On repasse à Nouméa

notre route, très grosso modo

Avant tout, je sais, j’ai du retard sur mes publications mais j’ai des excuses, 1) j’ai eu plein de boulot et 2) pas de connexion, et en plus entretemps je suis rentrée 2 semaines en France pour des paperasses, avec les trajets ça fait 3 semaines, ça ne va pas s’arranger ces prochaines semaines parce que les distances à naviguer vont être longues, que je n’aurai guère de connexion non plus, mais je vous raconterai tout sans faute, soyez patients et ne vous inquiétez pas pour nous (soit on sera morts et ça ne sera plus la peine de s’inquiéter, soit on sera en vie et ça sera déjà pas mal) ( ce qu’il faut éviter c’est le capitaine mort et moi en vie en sursis).

regarder le coucher de soleil ça occupe

Alors, pour retourner à Nouméa chercher ce sacré moteur, on avait quasiment 500 miles à faire, plus ou moins au près, il a fallu en prendre son parti, dès le 1er jour ça a donné le ton avec un vent à 18/20 et des risées 23/25, le hic c’est qu’on naviguait au près bon plein avec les vagues du vent donc ça secouait pas mal à bord, tribord amure qui fait que le bateau gîtait avec la cuisine en haut ce qui n’est pas des plus simples pour cuisiner car tout manque de finir sur ma pomme, mais j’avais cuisiné des plats d’avance par prudence, cette fameuse prudence qui est mère de sûreté.

Toujours ce premier jour, le capitaine dort, je vois qu’on arrive sous un gros nuage et me dit flûte, c’est bien ma veine qu’il roupille juste quand le vent forcit et change de direction, on a 25/28 nœuds, toujours au près bon plein, mais on n’est plus au cap, on est trop sud car on suit le vent puisque le pilote automatique est en mode vent, j’attends de voir ce que ça donne (j’attends toujours de voir ce que ça donne parce que je n’aime pas, mais pas du tout, manœuvrer pour rien), je me dis que c’est pas plus mal d’aller plus sud parce qu’ensuite on pourra abattre un peu et ça sera plus confort … mais voilà que je me souviens avec autant de soudaineté que d’inquiétude d’un des réveils de sieste du capitaine qui avait râlé que je n’avais pas corrigé le cap pendant son sommeil, comme dit le proverbe Chinois, la première fois c’est une erreur, la seconde c’est qu’on le fait exprès,  je me précipite pour abattre et retrouver le cap, il faut alors régler les voiles sous la pluie, beh oui, je descends le chariot, je choque un peu GV et génois, j’aurais presque l’impression d’être un marin, mais ce qui m’étonne c’est que je n’entends pas piailler isabelle ! Qu’est-ce que tu fais ?! c’est suffisamment incroyable pour le notifier. Bon, pas longtemps plus tard on sort du nuage, le vent revient comme si de rien n’était et on revient au cap et au près, il faut à nouveau régler les voiles alors hop, je remonte le chariot et borde GV et génois, aaah cette fois ça y est isabeeeelle ! Qu’est-ce que tu fais ?!

Bien fière de moi je dois dire, je lui fais le topo face à son grand corps debout mais encore vacillant de sommeil et son sourcil froncé de celui qui fouille dans ce que je raconte pour comprendre ce qui s’est passé et surtout où se trouve la faille, putain de faille, je déglutis parce que ma superbe s’étiole devant son sourcil qui se fronce de plus en plus jusqu’à rejoindre son nez, on dirait de la pâte à modeler qui dégouline :

– Mais il fallait rester cap au Sud ! Fallait pas corriger le cap !

Des fois je pourrais me jeter à l’eau de désespoir.

S’ensuivent des explications de part et d’autre, je me défends en arguant que ça a duré si peu de temps que ça n’aurait pas pu infléchir notre route au point de changer notre allure de manière durable et agréable, il termine par (il aime avoir le dernier mot)

– ouais mais tu t’es fatiguée pour rien

– ça me fait manœuvrer et c’est pas plus mal (moi aussi)

the night is falling (je m’entraîne, les Aussies ils parlent anglais)

Sur cette route on a eu des moments calmes qui m’ont réconciliée avec les traversées mais une partie de la traversée a ressemblé à ce premier jour, du vent, et comme je dis au capitaine c’est tant mieux comme ça on avance, du près, du près bon plein ou du travers, des vagues, du tangage, certains bords en bâbord amure, la plupart en tribord amure, sommeil entrecoupé par le bateau qui saute, une vague qui claque, un réglage de voile (autant dire qu’il y a eu des jours avec douche et des jours sans), on pensait être plus à l’abri en longeant la côte de la Nouvelle Calédonie, que dalle, même pour finir en contournant le cap sud par le canal de Havannah pour aller sur Nouméa, le vent a suivi, on a eu du près serré, on a tiré des bords tandis que d’autres bateaux traçaient tout droit, voiles affalées et au moteur, des fois c’est bien aussi voiles affalées et au moteur, mais pas très digne si on y pense,

nous on a tiré des bords jusqu’au bout (sauf dans le canal de Woodin carrément coupé de tout vent et de vagues, il y a juste un courant fort).

Petit dèj dans le canal de Woodin, on en profite parce que c’est calme
arrivée toute vapeur sur Nouméa, on avançait à plus de 8 nœuds

Mais voilà que le capitaine a une de ses lubies en arrivant, il veut tout de suite faire le plein de gasoil puisqu’on va passer devant le ponton de gasoil, bon, avec moi aux commandes, bon, il me prévient que le vent va nous éloigner du ponton désiré, bon, le capitaine me dit de mettre les gaz et d’y aller à 45 degrés, j’aime pas mettre les gaz pour me garer mais je commence quand même à avoir compris certains trucs, notamment que quand le vent nous pousse, si on ne met pas de gaz on n’y arrive jamais, alors je mets des gaz et suis les ordres du capitaine, et croyez moi si vous voulez mais on se gare comme des pros sous le regard de la nana de la pompe qui nous applaudit et s’exclame qu’elle admire le capitaine tellement pédagogue alors que d’habitude elle ne fait qu’entendre gueuler sur les bateaux, le capitaine a ce petit sourire de charmeur satisfait qui me donnerait envie de le baffer si je m’écoutais, je lui casse le coup en riant et en disant à la nana qu’elle n’a qu’à naviguer quelques jours avec lui pour voir toute l’étendue de sa pédagogie, j’ajoute que ça me rassure grandement de savoir que ça crie sur les autres bateaux, pour repartir c’est moins cool, l’espace est fort petit et il y a des bateaux partout, pour éviter de me crier dessus (à juste titre, entendons nous bien) et garder son aura auprès de sa nouvelle groupie, il préfère prendre la barre et nous allons nous garer tranquillement à notre place sans un mot plus haut que l’autre, Nouméa here we are.

Ça m’a fait plaisir de revoir Nouméa, c’est fou comme on prend vite des habitudes, comme on se sent chez soi dès qu’on reconnaît un endroit, on a mangé un morceau au Bout du Monde et ils avaient mis du chauffage, c’est l’hiver ici et les soirées étaient carrément frisquettes.

Y’avait pas un rat, pourtant c’était un jeudi

Un soir on a bu l’apéro sur le catamaran Kumbaya avec Hubert, Juliette et leurs 4 enfants Louise, Agathe, Paul et Berthille, ils ont participé à une émission sur TF1, vacances au soleil famille nombreuse ou un truc comme ça, ils sont partis en 2020, là ils arrivent de Nouvelle Zélande, ils ont eu un temps de chiotte avec des vagues, Juliette me dit qu’elle en avait ras le bol et qu’elle avait hâte d’arriver, je l’assure de toute ma compassion, même leur petit Paul a été malade pour la première fois depuis qu’ils naviguent, Hubert nous dit que le catamaran c’est pire que le monocoque parce que la vague touche la première coque et dévie le bateau et bam ! elle s’enquille sur la seconde coque et là c’est franchement brutal, rien n’est parfait, ça cause boutique sérieux entre les deux hommes, le capitaine est en train de parler de notre déssalinisateur :

– C’est quelle marque ? (Hubert)

– Rain man

– Aaaah …et il compte les allumettes à toute vitesse ?

Flottement chez le capitaine, je préviens Hubert :

– Il n’est pas cinéphile

On se marre, regard de noyé chez le capitaine, on l’a perdu, il a bien dû voir quelques films dans sa vie, des jours où le club de voile devait être en grève ou en inventaire, le fait est que toute conversation traitant de séries ou de films le laisse dépourvu, il faut en hâte revenir à la mer, à la voile, aux régates, aux marins et aux courses au large (moi ça me fait du bien parfois de parler avec des gens normaux).

ici on est comme à la maison

Et puis le capitaine récupère le moteur, passe un temps fou à trouver la place pour ranger les désormais deux moteurs dans le grand coffre du cockpit déjà plein jusqu’à la gueule, mais il y arrive, il arriverait à rentrer un cube dans un trou cylindrique (il aurait pu sauver Apollo 13) (il ne comprendrait pas, n’insistez pas) on fait le plein d’eau, des courses de bon manger car oui ! à Nouméa on trouve du vrai bon jambon, de vrais bons fromages, du vrai bon pain, après le Vanuatu Nouméa c’est la Terre Promise, l’abondance, le paradis, j’ai l’intention de nous faire péter la panse sur le trajet pour l’Australie qu’on se le dise !

Mais avant de partir et de se taper sur le ventre, il faut caréner le bateau mais l’eau de la marina est tellement dégueulasse que le faire ici risquerait de filer des amibes par les trous de narine au capitaine, alors on s’éloigne pour aller sur un ponton dans un coin plus propre, il n’y a pas beaucoup de vent, il me laisse aux commandes pour sortir de notre place, aller jusqu’à l’autre ponton et m’y garer, je lui avoue que les manœuvres de port me stressent, il me rétorque que lui aussi et que justement il faut que j’en profite quand il n’y a pas de vent, j’en profite avec cette joie sereine que personne ne songerait à me dénier, le capitaine enfile sa tenue de G.I-Joe et plonge, 3 heures plus tard et le bateau propre comme un sou neuf, nous rejoignons notre place initiale, moi toujours à la barre, on ne change pas une équipe qui gagne, le capitaine me corrigeant quand il voit que je suis mal emmanchée, deux nanas arrivent en courant pour nous aider à amarrer, ah les braves dames, j’arrive tout en douceur le long du catway et elles s’exclament que bravo et que je n’aurais pas eu besoin d’elles, je leur dis que je dois tout au capitaine, elles ne me croient pas, vous et moi on sait que si.

