaines ! des milliers !  Taaroa est le créateur, l’ancêtre de tous les dieux, Toahitimatani représente la forêt, le végétal, Ateataonio, le vent et la pluie, Taere Maopoopo, le dieu du savoir et de la connaissance, Hina est la déesse de la Lune, Oro, le dieu solaire de la Guerre qui détrôna Taaroa  … (les noms ne sont pas faciles à retenir, on rencontrera à nouveau Antonin qu’on avait connu à Mangareva et qui enseigne dans les écoles, il nous dira qu’il a un mal de chien à retenir les prénoms polynésiens, on n’est pas les seuls)

– Et un maraé c’est donc un lieu de culte ?

– Oui … avec 3 entités : les dieux, les ancêtres et les tâura, ce sont des totems, des animaux protecteurs … chaque famille a son tâura, le totem de la famille Walker c’est la scolopendre, c’est l’animal des guérisseurs … même les insectes sont des tâura

– Comment on choisit son tâura ?

– Par exemple si un pêcheur se fait sauver par un dauphin qui amène sa barque jusqu’à la terre, et bien le dauphin deviendra le tâura de sa famille

Le tâura du capitaine, c’est à coup sûr une tête de mule…

Sunny Moana’Ura est à l’origine d’une communauté qui vit de façon traditionnelle, pratique des rituels de pêche, plante ses propres aliments ma’ohi, qu’ils peuvent cuisiner dans des fours en pierre traditionnels enfoncés dans le sol (les ahimà’a) … et qui, bien entendu, utilise des plantes médicinales

Sunny m’explique que le spirituel est toujours très présent chez les guérisseurs qui sont des chamanes ou Tahu’a (Tahu’a signifie globalement celui qui voit et celui qui sait). A l’époque préchrétienne, les Tahu’a étaient des personnages influents de la société polynésienne, ils possédaient des connaissances approfondies et des pouvoirs mystérieux dans de nombreux domaines (navigation, pêche, guérison des maladies et blessures, sourcellerie, prévision de la météo, direction de cérémonies, prises de décisions, liens entre les groupes, entre les îles …). L’arrivée du christianisme a largement contribué à leur disparition en les chassant et en les poursuivant pour paganisme… On raconte que les Tahu’a existent toujours, initiés de génération en génération dans la clandestinité, que certains d’entre eux pratiqueraient encore l’art de l’imbibition énergétique des tiki (attribution de certains pouvoirs transmis aux tiki par les Tahu’a, qui fait craindre les tiki)

Mais Sunny, navré, poursuit en me disant que désormais les charlatans pullulent, qu’en réalité il ne subsiste plus que quelques Tahu’a auto-proclamés qui ne maîtrisent plus que des brides du savoir des anciens et dont la pratique énergétique se limite à des massages et à l’utilisation d’huile de monoï aux vertus dites polyvalentes, et d’autres qui se prétendent Tahu’a alors qu’ils ne sont que de simples coachs qui utilisent la méthode Ho’ponopono (tradition sociale de repentir et de réconciliation des anciens Hawaïens) ou autres méthodes de développement personnel mais qui n’ont rien des pouvoirs magiques des anciens Tahu’a … on est loin de la pharmacopée ancestrale …

Je demanderai à Sunny où je peux me procurer des plantes médicinales, il m’indiquera le marché mais je n’y trouverai effectivement que des bouteilles d’huile de monoï avec ou sans ajouts, dont les vendeurs me vanteront toute une liste de bienfaits, à se demander pourquoi il existe d’autres plantes sur terre, je resterai sur la réserve …

– Comment les Tahu’a ont fait quand les colons sont arrivés et ont apporté les grandes épidémies qui ont décimé la population ?

– Ils ne savaient pas soigner ça, il y avait surtout des méthodes préventives qui maintenaient les gens en bonne santé,  d’ailleurs quand Bougainville a débarqué il n’en revenait pas de voir des gens en aussi bonne santé dans des îles aussi isolées du reste du monde … il y avait aussi des mouvements de migration quand il y avait trop de malades sur une île, les gens sains partaient et laissaient les malades qu’on n’arrivait plus à soigner sur l’île, les survivants s’éloignaient et se protégeaient

– Mais alors, avant ces maladies amenées par les colons, quelles étaient les maladies répandues en Polynésie ?

– L’éléphantiasis … sinon il n’y avait pas de maladies …

– Ah ! et on les soignait comment ?

– On les isolait …

– Est-ce que les guérisseurs ont des rituels avec les plantes ?

– Oui bien sûr, mais là aussi le christianisme a influencé tous ces rituels en diabolisant les pratiques ancestrales, en les interdisant, les savoirs ancestraux ont été balayés

– Est-ce que par exemple ils pensaient que la pleine lune a une influence sur la cueillette des plantes ?

– Oui, la lune, les saisons …

– Et est-ce que vous récoltez les plantes pour les sécher afin qu’elles puissent servir hors saison à soigner des maladies ?

– Mais chaque saison a ses maladies et les plantes qui soignent les maladies de saison poussent dans la saison, donc pas besoin de récolter et de sécher, on utilise des plantes fraîches

Logique …

Sunny a également rejoint la communauté de ‘ihitai (marins) volontaires qui œuvrent pour la promotion et la pratique de la navigation sans instruments (sensorielle) en Polynésie et dans le Pacifique, association qui porte trois valeurs : Te Hau, Te Maita’i, Te Ho’era’a (je n’en sais pas plus là-dessus à l’heure où je vous écris), il a navigué pendant plusieurs années sur la pirogue double traditionnelle Fa’afaite, dans les îles alentour, les Australes mais aussi dans certains atolls des Tuamotu

– Vous étiez combien sur la pirogue ?

– 17, 18 …

– Tant que ça ? et vous pouviez dormir ?

– Oui oui, il y a 8 couchettes dans une coque et 8 dans l’autre .. pas de winch là-dessus hein, on fait tout à la main !

– Et pour les quarts ?

– On faisait des quarts de 4

Il faut au moins ça …

la pirogue Fa’afaite

En partant, Sunny me montre ses plantations de plantes médicinales mais reste tellement discret sur le sujet qu’il ne m’en dit même rien du tout malgré mes questions intéressées, cela me fait penser à l’encyclopédie médicinale des sorciers et chamans des tribus amérindiennes qui est écrite en langue Matsé pour que seul le peuple Matsé puisse la déchiffrer afin d’éviter la biopiraterie, mais à force de vouloir éviter la biopiraterie, on en arrive à de la rétention hardcore, ça serait bien de trouver un terrain d’entente, établir que toutes ces connaissances relèvent du domaine public mais qu’on achète ces savoirs à qui de droit et à leur juste prix … c’est pas demain la veille on dirait  … Sunny bute presque sur un fruit de hotureva et me raconte ce que je sais déjà et que je vous ai transmis sans un des articles sur Mangareva si vous avez de la mémoire 😉

Sunny dans son élément

On déjeune ensemble en ville et puis on se quitte, merci Sunny Moana’Ura Walker, et merci aussi de m’avoir mise en garde de ne pas frôler les feuillages des arbres pour ne pas me faire piquer par les fourmis de feu qui se seraient laisser tomber sur ma pomme !

retour en ville

Enfin, je rencontre Michèle, thérapeute à Pirae, juste à côté de Papeete, elle utilise entre autres la médecine Traditionnelle Chinoise et ça n’est pas une sinécure pour elle de trouver des plantes Chinoises, bien qu’à Tahiti les Tinito  (les Chinois) soient très installés

Michèle me montre son cabinet super bien aménagé  et m’offre un soin visage à la Chinoise, ce qui veut dire qu’elle y va franchement, je sens qu’elle y met tout son cœur, ça me ravigote un max, elle me précise qu’avec un massage de cet acabit 2 fois par mois on n’a pas besoin de lifting et je veux bien la croire, je suis repulpée avec les joues roses comme une poupée de porcelaine …

aussi vrai que ça (ça fout un peu les jetons les vieilles poupées de porcelaine)

…et je me sens hyper zen … pourquoi se droguer ?

Toujours Michèle, toujours adorable, tient à nous faire passer une soirée typique tahitienne, elle nous embarque donc quelques jours plus tard dans une soirée dansante pas loin de Papeete, et m’a même apporté une couronne de fleurs, la tahiti’s touch par excellence … Elle débarque en robe du soir, elle m’avait prévenue : faites vous beaux, ce qui nous avait bien mis la pression avec le capitaine parce qu’à force de naviguer et de randonner, nous ne sommes plus vêtus que d’oripeaux, les lavomatiques ne lavant qu’avec très peu d’eau pas bien chaude et en un temps record, en gros tes fringues sont toujours tachées mais avec une odeur de lessive, genre tu t’imbibes de parfum pour masquer la puanteur du manque d’hygiène comme au Moyen-Âge (les bains étaient rares car ils avaient peur d’une contagion par l’eau), une chance que je me sois acheté une robe à Tahiti, je suis Cendrillon à qui sa marraine la fée a fait apparaître une robe de bal d’un coup de baguette magique, c’est la carte bancaire la baguette magique lis-je sur les lèvres du capitaine qui murmure en haussant les épaules avant de fourrager dans un coin de placard avant d’en sortir une tenue à la hauteur cette robe (toute simple en coton fleuri mais qui fait son petit effet), à savoir une chemise blanche à manches courtes, avec son short beige et ses chaussures bateau il est tout à fait présentable, nous nous regardons et nous trouvons élégants comme ça faisait longtemps, il s’asperge de sent-bon et je mets une goutte d’Huile Essentielle de géranium, attention de ne pas en mettre trop car cela dérangerait le délicat odorat du capitaine et nous ne voudrions pas lui déplaire dans une robe neuve, mais à côté de Michèle nous faisons pâle figure, elle s’exclame

– tu n’as pas emporté une robe du soir sur le bateau ?

– une robe du soir ?!

et pourquoi pas des cuissardes à talons aiguilles sous une crinoline ?

le capitaine a trouvé que la couronne me va bien
ça swingue
et ça balance !

Je fais aussi le tour des herboristeries chinoises, en tous cas référencées comme telles, on n’est jamais déçus, je tombe sur des échoppes qui vendent des patentes en poudre dans une vitrine coincée entre des culottes en coton et des soutien-gorge géants, ou des vitrines plus grandes remplies de patchs aux plantes parmi des porte-bonheurs, des éventails et des paquets de jujubes …

… une autre fois dans un hangar qui vend du nutella aux woks en passant par les coton-tige et dans lequel, outre la vitrine de circonstance, se trouve un beau meuble à tiroirs, mais mes discussions avec les hôtes du lieu ne mènent à rien, ils savent vendre mais n’y connaissent rien et me regardent avec des yeux ronds avec mes questions, les noms sur les bocaux sont en idéogrammes ce qui ne facilite pas ma compréhension, je reconnais Wu Zei Gu parce que c’est hyper reconnaissable, Ren Shen aussi tout comme Dang Gui, le reste est trop loin, une chose est certaine c’est qu’il y a des plantes de pharmacopée chinoise à Tahiti mais que pénétrer la communauté ne doit pas être simple … ce que me confirmera Michèle, alors on fait comment pour progresser si chacun défend son pré carré ?

ça vend de tout, au cas où

une fois je me suis même dit qu’ils exagéraient de vendre des plantes médicinales au milieu des déguisements d’Halloween, mais je m’étais trompée de magasin 😄

J’aurai la chance de pouvoir échanger avec d’autres herboristes et guérisseurs, visiter Tahiti, et j’irai randonner à divers endroits pour explorer la flore locale à la recherche de trésors thérapeutiques, quel pied !

un splendide tulipier du Gabon !
en haut il fait frais
Papeete vu d’en haut
on voit bien Moorea en face
in action !
une fois on trouvera même un petit refuge pour manger un bout
mais les chiottes du refuge ne sont guère tentant, on continuera à pisser dans la bruyère
on prendra aussi la route prou traverser Tahiti
l’intérieur de Tahiti est tout bonnement magique
finalement on a fait demi-tour parce qu’il avait tellement plu que la route était impraticable

On ira aussi voir LA vague !

Teahupoo est donné comme sûrement le spot le plus dangereux du monde à cause du risque d’être projeté contre le récif 

Voilà un petit aperçu de ce qu’y font les surfeurs : https://youtu.be/bU0iFul9jiI

j’y ai pas coupé, le capitaine a insisté pour m’immortaliser sur la vague
le jour où on y était on a vu ça ... ça fait petits bras

A savoir absolument pour ne pas vous faire avoir !

Suis-je simplette ou bonnement inculte, toujours est-il qu’il m’était venu une idée géniale, à savoir me faire envoyer un colis par ma belle-fille en indiquant l’adresse de Michèle pour la livraison, voyez comme ça turbine à fond dans ma cervelle, donc je mets ce vaste projet à l’œuvre et, après des jours d’angoisse à me ronger les ongles parce que je n’avais aucune indication sur là où pouvait bien se trouver mon colis après être passé par l’Australie comme les poulets qui font le tour du monde avant d’atterrir dans nos assiettes, je suis convoquée aux douanes de l’aéroport, bon … je vous fais la version courte, j’ai dû payer 50% de taxes sur le contenu du colis et même sur les frais d’envoi, envoi qui m’avait coûté une blinde à savoir 190 €, 190 € putains d’euros pour un colis ! et le capitaine de me dire d’un ton moqueur que mais tu n’étais pas au courant de ça isabelle ? et comment être au courant avant de s’être faite avoir je vous prie ? comment avoir même l’idée de demander si on ne va pas se faire assassiner le porte-monnaie en se faisant envoyer un colis ?… la bonne femme des douanes m’a proposé d’abandonner le colis pour ne pas payer, mais j’ai payé, pas que son contenu serve de cadeaux de Noël aux douaniers, non mais que le Diable te crache au cul !

En plus si je n’avais pas payé, les dessins de mes petits-enfants pour mamie aurait été balancés, un véritable crève-cœur (ça me rappelle qu’un de mes gendres m’appelait mamie-pète-au-casque, il y avait une certaine pertinence dans sa vision des choses)

Au niveau mondial, la Polynésie est le deuxième pays le plus cher au monde (après le Japon), le coût de la vie y est 27 % plus élevé qu’en France tandis que le pouvoir d’achat local est de 58 % moins élevé, quand j’achète 2 baguettes en boulangerie, ça me coûte 400 francs pacifiques, soit 3.34 €, ça fait 1,67 € la petite baguette, un vrai luxe, l’ananas au marché coûte entre 600 et 800 francs pacifiques donc en gros entre 5 et 6.5 €, tout est taxé, taxé et surtaxé, de ce point de vue là il vaut mieux passer ses vacances au Cap Vert !

coucher de lune à la marina

Mais calmons nous et revenons sur des sujets enchanteurs, un peu de botanique par exemple …

Contemplons ensemble cette goutte de sang rouge, fleur qui servirait à soigner les affections oculaires, en compresse à la manière de l’eau de Bleuet dans nos contrées et aurait également une action contre les affections pulmonaires. Mais comme les espèces de ce genre sont souvent prises les unes pour les autres (Emilia fosbergii et autres Emilia), aucune certitude n’est confirmée quant à ces propriétés.

le capitaine a sauvé mes vieilles baskets en les lavant à grande eau pour pas que j’abîme les nouvelles que j’ai achetées à Papeete, du coup je n’ose pas mettre les neuves parce qu’il me dit que je vais les salir …

Propriétés incontestables quand il s’agit d’un eucalyptus, également appelé Arbre à la fièvre, à cause ses puissantes propriétés médicinales d’antiseptique des voies respiratoires. Il sert à élaborer une potion que les tahitiens étalent sur leur torse

Quant au Tamanu (Calophyllum inophyllum), il était considéré comme un arbre sacré du fait de ses vertus thérapeutiques et il était souvent planté dans l’enceinte des marae royaux. Il porte le nom de laurier d’Alexandrie en français. Dans les temps anciens, le Tamanu était un arbre tabu donc inutilisable par le commun des mortels, son bois ne pouvait servir qu’à la confection des tiki. Les feuilles sont utilisées en pharmacopée traditionnelle pour traiter les affections cutanées et les brûlures. Ses amandes servent à produire l’huile de tamanu aux propriétés analgésiques et surtout cicatrisantes, on l’utilise sur les plaies difficiles à cicatriser, les brûlures, les plaies post-opératoires et les ulcères.

Le Santal ci-dessous est l’un des composants les plus importants des mono’i ou pani (huile de coco). Les mono’i ahi ou pani puahi sont utilisés à la fois pour leurs vertus médicinales et leurs vertus cosmétiques. En pharmacopée polynésienne, la poudre de santal peut être utilisée, seule ou en mélange, en interne ou en externe, pour traiter les maux suivants : otite, sinusite, douleurs articulaires, cicatrisation du nombril des nouveau-nés, vergetures, mal de dos, froid, migraine. Le Santal est un bon antiseptique urinaire et pulmonaire, aphrodisiaque et tonique général, sédatif… Il agit sur le mental et les émotions, est apaisant et anti-inflammatoire, est efficace pour les problèmes de peau, acné, eczéma, gerçures et les peaux sèches

Le Banian polynésien, Ora tahiti, est originaire, comme son nom le laisse supposer, de Polynésie. Les jeunes racines contiennent une sève blanche laiteuse que les tahitiens employaient dans de nombreux médicaments. Les tapa en banian étaient également utilisés comme serviettes hygiéniques (le tapa est une fabrication d’étoffe à partir de l’écorce interne du mûrier, du banian et de l’arbre à pain)

Pour finir, voici une fleur de Datura Metel sur le chemin … et pour la petite histoire, c’est le Datura stramonium (fleur qui ressemble à cette photo mais qui est blanche) ou herbe du Diable qui est hallucinogène et éminemment toxique car renfermant des alcaloïdes dérivés de l’atropine, sa consommation peut entraîner des céphalées, crises d’angoisse, délires et convulsions. Néanmoins le Datura stramonium a une utilisation médicinale ancestrale reconnue pour apaiser les douleurs, soigner les maladies dermatologiques et endiguer des crises de folie, on comprend qu’il faut faire sacrément attention en l’utilisant, il se consomme généralement par voie orale sous forme de décoction.