On est prêts pour l’Australie, on part demain, 950 miles à faire, pas un pète de vent, on verra bien.

Les étoiles du marin, c’est cadeau

Oui, vous y avez droit, on ne lâche rien !

  • Rappel pour ceux qui n’étaient pas là :
  • C’est quoi les Aussies : le surnom de l’Australie est OZ , cela est dû à la prononciation anglaise des 2 lettres “O” et “Z” qui se disent “ozie” qui est la prononciation du mot “aussie”.  Aussie est le nom utilisé pour appeler les australiens.

Chez les Ni-van

(2 épisodes en 1 car je n’ai pas pu mettre en ligne avant 😉)

C’est parti pour Port Vila sur l’île Efata, 125 NM au portant, easy, le soir nous avons droit à un coucher de soleil sublime, en prime un lever de lune qui se lève derrière une île, nuit de peu de sommeil pour surveiller les bateaux éventuels, RAS, nous arrivons au matin dans la baie Mele la tête dans le seau, le choc des civilisations ! Après Port Résolution, tout ici semble excessif, c’est New York, si ça clignotait on pourrait se croire à Broadway

bon, ok, c’est pas Broadway, mais quand on compare de là où on vient !
Rien n’égale une paire de lunettes de soleil pour être présentable en toute circonstance !

Nous prenons une bouée et filons au bureau de la marina, Joséphine nous explique tout ce dont nous avons besoin de savoir en français, une aubaine, la douche et les toilettes sont ceux du bistrot de la marina, pourquoi en faire plus puisque ça existe déjà, et puis le capitaine me demande si ça ne me dérange pas qu’on passe chez Toyota qui vend des moteurs Yamaha pour les annexe (la concurrence ne fait pas rage), ce qui serait bien car nous éviterait de retourner sur Nouméa pour quérir un de ceux qui doivent arriver à la fin du mois… il me fait rire le capitaine, quand il veut quelque chose il demande si ça ne me dérange pas, high strategy, alors on va chez Toyota car ça ne me dérange pas et ici il fait drôlement chaud, on se traîne en montant la colline plutôt raide, pourtant on n’est pas beaucoup plus haut en latitude que Nouméa, mais on sent bien la différence.

Cap de Miol derrière les barbelés (c’est le beau bateau, pas le moche)

On arrive chez Toyot’ en nage, english spoken, le capitaine veut un moteur enduro 2 temps avec une tige courte, ils n’ont pas … ah ! les moteurs 2 temps ou 4 temps ! bon, le capitaine m’avait expliqué les différences et le pourquoi de son choix, j’avais écouté avec attention mais rien retenu malgré une ferme volonté et sa remarque sur le fait que j’avais dû apprendre ça au lycée (ça m’étonnerait) et le soir, la bourde, la bévue,  l’erreur de débutante, je lui redemande pourquoi ce modèle précis, histoire de nourrir la conversation, il me rappelle me l’avoir déjà expliqué de son ton de surgé qui m’aurait vu fumer un oinj aux sanitaires, cette fois ci croyez moi que j’ai retenu dans les grandes lignes pour ne plus lui poser la question, je me suis inscrit en lettres de feu dans la cervelle de ne plus JAMAIS lui poser de questions sur les moteurs à explosion, je vais peut-être même prendre un cours particulier sur le sujet pour être béton, une fois je lui ai quand même dit que s’il retenait du premier coup qu’en ajoutant Huang Bai et Zhi Mu à LIU WEI DI HUANG WAN on obtient ZHI BAI DI HUANG WAN, ce qui a le bon goût de traiter la Chaleur/Vide, je voudrais bien tout retenir du premier coup ce qu’il me raconte, il a ronchonné un truc inaudible, mais bon si ça se trouve on va devoir repasser à Nouméa, ça semble inévitable parce que les 2 temps ne sont plus vendus que dans les pays pauvres qui n’ont pas encore compris que ça pollue et qui pourraient bien faire des efforts pour avoir les moyens d’acheter des 4 temps tout de même, les pauvres se plaignent mais que font ils pour s’en sortir, on se demande ce qu’ils peuvent bien foutre, je me suis étonnée auprès de mon héros paré de toutes les vertus qu’il achète un 2 temps alors (un 2 temps de pauvre qui pollue, on est d’accord), mais c’est que c’est aussi une question de poids, si on a un moteur 4 temps plus puissant il sera plus lourd et fera couler l’annexe ou presque, donc 2 temps, 8 chevaux, tige courte, yamaha enduro, c’est sa quête.

l’objet de son désir, chacun son truc

On passe ensuite au marché, pfiouuuu quelle vie ! Quelle ambiance ! Je suis sous le charme de Port Vila !

On peut y manger pour 3 francs 6 sous à de grandes tables avec des voisins avec qui on papote, il y a une rangée de boxes avec dans chacun une gazinière devant laquelle s’agitent 2 ou 3 femmes qui font la tambouille ou la vaisselle, on peut choisir entre poulet, blanquette ou poisson plein d’arêtes avec la tête et la queue (blanquette, c’te blague) accompagné de riz, manioc et taro, ça tient au ventre grave, un peu indigeste car pas assez cuit, un peu plus de gras et de cartilage que de viande mais la sauce est parfaite avec le riz, comme dirait le capitaine on mange local.

La cantine !

Le lendemain on a loué une voiture pour visiter l’île et passer donner le bonjour au directeur de l’alliance française, une connaissance de connaissance du capitaine qui a promis de passer donner le bonjour, un petit coin de France dans Port Vila, une ambiance vaguement provençale avec ses chaises de jardin en fer forgé, des livres plein les étagères qui courent tout autour d’une grande salle, une télé qui diffuse les infos françaises (ça scotche le capitaine) et un café qui vend du café et des croissants, ça ferait presque envie mais ça tombe sur les fesses alors non, après les politesses d’usage il faut bien remplir la conversation, ça serait un peu raide de dire qu’et bien voilà voilà c’est pas tout mais on a de la route, on sent bien le flottement, alors je me lance, un vrai bouche-trou mondain, et demande à George, puisque c’est son prénom, combien il y a d’adhérents, 450 je crois, à 20 balles la cotisation c’est ridicule comme chiffre, je lui demande alors s’il reçoit des subventions, bien évidemment que ça marche comme ça, des projets, des animations, soit autant de subventions, peinardos le George, et bien moi je dis que c’est vraiment un bon job que de bosser dans une alliance française, si vous voyagez à l’étranger, renseignez vous pour savoir s’il y en a une là où vous allez parce que ça m’a semblé comme une ambassade si t’es perdue et puis on a beau dire, entendre parler sa langue maternelle au bout du monde ça fait toujours plèze comme disent les djeunsses.

petite balade à Efata
Il y a des décos de Noël dans les cimetières, j’adore

Puis découverte de l’île, nous déjeunons d’un pique-nique de chips de manioc et de patates douces, en profitons pour faire l’observation de la nature et de la végétation locale bien entendu, j’engrange, j’engrange …

En dehors de Port Vila, on voit vite que le reste de l’île est pauvre et peu touristique, même si nous avons discuté avec un couple d’Australiens venu en goguette pour la semaine et que nous avons croisé quelques blancs en short à poches, ça ne doit pas faire grosse recette pourtant, où que nous allions dans les endroits les plus reculés, nous voyons des panneaux top up here pour Digicel ou Vodafone, genre on peut venir jusqu’ici sans être coupé du reste du monde.

Quand des enfants nous voient passer à la sortie des écoles nous avons droit à de grands signes amicaux, des interpellations, ils sont adorables et il y en a des troupeaux entiers, c’est fou le nombre d’enfants que nous voyons, nous apprendrons au fur et à mesure que même s’il semble que tous vont à l’école au vu des rangs qu’ils forment, ce n’est pas la réalité, beaucoup d’enfants n’y vont pas et sont astreints aux travaux des champs, seuls ceux qui reviennent de l’école en uniforme sont visibles au bord de la route…

Paradoxalement, à Port Havannah, nous buvons un café dans l’hôtel le plus luxueux où nous avons posé le pied depuis notre départ, je crois que les hôtels de Bora-Bora devaient l’être bien plus, mais nous n’avons pas fréquenté ces hauts lieux…

En fait de café, j’ai pris un cocktail sans alcool qui se révèle être quasi du coca-cola (je l’ai joué un peu snob en commandant un cocktail) – au loin, la silhouette de qui vous savez, la mer lui manque dès qu’il pose le pied à terre

Ca fait drôle de côtoyer ce luxe et cette pauvreté aux portes l’une de l’autre, comment ne pas créer de jalousie, d’incompréhension, de frustration, de révolte, de révolution … après, on s’étonne …

de retour à Port Vila le soir venu

Dès le jour suivant, nous levons l’ancre, faisons une halte pour la nuit à Port Havannah devant le fameux hôtel pour riches, ok d’accord me direz-vous, mais comment se passent les nav dans ce coin ? imaginez : allongée sur le pont, une tequila sunrise à votre main aux ongles rose fuchsia assorti à vos lunettes de soleil en cœur, des mules à pompons roses inutiles mais si parfaites à vos pieds pédicurés et un collier de coquillages entre vos seins nus, un string à petits pois dans les fesses, ou, selon votre sexe ou vos aspirations, ne genrons pas, debout à la barre, votre torse athlétique bronzé au-dessus d’un short fort seyant sur vos jolies jambes bottées de ces bottes de marin bleues tellement sexy car montant jusque sous le genou, tout aussi inutiles par ce temps sec et radieux, une casquette blanche à visière pour ombrer votre regard aiguisé qui scrute la surface de l’eau et guette la moindre risée … vous y êtes ? et bien vous n’y êtes pas du tout, les nav ici c’est pas Hollywood. Les alizées soufflent souvent à 20 nœuds, l’idéal en soi, et quand on navigue sous le vent des îles, on pourrait aspirer à ce tableau idyllique décrit avec tant de brio, mais z’on n’a pas le temps d’aspirer, le vent tourne et des rafales de 30 nœuds nous prennent par surprise au près toutes voiles dehors et font gîter le bateau à en avoir les chandeliers qui trempent dans l’eau (pour les néophytes, Dieu aie pitié de vous, nous n’allumons pas de chandelles dans le bateau mais c’est le nom de parties du bastingage, cependant je ne pense pas que l’expression tenir la chandelle vienne de là), nous sommes hirsutes de vent et d’embruns, nos shorts et teeshirts ont beau sentir un vieux fond de lessive on sait qu’ils ne sont pas si propres quand on voit le si peu d’eau dans lesquels ils baignent 20 minutes dans les lavomatiques, vous aurez compris, ce n’est pas la distance à parcourir qui rend les nav aisées ou non.

NB : le capitaine est très sexy en short et en bottes quand il manœuvre sous la flotte mais je n’ai pas encore osé lui exprimer mon émoi parce que quand il manœuvre ce n’est pas le moment et après ça ne l’est plus, c’est comme pour les chiens, si vous les engueulez juste quand ils viennent de faire une bêtise ils comprennent, si c’est deux heures après ils se demandent ce qui vous prend.

Pensez à emporter la panoplie si vous allez naviguer

Et nous voilà qui continuons vers l’île Epi, précisément à Lameh Bay à 22 NM de Port Havannah, la baie est fort jolie mais le ponton du village est carrément défoncé, je ne sais pas s’il peut encore servir à faire accoster un quelconque cargo qui amènerait des vivres ou du matériel, le village est mignon, il y a même une High School :

ça bosse

Et puis en revenant vers la plage où nous attend l’annexe, nous apercevons une case peinte avec goût, nous nous approchons … un restaurant dis donc ! une jeune femme toute timide vient vers nous en se tordant les mains, d’une voie mélodieuse et douce elle nous propose d’entrer dans son restaurant tout décoré de coquillages sur un sol de coraux ratissés bien net, il y a des nappes blanches en tissu sur les tables et des serviettes en tissu, les nappes sont taillées dans des draps blancs et ne sont pas repassées, mais tout est propre, et l’intention de bien faire est telle qu’il est tout bonnement impossible de ne pas avoir envie de déjeuner ici, nous déjeunons ici…

La jeune femme nous propose le menu : poulet et riz, suivi d’une oeillade désolée car c’est tout, c’est  le plat du jour que je suppute être le plat de l’année, mais voilà qu’un sourire de soulagement passe sur son visage car après réflexion elle a autre chose à nous proposer ! de la citronnade ! va pour 2 verres de citronnade, qu’à cela ne tienne, deux chiens nous ont suivis et attendent en haletant devant l’entrée du restaurant, espérant vraisemblablement que nous leur jetterons un os, té crési comme dirait le capitaine, nous sommes servis aussitôt assis, à peine avons-nous terminé nos agapes qu’une volée de lycéennes prend place à la seconde table tandis qu’une dame qui porte un énorme trousseau de clés à la main et arbore un air supérieur attend avec une mimique agacée qu’on vienne lui proposer de s’installer, ça doit être l’institutrice dis-je au capitaine, voire la directrice de la High School vu comme elle balance le trousseau à bout de bras tel une menace, c’est fou ce qu’un trousseau de clés peut donner de l’importance et l’arrogance qui va avec, une autre dame sort en courant de la cuisine pour nous tendre un post it avec le détail de notre repas, 750 vatus, une misère, nous payons et cédons la place, je dis au capitaine que je me demande où est-ce que la jeune femme a pris ces belles idées pour créer son restaurant, peut-être dans des magazines ? mais il n’y a aucun magazine ici ! t’as vu des magazines toi ? (le capitaine est doué d’un esprit pénétrant) alors elle a peut-être fait des études à Port Vila ou ailleurs et vu des restaurants avec des nappes, je cherche, le capitaine opine, c’est pas le genre de questions qu’il se pose alors je lui en fais profiter, non mais quelle intelligence pour reproduire ce minuscule univers d’harmonie, quelle chance pour nous de découvrir de tels endroits et de telles personnes, j’adore j’adore j’adore.

Une vraie pub pour Jean-Paul Gautier ( il a été chez le coiffeur à Nouméa et il est revenu en faisant la gueule, la coiffeuse l’a ratiboisé et ça lui donne un petit air militaire qu’il n’apprécie que modérément mais la barbe compense)

Le mouillage suivant se situe à Malekula, tout d’abord à Gaspar Bay dans les Maskelynes qui font partie de Malekula (c’est compliqué)

on s’y engage mollo car il n’y a pas de fond dans la majeure partie de la baie, c’est toujours la même chose, sans carte et sans préparation, on pourrait croire que tout est navigable, illusion ! nous suivons une route sinueuse qui trouve sa voie là où il y a un maximum de profondeur, à droite comme à gauche nous longeons des palétuviers qui émergent de l’eau et mouillons au plus près du rivage, ce qui revient à le faire en plein milieu de la baie, le reste étant sous 1 mètre d’eau voire moins, annexe, balade le long des palétuviers, nous sommes seuls, pas un seul clapot dans cette baie hyper protégée, c’est dans ce genre de baie qu’on dort le mieux au monde, je recommande à toutes les personnes insomniaques de tester cette thérapie.

Puis île Malekula, nous mouillons à Port Sandwich, autant dire tout à côté, où se trouve le voilier Tao que nous avions vu à Nouméa, Marie-Claude et Bernard partagent leur vie entre Nouméa et Port Sandwich où ils ont sympathisé avec Rock et Noëlle chez qui nous sommes invités pour boire le thé, j’apporte un brownie au chocolat dont je me rappelle l’existence dans un coffre du bateau, ce n’est pas moi qui l’ai fait mais Vandamme ou Papy Brossard, mon cadeau est très apprécié, Noëlle a préparé des infusions de citronnelle et nous papotons à propos de culture et de cuisine, à un moment j’aiguille la conversation sur le passage du condominium à l’indépendance et aux changements qu’ils ont constatés, le sujet effare Noëlle qui n’en sait fichtre rien et m’envoie vers Rock qui n’en sait pas plus, visiblement ils n’ont pas été marqués par quoi que ce soit et leur vie n’a pas été chamboulée par ce fait, ils ont 5 enfants qui tous ont fait des études et travaillent à Port Vila ou à l’étranger, ils disent que ça va devenir un problème parce que les enfants veulent tous faire des études et aller travailler en ville dans un bureau et alors qui fera les travaux des champs, c’est pour cela que certains parents ne mettent pas leurs enfants à l’école, il serait temps de revaloriser les études agricoles parce que le savoir se perd, même ici, c’est dingue …

Un petit coup de crayon et le capitaine ne ressemble plus à un militaire, c’est magique, et le brownie je vois que c’est St Michel, je ne savais pas que St Michel faisait des brownies ! c’est Bernard à côté du capitaine, il fait toute la conversation, je ne sais pas si le capitaine écoute tout

Marie-Claude me fait visiter le jardin qu’elle cultive sur les terres de Rock et Noëlle en échange de ce qu’elle et Bernard apportent sur leur bateau, à savoir des sacs de 25 kilos de riz, des centaines de mètres de cordages, des dizaines de pots de peinture, des sacs entiers de teeshirts et autres vêtements, ils font le tour des commerces et demandent des dons pour le Vanuatu, et certains commerçants donnent, c’est chouette, Bernard et Marie-Claude arrivent avec leur bateau plein jusqu’à la gueule, donnent le tout à Rock et Noëlle qui redistribuent aux habitants de l’île … je ne sais pas trop comment ils distribuent parce qu’en même temps ils tiennent un magasin, mais bon, c’est l’histoire qu’on nous raconte … bon, nous on a l’air bien con avec nos sachets de riz de 1 kilo et nos bouteilles d’huile, on ne peut rien en faire parce que c’est impossible de croiser quelqu’un qu’on ne connaît ni d’Eve ni d’Adam (ni des lèvres ni des dents) (Béru) et de lui donner un sac de riz sans raison, nous n’avons vu personne mendier, je dis au capitaine que ça serait d’une maladresse crasse, et dans les quelques magasins où nous sommes allés, il y a justement du riz, de l’huile et des boîtes en quantités, on n’attend vraiment pas après nous … par contre si j’avais des bonbons, ça j’en distribuerais ! on a lu qu’il ne faut pas en apporter parce que ça craint les bonbons, qu’il vaut mieux apporter des cahiers et des crayons, soit, mais en passant dans les écoles on a vu plein de cahiers et de crayons, des tas énormes de cahiers tout neuf, par contre on n’a pas vu de touristes distribuant des bonbons à tous ces enfants, alors un conseil si vous y allez, apportez des bonbons et des sucettes pour en distribuer à tous ces enfants qui vous feront la fête mais ne réclameront jamais rien de vous qu’un échange et un sourire, ce n’est pas un bonbon tous les tremblements de terre qui leur ruineront les dents, faut un peu se détendre avec ça.

visite du jardin, la dame au fond bûche dur

Yacinte est le guérisseur du village, j’en déduis qu’il y a des villages comme Port Résolution qui n’ont pas de guérisseur, et d’autres comme Port Sandwich qui en ont un. Yacinte est parti du village quelques temps et lorsqu’il est revenu, il avait appris à soigner et à cultiver certaines plantes médicinales. L’aubaine me dis-je. Mais non. Ici, les femmes cultivent leur propre jardin et les hommes le leur, et les uns et les autres ne vont jamais dans le jardin de l’autre, pour le coup c‘est un jardin secret. Et Yacinte est pire que tout le monde réuni, son jardin est interdit, verboten, forbidden, запрещённый, 违 碍,  prohibido,   j’en serai pour mes frais et repartirai avec les flacons d’Huiles Essentielles que je voulais lui offrir tant pis pour lui, mais Marie-Claude et Noëlle ne sont pas avares de partager leurs connaissances avec moi (j’aime les femmes aussi parce qu’elles ne thésaurisent pas leur savoir comme beaucoup d’hommes), de mon côté je raconte un peu de ce que j’ai appris sur la médecine Kanak à Marie-Claude, par exemple que pour faire venir un bébé la femme doit délier une liane de banian en demandant au bébé de dénouer le cordon pour descendre, Clarisse qui n’avait pas le temps de le faire avait demandé à sa mère et à sa tante de le faire pour elle, et le bébé était venu (ça ancre bien les croyances, mais c’est chouette ce genre de croyance, c’est joli comme tout) nous sommes ravies de notre échange.