ça balance à la marina

Pour éviter de vous perdre, sachez que :

  • Un régulateur d’allure est un système de pilotage mécanique et hydrodynamique autorisant un voilier à conserver une route constante par rapport à la direction du vent apparent (résultante vectorielle du vent vrai et de la vitesse du bateau) sans intervention de l’équipage.
  • Les tâura sont des animaux, végétaux et minéraux qui sont « alliés » avec des êtres humains, des familles, des clans. Ils sont considérés comme des pères, des mères, des frères, des sœurs. La relation avec eux est donc fraternelle et respectueuse. Les tâura animaux sont des gardiens et apportent force et pouvoir. Les tâura végétaux aident à l’équilibre, à l’harmonie et à la guérison. Selon la tradition orale, l’esprit d’un défunt, appelé täura, peut se manifester aux humains en apparaissant de façon inattendue sous diverses formes : un grillon, un oiseau, un lézard, un chien, un homme, une raie, un cent pieds, une chenille, une anguille… qui elles-mêmes sont liées à un dieu.
  • Pour en savoir plus sur Opuhara, le dernier ari’i de Tahiti (Roi, chef principal) : https://www.hiroa.pf/2011/05/opuhara-le-dernier-ari%E2%80%99i-de-tahiti/#:~:text=Opuhara%20et%20la%20chefferie%20des,est%2D%C3%A0%2Ddire%20pr%C3%AAtre
  • Il avait été noté à l’époque où Bougainville les a découverts, que la civilisation des Polynésiens, sommaire sous son aspect matériel, avait atteint socialement, politiquement et religieusement, un degré bien supérieur à celui qu’on pourrait attendre d’un peuple vivant aussi isolé de toutes les autres influences humaines –ils avaient mis au point des techniques d’horticulture et de pêche qui permettaient le maintien en bonne santé de populations qui étaient structurées selon des règles sociales traditionnelles respectées.
  • L’éléphantiasis est une maladie tropicale négligée. L’infection se produit lorsque les parasites filaires responsables de la maladie sont transmis à l’homme par des moustiques. Généralement contractée dans l’enfance, cette infection provoque une altération non apparente du système lymphatique. Il s’agit de la filariose lymphatique qui peut entraîner une augmentation anormale du volume de certaines parties du corps, donnant lieu à des douleurs, un handicap sévère et une stigmatisation sociale.
  • La fourmi de feu, appelée ainsi car sa piqûre est très urticante, est classée parmi les pires fourmis invasives au monde. Sa piqûre est très douloureuse, elle prolifère dans les arbres, rend les animaux sauvages ou domestiques aveugles. Dans les forêts qu’elle contamine, il ne reste qu’elle et les insectes qu’elle élève (de type puceron). Elle se répand actuellement quasi inexorablement en Polynésie et dans le Pacifique.
  • Le concept de tabu (ou tapu) existe dans plusieurs sociétés polynésiennes comme aux Tonga, aux Samoa et chez les Maori de Nouvelle-Zélande. Il fait référence à un interdit lié au sacré.
  • Que le Diable te crache au cul : insulte préférée de Stendhal, qu’il tenait de son grand-père, restaurons cette admirable injure quand on se sent détroussés par des bandits de grands chemins !
  • La plus haute vague du monde pour le surf a été mesurée à Nazaré, au Portugal, c’est LE spot où a été établi le record du monde de la plus haute vague jamais surfée par le Français Benjamin Sanchis qui, en décembre 2014, a surfé une vague de 33 mètres, l’équivalent d’un immeuble de dix étages…
😵‍💫
  • MAIS ! La vague la plus haute jamais observée s’est produite dans la baie de Lituya en Alaska le 9 juillet 1958 : un mur d’eau de 524 mètres a été causé par l’effondrement d’un pan de montagne, entrainant un séisme de 7,9 sur l’échelle de Richter. Pourquoi une telle hauteur ? L’effondrement de la montagne s’est produit dans un bassin d’eau fermé, un peu comme une tartine dans une tasse de café, d’où la violence de la vague. 5 morts ont été signalés à la suite de cet événement dévastateur, un bilan bien faible compte-tenu de l’immensité du phénomène, expliqué par le fait que la zone côtière touchée n’était quasiment pas habitée. La hauteur de 524 mètres mesurée est en réalité le déferlement, la vague qui l’a suivie a ensuite été estimée entre 60 et 90 mètres.  En 1854, 1899 et 1936, cette même baie avait déjà connu des tsunamis de 60 à 150 mètres de hauteur.

Tahiti … bien plus tôt que prévu

Le lendemain de ce dimanche pluvieux et festif, nous retentons la sortie de Toau, en vue de la passe je propose d’un air détaché au capitaine

– Je me demande si ça ne serait pas plus prudent de mettre les gilets de sauvetage ?

– Naaaan pas besoin … … … (tic tac) … va les chercher (le non est le premier réflexe du cerveau reptilien, puis le néocortex s’en mêle et raisonne le reptilien qui s’en va la queue entre les jambes devant la pertinence d’une proposition sensée)

Je me précipite comme s’il était crucial de trouver de l’eau pour éteindre un feu subit dans mes cheveux, sors à la hâte les gilets du coffre où ils sont rangés parce que le capitaine est déjà entré dans la passe, ma foi ça remue pas mal mais ce n’est rien à côté d’hier, en poussant bien le moteur ça prend le temps qu’il faut mais on sort de Toau tout gilets-de-sauvetagés, petit air satisfait du capitaine et béat pour moi, direction l’anse d’Amyot un peu plus loin, il pleut toujours mais plus de façon permanente, soudain, sa voix, que dis-je, un cri

– I DIT QUOI LE PILOTE DU BAS ?!

Je déboule devant la table à carte, regarde l’affichage du pilote et braille

– I DIT PLUS RIEN !

et puis un grand BIIIIIIIIP sonne l’alarme dans tout le bateau pendant qu’un message s’affiche en bas Bus en court-circuit, et un autre dans le cockpit : absence de maître ou un truc comme ça, le capitaine a pris la barre

– change de pilote !!

Grâce au ciel et à la prudence (maladive) du capitaine, nous avons 2 pilotes, alors je change de pilote, le met en route, BIIIIIIP, alarme qui tinte, bus en court-circuit et absence de maître, je coupe et passe une tête effarée dans le cockpit

– on fait quoi ?

Plus de pilote … la poisse, la guigne, la merde

– on file sur Tahiti pour réparer là-bas

Euuuuh … ça serait pas un poil précipité par hasard ?

– tu ne veux pas qu’on s’arrête à l’anse Amyot plutôt ? pour qu’on essaie de réparer ?

Je ne suis pas marin (devrais je écrire marine en bonne petite pensée inclusive ? pour ne pas paraître ennemie de la Femme ?) (c’est Delon qui disait, dans une interview, « j’aime la femme », j’en ris encore) mais je pense qu’une décision hâtive n’est pas de mise et qu’on peut tenter de réparer ça au mouillage, et puis on s’est levés tôt, j’ai la tête de traviole et pas envie de me farcir 200 miles nautique à brûle-pourpoint !

Sylvain et Isabelle d’Oxygen, qui nous ont suivi de peu, naviguent quasiment à côté de nous, on s’appelle à la VHF, Sylvain pense comme moi, on peut réparer, ça ne doit pas être bien compliqué, le sourcil froncé sous le poids de la réflexion, le capitaine abat d’un geste auguste pour aller sur l’anse Amyot, Oxygen filant sur Rangiroa nos routes se croisent, le capitaine se rapproche dangereusement d’Oxygen, moi je passerais plutôt derrière mais lui veut passer devant, aïe aïe aïe collision en vue !

– attention, tu vas lui couper la route !! m’émeus je

tandis qu’il hausse les épaules en se moquant de mes affres, non on ne se fera pas couper en deux par Oxygen

Du temps où le capitaine était champion de cata, il rasait tellement les bateaux en les doublant qu’il en a tapé certains, je lui ai demandé si c’était éliminatoire, oui, s’il s’est fait éliminé parfois, oui, le capitaine est un dur-à-cuire (personne froide et endurcie, qui ne se laisse désarçonner par rien)

Mais il ne fume pas le capitaine, d’ailleurs ça m’étonne de Corto Maltese ou de tout marin d’aller s’enfumer dans l’air pur des océans

Un peu plus tard Sylvain nous rappelle pour nous dire qu’il se déroute vers l’anse Amyot afin de nous y rejoindre et de filer un coup de main au capitaine, ça c’est de la belle entraide !

Si tous les gars du monde
Décidaient d’être copains,
Et partageaient un beau matin
Leurs espoirs et leurs chagrins ;
Si tous les gars du monde
Devenaient de bons copains
Et marchaient la main dans main,
Le bonheur serait pour demain ! (Paroles de Marcel ACHARD – Musique de Georges-Eugene VAN PARYS) (laissez vous aller : https://youtu.be/QRwinIdlvbI)

l’anse Amyot est un mouillage dans lequel on arrive depuis l’océan, on ne rentre pas dans l’atoll, c’est une première pour nous

Nous arrivons en slalomant dans le mouillage jusqu’à nous amarrer à une bouée, le capitaine va rejoindre Sylvain sur son cata pour regarder sur internet les manières de réparer ça parce qu’on s’est regardés, interdits : c’est quoi un bus ?  

i va reflotter

Quand il revient, je ne sais pas s’il en a vraiment appris plus mais la solidarité masculine a fait son petit effet euphorisant, l’espoir est là, le capitaine confiant, le soir tombe et nous aussi, à chaque jour suffit sa peine, on réparera demain qui est un autre jour et puis voilà

La nuit a beau porter conseil, elle n’apporte pas la science infuse comme je l’ai espéré si souvent du temps de l’école, c’est donc tout aussi ignare que la veille que le capitaine se met à démonter les boitiers au fond d’un placard, boitiers que nous pensons, par déduction analogique (un bus transporte du monde et un boîtier beaucoup de fils) être les fameux bus dont un est en court-circuit, Sylvain et lui ayant vu sur internet que de toutes façons il faut tout démonter et remonter un à un pour voir ce qui déconne, ils ont vérifié sur tout un tas de sites s’il fallait vraiment en passer par là car l’homme est ainsi fait qu’il espère toujours une solution miraculeuse et instantanée au problème du moment, mais tout un tas de site a dit la même chose : il faut tout démonter

est-ce le placard qui est trop petit, est-ce le dos du capitaine qui est trop large …

NB photo ci-dessus : encore une fois, les esprits affutés auront vu ce détail que je livre aux moins observateurs d’entre vous sur un plateau d’argent : les cheveux du capitaine sont bien coupés, et devinez qui les lui a coupés ? Il m’avait dit bien court ! alors je les ai fait bien court mais il a fait une drôle de tête quand il les a vu bien court à mon idée – là ils ont déjà repoussés, le capitaine retrouve sa tête de d’habitude, moi je l’aime bien tout court car il ne peut plus les coiffer en arrière, il pense qu’il fait négligé s’il n’est pas coiffé en arrière, c’est drôle le cerveau humain (surtout celui du capitaine)

J’ai fait un bon petit dèj pour donner du cœur au ventre au capitaine …

on n’a plus rien de frais, donc pas de fruits, mais pancakes et pain maison s’il vous plaît ! du petit dèj qui tient au ventre ! à vous de trouver la bouteille de canadou qui va avec celle du rhum La Mauny

… mais ça grommelle sévère du macarelle par ci et du macarelle par là, pas facile de bricoler à 4 pattes dans un placard, encore moins quand nous y sommes à deux pour souder des fils, l’un tenant les fils (mal quand c’est moi) et l’autre le fer à souder (comme un manche quand c’est moi) (le capitaine sait encourager les troupes, à se demander par quel miracle il n’a pas pris un coup de fer à souder dans une narine), on a chaud, macarelle de diou c’est pas facile la vie d’artiste … je ne saurais vous dire si on avance bien ou pas, une chose est certaine cependant c’est que nous tâtonnons, lisons tous les modes d’emploi, espérons la bonne piste, relançons un pilote avant de l’éteindre aussi vite quand son BIIIIIP nous vrille les tympans, je donne prudemment mon avis au capitaine, c’est que : est-ce que ça ne vaudrait pas le coup de monter voir en haut du mât l’anémomètre parce que c’est lui qui a commencé à débloquer il y a déjà quelques temps aux Marquises, et comme on lit à droite et à gauche que les courts-circuits sont souvent dus à l’anémomètre,  j’en tire une conclusion très nez au milieu de la figure, mais bon, le capitaine n’a cure de mon avis de blonde, manquerait plus que de s’abaisser à ça mortecouille ! on y passe deux jours, le pilote bipe à cœur joie, c’en est décourageant

Quand tout espoir semble vain et le moral des troupes au plus bas, le capitaine s’en va farfouiller dans tout le bateau avec une mine réjouie, on l’a perdu me dis-je, il craque … puis il ressort du fin fond d’un coffre et me brandit victorieusement sous le nez … euuuh

– un allume-gaz géant ?

– mais non isabelle ! c’est un 3ème pilote !

Cependant il tempère vite mon émoi, il s’agit d’un pilote de cockpit qu’il a récupéré d’un autre bateau, rien à voir avec les 2 autres pilotes en panne, c’est adapté très exactement « pour une navigation sur des bateaux de 6 à 7 tonnes et de longueur maximum de 12 mètres et dans des conditions météo estivales »… je lui rappelle, à cet oublieux, qu’on fait 12 tonnes et 14 mètres mais il me précise son idée géniale, ça peut nous filer un coup de main rien que pour aller pisser tranquille, je lui avais partagé mon interrogation existentielle, à savoir comment je ferais si je barre et qu’il dort et que j’ai envie de faire pipi ? Il m’avait répondu que je n’aurais qu’à faire pipi dans le cockpit, je m’étais préparée à ne plus boire une seule goutte jusqu’au départ (je me suis vue accroupie dans le cockpit, les genoux vers l’intérieur et la culotte sur les mollets, tenant la barre d’une main et mon teeshirt de l’autre, tête baissée pour viser entre mes godasses, le capitaine arrivant sur ces entrefaites … ne plus boire, donc)

Le capitaine, inconscient de ce qui se déroule dans ma tête et c’est tant mieux, passe une autre journée à bidouiller l’installation de ce pilote de fortune dans le coffre arrière entre les barres, je l’entends qui scie, souffle, sue sang et eau jusqu’à l’instant tant attendu de relier ce pilote à la barre …

Gotlib a sûrement rencontré le capitaine

Moralité de l’histoire : il aurait fallu installer le pilote entre la barre et la coque, mis dans le coffre c’est impossible de le relier à la barre …

Voilà à quoi ressemble un pilote de cockpit, autant dire que ça vous défigure un cockpit et que le capitaine n’aurait jamais pu s’y résoudre (et ça ressemble à un allume-gaz géant)

Graves, nous prenons la décision de rejoindre Tahiti sans pilote, 200 miles c’est pas la mer à boire, on ne verra pas Rangiroa ni les autres atolls des Tuam  mais pas le choix, en plus on les a quand même bien visité les Tuamotu mais comme dit le capitaine on ne reviendra pas, alors il aurait aimé voir tout son programme, il est comme ça, sans rigueur le monde part à vau l’eau et lui en tête

un dernier coup de bleu avant de quitter les Tuam

La veille je prépare à manger pour 2 jours parce que soit je serai à la barre, soit j’aurai faim ou sommeil mais ni l’envie ni le temps de cuisiner, le lendemain on se lève avant l’aube, on prend un bon petit dèj et c’est parti, je ne vaux rien sans un bon petit dèj et le capitaine se demande en se regardant le nombril s’il n’a pas grossi avec mes bons petits dèj, c’est lui qui commence à barrer et moi je suis déjà crevée de m’être levée si tôt, ça promet !

On barre à tour de rôle, le capitaine qui est un homme bon, ou bien un marin qui a plus confiance dans sa façon de barrer que dans celle d’une équipière olé-olé, en fait plus que moi et je dois dire que j’en suis fort aise parce qu’au bout de quelques heures j’ai les trapèzes en compote et même tous les muscles de mon pauvre corps sont réduits à l’état de bouillie …

A ma décharge, j’ai les pieds dans le vide et la houle est forte, il me faut les deux bras pour barrer, le capitaine a insisté pour je mette mon gilet de sauvetage et que je m’attache au bateau de crainte qu’une vague m’emporte, au moins si je m’évanouis de fatigue je ne glisserai pas dans l’eau comme un plat de nouilles, en plus je suis habillée à faire honte à feu YSL, bref, c’est la totale

Par contre, lui (tiens, ça lui va bien « lui ») lui donc, LUI, sait s’installer confortablement et barrer à l’économie pendant que je récupère en haletant comme un caniche ayant traversé la France pour retrouver son maître qui l’a abandonné au bord de l’autoroute un 1er août (ce que c’est sot un caniche), et quand revient mon tour il m’abreuve de conseils de haut vol, je dois lofer ou abattre avant même que la vague ne soulève le bateau isabelle, et cela même si les vagues arrivent dans mon dos, je dois le sentir comprenez vous, je finis par dire dans un gros (un énorme) soupir que c’est la première fois que je barre dans ces conditions et que lui, combien il a d’expérience dans le domaine je vous prie ? 50 000 miles je pense qu’il me répond, bon bin voilà, va dormir et je me débrouillerai très bien, je le sais parce que la trace sur Navionics est bonne même quand c’est moi qui barre, CQFD

il a mis son cache-nez, ça lui donne un petit air d’Hannibal Lecter

L’un des multiples dons du capitaine est de pouvoir dormir à peu près à chaque fois qu’il s’allonge sur un lit, cela lui permet de récupérer vite fait, il n’en est pas de même pour moi qui commence toujours à comater juste quand il faut que je prenne la relève, je me tasse donc sur moi-même comme une fleur se fane au fur et à mesure de la journée et baffre du sucre autant que je peux pour me donner un semblant d’énergie, surtout quand arrive la nuit, c’est à mon tour de barrer pendant que le capitaine mange au sien (de tour)

– ne regarde pas le compas (la bouche pleine)

– mais ! je ne vois que dalle devant c’est tout noir ! comment veux tu que je sache où je vais si je ne regarde pas le compas ?

– mais si tu le sens ! je ne veux pas que tu regardes le compas !

S’ensuit un long épisode durant lequel je regarde le néant droit devant quand je sens que le capitaine m’observe comme une mygale un arthropode pour son prochain repas, reviens promptement lorgner sur le compas et m’en éloigne vite fait avant de me faire choper, le capitaine rode dans le cockpit, se retourne soudain, je soutiens son regard avec un air de ravi de la crèche, j’étais imbattable à 1,2,3,soleil

Quand il va se coucher ça m’économise de l’énergie, je ne quitte plus le compas des yeux, cap 240, on avait d’abord navigué sous GV + génois tangonné en vent arrière, puis on a dû empanner et mettre le génois du même côté que la GV, une fois en vent de travers, j’ai dû m’habituer à barrer à bâbord puisqu’on a 2 barres, une à tribord pour quand on navigue tribord amure et une à bâbord pour quand on navigue bâbord amure, on a fait 85 miles en 9 heures, ça nous fait du 8.33 de moyenne, ça veut tout de même dire que je ne me débrouille pas si mal, re CQDF

Notre route est donc Ouest Sud-Ouest

Avec la fatigue, je m’embrouille les idées, je ne sais plus si je dois lofer ou abattre quand une vague éloigne le bateau du cap, je ne fais que me répéter pousse la barretire la barre … pousse la barre … tire la barre … et des fois je me plante, je pousse au lieu de tirer parce que le cap est à 270 et je ne sais plus ce que je dois faire pour revenir à 240, lofer ou abattre, tirer ou pousser, en plus quand je barrais de l’autre côté c’était le contraire, j’essaie l’un ou l’autre et finis par ramener le bateau sur 240, la voix du capitaine ma parvenant du fin fond de sa couchette mais qu’est-ce que tu fabriques ?! parce qu’il sent les mouvements du bateau, et puis je ne l’entends plus, il a lâché prise en sombrant dans un sommeil plus profond, je pousse la barre, je tire la barre et surtout je le laisse dormir, le peu que je pense ne me prend guère d’énergie alors je tiens le choc jusqu’au lever du jour, j’avoue que ça fait une bonne heure que j’ai envie d’appeler le capitaine à la rescousse pour qu’il me relève mais que je me répète de tenir encore un peu … juste pousser la barre … juste tirer la barre … juste ça isabelle … et puis j’ai des bananes sèches dans une poche et j’en croque une bouchée de temps à autre comme on remet un litre d’essence dans sa deuche pour aller un peu plus loin, le capitaine se lève, je prépare un petit dèj sommaire, mange, le relaie pour qu’il mange à son tour et vais me jeter tout du long sur ma couchette, je ne sais plus si je dors un peu ou même pas, quand je me relève il fait déjà chaud, je reprends la barre, moins de vent, moins de houle, on se relaie avec le capitaine, que ce soit pour manger, barrer ou se reposer, il fait rudement chaud, et puis au loin … Tahiti … Tahiti ! TAHITI quoi !!! Jamais je n’aurais cru y aller un jour ! Tahiti ! la lune !

Je reprends la barre pendant que le capitaine prépare notre arrivée, je suis claquée alors je continue de fixer le compas qui m’hypnotise comme un métronome, j’en suis au point que je me fous complètement de ce que peut penser le capitaine, et puis je me dis que ça serait tout de même drôlement chouette d’être accueillis à Tahiti par des baleines, je lève mon nez du compas, me retourne sur Tahiti que nous longeons … pile à ce moment je vois passer une queue énorme et noire à une trentaine de mètres de nous, je hurle une baleine ! une baleine !!! le capitaine déboule dans le cockpit, je braille là ! làààààà ! en montrant du doigt, et la baleine ressort de l’eau, décrit un long et lent arc de cercle, noir sur le dessus et blanc en dessous, avant de replonger, on en reste sans voix et puis je m’exclame la chance ! la chaaaaaance ! mon dieu quelle chance !