Les fleurs séchées de l’hibiscus piment ou hibiscus dormant – Malvaviscus arboreus- sont utilisées pour traiter les affections respiratoires et entrent dans la confection de sirop pour traiter la toux.bL’écorce riche en mucilage est utilisée pour traiter les maux d’estomac, diarrhées et dysenteries et en cataplasme pour calmer les piqûres d’insectes et les affections cutanées.
Le Barringtonia edulis est appelé « navele » dans les îles du Pacifique, « cut nut » en anglais, et « vellier » en français. L’écorce et les feuilles du Barringtonia edulis sont utilisées en pharmacopée traditionnelle pour diverses pathologies : l’écorce dans le traitement des maux d’estomac et la gonorrhée ; les feuilles pour soigner les otites ; la sève de l’écorce pour la toux, les infections urinaires et l’empoisonnement à la ciguatera. L’amande du fruit est comestible.
Les vertus anti-inflammatoires, antioxydantes et antibactériennes du poivre -Piper Nigrum – sont bien connues depuis l’antiquité et par la Médecine Chinoise et Ayurvédique, c’est la pipérine – l’alcaloïde d’où provient le côté piquant du poivre – qui lui confère ses propriétés médicinales. 

Le vanillier – Vanilla planifolia – est une orchidée grimpante, la vanille est un antidépresseur et un antistress naturel. Comme le chocolat, elle apaise, calme, relaxe et détend l’organisme et le cerveau.

Ce côté secret gardé des plantes par le guérisseur me fait penser à la France du 18ème siècle, quand les médecins et les botanistes ont normalisé la construction d’un savoir savant sur le monde végétal tout en renforçant le monopôle masculin de ce savoir savant puisque les sciences étaient réservées presque  exclusivement aux garçons, alors que les femmes avaient construit des savoirs sur les propriétés des plantes fondés sur l’observation et sur la transmission parce que ce sont elles qui soignaient leur famille, malgré cela les femmes étaient exclues de la médecine et de la botanique … en sortira t’on jamais de ces luttes d’ego, pffff …

En partant Noëlle me donne des oranges amères dans un panier tressé, c’est cool parce que le matin nous sommes allés au marché pour trouver des fruits et des légumes, 6 kilomètres sous une chaleur tropicale à boire sans jamais pisser une goutte, et ne sommes revenus qu’avec 2 pamplemousses en tout et pour tout, les cyclones qui ont balayé le Vanuatu au mois de mars ont dévasté les cultures de bananes, c’est là que j’ai appris, on apprend tous les jours, que les bananiers ne sont pas des arbres mais des herbes, ils ne donnent qu’un seul régime qu’ils mettent 9 à 12 mois à produire, comme quoi il vaut mieux cultiver des ananas dans les zones cycloniques.

Le marché de Malekula, à 3 kms de Port Sandwich
On s’est abrités de la pluie sous l’auvent de la banque nationale (si, c’est pas une prison, c’est la banque nationale)
Encore un ponton qui a mal à la tête

La prochaine île est Ambrym, à 39 NM de là … que ce soit en longeant les îles ou quand nous circulons à l’intérieur, je note que les forêts sont recouvertes de liseron comme d’une bâche, les arbres sont littéralement ensevelis sous cette invasion, le liseron dévore monstrueusement le paysage, il étouffe la végétation indigène sur une étendue absolument impossible à maîtriser, d’après mes recherches personne ne s’en soucie et j’ai pourtant l’impression que ça va devenir un problème parce que d’évidence ça bouleverse l’écosystème, ou alors je m’appelle Albert …

non mais c’est dingue

Nous mouillons devant le village de Ranon  et y allons en annexe, faisons des bornes à pince pour visiter l’île tout en espérant trouver des légumes frais mais tintin, par contre nous tombons sur la clinique de l’île ou comment saisir l’importance de la prévention :

la « clinique » d’Ambrym
…qui fait également office de pharmaciey’a comme un petit air d’abandon

Puis cap sur l’île Pentecôte, de loin nous entendons les tamtams et de fait, lorsque nous mettons pied à terre, un groupe de jeunes gens tame-tame à tout crin :

De l’autre côté de la route se trouve le Nakamal, c’est l’endroit de sociabilisation par excellence, et celui dans lequel on boit le kava, ah ! le kava !

Aujourd’hui il existe des bars à Kava aux US, en Australie, en Nouvelle Calédonie et un peu partout dans le monde, mais les vrais nakamals c’est ici et nulle part ailleurs !

Un homme jeune et un autre plus âgé, carrément vieux en fait, s’approchent et nous convient à entrer dans le Nakamal, je suis émue comme une vierge s’avançant à l’autel pour prendre époux, j’espère qu’on ne va pas m’obliger à boire de kava, je sais que ça ne me réussira pas, les gens qui en ont bu m’ont dit que c’est dégueulasse, ça encore ça passerait, j’ai l’habitude avec les décoctions chinoises, mais surtout c’est que ça fait des engourdissements autour de la bouche, j’aime pas, et aussi c’est une drogue douce qui détend, tu parles, dans drogue douce il y a drogue, on voit qu’ils ne connaissent pas les effets paradoxaux, j’y pénètre, tout est brouillardeux tellement c’est enfumé, je distingue comme un banc qui fait tout le tour de l’espace sur lequel sont vautrés quelques hommes au regard avachi,  les deux gars m’accompagnent jusqu’au centre où se trouve une espèce de table basse entourée de palmes séchées et posées à la verticale qui en font le tour, le vieux baragouine des trucs en bislama que le jeune me traduit grosse modo en anglais, je comprends que je suis devant le lit du chef qui est mort il y a peu et qu’on avait laissé sur ce lit jusqu’à ce matin (on porte la poisse), qu’il va y avoir un nouveau chef et  … aaah on me tapote sur l’épaule, c’est le capitaine, j’ai envie de le chasser comme une mouche et de lui demander de ne pas interrompre ces gens quelle impolitesse enfin quoi !  il insiste lourdement, isa ! isa ! nan mais quelle outrecuidance,

– Oui ! quoi isa ?!

– Il faut que tu sortes, tu n’as pas le droit d’être ici ! c’est interdit aux femmes blanches … (il se tourne vers un grand gaillard à l’air sinistre) c’est lui qui me l’a dit, c’est le nouveau chef, il faut que tu sortes

Je ne me le fais pas dire deux fois et file sous le regard interloqué de mes 2 accompagnants qui vont vraisemblablement se faire passer un savon, le capitaine reste à l’intérieur et je le vois discuter dans la fumée, peut-être marchande t’il pour que j’aie la vie sauve, peut-être ira-t-il jusqu’à l’échanger contre Cap de Miol, je ne le saurai jamais, aucun indigène ne me course avec une lance et des plumes, c’est lui qui sort seul, je suis tirée d’affaire.

Nous nous enfonçons alors plus avant dans le village histoire de voir si nous trouvons des fruits et des légumes, ça prend un temps fou par ici de tenter de quérir ces précieuses denrées, un homme vient vers nous, la quarante-soixantaine (quarante en mauvais état ou soixante en bon état), petit, assez athlétique sous sa chemise propre à manches courtes, pas un pète de graisse, la mâchoire volontaire et le regard vif, il nous demande ce que nous voulons et le lui disons, il nous accompagne jusqu’au magasin du village dans lequel je réveille une jeune femme qui se dresse d’un bond en me faisant un grand sourire, chouette une occupation pour la distraire, en anglais approximatif elle m’explique qu’à part le riz, l’huile, les boites de conserve et les cannettes de coca, elle n’a rien d’autre, mais que si je reviens demain elle pourra demander à la communauté du village qu’on veuille bien lui en donner pour qu’elle nous les vende, tant pis car nous ne resterons pas jusqu’à demain, je la salue, mais Cheffry (c’est le nom de l’homme à la chemise à manches courtes) (le capitaine lui a fait répéter) nous intime de le suivre, harangue un jeune homme d’une dix-septzaine qui grimpe pieds nus jusqu’en haut d’une immense pamplemoussier et en balance une bonne dizaine à nos pieds, il est d’une habileté hallucinante et saute d’une branche à l’autre, nous clamons que nous en avons assez, le capitaine sort un billet de 1000 vatus qu’il donne à l’homme, celui-ci le plie et le glisse soigneusement dans la poche de sa chemise d’un air comblé (au marché, le pamplemousse est à 20 vatus)  le jeune est descendu et nous regarde, j’ai une grosse tablette de chocolat dans mon sac et la lui tend, tout le monde est content, nous repartons.

– Je ne sais pas si celui qui t’a dit que je devais sortir du Nakamal était le nouveau chef, mais Cheffry il a tout d’un chef ! (il dirige les autres et empoche le pognon, la base) (ce n’est pas une critique, c’est factuel)

où l’on voit que le capitaine peut faire preuve de souplesse

Le mouillage suivant est prévu à l’île Maewo dans la baie Asanvari, mais il s’avère très délicat et nous voyons que c’est rouleur en plus d’être inhabité, nous remontons aussitôt la GV et filons directement sur l’île Aoba, à Vahine Bay, sur la route le capitaine fait une réparation de fortune parce qu’une attache du lazy a lâché.

Nous ne mouillons pas devant le village de Lolowai car c’est juste impossible, de toutes façons il faut l’annexe pour aller à terre, cette fois le chemin est juste un peu plus long mais spectaculaire …

C’est drôle mais l’accueil n’est pas le même sur toutes les iles, ici les gens ont du mal à répondre à notre salut, 3 hommes jeunes et désœuvrés nous ignorent dédaigneusement, nous partons à la découverte de l’île néanmoins, plus ou moins à la recherche d’un marché et d’éventuels légumes, un morceau de viande ne serait pas de refus mais que nenni, en revenant sur nos pas une fois arrivés au bout de la route (de la piste), que voyons nous sous un grand auvent en dur ? une grande table avec des grosses gamelles et des gens qui ont l’air de manger assis sur des tabourets, un resto ? nous allons voir …je demande à la dame debout derrière la table si on peut acheter à manger, non, la nourriture n’est pas à vendre, je comprends que c’est une espèce d’armée du salut pour indigents, je voudrais bien lui acheter du poulet et des légumes cuisinés puisqu’il y en a, mais non, bon, nous repartons mais n’avons pas fait 200m que j’entends une voix qui nous interpelle, nous nous arrêtons, une seconde dame arrive vers nous en courant avec 2 boîtes de fast-food dans les mains, essoufflée elle nous dit que c’est pour nous, je lui demande how much mais elle secoue la tête, it’s free, je comprends qu’ils n’ont pas le droit de vendre mais tout à fait celui de donner, ayant peur de priver quelque nécessiteux de sa pitance je lui conjure de garder les plats pour des gens qui en ont besoin (l’avantage de mon pitoyable anglais c’est qu’il est aussi compréhensible que le sien, nous nous comprenons donc fort bien) (keep it for people who need to eat !), mais ils en ont plus qu’il n’en faut et ça serait perdu, le capitaine refuse haut et fort, la dame insiste, le capitaine aussi, je tranche en lui prenant les plats des mains tout en disant au capitaine que là on va finir par la vexer, il se coite et obtempère, nous remercions vivement la dame et nous en retournons au bateau, c’est tellement adorable, ça me touche à un point pas possible, d’un côté il existe des restos luxueux qui vendent un plat plus cher que ce que certains gagnent en 1 mois, de l’autre des gens qui n’ont rien nous donnent à manger, dans quel monde préférer vivre dites moi … le capitaine écoute patiemment mes dires, j’aimerais bien vivre ici au milieu de ces gens, mais on doit se faire chier me remarque-t-il (son argument fétiche)

la banque de Lolowai
un beau moteur de 250 chevaux abandonné sur cette épave, quelle tristesse !

Et après ça, direction vers l’île Espiritu Santo, à Luganville, l’autre grande ville du Vanuatu, elle se trouve au sud-est de Santo (on dit Santo), ça paraît étrange parce que ce n’est pas abrité des alizées (dans l’hémisphère nord, ils soufflent du nord-est vers le sud-ouest, dans l’hémisphère sud du sud-est vers le nord-ouest), mais voilà, elle est protégée par l’île Aore …

C’est là que nous allons faire notre clearance de sortie, alors annexe pour un bon bout de chemin parce que les customs c’est loin du mouillage, c’est vrai qu’il nous faudrait un moteur plus puissant pour aller plus vite mais ce n’est pas encore fait, le capitaine a cependant tranché : nous allons retourner sur Nouméa pour aller chercher ce fichu moteur neuf et on sera tranquille (vu que celui de 250 chevaux ci-dessus ne peut pas faire l’affaire, c’est ballot).

Il n’est écrit nulle part dans le ciel que l’on peut toujours trouver ce dont on a besoin au moment où on le souhaite, les customs sont en réunion aujourd’hui, il faudra revenir demain, on revient demain, en taxi cette fois, hier on s’est fait tremper parce que dans le canal y’avait d’la vague, il nous faut nous rendre au bout de la cour inhospitalière dans un bâtiment immense et quasi vide, nous finissons par trouver le gars qui doit s’occuper de notre sortie, il a un bureau minuscule derrière une vitre en verre avec un hygiaphone, c’est plein de trucs empilés et il partage cet espace (si je puis dire) avec un autre individu, nous attendons dans une salle d’attente immense, carrefour de couloirs larges qui partent dans tous les sens, cet immeuble, lui, n’en a aucun … bon, il nous faut payer des droits et trouver à qui payer avant de revenir avec la facture acquittée et dûment tamponnée, nous partons à la recherche de quelqu’un mais ne trouvons que des petits bureaux vides derrière des vitres dans des couloirs qui résonnent comme des gymnases, guidée par une voix au micro je tombe sur une salle remplie de monde qui suit une formation ou je ne sais quoi, en tous cas il y a un diaporama, un micro et du café, le capitaine erre je ne sais où dans ce dédale, pourvu qu’il pense à émietter du pain pour retrouver son chemin, je m’adresse à une femme pour lui demander où et à qui on peut payer, s’il vous plaît on veut juste donner de l’argent, elle m’accompagne jusqu’à un bureau habité d’un monsieur à l’air tout à fait important et lui explique notre cas, le capitaine arrive pile pour payer mais là, problème pour avoir la facture, et sans facture acquittée tout le dispositif se bloque, on nous laisse poireauter dans un couloir qui pourrait abriter un bon quart des réfugiés ukrainiens, nous ne savons que faire, et puis Françoise déboule et vient à notre secours : ici il n’y a pas d’imprimante, il faut aller au service facturation pour faire imprimer notre facture, c’est dans quel bureau ? elle se gausse et nous embarque dans sa voiture pour faire quelques kilomètres jusqu’aux services ad hoc (elle me répond que ce sont les chinois qui ont construit l’immeuble dans lequel elle travaille), attendre notre tour, faire imprimer la facture et revenir, retourner chez le douanier récupérer nos passeports et la clearance de sortie, ensuite nous allons à l’immigration paumée plus loin que nous trouvons grâce à Google Maps faire tamponner nos passeports, une fois tout cela fait il est midi, que serait un tour du monde à la voile sans ces épisodes improbables, ni plus ni moins que d’une tristesse abyssale ! nous avons bien gagné d’aller faire un tour au marché.

la rue principale de Luganville
le marché avec des ignames, du taro, du manioc
ce ne sont pas des boxes à chevaux mais derrière chaque paire de volets il y a une cuisinière, on a choisi l’omelette plutôt que le poisson pas préparé, on est nareux

Avant de repartir sur Nouméa, en espérant que le moteur désiré sera bien disponible, nous faisons une escale sur la côte Ouest de Malekula, à Metenovor Bay

Il y a un lagon à visiter alors nous mettons l’annexe à l’eau, c’est dimanche, une nuée d’enfants endimanchés se ruent à notre rencontre avec des cris de joie, les filles en robe blanche, elles se tortillent quand je leur en fais compliment, les garçons en chemise blanche et short bleu marine rient de voir les filles se tortiller, tous sont fascinés par mes tatouages et trouvent l’annexe magnifique, ça me fait rire parce que l’annexe est moins remarquable que leurs barques de pêche qui ont des moteurs avec lesquels nous ne rivaliserons jamais, je me demande d’ailleurs avec quel argent ils peuvent acheter ce type de matériel, si c’est avec la vente de leur pêche et de pamplemousses, il faut quelques générations de labeur pour amasser une telle somme, nous demandons l’autorisation qui nous est accordée d’aller visiter le lagon en annexe, les enfants nous disent aurevoir avec des sauts et de grands signes de la main et repartent comme ils sont venus, en courant, sautant et criant de joie, à part l’homme à qui nous avons demandé l’autorisation nous ne voyons aucun adulte, c’est jour de repos.

Et on s’en retourne donc demain sur Nouméa plutôt que de filer directement sur l’Australie …

la nuit tombe sur notre dernier mouillage au Vanuatu

Et c’est pour qui le bonus ?