Comme on est sous le vent de Tahiti, c’est calme, plus guère de houle, je lâche carrément la barre pour filmer et scruter l’océan afin de voir si la baleine ne va pas revenir, que dalle … on longe le port, il y a plein de maisons, même de loin on voit que ça vit comme on en l’a pas vu depuis des mois, ça fait drôle

Nous avons vu des atolls, comme Fakarava ou Makemo, des îles hautes sans barrière de corail comme aux Marquises et  nous découvrons ici des îles entourées d’un lagon, c’est le cas de Tahiti, Moorea ou Bora Bora, donc il y a une passe pour entrer dans le lagon de Tahiti, j’appelle le capitaine pour qu’il prenne la barre mais il est occupé à je ne sais quoi et me dit d’y aller, c’est une autre dimension que les passes des Tuam, elle est hyper large et le problème vient plus des navettes et bateaux qui circulent dans tous les sens que d’un mascaret, inexistant par ailleurs, par contre le courant est bien là, c’est moi qui entre dans la passe de Tahiti, c’est de vous l’écrire que je me rends compte que c’est un peu la classe quoi … mais le naturel du capitaine ne tarde pas à revenir au galop, il trouve que je vais trop par ci ou pas assez par là et me reprend la barre, on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même (il me laisse faire à bouffer pourtant), et nous arrivons dans la marina de Papeete, c’est là que le capitaine veut aller parce qu’il y a une autre marina près de l’aéroport mais c’est à perpète … on tourne au ralenti dans la marina, elle est blindée, pas une seule place dispo, on voit plus loin un bateau amarré le long d’un des quais du port, le capitaine décide de l’imiter, on est vendredi soir alors on a des chances que personne ne vienne nous demander des comptes avant lundi matin, je mets les pare battages et les amarres, le capitaine me fait prendre la barre pour arriver le long du quai

– euhhh t’es sûr ? tu ne veux pas plutôt que j’aille sur le quai et que tu prennes la barre ?

– mais y’a rien à faire ! tu coupes les gasses (les gaz, si vous le connaissez bien maintenant) et c’est tout !

bon, je coupe les gaz, je dirige le bateau, le capitaine a sauté sur le quai et nous amarre, welcome to Tahiti !

et voilà

On a beau être morts ou quasi, on se prend une douche vite fait sur la jupe, on passe des fringues propres et on file faire un tour à Papeete, manger un steak dont on n’a pas vu la couleur depuis des semaines, frites pour le capitaine qui est un homme simple (c’est lui qui le dit quand j’entame des sujets de conversation qui le font chier) et salade pour moi, pas vu la couleur non plus depuis moult, j’apprendrai plus tard que le resto, qui s’appelle le Rétro, est celui où Joe Dassin est mort à l’étage en plein repas le 20 août 1980, à 42 ans près j’aurais pu le voir piquer du nez dans son assiette et devenir célèbre dans un cirque, la femme qui a vu mourir Joe Dassin

si ça, ça ne lui fait pas plaisir …

Après ça on pense dormir comme des anges mais c’est sans compter sur les bruits de la ville qui est à bout de quai … et quelle ville ! une vraie ville ! voitures, klaxons, sirènes d’ambulances, une voix féminine des passages piétons qui parle toute la nuit « rouge piétons – rouge piétons – rouge piétons » et sonne quand c’est vert bip-bip-bip-bip-bip + sonnerie du téléphone des taxis qui résonne dans la nuit … nous dormons d’un sommeil entrecoupé, après le silence désertique des Tuam c’est violent, et sommes réveillés avant même que le jour ne se lève car la vie ici démarre avec le soleil, et les bruits de la vie de Papeete qui démarre ça réveille bien

marina de Papeete vue depuis le quai du port où nous sommes amarrés
côté port, un gros yacht, le quai où l’on s’est mis est fait pour accueillir ce genre de yacht, on croise les doigts pour qu’il n’en arrive pas un autre

Comme c’est week-end on ne réussit pas à joindre le gars qui doit nous dépanner l’électronique NKE, alors le capitaine retente du bricolage, nous allons avoir la cruelle démonstration que l’électronique c’est 1 pas en avant, 3 pas en arrière … donc on se dit qu’après tout il faut relancer le pilote pour voir ce que ça donne avant de tout démonter à nouveau et là, et ça nous laisse pantois, ça se met à afficher des trucs à l’écran, ça bipe dans tous les sens mais les bips normaux, pas l’alarme, on se regarde comme si on avait gagné au loto (attendez, je vais vérifier parce que j’avais joué et je reviens) … (rien, nada, le capitaine n’est pas prêt d’avoir une machine à laver dans son bateau), on croit que c’est gagné et on se prépare à se taper les mains en signe de victoire quand un vérin se met carrément en route et CRRRAAAAAAAC ! énorme et sinistre !  La barre était attachée pour éviter les mouvements intempestifs au mouillage et elle a cassé sous la force du vérin qui voulait la faire tourner, crétin de pilote ! … le capitaine recoupe fissa l’électronique

– quel âne ! non mais quel âne ! (et ce n’est pas du pilote qu’il parle)

Il en est quitte pour réparer la barre, il faut la démonter, la scier, la remonter, ça lui prend un bout de temps durant lequel il ne cesse de se blâmer en se traitant encore et encore d’âne, on lui donnerait un fouet qu’il se flagellerait à genoux jusqu’au sang en invoquant le pardon de Saint Erasme … en plus, cerise sur le pompon, après ces soubresauts annonciateurs de son agonie, l’écran du pilote annonce de nouveau qu’il y a un court-circuit et pas de maître, j’abandonne le capitaine à son triste sort pour me balader, acheter à manger et constater que les clodos affalés et crasseux sous les porches font ressembler Papeete à la rue des Lombards le dimanche matin, la même odeur de poubelles embaumant l’air en prime, j’en conclus que c’est plutôt dans les rues qu’il faudrait balancer de l’encens le dimanche …

Le lundi, quand je reviens du marché …

est-ce que le capitaine aimerait que je lui serve des crêpes dans cette tenue locale 🤔?

… le capitaine a une bonne nouvelle (une fois n’est pas coutume) parce que, outre ce problème de pilote, on risque fort d’en avoir un autre, à savoir se faire déloger manu militari par les gars du port puisque nous n’avons pas le droit d’être amarrés sur ce quai, mais pendant que je flânais entre les bouteilles de monoï et les traiteurs chinois du marché, devant lesquels il y a un monde de dingue alors que les vendeurs de mangues et d’avocats se curent le nez pour passer le temps dans l’attente d’un client, pendant que je flânais donc, le capitaine a fureté dans la marina et de fil en aiguille s’est mis d’accord avec un charter pour lui prendre sa place quand celui-ci ira balader ses clients sur la mer, alors certes c’est provisoire mais nous avons tout le temps d’ici là de sympathiser avec l’autochtone de la capitainerie pour se voir octroyer une place à plus long terme, du moins ai-je la naïveté de le croire, le capitaine étant d’une nature moins optimiste fait la moue quand je lui exprime mon enthousiasme, mais je le sais tellement charmeur qu’il devrait savoir s’y prendre pour nous dégoter une place …

j’ai aussi flâné devant les vitrines, ça fait trop longtemps
et dans les rues pour voir des gens … du monde !

… et ça ne loupe pas ! dès le mardi après-midi nous prenons notre place officielle, celle de Moxie, le bateau d’un couple d’Anglais que nous avions déjà rencontrés à Hiva Oa et avec qui le capitaine avait échangé (il se fait tout un réseau de connaissances en mer et ça finit toujours par servir), une fois l’affaire dans le sac, le capitaine va prévenir le gars de la capitainerie qui lui dit qu’il aurait pu lui demander d’abord mais laisse filer, parce que le capitaine il est comme ça, il se fait tout de suite un tas de copains … en tous cas nous voilà installés à Papeete, le gars de NKE doit venir le mercredi de la semaine suivante, ça me laisse du temps pour découvrir Tahiti et sa botanique, ô joie !

la marina de nuit

Si vous avez lu jusque là, bravo ! vous pouvez continuer !

  • A brûle-pourpoint : brusquement, sans préparation. Qui veut dire aujourd’hui « brusquement, sans qu’on s’y attende ». L’expression a d’abord signifié « tout près, au point de pouvoir brûler le pourpoint » en parlant d’une arme à feu dont on pointe le canon sur l’adversaire : tirer sur qqn à brûle-pourpoint (on dirait aujourd’hui : à bout portant).
  • But du jeu 1 2 3 Soleil : le joueur face au mur tape trois fois en criant 123 Soleil et lorsqu’il dit SOLEIL, il se retourne vers les joueurs. Pendant que le meneur de jeu crie 123 Soleil, les joueurs doivent essayer d’avancer le plus vite possible et s’immobiliser quand le meneur de jeu se retourne après avoir dit soleil ! pour ne pas perdre.
  • Une mygale mange des arthropodes (des insectes, souvent de grande taille, des scorpions, d’autres araignées…), et des vertébrés : petits reptiles (petits serpents, lézards, geckos…), amphibiens (grenouilles, crapauds), petits mammifères (rongeurs)
Flûte, je vais faire des cauchemars
  • Une deuche : surnom populaire donné à la 2 CV de Citroën – j »ai acheté une vieille deuche
  • Saint Erasme ou Saint Elme est le saint patron des marins
  • La baleine à bosse peut mesurer jusqu’à 14 m de long, et peser 25 000 kg. Son nom vient d’une bosse de graisse discrète placée devant la nageoire dorsale. Il s’agit d’un mammifère avec deux nageoires pectorales qui peuvent faire le tiers du corps entier de l’animal, soit 6 m pour les plus grands spécimens. La baleine n’a pas de branchies, puisque c’est un mammifère. Quand elle plonge, elle est donc en apnée. Elle doit remonter régulièrement à la surface pour reprendre son souffle. Elle peut rester jusqu’à 30 minutes sous l’eau sans respirer. La baleine à bosse ne possède quasiment pas d’odorat et elle ne voit pas grand-chose. Par contre, elle a une ouïe exceptionnelle et elle communique en utilisant l’écholocation, c’est-à-dire qu’elle envoie des sons et écoute leur écho pour se repérer dans l’eau. Comme elle ne nage pas très vite, elle récupère de nombreux parasites, dont elle a du mal à se débarrasser. Pour tenter de les éjecter, elle se projette hors de l’eau jusqu’à 5 m de hauteur et retombe de tout son poids à la surface. Chaque année, la baleine à bosse pratique la migration. Elle se déplace de sa zone d’alimentation située en eau froide vers son aire de reproduction en eau chaude. En une année, elle peut parcourir jusqu’à 10 000 km. Et comme elle peut vivre 60 ans, elle en aura parcouru, des kilomètres. La saison des amours s’échelonne d’avril à septembre, durant l’hiver austral. Le mâle rejoint alors la femelle (qui est plus grande que lui, ce qui est rare dans le monde des mammifères). Après avoir été fécondée, la femelle entre en gestation pendant 338 jours. À la naissance, le baleineau mesure plus de 4 m et pèse environ 700 kg. Il tète sa mère pendant 6 mois et gagne en moyenne 40 kg par jour. Avec sa taille impressionnante, la baleine à bosse a peu de prédateurs. Les requins-tigres et les requins à pointe blanche raffolent des baleineaux. Ils tentent leur chance quand ils croisent une baleine isolée avec son baleineau. Et les orques s’attaquent parfois aux baleines blessées. Mais le plus grand prédateur des baleines reste les humains. Jusqu’au siècle dernier, les baleines à bosse étaient très convoitées. Les baleines à bosse faisaient partie des 9 espèces chassées intensivement par les baleiniers. On estime que 9 baleines à bosse sur 10 ont été décimées au cours du 20e siècle. La graisse des baleines était utilisée pour alimenter les lampes à huile.

Inénarrable Fakarava que je vous narre

On mouille près de la passe sud de Fakarava, à Tetamanu, et on n’est pas les seuls, au point qu’on doit carrément se faufiler entre les bateaux et relever l’ancre qu’on avait descendue pour s’en écarter un peu afin de ne pas risquer de jouer aux bateaux-tamponneurs si le vent venait à tourner.

nous mouillons là après la tentative au niveau du petit rond jaune
vue large

Ça a l’air super beau (cf la photo du haut) et habité, c’est excitant ! donc après s’être posés un peu, malgré notre fatigue nous mettons l’annexe à l’eau et filons voir ce qui se passe à terre, et il se passe qu’il y a des clubs de plongée et que, justement, ce soir une plongée nocturne pour aller voir les requins est organisée et oui le capitaine peut s’y joindre, on n’a que le temps de retourner au bateau pour que le capitaine se prépare, que je lui fasse avaler au moins une banane séchée parce que tu ne peux pas aller plonger sans manger après avoir si peu dormi la nuit dernière ! je rajoute des figues séchées et des amandes, il gobe le tout sous mon œil inflexible et s’éloigne en annexe dans le soleil couchant pour rejoindre ses futurs nouveaux amis de plongée, j’en profite pour bosser

Quand j’ai connu le capitaine, j’ai voulu le connaître, alors je lui avais posé quelques petites questions pour voir à quoi il ressemblait, et une fois je lui avais demandé ce qu’il aimait comme musique, il m’avait répondu « Desperado » des Eagles, ce à quoi j’avais répondu à mon tour « tu es un peu cow-boy alors » , il s’en était défendu avec véhémence, tout sauf un cow-boy, vous pensez bien que ç’aurait été le comble pour un marin … en tous cas, depuis, c‘est cette musique qui est sienne sur mon téléphone, mais maintenant je sais qu’il est un grand fan de Brassens au point que cela m’étonne au possible qu’il m’ait à l’époque avancé ce titre des Eagles, le mystère demeure (mais pour tout dire, au risque de provoquer le courroux des fanatiques de Brassens, je préfère entendre Desperado quand le capitaine m’appelle plutôt que pour donner la gougoutte à son chat, tous les gars tous les gars du village étaient là lalalala, étaient là) (flûte, je vais avoir la chanson toute la nuit dans la tête) (j’vais la chantonner au capitaine pour lui faire plaisir tiens)

Il revient tout heureux de sa plongée mais me dit qu’il n’était pas plus tranquille que ça parce qu’il y avait des dizaines de requins qui commençaient à s’énerver et à approcher les faisceaux des lampes torche du petit groupe de plongeurs (ils étaient 4), donc heureux de sa plongée et content que ça se termine, on mange un morceau et on s’effondre de sommeil, il est bien tard

je suis bien contente d’être restée au bateau

Et le lendemain, avant de quitter cette passe Tumakohua mondialement connue mais trop fréquentée (classée réserve de biosphère par l’Unesco, ça attire la chaland et c’est pas pour rien qu’on est là) nous sautons dans l’annexe avec palmes, masques et tubas pour nous en rapprocher au plus près, arrivons au village de Tetamanu

voir en vrai un truc qui faisait rêver, y’a pas à dire, c’est puissant
des requins à pointe noire se baladent sous les pontons

Nous attachons l’annexe à un poteau malgré le panneau qui annonce que ça nous coûtera 5000 francs de s’amarrer là, nous aimons vivre dangereusement, et partons à la nage, moi toujours flaquée de mon pare battage en guise de bouée malgré les protestations du capitaine qui m’assure que je n’en ai pas besoin, on voit bien qu’il n’est pas dans ma tête …

Je ne sais pas si de ma vie il me sera donné à nouveau la possibilité de voir autant de poissons, de requins, de coraux, des centaines et des centaines de poissons en bans, de toutes les couleurs, de toutes tailles, poissons-napoléons, poissons-papillons, poissons-perroquets, poissons-anges, chirurgiens, balistes, nasons…au milieu de dizaines de requins gris ou à pointe noire qui slaloment horizontalement avec leur œil perpendiculaire, impassibles et presqu’aveugles, le tout dans une sérénité quasi fraternelle, c’est magnifique … extraordinaire …

ces photos ne sont pas de moi, je ne suis pas équipée, mais c’est ce que j’ai vu et plus encore

Temps de repartir, à croire que le capitaine se lasse vite, moi je serais bien retournée regarder les poissons mais la vraie vie nous rejoint où que l’on se trouve, on lève l‘ancre pour filer sur Hirifa, plus loin dans l’atoll, beaucoup moins de poissons en se penchant par-dessus bord, je me demande comment ça se fait et je dis au capitaine que sûrement à Tetamanu ils doivent donner à manger aux poissons, autant de poissons garantissant la venue des touristes et leur gagne-pain, ça serait tout à fait plausible …

le temps se couvre à Hirifa et ça donne des ciels superbes et des éclairages incomparables

Puis on file à l’étape suivante, Rotoava au Nord de l’atoll, ça nous le fait longer tout du long

on regarde tout de même s’il n’y a pas de patates de corail sur le chemin, des fois c’est moi qui m’y colle sur l’étrave

Plus on s’approche de Rotoava, plus il y a de people, on mouille devant l’église  

c’est civilisé dis donc

Un cata vient mouiller juste derrière nous, vraiment très près, ses occupants nous font signe et s’excusent d’être presque collés à nous, nous invitent à boire l’apéro pour la peine, Sylvain et Isabelle nous accueillent chaleureusement à bord d’Oxygen, nous expliquent qu’ils ont mouillés précipitamment à cause d’un fil de pêche coincé dans leur hélice, leur ami autrichien Franz nous rejoint, il navigue sur un autre cata, le Bright Star, il parle à peine le français alors je me demande comment il fait pour suivre nos échanges car nous échangeons spontanément comme si nous nous connaissions depuis moult … on passe un excellent moment, Sylvain et Isabelle sont drôles et enjoués et Sylvain me ressert du pastis et du ti punch au capitaine, ça détendrait même un macchabée en chambre froide, à un moment donné, et je ne sais plus pourquoi (le rhum, va) Sylvain nous balance, avec un sourire en coin, comme si on n’avait qu’à se tenir à carreaux

– il y en a d’autres des zisabelles !

ni une ni deux je lui renvoie la balle à toute volée

– et il y en a d’autres des capitaines, ducon !

Alors le ducon est sorti tout seul, le pastis a de ces secrets et puis bon, faut pas pousser mémé dans les orties, j’entends le capitaine qui s’exclame

– ah mais non !!

avec de grands signes de dénégation … my god on pourrait croire qu’il ne veut pas qu’il y ait d’autre capitaine ? est-ce possible ?! est-ce bien vrai et bien réel ? ou me méprends je ?!  je le regarde s’agiter sur son siège, me dit que ça a bien l’air de vouloir dire qu’il n’a pas envie que je change de capitaine, ô merveille ! ô prodige ! que l’on resserve du rhum au capitaine séance tenante et qu’il en soit ainsi tous les jours que Dieu lui prêtera vie ! (hips) … pour tout dire ça m’arrange, follement, je ne veux pas ni jamais au grand jamais d’un autre capitaine que lui (je ne dis pas le mien car je suis absolument contre l’idée de posséder une personne, on n’appartient qu’à soi), est-ce sa réaction, est-ce le pastis, je suis aux anges (Figuré – être dans un tel transport de joie que l’on en paraît extasié)

l’intérieur de l’église pleine de décorations en coraux et coquillages
et en nacre
le bleu c’est cool, mais les gris ne manquent pas de mine !

Bien entendu il faut régulièrement faire de l’eau et cette fois, quelle guigne, le déssalinisateur foire, alors le capitaine passe 2 jours à le réparer, il fabrique lui-même une pièce de rechange et ça lui prend des heures et des heures, c’est délicat et ça demande du doigté, si ça ne marche pas il faudra trouver de l’eau ailleurs, c’est moins pratique … au moment de voir si son bricolage fait merveille il pleut des trombes alors on ne peut pas le relancer, on se demande si ça va repartir, en attendant le capitaine prend des bidons et les emporte dans l’annexe pour aller les remplir à un robinet près du quai, l’eau est gratuite à Faka (on dit Faka).