  • Les habitants du Vanuatu sont appelés officiellement des Ni-Vanuatu – ou Vanuatais en français -mais quand on a la classe on dit Ni-Van
  • Le bananier pousse ainsi : une branche feuillue sort de son rhizome, les feuilles s’enroulent les unes sur les autres pour former un faux tronc. Lorsqu’il y a 20 à 30 feuilles un bourgeon floral apparait. C’est à partir de ce bourgeon que va se constituer le régime de banane. C’est une plante hermaphrodite qui se suffit à elle-même pour croitre. Le régime de banane est constitué d’une fleur mâle en bout de tige (la popote) et d’une multitude de fleurs femelles, qui deviendront le fruit.Un plant de bananier est exploité pendant environ 5 ans. Au bout d’un an environ une fleur se forme supportant le régime. Celui-ci met 4 mois à grossir avant récolte. A la récolte, le régime est coupé et le « tronc » est sectionné à la base des feuilles (environ à mi-hauteur). Le tout reste au sol pour éviter ou limiter l’apparition de mauvaises herbes et ainsi en pourrissant cela enrichir le sol. Le reste du tronc permet un transfert de sève au nouveau rejet par gravitation. On prélève un rejet pour faire un nouveau bananier.
  • Le kava ou kava-kava ou kawa-kawa, ou poivrier enivrant – piper methysticum – est consommé depuis des milliers d’années par les indigènes des îles du Pacifique Sud.  Kava signifie amer, son nom tourne autour de cette notion d’amertume. C’est intéressant parce qu’en Pharmacopée Traditionnelle Chinoise, la saveur amère est utilisée pour faire descendre la Chaleur qui agite les gens. Le kava se consommait uniquement à la tombée de la nuit, au moment où le monde des hommes et des ancêtres se rejoignaient. Le moment du kava était aussi une sorte prière afin de demander une bonne récolte, la venue d’un enfant, une bonne santé. Sous l’emprise du kava, certains buveurs rêvaient éveillés et partageaient leur vision. On disait que les ancêtres s’exprimaient au travers d’eux. Traditionnellement, la mixture est réalisée à partir de la racine. Les hommes la mâchent avant de la recracher sur une feuille de bananier. Après l’avoir laissée reposer au soleil, on obtient une pâte qui sera filtrée avec de l’eau et consommée dans une demi noix de coco, la shell. Le kava se boit d’un trait et le résidu en bouche doit être recraché. Le buveur crache à terre, ou en l’air, la première ou la dernière gorgée, selon l’île et la coutume. Mais quel que soit le détail du rite, cet acte a pour symbole de mettre en relation l’intérieur avec le dehors. Un mouvement du breuvage de l’intérieur vers l’extérieur concrétise l’accord total entre l’être et la nature. Au vu de son caractère sacré, les femmes n’étaient pas autorisées à en consommer dans les tribus du Pacifique mais maintenant elles ont le droit d’en boire, aussi il y a un laisser-aller qui va de mal en pis, c’est Marie-Claude qui m’a renseignée sur ce fait qu’elle a constaté au fur et à mesure de ces dernières années. Le kava n’a fait l’objet d’essais cliniques qu’à partir des années 1990. Son efficacité contre l’anxiété a notamment été démontrée grâce à une méta analyse publiée en 2003 par l’indépendante collaboration Cochrane. En 2005, une nouvelle méta analyse allemande, concernant un extrait de kava particulier, le WS1490, a montré que des extraits pouvaient être considérés comme « des alternatives aux benzodiazépines, aux inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) et à d’autres antidépresseurs dans le traitement des troubles anxieux non psychotiques ». Mais le kava présente aussi de sérieux effets secondaires. Au début des années 2000, plusieurs patients traités au kava ont présenté des dommages au foie, parfois très graves. Conséquence : la même année, plusieurs pays interdisaient la consommation de kava et de ses extraits. C’était le cas de l’Espagne, du Portugal, du Royaume-Uni, du Canada, de l’Australie et de la France… Cette éventuelle toxicité serait due, selon certains chercheurs, non pas à la plante elle-même mais au produit que les allemands fabriquaient, ils auraient utilisé les feuilles alors qu’il ne faut prendre que les racines. Malgré tout, les exportations de kava sont en constante augmentation, il y a un boom des bars à kava aux Etats-Unis, et cela fait monter le prix, certains craignent que les Ni-vans ne se tournent vers l’alcool car le marché local va s’effondrer à ce tarif (il est passé de 400 à 1000 vatus le kilo).

J’ai récolté des tonnes de données sur les utilisations médicinales des plantes du Vanuatu, un travail énorme !

  • Un peu d’histoire : au début du 17 ème siècle, le Portugais Fernandez de QUEIROS part du Pérou et croit avoir découvert le continent Austral qu’il appelle « Australia del Espirito Santo ». En 1768, Antoine de Bougainville quitte la France pour effectuer un voyage d’exploration : il découvre les îles de Pentecôte, Aoba et Aurora (Maevo) qu’il appelle Les Grandes Cyclades. Le Britannique Cook y aborde le 16 juillet 1774 et en dresse un relevé. Il leur donne le nom de Nouvelles Hébrides, qui restera en vigueur jusqu’à l’indépendance en 1980. La plupart des îles gardent le nom donné à cette époque : Tanna, Erromango, Ambrym. En 1789 arrive le célèbre mutin du Bounty, William Bligh. Il découvre d’autres îles et revient en 1792 confirmer ses découvertes. Le commerce du bois de santal, florissant au début du 19 ème siècle, cesse en 1868 pour laisser la place aux blackbirds, recruteurs de main d’œuvre pour les industries de canne à sucre de Fidji et du Queensland, les mines de nickel de Nouvelle-Calédonie, et les plantations de cocotiers des Samoa occidentales. Les premiers missionnaires presbytériens arrivent au Vanuatu en 1839, suivis en 1860 par les Anglicans et en 1887 par les Catholiques. Les infections apportées par les navires (choléra, petite vérole, grippe, pneumonie, fièvre jaune, dysenterie ) provoquent des épidémies dans la population, faisant passer leur nombre d’environ un million au début du 19 ème siècle à 41.000 habitants en 1935.  Les premiers colons débarquent d’Europe en 1854. Alors que les Britanniques sont négligés par leur pays d’origine, les Français sont quant à eux soutenus par la France, et prospèrent. En 1882, John Higginson, spéculateur terrien français d’origine irlandaise, fonde la Compagnie Calédonienne des Nouvelles-Hébrides (CCNH). Il acquiert plus de 20 % des terres exploitées par les Britanniques et les chefs locaux. En 1894, rebaptisée Société Française des Nouvelles-Hébrides (SFNH), la Compagnie possède 55 % des terres cultivables du Vanuatu. Pour mettre fin à la rivalité existant entre les deux communautés, les deux puissances coloniales créent en 1887 une Commission navale mixte, reconduite sous la forme d’un condominium franco-britannique. Le 27 février 1906, le Condominium franco-britannique des Nouvelles-Hébrides est créé en réponse à l’expansionnisme germanique dans la région. Ces accords établissent une influence égale entre les deux pouvoirs coloniaux, sans souveraineté exclusive. Les Français et les Britanniques ont des droits égaux tandis que les Ni-Vanuatu n’ont aucun Etat officiel. Chaque communauté a des services propres. Il existe deux polices, deux services de santé, deux systèmes éducatifs (ce qui est toujours le cas) deux monnaies et deux systèmes pénitentiaires. Du début des années 60 jusqu’à l’indépendance en 1980, des luttes intestines font rage (j’ai pas le courage de tout raconter, c’est trop compliqué), la République du Vanuatu devient indépendante le 30 juillet. Le nouvel Etat adopte un régime de type démocratique parlementaire. La réalité du pouvoir est détenue par le Premier ministre. Les langues officielles reconnues par la Constitution sont le bishlamar, l’anglais et le français. L’économie est essentiellement agricole. Bien que 95 % du territoire soit impropre à la culture en raison du relief montagneux, l’agriculture occupe 70 % de la population active, et représente plus de 75 % des exportations : copra (55,72 %, les principaux marchés de copra sont les Pays-Bas, la Belgique et la France), kava (19,58 %), bois (17,44 %), bœuf (12,42 %, essentiellement vers le Japon), cacao (6,5 %). Le tourisme, qui emploie 3 % de la population active reste peu développé avec environ 100 000 touristes par an.

Où je découvre le Vanuatu avec le capitaine

(le point rouge c’est là où ‘il y a eu un séisme) ( il y a en souvent) (ça fait autant d’alertes tsunami)

Avant d’arriver sur la première île du Vanuatu, à savoir Tanna parce qu’on veut y voir un truc très spécial, il faut y aller, nous partons donc la fleur aux dents sur le coup de 9h du mat’ (pas mal hein), 150 miles, une paille … sauf qu’on se les tape au près bon plein avec 25 nœuds de vent, le bateau tangue et c’est brutal, impossible de s’allonger dans le carré car on décolle de la couchette, le capitaine et moi sommes allongés tels deux gisants sur la couchette arrière, un traversin entre nos deux corps pour éviter de se rouler l’un sur l’autre, t’avoueras que c’est pas de chance, on n’a pas faim, mais alors pas faim du tout, pourtant nous savons qu’il nous faut manger pour ne pas être malade alors on suçote des biscottes allongés en foutant des miettes plein le plumard, parfois l’un ou l’autre s’assoupit quelques minutes avant d’être réveillé en fanfare par un choc carabiné, parfois l’un ou l’autre a le courage d’aller voir dehors s’il n’y aurait pas un cargo pile là où on passe, t’avoueras encore que ça serait la guigne, la nuit n’en finit pas …

en vrai c’est beaucoup moins joli que mon très joli dessin, et ça éclabousse tout

L’idée c’est d’aller à Lenakel, pas qu’on ait envie particulièrement de passer par là, mais on n’a pas trop le choix pour faire la clearance car oui, il ne faut pas oublier cette satanée clearance, le capitaine a fait tous les papiers et les a envoyés par mail en demandant s’il était possible s’il vous plaît respectueusement de faire la clearance à Port Résolution puisque c’est là que nous voulons aller merci de votre compréhension, il n’a pas eu de réponse, l’idée, donc, est de ne pas transgresser les us et d’aller à Lenakel, y arriver assez tôt pour avoir le temps de faire les paperasses afin de filer de suite à Port Résolution parce qu’il est de notoriété que le mouillage de Lenakel est pourri, entendez par là qu’il est rouleur et ventilé et je dois dire que parfois on en a marre que ça ballotte, c’est rien de le dire. On y arrive quand le jour est levé, il y a des reefs avec des vagues qui déferlent et il faut faire bien gaffe, je n’ai pas pris de photos parce que j’étais ce qu’on appelle décalquée, genre tu penses à rien, juste bonne à faire une chose à la fois, et encore, on met l’annexe à l’eau et on file vers le quai où est amarré un petit cargo, on voit de suite que le quai n’est absolument, mais ce qu’on appelle ab-so-lu-ment pas pensé pour les plaisanciers, on doit escalader un bout de mur visqueux pour atteindre de la pointe d’un pied une marche d’escalier poisseuse, Edmond Dantès qui s’évaderait du château d’If en patinant sur les algues (on se rappellera son réel plan judicieux) , le capitaine ne cesse de me mettre en garde attention ça glisse, fais attention isabelle, mets ton pied là, ça glisse, ta main plutôt ici, heureusement qu’il n’est pas comme ça dans toutes les situations.