Le déssalinisateur repart, ça dure un bon quart d’heure et puis une courroie à l’intérieur casse, c’est foutu, il faudra réparer ça à Tahiti parce qu’ici on ne trouvera jamais la courroie de remplacement, Dieu a donné, Dieu a repris

On reste quelques jours et je vais faire de menues courses de ce que je peux trouver dans les supermarchés d’ici, entendez des mini-supérettes où il n’y a même plus de bière (pas que je voulais en acheter – on en a encore – mais j’entendais des gars se lamenter qu’il n’y avait plus une seule bière à Faka) ni de légumes, j’achète les 6 dernières pommes de terre qui restent au fond d’un carton, du jambon fumé, du chocolat (ouf) et des œufs, et repars vers le quai, Rimbaud, pas Arthur mais Henri, me ramasse au passage dans sa 504 pickup qui n’a plus aucun habillage à l’intérieur, un volant et un changement de vitesse d’époque, me voilà McFly assise dans la DeLorean à côté du Doc, mais lui a travaillé pendant 40 ans à la météo, il se plaint que pour les prévisions de la Polynésie il n’y a aucun polynésien recruté mais que des théoriciens qui ne connaissent rien aux subtilités de la région, il me raconte qu’il appelle souvent météo France pour leur expliquer ce qui va se passer ici mais on l’envoie paître comme un vieux cheval bon pour l’abattoir, il me conseille de prendre les infos météo d’Hawaï et pas de la France, elles sont plus fiables, je répète ces précieuses informations au capitaine qui n’en a cure, il a ses habitudes sur Predict Wind Offshore, Windy et Windguru. Je rapporte les pommes de terre au magasin parce qu’elles sont toutes pourries à l’intérieur, plus de patates, le capitaine va avoir grand peine !

« O flots abracadabrantesques ! Prenez mon cœur, qu’il soit sauvé. »

Arthur Rimbaud

le mouillage de Rotoava

Et puis on loue des vélos pour aller jusqu’au phare en pyramide et voir ce qui se trame sur cet atoll, le loueur veut me régler ma selle mais je lui indique que je suis bien avec les deux pieds posés bien à plat au sol, il échange un regard avec le capitaine et les deux s’esclaffent en évoquant la possibilité de me laisser pédaler dans cette position pour que je foute la paix au capitaine pendant les deux prochains jours, j’ai droit à un mais enfin isabelle tu as déjà fait du vélo ! appuyé d’un regard assassin, oui et alors, on me remonte la selle jusqu’à ce que je sois sur la pointe du bout de mes gros orteils, folle instabilité, et c’est parti mon kiki (quand j’étais gamine le Père Noël m’a apporté un mini-vélo jaune, j’avais dû drôlement bien travailler à l’école pour avoir droit à un mini-vélo, mais jaune ! je détestais le jaune ! j’avais carrément honte qu’il soit jaune, j’enviais ma sœur jumelle qui en avait un de je ne sais plus quelle couleur mais beaucoup plus acceptable que le jaune, ça a gâché toute mon enfance)

Après quelques bons coups de pédale, nous arrivons au fameux phare, une des rares attractions touristiques terrestres de l’atoll, et quand je dis rare c’est pour ne pas dire la seule, mais je me garde une marge au cas où je découvrirais d’autres trésors sur ce motu. Le monument a été construit en 1957, je dis au capitaine que je pensais que c’était beaucoup plus vieux avec cette histoire de pyramide, genre au moins 200 ans, il ouvre les bras avec, je le sens nettement, même derrière ses lunettes noires, une lueur de condescendance dans la prunelle

– mais enfin isabelle ! il y a du ciment ! (Un bon point pour lui)

– oui, et bien il aurait tout à fait pu être rénové (comment que je retombe sur mes pattes ! quel talent !)

voilà comment le capitaine a garé son vélo, on appréciera
et moi le mien, j’ai un sens de l’esthétique certain

On réenfourche nos montures et on file jusqu’à la passe nord de l’atoll par où nous partirons demain, la route pour s’y rendre est une piste pleine de cailloux et de trous et comme nos vélos sont des vélos hollandais sans aucun amortisseur, je sens mes articulations se déliter à chaque cahot mais n’ose me plaindre car le coup du réglage de la selle est suffisant pour la journée, le capitaine a dit que j’étais un poème mais a priori ce n’était pas un compliment

c’est plat les atolls

En revenant on a 20 nœuds de vent dans la gueule (j’évite en général de dire des gros mots, ou alors c’est vraiment pour marquer le coup, mais il faut bien se faire au langage marin, encore que je pourrais dire le vent dans le nez, mais les marins que je connais disent dans la gueule et je ne voudrais pas paraître bégueule justement) (bégueule, adj, qui s’offusque de choses insignifiantes ; qui est d’une excessive pruderie), je dis au capitaine que même si on a du vent plein nez, je suis sûre et certaine que ça monte parce que je dois pédaler comme une damnée, il se fout de moi, m’ affirme que c’est plat et ajoute

– Suce-moi la roue !

Alors est-ce une métaphore inconnue de ma naïve mais néanmoins rendante-service personne, je m’interroge sur ce que le capitaine attend de moi tout en pédalant avec audace, il m’explique qu’en cyclisme ça veut dire qu’il faut je colle ma roue avant à sa roue arrière pour être aspirée par sa vitesse et moins sentir le vent, ah bon d’accord, de tout le zèle dont je suis capable je me mets à lui sucer la roue, maladroitement au début car j’ai peur d’être malhabile et de nous faire choir pendant la manœuvre et puis je m’enhardis et devient plus habile les kilomètres aidant, le capitaine m’ayant expliqué comment bien m’y prendre … et comme il a ajouté (en substance) que dans les pelotons il y a toujours un gars payé pour qu’on lui suce la roue mais pas pour gagner et que le vainqueur le double sur la fin, tout pas fatigué de s’être économisé ainsi, quand on  arrive en vue du yacht services qui nous a loué les vélos, je déboite de derrière le capitaine et fonce pour le doubler en éclatant de rire, j’entends sa voix derrière moi t’es terrible toi ! autant vous dire que je le bats à plates coutures (mais il n’a pas joué le jeu, le capitaine n’est pas joueur)

au besoin !

Mis en retard pas ce sacré vent, nous rendons les vélos à 17h22 alors que le yacht services ferme à 17h (mais ils habitent là alors c’est pas si pire), la sympathie du tenancier s’est muée en une sourde et muette hostilité, fini la rigolade, parce qu’avant qu’on ne parte il était drôlement sympathique à nous raconter tous les mauvais coups que lui font subir les navigateurs, et quand il avait demandé le nom du bateau et que nous lui avions répondu Cap de Miol (on n’a pas menti pour s’enfuir ensuite avec les vélos, notez bien) j’ai commenté

– ça veut dire tête de mule

et ajouté avec un grand sourire, ce qui l’avait bien fait marrer

– tu as trouvé ton maître !

notre complicité du moment est morte dans l’œuf pour un retard de 22 minutes 

on s’approche de la passe nord pour s’en aller, c’est fou de se voir sur Navionics grâce au GPS !

Et puis changement d’atoll pour Toau, rien de particulier à vous raconter, encore que, on n’a pas eu à descendre l’ancre car il y avait des bouées et j’ai manœuvré le bateau pour arriver le plus près possible de la bouée afin que le capitaine l’attrape avec la gaffe, il n’a rien eu à redire à part que je suis arrivée trop lentement, n’empêche qu’on a réussi du premier coup et que c’est ça qui compte n’est-ce pas

2 jours plus tard, c’est dimanche et on repart de ce mouillage sur corps mort pour aller anse Amyot, autre mouillage de Toau mais à l’extérieur de l’atoll,  il faut  donc sortir par la passe alors que le temps n’est vraiment pas de la partie, 30 nœuds de vent, des grains, on en a vu d’autres donc bon, mais en vue de la passe le mascaret me fait déglutir …

et on est loin

Nous nous mettons à roder devant la passe comme des hyènes attendant leur festin, les données sur l’heure d’étale de marée haute ou basse étant incertaines (curieusement sur Navionics ce n’est pas toujours précisé, on a passé toute une soirée à essayer de comprendre comment fonctionnait le fichier excel de Gestimator pour calculer la marée, en vain, faut être ingénieur au minimum pour se servir de Gestimator, génie c’est encore mieux), le capitaine a sa tête des grands jours et le ciré assorti, il prend la décision de tenter l’affaire sous la pluie battante, le contraire m’aurait étonnée car il n’est pas du genre à rebrousser chemin, moi je n’ai pas le moindre complexe à ce niveau …

Je saute sur une éponge pour enlever l’eau de pluie là où je vais m’asseoir dans le cockpit, descends enfiler en titubant (le capitaine est déjà dans la passe et on s’est mis à danser) mon ciré, prends la tablette et rebondis dans le cockpit, le bateau roule jusqu’à des angles inexpérimentés jusqu’à aujourd’hui, tiens-toi isabelle ! le bateau penche tellement que le capitaine s’accroche à la barre opposée à son côté, il barre à tribord en s’accrochant à bâbord, le corps incliné à 30 degrés, les vagues déferlent carrément dans le bateau, je fais oooooooh ! tout en me disant qu’il n’y a aucune raison que le bateau se retourne puisque il est donné pour passer dans des vagues de 8 mètres et plus, on en est loin mais les vagues sont super rapprochées et croisées, c’est ça le hic et c’est ça qui balade autant le bateau, et flatch ! encore une vague qui déferle dans le bateau

– ça va pas le faire ! crie le capitaine au bout d’un moment durant le quel je me retiens bravement de bramer

Hop demi-tour, on se prend les vagues de travers, le bateau est plein d’eau, on revient sur nos pas mais avec le courant sortant face à nous on avance lentement, on est freiné et de grosses vagues nous rattrapent, je préviens le capitaine qui ne les voit pas puisqu’elles arrivent par derrière, il slalome pour éviter qu’on se les prenne dans le bateau, il voit à ma tête quand une vague va nous tomber dessus (😨😱) , et petit à petit nous revoilà dans l’atoll, plus au calme, il se retourne, râle aussitôt qu’il est passé trop au centre et qu’on va retenter le coup plus sur le côté

– ah mais moi je ne retourne pas là-dedans ! index-pointé-je vers le mascaret

– CALME TOI !

Mais je suis – calme ! non mais attends ! eh ho c’est pas la fête du slip non mais ?!

– mais on peut attendre demain !

– ça sera pareil demain ! (d’où qu’il le sait pour être si catégorique ? il ment ! ma main à couper que le capitaine me ment !)

– bin alors on attend 3 jours s’il faut !

– on sera en retard sur le programme !

Mais il est où son programme pour que je le mâche et l’avale jusqu’à la dernière boulette ?!

– ou alors (ça pense vite un cerveau) (mâle, je précise) on mouille à côté de la passe et on sort à l’étale de 16 h (il a noté sur son fichu programme qu’on partirait aujourd’hui, toutes les solutions vont être débattues)

– déjà ce n’est pas sûr que ça soit mieux tout à l’heure et ensuite on n’a que 22 miles à faire alors on ne va pas passer la nuit à avancer au ralenti

– sinon demain matin vers 4h30 (la manipulation grossière ! genre c’est maintenant ou ça sera pire plus tard, tremble, carcasse !)

– mais il fera nuit ! Comment tu veux passer avec de telles vagues s’il fait nuit ?!

en plus il flotte

Finalement, on retourne au mouillage qu’on avait quitté 2 heures plus tôt, je ne sais pas si le capitaine a opté pour la facilité ou pour m’épargner, le saurai je jamais, j’entends Sylvain d’Oxygen qui nous appelle sur la VHF, je fonce pour répondre comme une grande, c’est marrant de parler à la VHF

– on vous a suivi sur l’AIS, vous avez été prudents, c’est bien !

– tu penses ! c’est parce que c’est moi qui ai insisté, le capitaine est une tête brûlée et il voulait y retourner !

On est invité à aller déjeuner chez eux, on y passe le reste de la journée sous une pluie incessante, on est drôlement mieux que de naviguer par ce temps, Isabelle a même fait de la mousse au chocolat, on se marre comme tout, on passe un super chouette dimanche, Sylvain nous informe qu’à Toau on peut y entrer comme on veut mais qu’on ne sait jamais quand est-ce qu’on peut en sortir, heureusement qu’on est revenus !

On voit : notre entrée le premier jour, jusqu’au mouillage, puis retour vers la passe avec allées et venues, tentatives de sortie et retour au mouillage

A savoir A-BSO-LU-MENT

  • L’association 193 est l’une des principales associations sur le dossier du nucléaire en Polynésie française, 193 comme 193 essais nucléaires, l’équivalent de 800 bombes d’Hiroshima. De 1966 à 1996, les atolls de Mururoa et Fangataufa ont été le théâtre de ces 193 essais nucléaires, qui ont eu des effets sur la santé et l’environnement des populations. Une enquête commandée par le ministère de la Défense à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) n’a pas réussi (voulu ?) à mesurer ces effets déplorant un manque de données. Le rapport publié le 24 février 2021 a provoqué la colère des associations des victimes, notamment la plus importante d’entre elles, l’association 193, qui a évoqué du négationisme.
tir sur ‘atoll de Mururoa en juin 1970

En savoir plus : https://www.radiofrance.fr/franceinter/30-ans-d-essais-nucleaires-en-polynesie-une-table-ronde-organisee-a-paris-8919270

Edifiant : https://youtu.be/7m3ij6LvIVE

  • Pourquoi autant de poissons dans la passe sud de Fakarava et pas dans le reste de l’atoll ? Cette passe sud est traversée d’un courant modéré qui permet le développement de tout un écosystème – coraux, poissons, mollusques – et offre un espace de vie idéal pour les requins gris. Cette concentration de requins n’est pas le fait du hasard parce que de nombreuses espèces de poissons viennent s’y reproduire et deviennent la proie des requins
  • 504 pickup, mais celle d’Henri Rimbaud était une épave, certes gaillarde, mais une épave
  • Mythique DeLorean
  • Ce qui me fait penser à la paire de baskets Nike qui se lacent toutes seules enfilées par Marty : elles ont d’abord été créées exclusivement pour les besoins du film puis ont été mises une première fois sur le marché en 2011, sous l’appellation Air Mag, mais sans le fameux laçage automatique qui faisait leur émerveillante spécificité. Le 21 octobre 2015, date du voyage dans le temps de Marty dans Retour vers le futur 2, Nike commercialise une paire de baskets autolaçantes semblable à celle du film, baptisée Nike Air Mag Back to the Future. Pour se la procurer, il fallait avoir beaucoup d’économies (environ 30 000 € la paire) et pas mal de chance (elle était disponible en moins de 100 exemplaires et sur tirage au sort). Les recettes liées à la vente de ces chaussures uniques ont été reversées à la fondation de Michael J. Fox luttant contre la maladie de Parkinson.
  • Voir la vierge : locution verbale – Etymologie en référence à l’apparition mariale – voir la vierge, figuré : rêver – « t’as vu sa tête d’ahuri, il a vu la vierge ou quoi ? »
  • Tremble, carcasse : « Tu trembles, carcasse, mais tu tremblerais bien davantage si tu savais où je vais te mener ! » Henri de La Tour d’Auvergne, vicomte de Turenne (1611-1675) se parlant à lui-même, en 1667 en s’apprêtant à reprendre du service, vingt ans après sa brillante guerre de Trente Ans. Autre version du mot : il parlait à son cheval Carcasse, avant sa dernière bataille, en 1675. De toute manière, c’est le mot d’un très courageux soldat de Louis XIII et Louis XIV, promu maréchal de France à 32 ans.
  • On dit : « Eh oh c’est pas la fête du slip, non mais » quand quelqu’un nous offusque, nous choque et qu’il se permet tout.

Le jour où je vais plonger à Tahanea

vue de la cuisine

Nous voilà donc dans l’atoll de Tahanea, à l’abri du vent derrière un motu, et c’est tant mieux parce que du vent, pour en avoir il y a en a, le joueur de flûte s’en donne à cœur joie (le vent fait vibrer la balancine ou les drisses, ça nous invite un joueur de flûte à bord) et si ce n’était la chaleur ambiante, on pourrait croire qu’il y a un blizzard terrible et que le bateau est carrément pris dans les glaces. Heureusement, le bateau étant tourné face au vent, nous sommes protégés par la casquette du cockpit, par contre dès qu’on en sort on s’en prend plein la tête et je me remets bien vite à l’abri en faisant brrrrr !

Le lendemain (je pourrais dire de bon matin, ça rimerait mais ça serait faux et on ne va pas se mentir) on va faire un tour sur le motu, on pourrait croire que c’est du sable rose mais en fait c’est du corail pilé, on s’en rend très bien compte quand on marche pieds nus, le capitaine a insisté pour que je prenne mes chaussures de pont en plastique afin de ne pas m’écorcher en sautant de l’annexe, c’est éminemment notable parce les chaussures de pont c’est exclusivement pour le pont du navire isabelle ! afin de ne pas le salir, le capitaine pense donc, si je puis tirer une conclusion de ce seul fait, que la sécurité de mes pieds vaut mieux que la propreté du pont, c’est le genre de truc qui suffit à me rendre totalement dévouée à lui corps et âme (il ne me faut pas grand chose) (je suis comme un petit chien en fait, un biscuit, une caresse, et c’est à la vie à la mort)

Sans soleil ça devient gris

Parfois on dirait que le sol bouge sous nos pas, je manque de me casser la figure sur ce sol meuble avant d’apercevoir des mini Bernard l’Hermite qui se sauvent à mon approche, j’en filme un et le capitaine pose son doigt à côté pour vous montrer leur petite taille (vous penserez à le remercier, ça lui fera chaud au cœur)

ce n’est pas le capitaine qui a un gros doigt mais c’est le Bernard l’Hermite qui est minuscule

Comme le vent perdure, et qu’on n’a pas la moindre connexion internet ou téléphonique, avec le capitaine on décide d’employer ce temps bloqués ici intelligemment, à savoir caréner le bateau, on sort tout le ramdam, la bouteille à air comprimé, le compresseur pour la remplir (il faut quasiment tout sortir du coffre du cockpit pour trouver le compresseur au fin fond, le sortir à l’aide d’une poulie et du winch car ça pèse un âne mort, puis ranger tout ce qu’on a sorti, ça prend la matinée), la combi et la stab, masque, tuba, palmes, chaussons, cagoule, gants, installer les bouts (les cordages pour ceux qui viennent d’arriver) sous le bateau pour que le capitaine s’y accroche pour passer la brosse sur la coque, moi j’enfile ma combi tranquillou, mon masque mon tuba et mes palmes et je vais faire une petit tour pas loin pour voir les poissons dans les patates de corail, on dirait que certains coraux sont des nurseries parce qu’on voit les mêmes poissons qu’un peu plus loin mais en minuscule, c’est trop joli, et puis je reviens en hâte au bateau parce que d’un coup je culpabilise de laisser le capitaine nettoyer le bateau pendant que je musarde, j’attache d’autres bouts le long de la coque et attaque le nettoyage de la ligne de flottaison à la paille de fer, en deux jours et 3 remplissages d’air comprimé dans la bouteille du capitaine, le bateau est rutilant, ça fait plaisir parce que ça pousse hyper vite les algues et les coquillages, on a bien perdu 2 kilos chacun de s’agiter comme ça, et comme le compresseur est de sortie, et que le capitaine est en veine de vouloir me récompenser pour le travail accompli, en finissant de ranger ses affaires il redresse la tête vers moi et déclare

– demain on plonge tous les deux

et c’est sans appel

Le lendemain, donc, le capitaine a bien tout préparé les affaires (deux bonnes heures), nous les hissons tant bien que mal dans l’annexe pour aller près du rivage, là où j’ai pied, afin de réaliser ce baptême de plongée imposé, sinon je crois que jamais je ne l’aurais fait … une fois descendus dans l’eau jusqu’à la taille, le capitaine m’enfile tout le harnachement et me voilà avec le gilet de stabilisation et la bouteille qui pèse une tonne sur le dos, on dirait une pieuvre avec tous les tuyaux qui dépassent comme des tentacules, je me marre comme une écolière qui goûte pour la première fois un bonbon qui crépite quand il me colle le détendeur dans la bouche en m’expliquant tout un tas de trucs qui se mélangent déjà dans ma tête, mais l’essentiel n’est pas compliqué : il faut que je me mette sous l’eau et il y est déjà quand je commence à m’accroupir … et que je ressors aussitôt en arrachant le détendeur de ma bouche avec l’impression d’étouffer, quelle horreur ! … nan mais quelle horreur !