Brève présentation afin que vous sachiez où on met les pieds avant que je ne vous emmène plus avant – un condominium c’est un immeuble en copropriété dans un pays anglo-saxon – en droit, c’est l’autorité suprême c’est-à-dire au-dessus de tout, exercée au sein d’un même territoire par diverses puissances (autorité, suprême, tout ce que j’aime)

Le hic avec ce condominium, c’est que certains parlent plutôt anglais, d’autres plutôt français, ça dépend s’ils sont allés dans une école ou une autre, sinon ils parlent le bislama ou  bichelamar, qui est un pidgin (langue véhiculaire faite à base d’anglais et de langues d’Extrême-Orient), et il y a en plus 117 autres langues vernaculaires ( = propres au pays) parlées seulement par 275 000 personnes, ce qui revient à dire qu’en moyenne il n’y a que 2350 personnes pour parler une même langue, Françoise nous racontera qu’elle pouvait parler avec sa mère mais pas avec son père car elle ne connaissait pas sa langue, ils pouvaient juste échanger un peu en bislama, bref, on demande à droite et à gauche si quelqu’un sait où se trouvent les customs, on nous fronce-sourcille en guise de réponse, nous signifiant par-là, probablement, qu’on ne capte rien de rien, et puis nous voyons une bicoque avec un panneau office de tourisme, dieu existe, dieu pourvoit, je ne le dirai jamais assez, le gars derrière son comptoir a fait des études à Nouméa et parle français, alléluia, il téléphone au gars des customs qui viendra avec sa bagnole tout à l’heure, on a le temps d’aller chercher des sous à un distributeur ou dans une banque ? oui on a le temps, il faut juste surveiller si on voit passer la caisse du douanier (j’ai enfin compris que les customs ce sont les douanes, customs est un faux-ami car ça ressemble à customer, le client, alors quand je pensais qu’on demandait aux gens où se trouvaient les clients, je n’étais pas étonnée qu’ils ne le sachent jamais, des clients de quoi ? En même temps, ils ne savent jamais non plus où se trouvent les douanes, je ne suis pas plus avancée d’avoir compris le truc, j’ai juste l’air moins con) (je ne l’ai pas dit au capitaine, ne vendez pas la mèche)

le marché de Lenakel

On se fait expliquer où trouver un ATM (partout où je suis allée dans le monde, on demande où on peut trouver un èye-ti-ème et tout le monde sait de quoi on parle), il y en a 2, aucun ne fonctionne, à la banque on nous renvoie aux distributeurs, et de retour aux distributeurs, ça ne fonctionne pas plus, on y croit alors on fait quelques allers-retours, je guette toutes les voitures pour voir si le custom passe, on nous apprend qu’il y a une panne d’internet alors on peut se brosser pour retirer des Vatus, soit la monnaie locale. Mais dieu existe, dieu pourvoit, et le capitaine est en l’occurrence l’épée de dieu, son glaive, sa machette, son couteau-suisse : il a des dollars américains sur lui et peut les changer dans un Western Union, je l’attends sur le trottoir parce qu’à l’intérieur il fait une chaleur de gueux et, comme vous le savez, quand je ne dors pas et que je ne mange pas assez, je tombe dans les pommes, on va éviter. Et je fais bien car je vois passer un gros pick-up de mégalo flanqué d’un imposant autocollant des customs, alors je lui fais un grand signe dont il se contrefiche et lui court derrière avec mes sabots en plastique, le douanier se gare et descend de sa voiture, il est immense et large et moustachu et noir et chauve avec des petits yeux qui me regardent comme une merde, c’est pas gagné de réussir à faire nos paperasses vite fait, je lui chante mon petit couplet que hello Sir (je caresse dans le sens du poil) we  arrived this morning in the sailing vessel just here (signe du doigt l’appui) and we want to do the clearance please, il me répond en anglais qu’il faut retourner au bateau et qu’on sera appelé à la VHF, je lui demande si on devra lui donner du pognon, genre I must give you money ? (je ne sais pas si j‘aurais dû dire « do I must give you money ? » ou autre forme interrogative, je suis un drame, ma frangine va être effondrée) et là il me regarde comme si je voulais le corrompre, ses petits yeux enfouis dans son visage moite de chaud me fusillent, je voudrais lui dire que je voulais juste savoir si la clearance a un coût, je cherche encore les mots, mais il a tourné les talons et m’a plantée là, je vais éviter de tout raconter au capitaine si jamais on nous laisse poireauter 2 jours ici pour me punir d’avoir voulu suborner un officiel, il faut filtrer ce que l’on dit, le monde est rempli d’incompréhension en tous genres … je retrouve le capitaine et lui transmets qu’il faut retourner au bateau attendre qu’on nous appelle à la VHF, mais d’abord on passe acheter une carte SIM Digicel, la boutique c’est un container rouge, une nana m’installe une carte SIM en m’expliquant le système local, c’est dingue que ça ne soit pas le même partout, un des plus compliqués c’était en Nouvelle Calédonie, quand je voulais recharger ma carte, déjà il fallait que l’application fonctionne, ensuite ça m’envoyait un code par mail, il fallait que j’appelle un numéro de téléphone et que je tape le code que j’avais reçu, enfin tous les jours il fallait que j’envoie IMD par SMS sinon ça se coupait, et le gars qui a inventé ça a été payé, bref, la nana me donne 3 numéros à appeler pour faire ceci ou cela, je lui redemande 2 fois et finit par le lui faire écrire sur bout de papier, je réclame une facture, elle me regarde interloquée, pourquoi pas une locomotive, elle ne doit même pas savoir de quoi il s’agit.

On repart donc sur le bateau, en manquant de se faire aplatir entre le petit cargo et le quai quand on reprend l’annexe,  et on nous appelle 1 heure plus tard : il faut revenir sur le quai, les papiers se font debout à côté du pick-up de Roméo qui est venu s’occuper de nous, il est bien plus gentil que l’autre de ce matin, une fois reparti puis revenu avec le bon tampon à appliquer sur les papiers, il nous enjoint d’aller à l’immigration, peut-il nous y emmener lui proposé je, non, il faut prendre un taxi, soit. Nous trouvons un taxi devant le marché, il y a des taxis devant tous les marchés du monde.

à gauche, les locks du conducteur qui trafique sous son volant pour démarrer sa chiotte

Chouette taxi, très couleur locale, on serait dans un film qu’on trouverait ça cliché, le conducteur bidouille sous son volant pendant 5 bonnes minutes avant de réussir à le démarrer mais c’est parti, c’est cool, on va voir du paysage, quand la route monte il donne des petits coups de frein secs, ce qui est surprenant car les freins sont plutôt destinés à la descente crois-je bien, on comprend vite qu’ils ne marchent pas terrible les freins, le pacifiste rasta me donne l’impression de craindre que sa chignole ne se mette à dévaler en marche arrière, je suis contente d’arriver, il faut finir la route en montant à pied une piste raide et défoncée jusqu’au bureau de l’immigration, comme je marche le nez en l’air je vol-plane et me vautre dans la terre, ça me cochonne tout mon bermuda et mon tee-shirt, j’arrive sale comme un peigne et en boitillant dans le bureau, il y a des jours où on est moins à son avantage que d’autres…

Un peu de Lenakel

Une fois les papiers faits en bonne et due forme, on rentre en stop, le premier pick-up qui passe nous prend, un autre fonctionnaire de je ne sais plus quoi, tu vois, dis-je au capitaine, c’est pour ça qu’il faut prendre les gens en stop quand on a une voiture, comme ça on est pris quand nous on en fait, c’est la loi du Karma, il sourit en haussant les sourcils d’un air on ne peut plus dubitatif, c’est tout lui la dubitation.

Il est 14 heures, on arrivera de nuit à Port Résolution mais on y va, sachant qu’on sera au près et qu’on va encore se faire secouer mais ici ça roule trop alors aucun intérêt de rester, donc hisse et ho. Le capitaine part faire un somme quand la nuit tombe en me confiant la bonne marche du navire si je puis dire, il pleut d’une bruine toute bretonne alors je reste à la table à carte avec la télécommande du pilote en main, à chaque risée, et les risées se suivent, le bateau gite et lofe (giter fait lofer, le capitaine m’a expliqué pourquoi, euuuuh, une histoire de couple de rappel peut-être ? Archimède quelque part dans l’histoire ? …bon, il suffit de retenir l’essentiel : giter fait lofer) (pour les néophytes, et bien que j’expliquasse différents concepts au fil de mes articles, giter = pencher et lofer = se rapprocher du vent), je corrige le cap, en plus on longe la côte, je ne veux pas finir comme Bright Star, rappelez vous de Bright Star, le catamaran de Franz, le copain de Sylvain et Isabelle d’Oxygen que nous avions rencontrés au Tuamotu et avec qui nous avions passé un très chouette 15 août ! Et bien Franz est retourné vivre en Australie après avoir fracassé son cata sur un reef, on ne sait pas s’il était endormi ou bourré, toujours est-il … Quand le capitaine émerge, et je dois dire que j’admire qu’il soit capable de roupiller comme un enfant quand on a du vent, des vagues et de la gite ainsi que nous en avons, il regarde notre trace sur Navionics et s’exclame

– Tu t’es débrouillée comme un chef !

Je ne sais jamais s’il se fout de ma gueule, il me félicite sur le même ton que si j’avais réussi à empiler des cubes.

L’arrivée se révèle un peu tendue dans la baie de Port Résolution, il fait nuit noire, l’entrée de la baie est étroite et il n’y a pas beaucoup de fond, pour affaler on y va dare-dare, je suis à la barre pendant que le capitaine fignole le rangement de la GV, mais où tu vas ?!  il m’a demandé d’aller vers les autres bateaux dont on voit les feux de mouillage, et je vais carrément à la perpendiculaire, ça cafouille dans ma caboche, je suis perdue, il me reprend d’urgence la barre et corrige le cap, je comprendrai plus tard qu’il y avait des lumières sur la côte et que je les avais confondues avec les feux de mouillage des bateaux, oublié le tu t’es débrouillée comme un chef … on dîne et on se couche sans se faire prier, que celui qui n’a jamais péché me jette la première pierre.

Le lendemain nous sommes d’attaque, annexe à l’eau, on s’arrête près d’un bateau français pour leur dire bonjour, Bernard, Alice et leur petite Léonie, ils ne sont pas passés par Lenakel pour la clearance, comme nous ils avaient envoyé un mail, on ne leur avait pas répondu non plus mais, forts de leur démarche, ils sont venus directement ici car ils avaient appris qu’un gars des customs vient 2 fois par semaine à Port Résolution faire les papiers pour les bateaux arrivés directement ici, bon bon bon, on dirait qu’on n’est pas malins,

– et pour l’immigration vous faites comment ?