J’ai beau me répéter ça, le capitaine m’attend sous l’eau alors il faut bien que j’y retourne, alors j’y retourne … et en jaillis directement une bonne dizaine de fois de suite avant de réussir à me calmer sans avoir l’impression que la bouteille est un bloc de ciment attaché à mon dos pour me maintenir à jamais collée au fond de l’océan comme un mafieux victime d’un contrat…

voilà un gilet de stabilisation ou « stab » avec toute la tuyauterie – il faut y accrocher a bouteille, en plus !
et une plongeuse avec ses tentacules

Il finit par sortir aussi et, contenant une pointe d’agacement, me demande ce qu’il y a

– Je n’arrive pas à respirer ! il faut que j’aspire comme une dingue pour avoir de l’air !

– Bé oui ! pour que le détendeur fonctionne il faut que tu sois complètement sous l’eau ! et là tu restes en surface alors ça peut pas marcher !

Bon, de toutes façons il ne lâchera pas l’affaire et puis je n’ai pas envie de rentrer honteuse au bateau, quand faut y aller faut y aller, je descends complétement dans l’eau et là, miracle, je peux respirer beaucoup plus librement … je ressors tout de même et une fois de plus, ce qui fait ressortir aussi le capitaine

– Quoi encore ? (il a dû se promettre de ne pas s’énerver, je vois bien qu’il s’admoneste intérieurement)

– Il faut que je voie des poissons ! si je vois des poissons je vais me concentrer dessus et j’oublierai le reste !

C’est parti, on se dirige vers une grosse patate de corail pleine de petits poissons colorés et je trouve ça tellement grandiose de descendre à leur hauteur pour les regarder qui me regardent, de voir la surface de l’eau par en dessous, que tout va bien, le capitaine s’éloigne vers une autre patate en me faisant signe de le suivre, mais là où il veut aller je n’aurai pas pied alors je reste autour des premiers coraux et j’en fais plusieurs fois le tour, émerveillée par eux autant que par les poissons, et aussi par le capitaine qui est aérien, on se croirait dans l’espace, je le vois qui glisse, vole … il est joli …

Et puis c’est lui qui finit par me faire signe de remonter et me dire qu’on rentre

– Bé c’est bieng, tu t’es bien débrouillée

– Tu dis ça pour me faire plaisir

– Non non, c’est bieng

On rentre et on décide de recommencer le lendemain poïpoïpoï, je suis à un doigt de frimer

après on a été marcher de l’autre côté du motu, notez l’élégance naturelle du capitaine

Cette deuxième plongée s’impose pour ne pas perdre les maigres acquis d’hier, je suis dans les starting-blocks dès le saut du lit, le capitaine me demande si on plonge depuis le bateau ou si on reprend l’annexe pour aller là où j’ai pied, gaillardement je réponds qu’on va partir depuis le bateau, c’est trop galère de porter tout le matos dans l’annexe et puis après tout le gilet de stabilisation fera office de bouée me dit-il, je ne vais pas non plus faire ma mijaurée, on se prépare et je descends à l’eau la première en gardant une main accrochée au bateau, heureusement parce que tout mon corps se fait embarquer par le courant, ça promet, le capitaine se met à l’eau à son tour et vient à mon secours en me prenant la main, et c’est parti …

… à la seconde où je lâche le bateau, je n’arrive déjà plus à respirer dans le détendeur, le poids de la bouteille semble m’écraser et m’enfoncer sous l’eau et la stab m’oppresse, on en est encore à longer le bateau que je sors la tête de l’eau pour arracher le détendeur de ma bouche et avaler une grande goulée d’air frais

– qu’est-ce qui se passe ?! demande la tête du capitaine qui émerge à ma suite

– je n’arrive pas à respirer (bruits de ventilation de vieux moteur de 2 chevaux à l’appui)

– bon … nage sur le dos alors (il n’est pas capitaine pour rien, il a une solution pour tout)

J’obéis en me tournant et là,  l’impression que le poids de la bouteille va m’entraîner sous l’eau me panique, je bats l’air de mes palmes, je dois ressembler à une tortue sur le dos, je me débats, avale de l’eau de mer, entends le capitaine qui me prodigue des conseils, sûrement avisés mais inutiles à un point qu’il n’imagine même pas

– allonge toi sur l’eau ! … arrête de gigoter ! …  palme comme il faut ! … Tends tes jambes ! … Tu ne risques rien tu as un masque et le détendeur !

Lire ce passage avec la musique du petit train interlude de l’ORTF :

Pourquoi une tortue sur le dos meurt ? Lorsqu’elle est sur le dos, les organes qui se trouvent dans son corps vont avec leurs poids appuyer sur les poumons et vont empêcher le reptile de respirer, ce qui causera sa mort.

(Je vous épargne le temps de la chercher : https://youtu.be/foGGYaXi9dY )

c’est moi et je vais mourir

J’t’en ficherais, mon heure n’est pas venue, je repasse sur le ventre, ce qui me demande une force incroyable avec le poids de ma carapace, et le capitaine, confondant d’ingénuité, veut aussitôt me faire exécuter des exercices éducatifs, je ne l’entends même pas et bêle  

– je veux aller où j’ai pied s’il te plaîîîîîît 🐑!

Il me fait signe d’y aller, cette idée me motivant grave je palme vigoureusement et y arrive enfin, me pose, me retourne et vois le bateau furieusement loin

– oh bon sang ! il va falloir retourner jusque là bas !

Je ferais pitié au plus endurci des Strongman élevé aux amphétamines, mais pas au capitaine qui, pugnace, a décidé de rentabiliser cette sortie, alors après un bisou destiné à me donner du courage (ça marche trop) (me demande quand même si ce n’était pas de la pitié ? ou pour me récompenser de ce spectacle tout aussi gracieux que divertissant ? ou encore parce qu’il notait que je ravalais mes angoisses pour continuer à me noyer à petit feu afin de ne pas le décevoir outre mesure ?), il m’invite pêle-mêle à ôter mon masque sous l’eau, à dégonfler ma stab pour descendre au fond de l’eau, à la regonfler pour remonter, je me perds dans la tuyauterie et il finit toujours par le faire à ma place, à nager sur le dos, vas-y que je te fais de louables efforts ornementés de sourires fallacieux tandis que j’ai juste envie de rentrer à la maison, mais voilà qu’on passe à la dissociation bucconasale, la di-sso-cia-tion-bucco-na-sale-isabelle ! le capitaine tient beaucoup à cette dissociation bucconasale, c’est à dire respirer par la bouche par le détendeur avec la tête sous l’eau sans le masque pour avoir le nez dans l’eau, il le fait devant moi, c’est fou ce qu’il a l’air zen, un véritable bouddha aquatique, ça m’apaise mais je lui fais signe que non, je sais qu’aujourd’hui c’est fichu pour faire le moindre progrès, cependant il insiste pour que je me mette en apnée sous l’eau, est-il insatiable et naïf pensé je tout en le suivant sous l’eau, nous nous agenouillons face à face sur le fond, je vois ses yeux sous son masque, il a un regard d’une gentillesse confondante, jamais je ne lui avais vu ce regard là, à me donner envie de pleurer tellement il rayonne de paix, mais contre toute attente je me mets à rire comme si on jouait à je-te-tiens-tu-me-tiens-par-la-barbichette ce qui m’oblige à sortir la tête de l’eau, il me rejoint aussi sec

– pourquoi tu souffles ?!

– mais je ne souffle pas, je ris !

– mais pourquoi ?

– je ne sais pas

– je ne veux pas que tu souffles !

Aaaaaah, s’il suffisait de le vouloir, mon bon monsieur…

Il se résout à mettre fin à la leçon parce que je n’arrête plus de me marrer, l’ivresse des profondeurs dans 1 mètre d’eau, il faut maintenant retourner au bateau … ce que nous faisons à plat ventre, c’est plus prudent, le capitaine me tenant la main, il a fini par lester mes chevilles avec du plomb pour que je ne batte plus des palmes en l’air , et voilà que ça doit lui faire tilt quelque part, il s’arrête pour me dire qu’on va aller jusqu’à la chaîne du bateau et descendre sous l’eau le long de la chaîne, c’est donc qu’il m’en croit capable ? Presque dans un sanglot je lui dis que je ne veux pas, je veux rentrer, il s’éloigne de moi pendant qu’on discute alors je crie donne moi la main ! Il revient vers moi, attrape un truc sur ma stab et la gonfle d’un coup sec… et voilà que je me mets à flotter tranquille, la tête bien hors de l’eau … un soulagement intense m’envahît, je n’ai plus besoin de me débattre pour rester à la surface, je flotte ! je flotte la tête en haut et les pieds en bas !!! le capitaine met fin à mon extase en me reprenant la main pour nager jusqu’au bateau, on se hisse sur la jupe, je suis vidée, je lui fais part de mon abattement tout en pensant à le remercier de sa patience (je rends grâce ici à mes parents et grands-parents qui m’ont inculqué avec une pugnacité exemplaire les bonnes manières)

– mais tous les débutants font ça, on se laisse embarquer par la bouteille, on gigote dans tous les sens …

– ah bon ?! et toi ça t’est arrivé ?

– oui … mais bon, pas à la surface de l’eau, ça m’est arrivé mais sous l’eau quoi

Je lui dis qu’on aurait dû commencer par gonfler ma stab pour que je voie que je peux flotter, et que j’aurais dû m’entraîner à utiliser tous les tuyaux avant d’y aller, ça m’aurait rassurée … et grandement aidée … il faudra que j’y retourne parce que je vais bien finir par me sentir à l’aise, je ne suis pas plus con qu’une autre tout de même ?

Quelques jours plus tard le capitaine apprend qu’un copain à lui a eu un accident de plongée au Cap d’Agde et est en caisson de décompression à l’hôpital, du coup on parle accidents de plongée et j’apprends, tenez vous bien, qu’en 2006 une petite nana de 21 ans est morte lors de son baptême de plongée dans un club inconséquent qui avait envoyé un petit gars même pas formé à encadrer des plongées avec deux personnes, alors que normalement la loi exige un moniteur par baptisé … l’autre baptisé a eu un problème alors l’encadrant a lâché la nana qui a été se noyer un peu plus loin … comme je comprends qu’on puisse se noyer même avec les moyens de respirer sous l’eau …

la houle s’éclate sur le reef

Le vent et la houle étant retombés quelques jours plus tard, il est temps de changer d’atoll, ce que nous faisons en rejoignant la passe pour tenter de la traverser vers 13h30 à l’étale de marée basse, on y arrive dès12h30 mais c’est calme alors on se lance … et ça passe crème !

A peine sortis de l’atoll on constate qu’il y a une assez grosse houle en mer, ce qui est logique après ces quelques jours de fort vent, alors voilà l’équation : vu le peu de distance à parcourir jusqu’au prochain atoll, soit on part maintenant et on se mettra à la cape durant la nuit et ça va bouger, soit on mouille devant l’atoll et on se fait remuer par la houle en attendant de partir merci bien, ou encore on retourne dans l’atoll pour mouiller près de la passe et attendre la prochaine étale à l’abri de la houle … le choix est vite fait, on demitourne illico

le capitaine, très smart, fait signe à un catamaran qu’on double sans effort alors qu’on n’a que le génois pour rejoindre la passe

Réveil à 0h30 pour retraverser la passe à l’étale de marée basse à 1h19, la nuit est d’un noir d’encre, ça fait drôle de barrer à l’aveugle, je finis par ne plus quitter la tablette des yeux, le capitaine me remplace pour la passer, fingers in the nose, ça commence à démystifier les passes, on ne met que le génois car on a 12 heures pour faire une cinquantaine de miles afin d’arriver à marée basse dans la passe sud de Fakarava, on ne redort que très peu, dans la matinée il faut encore ralentir, on ne navigue plus qu’avec 3 ris dans la trinquette, autant dire avec un mouchoir, et on avance encore à 3,5 !

3 ris sur la trinquette, Fakarava en vue

On rentre dans Fakarava comme dans du beurre

ça se voit d’emblée que c’est plus habité que les atolls précédents !

Un peu de culture sur les Tuam tout de même !

L’archipel des Tuamotu est un archipel de 78 atolls qui font partie de la Polynésie Française. Il fait partie de la subdivision administrative Tuamotu-Gambier. Tuamotu signifie en tahitien « les îles au large », l’archipel se trouvant à l’Est de Tahiti. Les habitants des Tuamotu sont les Paumotu, mot qui désigne également leur langue.

Le 24 janvier 1521, Fernand de Magellan découvre Puka Puka, premier atoll du Pacifique à être découvert par les Européens. Au passage, c’est lui qui a dit « L’église dit que la terre est plate, mais j’ai vu l’ombre sur la lune et j’ai plus foi en l’ombre qu’en l’église« , bien éclairé le mec !

Quelques années après, Louis Antoine de Bougainville (Philibert Commerson, grand botaniste du XVIII ème, avait l’habitude de donner le nom d’amis ou de connaissances aux nouvelles plantes qu’il découvrait et a baptisé les superbes floraisons de Rio de Janeiro Bougainvillées ou Bougainvilliers) s’aventure dans ce fantastique labyrinthe sur sa route pour Tahiti, mais il faudra encore de nombreuses années avant que les européens ne terminent l’exploration de l’archipel : le dernier atoll découvert fut Ahe, le 6 septembre 1839 par Charles Wilkes. Ces atolls sont passés sous protectorat français en 1844, et ont été annexés par la France en 1880.

Seules cinquante-trois îles sont habitées et la population de l’ensemble Tuamotu-Gambier était estimée à 17559 habitants en 2017. La population active est principalement employée dans les services publics, le secteur primaire (coprah, culture des perles et pêche) et le tourisme. La moitié des cocoteraies polynésiennes se trouvent sur les îles Tuamotu et le coprah et la culture de perles constituent les premières sources de revenu agricole. Comme dans l’ensemble de la Polynésie française, l’implantation du Centre d’expérimentation atomique du Pacifique à Mururoa (fermé en 1996) a bouleversé l’équilibre économique et social des Tuamotu. La faible densité de peuplement et l’éloignement de Tahiti sont les principaux obstacles au développement des Tuamotu.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, missionnaires et colons européens se sont efforcés de tirer profit de ces territoires en organisant la pêche des huîtres nacrières dans les lagons d’une part, et en développant une culture systématique du cocotier (coco nucifera) sur les îlots, d’autre part. Si le commerce des nacres a périclité avec l’épuisement des bancs d’huîtres sauvages, la culture du cocotier s’est maintenue, faisant désormais pleinement partie de la culture et du paysage de ces îles. Une fois séchée (coprah) et exportée à Tahiti, la pulpe de noix de coco est pressée de manière à produire une huile, essentiellement utilisée de nos jours dans l’alimentation et les cosmétiques.

Bien qu’étant presque inexistant avant l’arrivée des Européens, le cocotier forme aujourd’hui d’immenses forêts dans l’archipel des Tuamotu. Halophile, il pousse jusqu’en bord de lagon et apporte l’ombre dans un décor de carte postale écrasé de soleil. Mais pour ses habitants, la coprahculture est devenue la seule ressource durablement commercialisable et son exploitation est leur bouée de sauvetage. Le coprah fournit un revenu avec lequel ils peuvent s’acheter les denrées nécessaires pour affronter la marginalité de ces îles (bateau, carburant, cuves de récupération d’eau de pluie etc.) et son exportation par bateau garantit la régularité des rotations des goélettes qui sont le seul lien physique concret avec le reste du monde.

Le cocotier est surnommé arbre de vie, tant l’arbre est utile sur tous les points : alimentation, médecine, habitation, ustensiles, etc

L’huile de coprah est issue de la pulpe séchée de la noix de coco, contrairement à l’huile de coco vierge qui est issue de la pulpe fraîche.

Son huile, peu sensible à l’oxydation, est utilisée principalement à la confection de savon et comme graisse à frire.

Les bienfaits cosmétiques de l’huile de coprah s’avèrent inférieurs à ceux de l’huile de coco vierge, principalement par le fait que le coprah est souvent extrait par solvant (ou par pression à chaud) puis raffiné et désodorisé. 

Le coprah, à l’instar de la graisse de palme, est utilisé en restauration collective notamment dans les cantines scolaires, ainsi que pour la confection de pâtisseries industrielles, de confiseries et de margarine. Elle renferme 90% d’acides gras saturés (plus saturés que les graisses du beurre), des graisses qui favorisent l’augmentation du taux de cholestérol dans le sang. L’huile de coprah hydrogénée est commercialisée sous le nom de Végétaline qui est adaptée à la friture en raison de la stabilité de l’huile de coprah à la chaleur.

Lors des traitements industriels, l’huile de coprah subit très souvent un processus d’hydrogénation afin de prolonger sa durée de conservation. L’hydrogénation peut être totale ou partielle. Cette dernière est la plus dangereuse pour la santé. En effet, elle transforme les acides gras saturés en acide gras “trans” qui présentent un risque élevé de développement de maladies cardiovasculaires et augmentent le taux de mauvais cholestérol.

Si vous voulez en apprendre plus sur les graisses bonnes ou mauvaises pour la santé, regardez cette vidéo que j’ai faite tout exprès ! https://youtu.be/oZyIjwDBZmg

A signaler : aujourd’hui le coprah est fréquemment contaminé par l’aflatoxine, une mycotoxine cancérigène, si bien que l’importation de coprah sous forme de tourteau destiné à l’alimentation animale, en provenance de nombreux pays asiatiques, est d’ores et déjà interdite par l’Union Européenne.

Cogito ergo sum, alors simul cogitare amicos ! (rien n’est moins sûr que mon latin, qui plus est pompé en partie sur google translate, mais ça fait son petit effet)

  • Respirer avec une bouteille et utiliser un gilet de stabilisation, ça s’apprend ! La respiration est l’élément fondamental de la plongée. Dès la première fois que l’on met la tête sous l’eau, on se rend compte que la respiration subaquatique est complètement différente. D’un phénomène inconscient, elle devient un phénomène conscient, et même actif puisqu’il faut fournir un effort supplémentaire pour expirer, de façon à vaincre les effets de la pression sur les membranes du détendeur. Le rythme et l’amplitude respiratoires sont alors complètement modifiés. Le stress entre lui aussi dans la danse et va provoquer, via un réflexe primaire de survie, une surconsommation : le plongeur débutant favorise toujours, inconsciemment, l’inspiration et a tendance à garder plus d’air que nécessaire dans ses poumons. Résultat, le volume pulmonaire est plus important que sur terre, ce qui aura pour effet d’augmenter la flottabilité du plongeur. Celui-ci va s’empresser de compenser cette flottabilité à ajoutant du plomb à sa ceinture. Ainsi, il n’est pas rare de voir des plongeurs bardés du 8, 10, voire 12 kg de plomb, sans quoi ils sont incapables de descendre. Le problème ne vient pas du vêtement isotherme, et encore moins de la densité du corps : tout simplement, notre plongeur respire très mal ! C’est bon de savoir que je ne suis pas la seule 😮‍💨
pas simple quoi
  • Le Strongman est un mélange de force brutale, d’endurance et de volonté. Pour exceller dans le Strongman, il faut être fort et avoir de la technique. La mentalité d’un athlète Strongman est la partie la plus importante. Pour commencer à pratiquer ce sport, il faut être adaptable, dynamique … et plutôt dingue …
  • Le reef, abréviation du terme reef-break (littéralement, brisant de récif) désigne un fond marin composé de roches ou de coraux alors que le beach-break est un fond de sable.

Les Tuamotu ou la vie en bleu

Au mouillage de Taiohae

Et puis il est temps de quitter les Marquises, je suis emplie d’une énorme nostalgie, tout ce qu’on a vu est beau et les gens ont été vraiment gentils partout, mais les Marquises, c’est un cran au-dessus, c’est comme ça que je le ressens … le capitaine, lui, émet un bémol, il a trop peu nagé parce que l’eau était souvent trouble ou le temps pluvieux ou gris, c’est l’hiver il faut dire, et il faut dire aussi que l’enthousiasme est toujours mesuré chez le capitaine, voire inversement proportionnel au mien comme pour équilibrer notre tandem

On n’en a pas pour bien longtemps jusqu’à notre prochaine étape mais on prépare le bateau comme d’habitude, et quand je vois la houle qu’on a, je me doute que ça va bouger un minimum alors je prépare à manger pour 3 jours, histoire de ne pas m’ébouillanter ou devoir cuisiner capots fermés à cause des vagues et crever de chaud mais ce faisant, à peine ai-je mis le riz dans l’eau bouillante que paf, plus de gaz, le capitaine peste mais c’est drôlement mieux de changer la bouteille de gaz au mouillage qu’en pleine mer à la gîte lui positivé je, et puis je me doutais bien que ça n’allait pas tarder vu que je fais beaucoup de crêpes et du pain, oui oui oui je fais du pain, qu’on se le dise, nos réserves de pain noir sont épuisées et on n’en trouve pas par ici, les baguettes sont tellement molles qu’elles se courbent comme un bout de pâte à modeler trop long et on est littéralement en hypoglycémie une heure après manger tellement c’est du plâtre et pas du vrai manger, mais ici ils les aiment comme ça, un polynésien s’effarait devant moi des baguettes si dures de France qu’elles en sont immangeables (elles sont juste craquantes quoi)

oh le beau pain !
oh les belles tartines !

Bref, malgré la nuit qui tombe le capitaine se lance dans le changement de bouteille de gaz … et n’arrive pas à dévisser le bouchon, c’est tellement blindé de rouille que rien ne marche … je regarde le riz gonfler au ralenti dans la casserole, il va être immangeable … sur le coup de 22 heures il tape encore comme un sourd sur la bouteille avec le marteau mais finit par en avoir ras le bol, il a ses limites et remet ça au lendemain, on mange froid et on se couche, je dors encore que je l’entends déjà à l’œuvre au petit jour, à bout d’arguments il en est à scier le bouchon en ferraille avec une scie à métaux, à ce régime le bouchon cède, hourra, il a gagné un bon café, on file plus tard que prévu avec tout ça, mais comme ça nous ressemble tout est normal finalement.

C’est parti, du vent 22 à 28, au travers avec des vagues, le bateau gîte grave et penche encore plus à chaque grosse vague, moi qui n’ai jamais aimé les manèges je me retrouve dans la chenille qui dégomme, fait monter et descendre le sang dans mes veines au gré de ses accélérations sur ABBA qui brame Waterloo dans des enceintes poussées à fond, ne manque que l’odeur de la barbe-à-papa mélangée à celle de saucisse-moutarde, l’anémomètre débloque et parfois le pilote s’arrête net, le bateau s’égare et ça me fait guiliguili dans les mollets (l’adrénaline me fait cet effet) avant que le pilote ne se réenclenche et que le bateau ne reprenne sa route, j’avoue au capitaine, qui me demande si ça va, que j’ai la trouille mais que ça va passer dès que je serai habituée, et comme d’hab, ça passe une fois habituée et, surtout, constatant que ça n’empire pas, la possibilité du pire étant ce qui me plombe immanquablement

une fois éloignés de Nuku Hiva, les vagues et la houle ont nettement diminué d’intensité

Jour suivant, pendant que le capitaine roupille, le vent refuse, bon, je borde la GV et le génois et le capitaine m’appelle illico (mouliner le winch quasiment au-dessus de la tête de celui qui dort dans la couchette arrière réveillerait un mort) sur le même ton que papa apprenant une de mes frasques de la bouche de maman ISABELLE !!!

Il sait, il SAIT, que j’ai oublié d’enlever le frein de bôme, il a des tentacules invisibles avec des yeux au bout qui se glissent dans tous les interstices imaginables pour guetter, c’est pas possible autrement, je suis condamnée à ne jamais pouvoir lui mentir (c’est ennuyeux) … au bout du compte, la réalité est moins fantasque que je ne le suis, il a simplement reconnu le bruit que ça fait, mais faire des erreurs (et oui, encore) est mieux que de ne pas régler les voiles, ce qui m’arrive quand j’écoute de la musique et que je me perds dans mes rêves au lieu de regarder les appareils de nav et les voiles … j’avoue que j’ai plus peur de me faire engueuler que de laisser les voiles pas très bien réglées, c’est une motivation comme une autre mais j’admets que ce n’est pas la plus admirable … est-ce que le fait de le reconnaître me suffira à pousser un jour la porte du paradis, c’est pas dit … surtout que c’est loin d’être le seul et le pire de mes manquements et faiblesses, va falloir que je donne un bon coup de collier si je veux me rattraper avant le jugement dernier …

Le jour d’après, moins de vent, le capitaine veut lancer le spi, je lui coupe l’envie avant qu’elle ne se répande dans la moindre parcelle de son être et que le retour en arrière ne soit plus envisageable

– mais ça va pas avec le pilote qui déconne ?!

Me sent-il tout près de la mutinerie ou est-ce parce qu’on navigue à 130/140 degrés du vent, il opte pour le gennaker (la solution N°2 semble la plus crédible, la moindre tentative de mutinerie serait écrasée ilicet dans l’œuf), le vent mollit, passe de 20 à 12, on se retrouve entre plusieurs grains, on s’en prend un bon, le vent tombe à 0,8, arrêtés au milieu de nulle part on affale, moteur, on sort de là en 10 minutes, le vent repart à 10/12, GV + gennaker once again, c’est reparti à 6 nœuds, 120 degrés du vent, on s’en satisfait … le contentement du capitaine quant à notre vitesse dépend de ce que nous venons de vivre, quand notre vitesse tombe à 6 nœuds après avoir fait du 9, il peste, mais quand ça remonte à 6 après avoir dû mettre le moteur, il est tout content, la clé du bonheur n’est qu’une question de point de vue

 » Tout est affaire de point de vue, et le malheur n’est souvent que le signe d’une fausse interprétation de la vie »

Henri de Montherlant

il n’avait pas l’air rigolo Henri

À 17h17, admirez mon exactitude, le capitaine prend la décision de mettre le spi malgré les caprices du pilote, caprices qui ne se manifestent pas quand le vent est si faible, je ne proteste donc pas … plus tard dans la nuit, le capitaine me réveille pour que je l’aide à affaler le spi car le vent est tombé, il me demande si j’ai entendu le grain et senti le bateau qui fonçait à 9 nœuds, je vois son ciré et le cockpit trempés, je n’ai rien entendu, rien de rien, que dalle, j’étais comme morte dis donc, le capitaine met le moteur pendant que je médite là dessus le regard perdu, après ça on se couche à 3 heures et on dort jusqu’à 7 (avec, toujours, des rondes destinées à voir si tout est ok) (je dis ça pour les assurances), le jour est levé et on a un peu de vent plein cul, c’est certain qu’on n’arrivera pas aujourd’hui à Makemo, faut ralentir alors on ne met que le génois pour avancer à 4 nœuds, des vrais touristes, le capitaine me dit qu’il faut arriver à l’étale de 5 heures demain matin

– Marée haute alors ?

– Non, marée basse

– Ah bon ? C’est particulier ici ?

– Non, c’est comme ça

– Mais pour Hao tu m’avais expliqué qu’il fallait passer à l’étale de marée haute !

– Oui je croyais que c’était ce qu’il fallait faire, mais depuis j’ai lu des trucs qui disent qu’il faut passer à marée basse

– c’est fou ! ça me paraissait vachement logique ce que tu m’avais expliqué !

– À moi aussi

Bin mince ! Il est drôlement convaincant le capitaine ! Il devrait faire de la politique

– Il vaut mieux entrer avec un courant entrant que sortant

Je retrouve mon raisonnement originel simpliste et de bon aloi comme aurait dit ce bon Capelovici

Nous voilà devant l’atoll de Makemo, à la passe nord de  Arikitamiro (vous prendrez note de mes efforts pour vous donner les noms mais je ne vous en voudrai pas si vous ne vous en souvenez pas), on poireaute, le soleil va se lever …

« j’ai vu des bateaux, des fleurs, des rois, des matins si beaux j’en ai connu, parfois, en passant … » que je chantonne sous les étoiles (En Passant, J.J. Goldman)

Ça nous change des Marquises, fini les îles majestueuses, ça pourrait ressembler aux Roques mais la végétation des Roques c’était juste de la mangrove, et ici c’est plein de cocotiers, ça pourrait ressembler aux San Blas mais on ne devait pas entrer dans des passes comme on va devoir le faire, c’est nouveau quoi

Le courant est conséquent mais il faut bien tenter le coup, on ne va pas rester là, alors on le tente, forts de notre expérience à Hao je ferme tous les capots, cale tout ce qui peut tomber, remonte dans le cockpit avec la tablette prête à brandir sous les yeux du capitaine qui a sa tête des grands moments, tous sens en éveil, nous échangeons un regard solennel, concentrés comme du jus de tomate, et c’est parti, le capitaine barre et je lui remonte les infos

– on danse mais on avance ! …  on ralentit mais on avance ! … on avance !

on avance !

ça prend un peu de temps mais on avance … à force d’avancer on est entré dans l’atoll, je n’en reviens pas, le capitaine me dit

– notre premier atoll dans le Pacifique !

Ce qui me fait me demander s’il y a des atolls ailleurs que dans le Pacifique

nos traces quand on poireautait et notre passage magistral
c’est d’un calme une fois dans l’atoll !

On mouille avec prudence devant Pouheva, prudence car c’est farci de patates de corail comme une dinde de Noël de marrons, pour éviter que la chaîne ne s’entortille dedans le capitaine la fait flotter avec des pare battages, une belle guirlande pour les poissons, l’eau est incroyablement claire et on voit le fond et les poissons qui viennent chercher l’ombre du bateau et admirer notre guirlande …

et puis on met l’annexe à l’eau et on file voir à terre ce qui se passe …

Tu veux du bleu dans ta vie, tu vas aux Tuam,

un bleu pareil c’est thérapeutique à tous les coups

La ville est faite de grandes rues qui se croisent perpendiculairement, ça fait très rangé, cette rigueur toute communiste est surprenante dans cette île du bout du monde où l’on aurait pu s’attendre à plus de fantaisie, mais finalement ça doit être ça leur fantaisie

pour être carré, c’est carré

Près du quai il y a des baraques qui vendent des souvenirs ou de la barbe-à-papa ratatinée en sachets plastiques (mais qui peut avoir envie de manger ça 😯 ?) et des snacks pour manger un morceau, je commande à boire local, eau de coco à la paille pour tout le monde !

Ensuite on se met en quête d’œufs parce qu’aux Marquises, figurez vous qu’il y avait pénurie d’œufs, on pouvait en avoir une douzaine par ci par là sur commande, mais comme je fais souvent des crêpes pour le petit déjeuner et bien on a besoin d’œufs, il n’y en a pas dans la minuscule petite épicerie dans laquelle j’achète 2 ou 3 bricoles, la nana à la caisse m’informe qu’il y a un gars qui vend des œufs dans une maison le long de la route, hop on y va, ça nous fait visiter

Arrivés devant la grille de la maison avec un panneau œufs frais et un second attention aux chiens, qui aboient aussitôt pour valider la mise en garde, on appelle pour savoir s’il y a quelqu’un, un ado en fond de cour s’époumone

– P’pa ! Y’a des Américains qui veulent des œufs !

On notera la sagacité du gamin, je regarde le capitaine avec des yeux écarquillés, est-ce un compliment de ressembler à des américains, rien n’est moins sûr, tandis que le père arrive placidement avec un large sourire, je colle mon visage entre les barreaux de la grille et lui réponds deux douzaines quand il me pose la question, 1400 balles, il revient avec les œufs et on fait l’échange entre les barreaux, ambiance marché noir, une fois l’affaire réglée on se lance dans une petite causette cordiale, et puis le fils passe derrière lui en nous disant bonjour, le père prend un air de complot et chuinte entre ses dents

– parlez anglais pour faire croire que vous êtes américains !

Aussi réactive qu’un cheval éperonné, je lance un hello ! retentissant et le père est secoué d’un rire retenu

– c’est bien ça, c’est bien ! que je réussis à lire sur ses lèvres qui chuchotent pour que son fils ne l’entende pas

Le fils s’éloigne, on est hilares, c’est tellement mignon, j’adore ! et en plus on a des œufs frais

et c’est bien joli

Le lendemain, changement de mouillage, Veverega, toujours dans l’atoll de Makemo, c’est l’aventure parce que naviguer dans un atoll peut se révéler être un véritable jeu de piste … certes, nous disposons de Navionics pour nous guider, mais cela ne suffit pas, il y a plein de patates de corail qui ne sont pas signalées sur les cartes et le délicat est que si le soleil est assez haut derrière nous l’éclairage nous permet de voir les patates mais si on navigue avec le soleil de face ou s’il y a trop de nuages et pis encore, de la pluie, tintin pour voir ce qui se passe à ras de l’eau …

une patate de corail bien visible
nettement moins visible quand le soleil est de face, on ne la voit que lorsqu’on est tout prêt

Nous sommes, le capitaine et moi, sur le qui-vive, c’est lui qui grimpe intrépidement sur la bôme pour voir plus loin :

tandis je lui indique ce que prévoit Navionics

– On va en avoir un dans 0.2 miles à tribord !

et le capitaine de me lever le pouce pour me prévenir qu’il a entendu

Quand l’un ou l’autre voyons une patate qui n’est pas signalée sur Navionics nous nous exclamons de concert, tout contents de l’avoir vue, on mange debout pour ne rien louper, quand le capitaine se tient à la proue du navire je lui apporte à boire, ou un café, son regard ne quitte jamais l’eau, il me tend un bras sans même tourner la tête pour prendre son verre, c’est la guerre, je n’en suis pas loin puisque

– c’est un champ de mine ! s’exclame t’il, le regard toujours rivé sur les flots

Soudain il me hurle de prendre la barre, il a stoppé net le pilote automatique et j’ai bondi, il me guide pour slalomer entre les coraux, on fait une bonne équipe, je lui obéis plus vite que le pilote, ça va me faire monter en grade ça, et on arrive au mouillage sans encombre, j’ai drôlement aimé cette petite navigation pleine de surprises

les pare battages font flotter la chaîne

On met l’ancre avec chaîne flottante et les autres bateaux ont fait de même sauf 1, un cata, Heaven’s Door, il ne la fait pas flotter, sa coque est hyper crado comme sa façon de faire, s’il tourne il va abîmer les coraux, je suis furax et m’en plains auprès du capitaine, stoïque et étonné de tant de véhémence, il devrait y avoir des gendarmes de la mer pour mettre des amendes, obliger les bateaux à faire flotter leur chaîne, ce n’est pas parce que les gens naviguent qu’ils ont le sens écologique et je trouve ça tout bonnement révoltant

Le lendemain matin je laisse tomber un torchon à l’eau en le secouant après le petit-déjeuner (je coupe le pain au-dessus d’un torchon, comme le capitaine m’a appris à la faire pour ne pas mettre des miettes plein le bateau, ça sent le côté vieux garçon maniaque mais non, en fait c’est parce que sinon les miettes filent entre les planchers et c’est galère à ravoir), il coule à pic mais l’eau est si claire que le capitaine le voit, plonge tel Poséidon quérant* sa pitance, et va le chercher, moi j’en serais bien infichue, puis nous allons faire un tour sur le motu, un tas de coraux gris et presque stérile, à se demander comment font les cocotiers pour pousser là-dessus

* du verbe quérir, et tant qu’à faire qu’on en rigole un peu : passé simple nous quîmes, passé antérieur nous eûmes quis, passé du subjonctif que nous ayons quis, impératif quérons !

c’est plat les Tuam’

Le ciel est menaçant et ça ne loupe pas, on se fait doucher par la pluie, je claque des dents en rentrant en annexe et le capitaine m’enjoins d’un ton sans réplique de me protéger avec son sac étanche, je me le colle sur le thorax pendant qu’il résiste vaillamment, j’espère que son sacrifice ne lui coûtera pas une bonne bronchite 🤞

le point noir c’est un pêcheur à la ligne qui ne bronche pas sous la pluie

Autre jour, autre changement de mouillage, pour Mokore, autre tour en annexe pour y débarquer … propulsés dans un autre ailleurs … aucune empreinte de pas humain sur le sable de corail mais comme des traces de roues étroites, qu’est-ce donc mais qu’est-ce donc que ces traces ! curiosé-je toute ébahie, le capitaine me montre un Bernard l’Hermite qui avance et grave son chemin dans un paysage lunaire de coraux morts qui émergent du sable, il y en a dans tous les sens des Bernard l’Hermite, aucune autre vie, quand on s’en retourne au bateau je dis au capitaine que j’ai impression que Cap de Miol est un vaisseau spatial et qu’on a fait escale sur une autre planète avant de redécoller, je vis Interstellar, il opine dans un sourire, même s’il n’a pas vu le film, c’est tellement prégnant cette sensation que même lui le ressent  

épatant non ?

Comme il n’est pas prévu de rester ici indéfiniment, il faut changer d’atoll, donc sortir, c’est une première cette sortie d’atoll, j’ai bien mangé pour avoir l’esprit vif mais je me demande si je ne vais pas le regretter et tout vomir sur les pieds du capitaine en pleine passe car le capitaine avait calculé le coup de passer à l’étale de marée basse à 16h, parfait, mais hier soir en vérifiant les horaires de marées il a vu qu’il s’était planté et que ça sera étale de marée haute à 15h20 et a conclu par un tant pis, mais un tant pis n’est pas rassurant pour autant !

Vers la passe de sortie à l’ouest de Makemo

Peut-être par crainte d’arriver en retard, ou parce que le capitaine est du genre un peu pressé, on arrive à la passe dès 14h, il faudrait donc patienter jusqu’à l’étale mais il n’a pas envie d’attendre et je n’ose pas lui promettre monts et merveilles (que je renierais une fois ma peau en sécurité) pour qu’il poireaute, je ferme les capots et le capitaine suggère que je mettre le cristal devant la porte pour éviter que l’eau n’inonde le carré, ce qui a pour effet de figer instantanément mon sang dans mes organes les plus divers

– tu crois ?

– baaaaah …

– mais non, y’a pas besoin quand même !

– bon bin le met pas alors

– mais si tu penses que je dois le mettre …

– fais comme tu veux (on perd souvent du temps avec ce genre de discussions improductives)

Je ne le mets pas, histoire que ça ait une influence positive sur cette première sortie, mon imagination est ainsi faite que les scenarii les plus invraisemblables passent dans ma cervelle à la vitesse d’une fusée supersonique, en me lavant les dents (tant qu’à mourir, que ce soit avec une haleine fraîche) je me vois être éjectée du bateau, emportée par le courant comme un capillaire pubien dans une bonde de bidet et me noyer sous le regard impuissant du capitaine, je me retiens de mettre un gilet de sauvetage avec le ferme espoir de ne pas le regretter … Le moment venu, je me déguise en copilote affûté (soit avec la tablette dans les mains tournée vers le capitaine à la barre) pour donner les indications que je pense utile au capitaine

– on voit la langue de courant ici … 9 mètres de fond, ça correspond à Navionics … on avance bien … on accélère à 8 nœuds …20 mètres de fond … on avance toujours … ah on ralentit un peu, à 7,5 nœuds … 30 mètres de fond….

Je jette un œil sur la passe pour voir si on avance pour de bon, parce que ce n’est pas parce le bateau trace à plus de 7 nœuds qu’on n’a pas un courant de 10 nœuds en face qui nous fait reculer … mais non … tout va bien … la passe s’élargit, le capitaine s’exclame dauphins ! mais ils ont déjà replongé, on retrouve l’océan, cap sur Tahanea, finalement j’aime bien cette trouille qui me serre le ventre quand je me retrouve dans une situation nouvelle, et puis la dépasser en passant à l’action, je préfère avoir la trouille plutôt que de ne rien vivre par peur d’avoir peur, mais je pousse un gros soupir de soulagement qui fait rire le capitaine

– un vrai pro de la passe ! que je lui dis

– pfff ! … on verra ça dans une vingtaine …

vu depuis Navionics
vu depuis l’océan, après la sortie

On a 18 heures pour faire 44 miles puisqu’il faudrait arriver à l’étale de marée basse dans ce prochain atoll, ce qui demande une moyenne de 2.44 miles à l’heure, une pure contre-performance, alors on ne met que le génois et à 19h on prend même 2 ris dessus et finalement le capitaine me dit qu’on va se mettre à la cape pour dormir un peu, alors on cherche à se mettre sous le vent de l’atoll inhabité de Tuanake

Depuis un moment, je disais au capitaine que j’entendais comme la clameur d’un stade de foot au loin, je me demandais si je n’avais pas des acouphènes et lui m’a demandé si j’avais bu ou fumé quelque chose (je m’imagine en train de fumer un oinj en sifflant une flasque de rhum dans les chiottes du bateau en cachette, la débâcle) en fait j’entendais les vagues qui s’éclatent sur l’atoll de Tuanake, en passant à côté ça fait un boucan incroyable, si on n’avait pas de carte on pourrait savoir qu’il y a un atoll rien qu’au bruit … on ne dort guère parce que la nuit est si noire qu’on ne voit rien et on n’a pas envie de finir sur les coraux de Tuanake car à la cape on dérive évidemment, alors on guette sur Navionics ce qui se passe …

on avance à 2.7 nœuds, c’est parfait

Nous entrons à Tahanea à 8h30 après une bien petite nuit, malgré le mascaret impressionnant ça passe comme une lettre à la boîte, je n’ai plus peur du tout mais reste aux aguets pendant la manœuvre, le capitaine donnant le ton

de la gnognote

On file directement dans le mouillage le plus à l’est pour se planquer car il est prévu un vent d’est-sud-est à 30 nœuds et il y a toujours plus dans les rafales, en jetant l’ancre un requin vient reconnaître le bateau, on se retrouve avec une dizaine de bateaux, on est tous venus se mettre à l’abri derrière ce motu

Et on va rester là plus longtemps que prévu …

les taches noires sous l’eau ce sont des patates de corail

Je pense encore à vous !

  • Pourquoi les vagues sont plus grosses près des îles : à cause du relief sous-marin. Confrontée au relief du fond ou à celui de la côte, la morphologie et les caractéristiques de la houle varient fortement à l’approche de la côte, d’un haut fond, d’un récif, d’une falaise ou d’un tombant sous-marin. Pour la petite histoire à propos de grosses vagues, la vague la plus haute jamais observée s’est produite dans la baie de Lituya en Alaska le 9 juillet 1958 : un mur d’eau de 524 mètres a été causé par l’effondrement d’un pan de montagne, entrainant un séisme de 7,9 sur l’échelle de Richter. Pourquoi une telle hauteur ? L’effondrement de la montagne s’est produit dans un bassin d’eau fermé, un peu comme une tartine dans une tasse de café, d’où la violence de la vague. 5 morts ont été signalés à la suite de cet événement dévastateur, un bilan bien faible compte tenu de l’immensité du phénomène, expliqué par le fait que la zone côtière touchée n’était quasiment pas habitée. La hauteur de 524 mètres mesurée est en réalité le déferlement, la vague qui l’a suivie a ensuite été estimée entre 60 et 90 mètres.  En 1854, 1899 et 1936, cette même baie avait déjà connu des tsunamis de 60 à 150 mètres de hauteur.
  • L’anémomètre est un appareil de mesure utilisé pour mesurer la vitesse du vent, des gaz et du débit d’air. Il vous permet également de mesurer de nombreux autres paramètres supplémentaires tels que la température et la pression
  • Jacques Capelovici, dit Maître Capello, animateur de jeux télévisés francophones et linguiste français, pilier des « Jeux de 20 heures » émission sur FR3 de mars 1976 à janvier 1987
Il me faisait un peu peur avec son docte et sa mine grave
  • Le Bernard l’Hermite est un animal grégaire : il vit en colonie pouvant atteindre plusieurs centaines d’individus, ce qui lui permet de trouver plus facilement de la nourriture et des coquilles adaptées à sa taille. Il doit muer pour grandir. Pendant la mue, il s’enterre dans le sable pendant plusieurs semaines. Suivant sa croissance, le Bernard l’Hermite doit changer de coquille pour en trouver une plus grande et plus solide. Ils peuvent alors se les échanger. Sa coquille lui permet de protéger son abdomen mou des prédateurs et d’éviter la déshydratation. C’est un décapode (il a 10 pattes), il est omnivore, se nourrit de végétaux, de fruits secs, de charognes, d’algues, de petits insectes et mêmes de déjections. Dans certains pays, il est interdit de ramasser des coquillages afin de ne pas priver d’abri le Bernard l’Hermite.
un Bl’H sans coquille

J’ai vérifié : ça se mange (mais je ne suis pas du tout tentée !)

et avec coquille
  • Carré : Partie initialement réservée aux officiers sur les grands navires. Aujourd’hui, ce terme désigne la partie habitable d’un bateau et plus particulièrement le coin des repas. Comme je ne trouve pas l’origine de cette appellation je m’en ouvre au capitaine qui répond du tac au tac « carré des officiers … je pense » … et je crois que le capitaine pense juste, une fois de plus, ceci étant j’ai appris des trucs en cherchant d’où vient ce nom de carré, par exemple qu’on appelait ironiquement les vendeurs d’allumettes des vendeurs de bois carré, et ce que c’est qu’une partie carrée, ça m’a rappelé quand j’étais petite et que j’entendais les adultes pouffer à cette évocation
  • Le mascaret est une vague déferlante produite dans certains estuaires par la rencontre du flux et du reflux. A chaque changement de marée, l’eau de l’océan, dont le niveau augmente, s’engouffre dans l’embouchure et provoque une élévation du niveau du cours d’eau. Ce qui est appelé le mascaret, c’est l’onde ainsi produite, qui remonte alors le fleuve à contre-courant. Dans les atolls, il est légèrement différent du mascaret rencontré en rivière, il est toutefois dû au même phénomène et est étroitement lié aux marées. Quand le courant dans une passe est important et surtout face au vent, il se crée des vagues déferlantes parfois assez grosses, à l’entrée de la passe (par courant sortant) ou dans le lagon (par courant entrant).
  • Où se trouvent les atolls sur notre planète ? On compte 400 atolls de par le monde dont les 3/4 sont dans le Pacifique. La Polynésie à elle seule, circonscrite dans le triangle Hawaii-Nouvelle Zélande-Ile de Pâques, en compte 136. Nombreux sont les états du Pacifique qui comprennent des atolls tel que Marshall ou Kiribati (anciennement Gilbert) ou Tuvalu (Ellice). La Polynésie française compte 85 atolls dont la très grande majorité sont dans l’archipel des Tuamotu (76 unités) alors qu’un petit nombre se situe dans les autres archipels : Société (5), Gambier (2), Australes (1), Marquises (1). L’archipel des Tuamotu est un des plus riches en atolls du monde avec celui des Marshall en Micronésie. La diversité de ces mondes insulaires que sont les atolls est très grande. En Polynésie française leur taille varie d’un facteur 25 pour leur longueur et de plus de 500 pour leur surface. Le plus petit atoll est Tepeto Nord, sa longueur maximale est de 3,5 km et sa surface de 320 hectares. Le plus grand est Rangiroa, 88 km et 171.000 hectares ; c’est aussi le deuxième du monde, après Kwajalein dans les Marshall. Selon qu’ils possèdent ou non une passe navigable permettant aux bateaux de pénétrer dans les lagons, on les qualifie d’atolls ouverts ou d’atolls fermés. Les premiers sont au nombre de 35 et les seconds de 50. Leurs lagons ont des caractéristiques différentes. Ils sont profonds pour les plus grands et la majorité d’entre eux atteignent un peu plus d’une cinquantaine de mètres. Ils ont moins d’une quinzaine de mètres de profondeur pour les plus petits quand ce n’est pas quelques mètres ou lorsque leur lagon n’est pas complètement comblé de sédiment.
on dirait le capitaine qui va chercher mon torchon (si)

Où il est question de vagues qui remplissent l’annexe …

Baie d’Anaho côté où il n’y a qu’un bateau …

Partis de Taihoae avec force vent et mer hyper confuse, le capitaine s’exclame qu’on est dans le chaudron, j’abonde dans son sens en ajoutant qu’on se croirait carrément dans une lessiveuse mais avec ce vent on ne met que 3 heures pour faire 20 miles et c’est pas plus mal, si on calcule ça ne fait même pas du 7 de moyenne mais les vagues et le courant dans la gueule nous ralentissent vous comprenez

Nous arrivons dans la baie d’Anaho, elle est grande, il y a une bonne dizaine de bateaux mouillés à droite et seulement 1 au fond à gauche : on file à gauche, le capitaine n’appréciant visiblement pas une autre promiscuité que la mienne (je sens toujours bon) (presque), ça m’évite de vieillir un peu trop vite parce que mouiller entre des bateaux quand ca buffe est crispant, et pour buffer, ça buffe … las, toute la nuit la chaîne craque sur les cayes parce que le bateau tourne, le lendemain matin le capitaine, avec une tête d’étourneau passé sous un sèche-cheveux, décrète qu’on change de place car il n’a pas bien dormi parce que ça faisait RRRRR comme ça (il le fait très bien le RRRRR, avec un index qui bat la mesure près de son oreille), on fait plusieurs allers venues dans la baie pour tenter de mouiller ici ou là mais on remonte l’ancre à chaque fois parce que ça ne va pas, trop de cailloux au fond, alors on finit par se mettre là où il y a le plus de bateaux parce que c’est là que le mouillage est le mieux, pardi – c’est un sujet de débat qui revient régulièrement sur le tapis, moi pensant que les mouillages indiqués sur les cartes sont fiables et que c’est pour ça que les bateaux y vont, le capitaine pensant que les bateaux vont là où c’est indiqué par flemme de chercher ailleurs alors qu’ailleurs c’est mieux, c’est mystérieux, on est tout seul, il n’a pas toujours raison

les différents zigouigouis c’est quand on a jeté puis relevé l’ancre illico

Le capitaine décide in fine de se mettre au cul d’un cata et part à l’avant

– essaie de ne pas te faire embarquer par le vent !

– oui capitaine !

Ah ! une mission de confiance ! cette fois ci je ne vais pas le décevoir ! cochonne qui s’en dédie ! il n’est encore pas à l’avant qu’une rafale de 25 nœuds pousse le bateau alors je passe gaillardement la marche avant pour revenir face au vent et je finis par y arriver mais le vent m’embarque aussitôt de l’autre côté alors re marche avant pour manœuvrer et soudain le capitaine se retourne et me crie de loin

– est-ce tu es en marche avant ?!

– mais oui ! lui crie-je, toutes dents dehors de fierté en écho

Il glapit que c’est pour ça qu’on dérape !! et que jamais on a vu mouiller en marche avant !

Malgré tout on finit par mouiller comme il faut, du moins comme il le souhaite (donc comme il faut), il revient dans le cockpit d’un pas vif, je le cueille pour tenter de m’expliquer en lui rappelant que son dernier ordre était de ne pas me laisser embarquer par le vent et que moi j’obéis à ses ordres

– on n’avance pas quand on mouille !

– mais si c’est déjà arrivé !

– on n’avance pas quand j’ai mis l’ancre !

– mais comment je sais si l’ancre est descendue si tu ne me le dis pas ?

– tu l’entends quand ça descend ! (il dessine un rond devant son oreille avec son index à l’appui)

– mais je ne sais pas si tu l’as juste un peu descendue et que tu attends que je revienne face au vent pour finir de la descendre !

– nan ! Je la descends toujours d’un seul coup !

– mais tu ne me l’as jamais dit ça

– mais tu ne me demandes jamais rien ! (voyez la mauvaise foi alors que je passe ma vie à lui poser des questions)

– comment ça ? Qu’est-ce que je devrais demander ?

– si l’ancre est au fond ! si tu dois avancer ou reculer ou quoi ou qu’est-ce !

– mais moi j’attends que tu me donnes tes ordres, et en plus souvent je ne t’entends même pas avec le boucan du moteur

Et là j’essuie une larme qui roule sur ma joue droite, ça le décontenance, il me demande de ne pas être fâchée, je suis en eau mais je me retiens parce que si je chiale trop je vais être vraiment moche, le pompon (au cinéma l’héroïne a de grands yeux brillants et sa larme est une perle d’eau, dans la vraie vie tu as des petits yeux rouges au milieu de paupières bouffies et le nez qui coule), je ne suis pas fâchée je me désespère vagis-je, j’aimerais tant qu’un jour il soit fier de son équipière … c’est pas gagné …

On profite de cet épisode pour éclaircir certains points de mouillage (la pédagogie de l’essai-erreur est performante pourtant il en existe d’autres), cependant je finis par me racler la gorge et oser dire d’un ton clair

– on va mettre notre communication au point parce que ça ne va pas : donc toi tu me donnes des ordres et moi j’obéis, tu me dis ce que je dois faire et je m’exécute, sinon c’est le foutoir

Il secoue la tête négativement, il ne veut pas et je ne sais fichtre pas pourquoi … bref, c’est vraiment pas gagné

on est mouillé par là maintenant, non sans mal n’est-ce pas

Le lendemain chaussures de rando, nous allons à la découverte de cette baie et de ses trésors, il fait bon sous les arbres, sur le chemin on croise des chevaux et des chèvres, il y en a beaucoup plus que de gens ici, le capitaine me montre du doigt un bouc superbe en me disant que la chèvre a de belles cornes

– mais c’est pas une chèvre, c’est un bouc ! Ce sont des cornes de bouc !

– mais non elle a des mamelles !

– ah c’est pas des mamelles, c’est ses couilles (hum hum elle a dit couilles)

– mais non !

– ah mais regarde où elles sont, t’as jamais vu des mamelles là (je fais des marches avant malvenues pendant le mouillage mais je sais reconnaître une paire de couilles)

Le débat se clôt naturellement sur cette ultime assertion, tandis que le capitaine, soudainement muet, s’enfonce dans les bois

si ça se trouve il est vexé 😉

On croise des chevaux, des chèvres qui escaladent les rochers, et puis des arbres et des arbres et encore des arbres et puis des fougères et des plantes et tout ça à creuser !

on passait le col entre la baie d’Anaho et la baie Hatimeu
une belle vue de la baie, on voit les bateaux sur le côté gauche … et de la houle qui rentre

Deux jours plus tard il nous faut aller à pied dans une autre anse, celle de la baie Haataivea où il n’est pas possible de mouiller, ceci pour aller quérir des légumes et des fruits frais, nous prenons l’annexe jusqu’à l’autre bout de la baie Anaho pour y débarquer avant d’enchaîner à pied, en arrivant à terre voilà qu’une bonne vague nous soulève et déferle dans l’annexe, bin mince ! la douche ! le capitaine et moi sautons à l’eau pour tirer l’annexe à terre avant que ça ne recommence, d’un geste preste il attrape mon sac qui trempe dedans, sac que j’ai oublié dans la surprise et la précipitation, et on n’est pas encore sur le sable qu’il commente déjà, tu aurais dû prendre ton sac étanche depuis le temps que je te le répète, tu ne m’écoutes jamais, qu’est-ce que j’t’avais dit, mais il est lourd le sac étanche alors je me balade toujours avec mon petit sac à dos d’écolière

– Ok ok maintenant je le prendrai mais jusqu’ici ça ne nous était jamais arrivé !

– oui mais je te l’avais dit ! (oui, il m’avait prévenue que dans le Pacifique ce n’est pas toujours facile d’aller à terre à cause des vagues, oui, j’aurais dû l’écouter, oui je suis vilaine vilaine vilaine ouuuuh que je suis vilaine)

– ok ok ! Pour revenir tu voudras bien prendre mon portable et mon portefeuille dans ton sac étanche ?

Sourire narquois pour toute réponse et on s’en va tout mouillés et salés avec mon petit sac à dos qui trempe mon teeshirt propre, flûte, c’est bien joli par ici et j’adore changer de baie, à chaque fois c’est la surprise, c’est fou mais elles ne se ressemblent jamais, on croise une fillette de 7 ou 8 ans sur un cheval, elle a des sacs de jute empilés en guise de selle, une petite bouille décidée et un regard perçant, elle est magnifique, on parvient en haut du passage entre les deux baies et on voit de loin une belle plage de sable blanc (il est jaune en vrai) et des super gros rouleaux qui déferlent, c’est super beau !

j’ai pris la photo plus bas sur le chemin alors on ne voit pas bien la plage mais on voit quand même les grosses vagues, j’adore les grosses vagues, ça me fait peur et ça me fascine à la fois, les chevaux ça me fait le même effet

Descendus dans la baie, on s’approche d’une cabane ouverte aux 4 vents comme toutes les bicoques du coin, personne, on cherche un peu, nobody, alors on continue et on tombe un peu plus loin sur une autre cabane ouverte aux 4 vents avec 3 ou 4 gars assis sur des planches et une gamine en pyjama (il est midi) aussi crasseux que sa frimousse et ses cheveux, il y a quand même des tas de gens, quasiment isolés dans certaines baies ou autres coins de ces îles, qui n’ont rien à faire, certains bricolent pour passer le temps mais quand on voit la précarité du bricolage on comprend que Bricoman n’a pas investi les îles du Pacifique, les autres laissent visiblement passer le temps sans se laver et sans laver leur peu de fringues, on a vu une fois une nana se balader en soutif qui n’avait jamais dû côtoyer la moindre lessive, pas mal de gars sont torse nu ou trimballent un teeshirt déchiré qui leur fait une aération naturelle pour éviter probablement de se laver plus que nécessaire selon l’idée qu’ils se sont faite de l’hygiène corporelle, ma foi ça développe le système immunitaire

Le plus dégourdi s’est levé pour nous taper un poing 👊

– kaoha ! (disent les marquisiens, ils prononcent le H très fortement alors ça donne kaoHHHHHa)

Le capitaine répond kaHHHHoa (il se plante sur la position du H à chaque coup) et moi je dis bonjour ce qui m’évite de m’emmêler les pinceaux, je suis hyper mauvaise en langues étrangères alors que le capitaine s’entraîne ferme pour charmer l’aborigène

Ce ne sont pas eux qui vendent les fruits et légumes et il faut nous en retourner vers la première cabane ou aller voir vers la plage si la dame qui s’occupe de ça n’est pas là-bas, alors zou on continue dans les taillis et les crottes de chevaux, c’est fou ce que ça peut chier un cheval et comme il y a beaucoup de chevaux ici (ça me rappelle quand on avait des chiens quand les enfants étaient petits, on avait un petit jardin, les enfants l’appelaient le champ de crottes) on saute de crotte en crotte pour avancer, ça ajoute au plaisir

On grimpe sur une butte et là … splendeur, magnificence, sublimité, tout ce qui peut nous élever vers une gratitude infinie, une vue merveilleuse, une plage sauvage et immense, des vagues turquoises qui déferlent, pour nous seuls

je demande au capitaine si on a le temps d’aller jusqu’à la mer et il finit par me dire oui (lui il aime les plages quand on est mouillés devant, sinon ça ne l’intéresse pas) (j’invente pas, c’est lui qui me l’a dit) (j’aime bien lui demander la permission, il se sent obligé de dire oui sinon il passe pour un rabat-joie, alors je fais comme je veux, c’est hyper stratégique), je cours jusqu’à l’océan pour regarder ses rouleaux énormes venir mourir à mes pieds, c’est le genre d’émotion qui me met en lévitation, alors je me laisse léviter un certain temps et puis comme on cuit en plein soleil et qu’on n’a plus d’eau, l’instinct de survie reprend le dessus et nous rebroussons chemin

ça rend toujours moins bien qu’en vrai, c’est navrant tout de même !

Coup de chance 🍀 en repassant devant le premier cabanon, on voit une dame que j’interpelle et elle m’emmène dans son immense jardin d’Eden, des aubergines et des tomates, ça n’a l’air de rien comme ça, mais quand ça fait des semaines qu’on carbure aux choux et aux carottes ou aux cœurs d’artichauts en boite, c’est comme si on découvrait un trésor, d’ailleurs c’est un véritable trésor, je dis au capitaine que jamais on n’aura autant mériter une salade !

dans le jardin d’Eden, il y a aussi des grenades

On s’en repart avec notre butin dans le sac à dos du capitaine et un sac qu’il préfère porter, il ne veut pas que je porte en général, il a de ces côtés gentleman un peu rétro bien que je lui assure que cela me met mal à l’aise de le laisser tout porter, peu lui chaut, il porte à lui en faire saillir les biceps et autres muscles de son anatomie (on n’est pas là pour faire un cours de biomécanique mais si je voulais frimer je pourrais) (un jour que le capitaine manœuvrait torse nu, probablement le seul avantage d’être homme, si moi je manœuvrais torse nu ça jaserait dans les chaumières, donc un jour qu’il manœuvrait en exposant ses abatis à mes candides yeux, je lui dis qu’on voit bien son grand dentelé, il me demande – mon quoi ? – c’est le muscle des boxeurs – ah / il élude, comme il élude d’un pfff ! tout ce qui peut ressembler de près ou de loin à un compliment) (c’en était un)

Revenus à l’annexe, nous regardons les rouleaux qui, heureusement, n’ont rien à voir avec ceux de la plage que j’admirais, sinon on n’aurait même pas pu arriver sains et saufs jusque-là, on se serait noyés comme dans une machine à laver le linge (il paraît qu’il y a des gens qui lavent leur chat dedans et sont tout surpris de le retrouver mort), nous posons les sacs et nos shoes dedans et traînons l’annexe jusqu’à la mer, en guettant le moment où les rouleaux seront moins forts

– tu sauteras dans l’annexe quand je te le dirai (ton sépulcral)

il me le dit alors hop je saute dans l’annexe (une antilope) (à chaque fois ça me fait penser à Ferdinand Lop, ses anti-Lop et ses Lop-ettes) et m’empare d’une rame vite fait pour m’en servir de pieu à planter dans le sable en attendant que le capitaine me rejoigne mais un autre rouleau arrive et j’entends un hurlement

– NON !!!

– non quoi ? (avec un air bête et ma rame suspendue dans les airs)

– T’AS LAISSÉ PARTIR L’ANNEXE DE TRAVERS ET ON NE SE MET PAS À RAMER AVEC L’ANNEXE DE TRAVERS (le temps qu’il beugle ça on se prend encore un bon rouleau dans l’annexe)

Il tire l’annexe plus loin dans l’eau en continuant ses jérémiades, saute dedans

– RAME !

Je rame, partagée entre l’idée de lui flanquer un bon grand coup de rame bien senti en pleine poire (en fait je n’y avais pas pensé sur le coup, c’est en vous racontant que l’idée vient de germer) (mais une idée peu charitable a dû me traverser l’esprit à ce moment précis) et celle d’attendre que l’orage passe, et devinez, j’attends que l’orage passe

– prends les commandes !

Etant assise à l’avant de l’annexe, je tends mon bras vers l’arrière pour attraper le … guidon ? le manche du moteur ? oui, ça doit être le manche, et dirige l’annexe vers le bateau sans tourner la tête vers qui vous savez parce que je suis comme ça, quand un truc me dérange je ne veux pas le regarder vu que ça me dérange, mais je vois tout de même avec mon sixième sens que le capitaine éponge la flotte qui s’est déversée dans l’annexe en grommelant qu’on aurait dû prendre une écope (je lui avais dit que pas besoin puisque hier sur la plage il m’a fait découvrir, ô merveille, un bouchon derrière l’annexe qu’on peut ouvrir pour la vider alors que je m’échinais à le faire avec un sac en plastique n’ayant rien d’autre sous la main) (mais bien sûr, sur l’eau j’ai compris toute seule qu’il ne faut pas enlever le bouchon) ensuite le temps passe, on n’entend que le vrombissement du moteur de l’annexe

Soudain

– tu veux qu’on aille manger dans le resto de la plage ? (Ici un resto c’est un local qui fait à manger pour plus de monde dont toi si tu as prévenu que tu irais manger chez eux)

– comme tu veux (un tantinet sèchement, juste comme il faut, pas trop pour ne pas glisser vers une impasse dont il faudrait du temps pour en sortir, mais assez pour qu’on ne se méprenne pas sur mon humeur du moment)

– Mais ça te fait plaisir ?! (s’étrangle t’il)

je me tourne vers lui

– ce qui me ferait plaisir c’est que tu ne m’engueules pas, mais ça c’est fait

et je me retourne maestoso pendant qu’il me sort son argument préféré

– je t’engueule pas !

ça me fait rire, je n’arrive pas à me forcer à rester de mauvais poil, mais je sens bon de préciser

– ce n’est pas moi qui ai remis l’annexe de travers mais une vague

– … oui, c’est la vague

– et je n’ai même pas eu le temps de me mettre à ramer

– … (qui ne dit mot consent)

– et quand tu me dis non je ne sais pas à quoi tu dis non, alors comment je sais ce que je dois faire ?

– …

– et c’est la première fois qu’on se prend de tels rouleaux de flotte dans l’annexe toi tu sais quoi faire mais moi j’apprends !

– Oui mais je ne voulais pas que tu te mouilles (un vrai gosse)

– Mais je m’en fous de me mouiller !

Un sourire, il trouve qu’il s’en sort à peu de frais

Il est beaucoup trop tard pour déjeuner dans ce resto pour lequel nous n’avons même pas prévenu que nous irions, alors nous rentrons au bateau et de toutes façons j’ai juste envie de manger une belle salade (en la lavant il y a 2 araignées qui s’en sont échappées et je les ai bravement envoyées se faire voir ailleurs par l’écoulement de l’évier qui va direct dans l’eau de mer, avant de raconter ce bel exploit au capitaine parce que je suis intégralement arachnophobe) (il n’aime pas que je l’appelle au secours pour des broutilles)

Le capitaine m’a galamment proposé de nettoyer mon petit sac à dos en calumet de la paix, je l’ai supplié de n’en rien faire, lui expliquant qu’il y a des vieux bonbons collés au fond (de ceux qu’on donne dans les restos avec l’addition et que j’emporte au cas où mais ne mange jamais) et « d’autres trucs » peu avouables dont je souhaite m’occuper et que justement je voulais nettoyer tout ça alors que ça tombe bien, il a levé les yeux au ciel

Le soir on a super bien mangé au resto, c’est à dire dans la pièce à vivre des habitants, entre un coffre plein de bouquins, des étagères pleines de fourbi, la fille de la maison passant nonchalamment pour aller se mettre debout sur une chaise avec un portable à bout de bras et tenter de choper du réseau téléphonique, le capitaine lui demande s’il y a de l’internet et obtient pour toute réponse un grand éclat de rire moqueur, c’est le fils de la famille qui nous sert, toute sa gentillesse remplit ses yeux à en déborder, on dirait un ange descendu du ciel, je repars emplie de sérénité d’avoir une preuve de plus que les anges existent, quant au capitaine il n’est pas un ange, certes, mais moi non plus, hiki-wake

Lendemain, on change de mouillage pour la baie Hakaehu devant le village de Pua, entendez, en guise de village, 2 tas de planches au milieu des cocotiers, pas de route pour y arriver mais une piste qu’on connaît pour l’avoir faite en 4×4, il y a moins de vent aujourd’hui mais la mer est forte et une grosse vague nous soulève de travers juste à l’entrée de la baie, tiens-toi isabelle ! des fois quand j’éternue le capitaine me dit à vos souhaits isabelle… ou quand il va se coucher, je vous attends isabelle… j’aime bien quand il me vouvoie… j’aime bien quand il m’attend… tout recommence (sigh)

de fils en aiguilles, j’adOOre celui là 😂

Une ancre arrière se révèle une fois de plus indispensable avec cette houle, car soit le vent vient perpendiculairement à la houle donc Cap de Miol le suit et on roule, soit le vent vient face à la houle, et Cap de Miol étant tourné vers la terre la houle entre à flots sur la jupe (donc par l’arrière, j’ai demandé au capitaine et oui, la jupe c’est toujours à l’arrière du bateau qu’il m’a répondu, j’en ai conclu que jupe arrière c’est un pléonasme alors maintenant je dis juste jupe, vous saurez bien) et c’est le genre de truc qui agace le capitaine, dieu sait qu’on s’en passe

Mais donc, problème, puisque l’ancre avant est déjà mise

– comment on va faire puisque le bateau est dans le mauvais sens ?

– hé bin on va le tourner

– ah ouais ? mais comment ?

– on va le pousser avec l’annexe

– aaaah ! (il sait tout)

Le capitaine distribue les rôles, il s’occupe de récupérer l’ancre arrière dans le coffre de la jupe pendant que je m’occupe de tourner le bateau avec l’annexe

– je vais toute seule dans l’annexe ?

– bé oui !

Vasoconstriction gorge-cœur-anus instantanée

Mais c’est ça qui est bien avec le capitaine, c’est qu’il m’oblige à me dépasser, certes, se dépasser pour aller seule dans une annexe pousser un bateau ne relève pas d’un exploit hors normes, mais je procède par petites étapes à ma mesure, alors me voilà dans l’annexe avec le système déglutitionnaire en accéléré, le capitaine qui regarde si je fais bien (je me demande s’il n’est pas un peu inquiet, ça fait quelques mois qu’il me pratique, le temps des illusions est largement dépassé), j’ouvre l’essence, vérifie que le moteur est au point mort, veut tirer le starter …

– il est cassé le starter !

– ouais, c’est au quai de Taiohae quand l’amarre du bateau de la police s’est accrochée au moteur (la police, c’est plus ce que c’était)

Je mets un peu de gaz et je tire comme une damnée sur la ficelle, manquerait plus que je n’arrive même pas à la démarrer, mais ça démarre au bout de 5 ou 6 tirages de ficelle à me déboîter l’épaule (quand c’est le capitaine qui démarre je me couche sur le boudin de l’annexe pour ne pas me prendre un pain dans la gueule), le moteur vrombit, j’entends un cri de celui qui vient de se péter le petit orteil dans un coin de meuble

– relâche le starter !

– mais il est cassé ! (je le pousse de l’index mais n’ai pas envie de l’achever et d’avoir ça sur la conscience)

– je te dis de relâcher le starter !

m’en fous, j’arrête de le tripoter et me voilà partie, ma blonde tresse flottant au vent, ma svelte silhouette offerte au regard du capitaine qui me suit énamoureusement (tu parles)

– Où tu vas ?! (tu vois que tu parles)

C’est vrai ça, où je vais ?

Ah ! voilà :

– je vais faire demi-tour ! (On est obligé de crier pour s’entendre)

Hop je décris un large demi-tour et reviens vers l’arrière bâbord de Cap de Miol, c’est fou comme parfois l’annexe me donne l’impression de se traîner alors que maintenant elle a l’air de foncer, un bel exemple de relativité

– ralentis ! mais ralentiiiiiiiis !!!

– mais je peux pas !  j’ai les gaz au plus bas ! (fichu starter)

BAM ! je percute plein pot le flanc de Cap de Miol, l’annexe rebondit comme une balle de mousse sur un mur en béton, dans un réflexe ultime venu du fin fond de mon cerveau reptilien je remets un peu de gaz et là, pfiouuuuu, c’est bon, l’annexe se colle au bateau et je le pousse, il fait demi-tour, pendant que le capitaine hurle

– mais où t’as vu qu’on fonce dans une voiture quand on veut la tracter ?! On arrive doucement !! (gestes à l’appui, chacune de ses mains représentant une voiture) Tu aurais dû passer le point mort !!!!!!!!!!!!!!!

Bien que je m’évertue à contrarier le capitaine en faisant plus ou moins n’importe quoi depuis des mois, bien que le capitaine ne soit pas un modèle de patience et d’équanimité, jamais il n’a proféré l’ombre d’une injure à mon encontre, ne serait-ce qu’un impulsif t’es con ou quoi, pour dire qu’il y a de la maîtrise chez cet homme là, mais il crie pour continuer à me farcir la cervelle de choses intelligentes, et vu les trous qu’il y a dedans il y met la dose alors ça finit par me déborder

– tu ne me pardonnes rien ! que je crie soudain, (ça lui cloue le bec) mais putain tu ne me pardonnes rien !!! répété-je distinctement haut et fort

Il se tourne et s’accroupît vers l’ancre, aussi muet que la Vierge Marie sidérée devant l’apparition du Saint Esprit (ce qui me rappelle un dessin de Charlie Hebdo, une lecture édifiante de plus de mon adolescence, on y voyait Marie qui regarde passer un saucisson volant et qui dit « il n’y aurait pas la ficelle, je dirais que c’est le St Esprit ») (ça me fait rire que voulez-vous) il est temps de revenir au bateau, en plus je suis en train de cuire comme un homard au court-bouillon, le capitaine s’est redressé et je capte son regard inquiet, je trouve la scène désopilante alors j’éclate de rire, y’a rien de cassé alors pourquoi en faire tout un plat, j’arrête de zigzaguer et reviens vers la jupe, le capitaine se permet un mets le point mort ! (c’est vrai que c’est la solution mais j’avais oublié dans la bagarre), à quelques mètres du bateau je veux le mettre et clac ! je passe direct en marche arrière, j’essaie de revenir au point mort avant que le capitaine ne le remarque et finisse par avoir envie de m’assassiner une bonne fois pour toutes, bon sang c’est bloqué, me voilà à tourner en rond en marche arrière sous les yeux médusés du capitaine, je sais qu’il sait que je ne le fais pas exprès pour l’emmerder, à tout prendre ça serait moins pire pour mon ego, par chance je finis par réussir à repasser la marche avant, puis le point mort pour aborder le bateau et y remonter, soulagée de m’en sortir vivante, le capitaine se retient de commenter mes exploits, n’empêche que j’ai tourné le bateau

C’est lui qui termine l’affaire et Cap de Miol se retrouve ancré devant-derrière, le quartier redevient paisible

Le soir, je pouffe en plein dîner, le capitaine me dévisage comme si je fomentais un mauvais coup dans son dos et m’interroge

– quoi ?

– je me revois foncer plein pot sur le bateau

Il sourit (mais élude) (mais il a souri)

Terre déserte … on voit l’aéroport où nous étions passés en voiture … ici les avions ne dérangent personne

Et puis on change pour la baie d’Haahopu, dans le coin de Terre Déserte

Si vous tendez l’oreille et mettez le son à fond, vous entendrez la voix du capitaine qui constate que ce n’est pas le mât d’un bateau (je vous mâche le travail)

Ce qu’on croyait être un mât de bateau est un lampadaire sur un morceau de quai au projet visiblement avorté, à terre un panneau « bureau de vérification Veritas » encore cloué sur un tas de planches et un chiotte qui a dû servir à ensevelir des cadavres tellement il y a de mouches, mouches qui nous suivent et nous collent dans le bateau comme un amoureux éconduit …ambiance étrange dans ce mouillage qui ne roule pas trop, pas de manœuvre à ajouter à la longue liste de mes apprentissages laborieux

on a le droit à ce ciel sublime, Dieu n’est pas rancunier

Sur le retour à Taiohae on s’arrête à nouveau à Daniel’s Bay, c’est trop beau cette baie Daniel, qui est, de son vrai nom, l’anse Hakatea dans la baie de Taioa

once again et on ne s’en lasse pas

Le soir tombant, assis dans le cockpit, le bateau slide ce qui nous fait voir différents angles du paysage selon la position du bateau, je dis au capitaine qu’on se croirait dans film de science-fiction avec un écran géant sur le mur du salon qui projette des photos de paysages toujours changeants pour qu’on ne devienne pas neurasthéniques, son regard cherche dans le vide, il ne voit pas, il ne regarde pas beaucoup de films et encore moins de la science-fiction, le pauvre 😏

Quand on sort du mouillage le lendemain pour rejoindre Taiohae, rebelote, la houle et son ressac nous secouent comme des pâtes alphabet dans une soupe aux petites nouilles (recette de soupe préférée de mes enfants et petits-enfants) (en CE2, la maîtresse de mon fils leur avait demandé une « rédaction » : qu’avez-vous mangé hier soir – c’est bien je trouve, c’est concis pour démarrer – mon fils de noter : hier soir j’ai mangé de la soupe aux petites nouilles – la maîtresse a corrigé pour du potage aux pâtes, drame, j’ai bien expliqué à mon rejeton que la soupe aux petites nouilles était une recette déposée et n’avait rien à voir avec un vulgaire potage aux pâtes, ne nous méprenons pas)

C’est en forgeant que l’on devient forgeron alors une fois dans la baie de Taiohae on pose l’ancre arrière comme si on forgeait depuis des lunes, je vais à terre jeter les poubelles et quérir quelques menus légumes et fruits quand un navigateur au look un peu cradingue étudié (cheveux fous qui dépassent d’un bonnet savamment usé, barbe de quelques jours, teeshirt fétiche qui a vécu mais propre) m’aborde

– salut

– salut

– t’as vu l’alerte rouge aux Tuam ?

– ah nooooooon … alerte rouge à quoi ?

Des zombies extraterrestres ? un virus virulent qui décime l’humanité ? … un tsunami ?!

– à la houle

On a eu chaud 🥵 c’est quoi un peu de houle à côté d’une invasion de zombies

Mais la houle ne s’arrête pas aux atolls des Tuamotu et continue sa route jusqu’à nous, nous passons trois jours à danser au mouillage de Taiohae et à nous réjouir d’avoir une ancre arrière en regardant les bateaux qui n’ont pas pris cette précaution rouler à qui mieux-mieux, les vagues déferlent sur la plage et explosent sur la berge, recouvrent le petit quai, retournent les annexes mal protégées, quand nous réussissons à aller à terre une fois la houle calmée, le snack du petit quai est fermé pour nettoyer et réparer les dégâts, les cailloux de la plage ont été déversés jusque sur la route, la nana du Ship qui habite là depuis 15 ans dira qu’ils n’ont jamais vu ça et on apprendra par d’autres navigateurs qu’à Fatu Hiva il y avait des vagues de 4 mètres qui se brisaient sur la plage … ça tombait bien parce que nous étions à l’abri à Taiohae et coincés pour les quelques jours durant lesquels je bossais, et le capitaine ne pouvait que prendre son mal en patience …

On a bien dansé

C’est l’heure du rabiot pour les gourmands !

  • Le muscle dentelé antérieur (Serratus anterior) ou muscle grand dentelé (en ancienne nomenclature) (mes études datent) est un muscle stabilisateur qui permet de maintenir l’omoplate collée au thorax. Ce muscle travaille avec tous les mouvements de poussée.
  • Abatis : n m, terme de boucherie, peau, graisse et tripes des bêtes tuées par les bouchers
le capitaine fait dans la dentelle
  • Ferdinand Lop : 10/10/1891 à Marseille – 29/10/1974 à Saint-Sébastien-de-Morsent , connu pour sa candidature perpétuelle aux élections législatives ou présidentielles, fait ses débuts comme secrétaire du député de la Meuse au Palais Bourbon. Il est ambitieux et veut tenter sa chance dans le monde politique. Mais à cause des mauvaises blagues de ses collègues et de ses coups de sang imprévisibles, l’administration lui retire son accréditation. Ferdinand Lop crie au complot. Il rejoint le quartier Latin où les étudiants, qui aiment se jouer des candidatures insolites, l’accueillent avec entrain. Bientôt, la Sorbonne est rythmée par les affrontements entre les « lopettes » et les « anti-Lop« . Les étudiants l’appellent « Le Maître » et défilent autour de lui, vêtus d’uniformes de théâtre, pour constituer sa « Garde de fer« . Lop se prête au jeu, ravi d’avoir enfin trouvé son public. Il se présente systématiquement à chaque élection et se déclare même « Candidat à la Présidence des Etats-Unis et leader de la conciliation mondiale « .

quelques slogans d’anthologie :

on peut voir le menu humoristique illustré, « Les bâtons de chaise » diner du jeudi mardi 6 février 1934, présidé par Ferdinand Lop, signé HP Gassier
  • Maestoso : avec un mouvement lent et majestueux
  • Hiki- Wake : en judo = égalité
  • Je n’ai pas retrouvé le dessin que j’évoquais plus haut mais je suis tombée sur celui là, vous me pardonnerez 😉