– ah là, il faudra tout de même aller à Lenakel, on va voir si on peut nous trouver une bagnole

Ah ! pas si malins, il n’y a pas de loueur de bagnole dans le coin !

On continue pour aller à terre, à droite il y a une plage avec des pirogues et une ou deux annexes, à gauche une plage vide, le capitaine choisit celle de gauche, c’est un aventurier, moi j’aurais choisi celle où il y a déjà du monde, pas par facilité mais par déduction (par facilité). On slalome dans les cailloux et on tire l’annexe au sec, la vue est belle :

oh la belle vue, les plus sagaces sauront reconnaître Cap de Miol

On déambule sur la plage pour trouver un chemin, nous finissons par en deviner un qui s’enfonce vers l’intérieur et nous nous y engageons, sans trop savoir où nous allons … c’est la jungle, des bouts de chemin s’en vont d’un côté ou d’un autre, nous revenons sur nos pas, tentons les uns ou les autres,

Captain in the jungle

je commence à croire que nous allons nous perdre bel et bien, je me dis qu’on pourra toujours retrouver la mer, c’est comme une boussole, mais à force d’errer de droite et de gauche, on arrive sur un chemin plus large et on tombe sur un gars qui nous fait signe de le suivre, je lui dis que nous voulons aller voir le volcan (we want to go to the vulcano) (c’est ça le truc spécial qu’on est venu faire ici !) et il répond qu’il faut aller voir Stanly, on a gagné notre journée ! que je dis au capitaine, qui me répond qu’il le savait, il l’a lu sur un des sites de navigateurs, Navily je pense, quand on veut voir le volcan il faut trouver Stanly, ça s’écrit peut-être Stanley mais ça se dit Stanly.

Nous entrons dans Port Résolution, du nom du navire de James Cook (encore lui), on pourrait penser qu’il a découvert le Vanuatu mais que non point, c’est le Portugais P. Fernandes de Queirós qui a découvert une partie de l’archipel en 1606, puis d’autres îles par Bougainville en 1768, et enfin Cook en 1774 en a dressé un relevé et lui a attribué le nom de Nouvelles-Hébrides.… des enfants jouent et nous font des signes, des petits garçons hauts comme 3 pommes traversent un chemin la morve au nez, la machette à la main, le regard qui se veut être celui d’un dur, je leur fais des petits coucous de la main, regrette de n’avoir pas de bonbons à leur donner, et puis Stanly arrive, un homme plutôt petit, je ne saurais dire s’il a plutôt 30 ou 40 ans, mince sans être sec, en bermuda et torse nu, il tiraille les poils de sa barbichette l’air ennuyé, nous parlementons car c’est lui le préposé au volcan et le capitaine voudrait y aller aujourd’hui, mais on n’a pas réservé pensé je, ce n’est pas ça qui dérange Stanly :

– Il y a eu un mort ce matin dans le village et c’est moi qui dois m’occuper de tout (il l’a dit en anglais, j’ai compris mais je vous le fais en français, merci de votre compréhension compassion)

Je lui affirme que je comprends et demande si quelqu’un d’autre peut s’occuper de cette affaire, il tiraille sa barbichette avec encore plus de frénésie :

– C’est que c’est le conducteur qui amène les gens voir le volcan qui est mort

Ah crotte. Tintin pour le volcan. Je me garde d’exprimer notre manque de chance et prends un air affligé de circonstance, c’est moche pour le monsieur mais en même temps on ne le connaissait pas, la mort des inconnus a moins de réalité, toujours en triturant ses poils au menton, Stanly prend un téléphone portable dans sa poche pour tenter de trouver un autre conducteur, nous explique qu’il faudra trouver aussi une autre voiture, on devine à voir l’environnement qu’il n’y en a pas à tous les coins de rue, il nous renvoie dans notre bateau en nous promettant qu’il passera nous voir vers midi pour nous dire s’il a trouvé ce qu’il faut, il faudra payer 22000 Vatus (en gros 170 €), les prix sont internationaux ici comme ailleurs, y’a pas de raison.

Nous voulons retourner à la plage où nous avons laissé l’annexe mais tournons en rond dans ce village très étendu, un véritable labyrinthe, des enfants nous déboulent dans les pattes, yacht club ? yacht club ? on répond que oui sans savoir ce qu’ils veulent, ils nous emmènent jusqu’au yacht club dévasté, le capitaine me dit qu’il en avait entendu parler.

l’intérieur du yacht club, quelle tristesse, ça devait être pittoresque de boire un pot ici

Je leur demande où est la plage, et puis where is the beach, ils sont trop petits et ne connaissent ni l’anglais ni le français, ils se marrent comme des fillettes à un anniversaire, et puis une plus grande arrive, elle comprend, nous montre un chemin, on retombe sur la plage avec notre annexe presqu’aussitôt, c’est là qu’on voit qu’on avait fait un sacré détour à l’aller !

A midi, Stanly, cochon qui s’en dédie, passe en pirogue nous prévenir que ça sera possible demain, le lendemain nous nous pointons sur la plage de droite, arrivée directe au bled, c’est Werry qui nous accueille et comme on poireaute un bon bout de temps, je papote avec lui, il me fait goûter des navelles, me montre les arbres qu’il a lui-même plantés près de chez lui, me raconte qu’ici on se soigne en famille avec les plantes de l’île, que chaque famille a des connaissances spécifiques, si on a mal à la tête on va voir telle famille, si c’est mal au ventre c’est une autre, il n’y a pas de guérisseur, la santé de tous est une affaire de la communauté. Le véhicule qui doit nous emmener au volcan nous interrompt, merci Werry.

visitez Lenakel !

Nous pensons, au démarrage, que la piste chaotique va bientôt rejoindre une route plus traditionnelle, mais visiblement la tradition ici ce sont justement les pistes ravinées…

c’est la route principale

… qu’à cela ne tienne, nous en avons vu d’autres, quand soudain le pick-up tourne à 90 degrés et s’arrête devant un hôtel tout ce qu’il y a de plus hôtel où attendent quelques dizaines de personnes et d’autres pick-up, c’est quoi cette histoire ? nous ne sommes pas les seuls à aller voir le volcan ?! ils sortent d’où tous ces gens, mais ils sortent d’où ces acrobates avec leurs costumes de papier ?

Il y a 2 groupes, on nous envoie rondement vers celui où une jeune femme explique en français les règles de sécurité au bord du volcan, dit que ça gronde et que ça tremble et qu’il ne faut pas courir au bord du cratère, l’autre groupe est anglais, vous v’nez d’où ? je demande, ils viennent ici pour voir le volcan, dorment dans cet hôtel et repartent ensuite, d’autres retournent directement à l’aéroport, ils pensent déjà aux 2 heures de piste qui les attendent encore avec des mimiques de condamnés, on croit arriver dans l’île du bout du monde et on tombe sur une attraction touristique, c’est dingue, on nous fait signer une décharge comme en Amérique et remonter en voiture pour continuer vers le volcan en procession, je me crois dans le Pic de Dante, je n’en reviens pas.

à la queue leu leu

On nous débarque sur un parking et on monte en file indienne sur le chemin balisé jusqu’au cratère qu’on entend gronder …

la même coupe de cheveux exactement

Le  volcan Yasur sur l’île de Tanna est le plus accessible des volcans en activité dans le monde, il doit son nom, en langue locale, au dieu qui est à l’origine de la création de l’archipel du Vanuatu.

Il y a des excursions quotidiennes pour les personnes qui viennent le voir du monde entier, nous attendons que la nuit tombe pour mieux voir les projections de magma, le vent souffle et il fait frisquet, je sors mon bonnet.

on est au vent, ça évite de se prendre les bouffées de souffre dans les narines et de voir les gens tomber comme des mouches

Le sol est meuble et je ne me risquerais pas à aller le voir de trop près mais je m’avance tout de même …

ça gronde et ça vibre sous les pieds, c’est encore mieux que Disneyland

Plus la nuit tombe, plus on voit mieux

Le capitaine est au bord du gouffre

Il est l’heure de rentrer, le spectacle est terminé, on repart avec nos lampes frontales, un autre pick-up nous ramène à Port Résolution, je dis au capitaine que la route fait partie intégrante de l’aventure, il me demande si j’ai aimé, tu penses, j’ai adoré !

Demain on change d’île.

ils ont des super belles poules à Port Résolution

And now, here it is more and more especially for U !

  • Dans le Comte de Monte Cristo d’Alexandre Dumas, Edmond Dantès prend la place de son ami décédé dans le sac mortuaire et est jeté à la mer par les gardes de la prison (il ne patine donc point sur les algues d’une escalier en pierre, mais dans une autre version il aurait tout a fait pu). Ce récit d’évasion a donné lieu à une épreuve de nage en mer de 5 km qui se déroule tous les ans à Marseille : le Défi de Monte-Cristo.
  • La loi du Karma : est une loi universelle qui peut se résumer au proverbe on récolte ce que l’on sème. Elle met en avant l’idée selon laquelle chaque action entraîne une réaction. Ainsi, l’énergie (pensée, action) que nous mettons dans le monde a une répercussion, immédiate ou future. On parle également de la loi de cause à effet. Notre vie entière est régie par un système d’action-réaction ou de cause à effet. D’après les croyances hindoues, tout ce qui nous arrive a lieu en raison des actions passées et les actions du présent affectent les vies futures. La loi du karma nous permet de comprendre que notre vie actuelle est à 100 % le résultat de nos actions, paroles et pensées précédentes. Elle nous rappelle par ailleurs que chaque action que nous entreprenons est comme une petite graine que nous mettons sous terre. Elle finira par pousser et, tout comme dans la nature, certaines graines murissent plus rapidement que d’autres. Ainsi, l’effet de certains de nos actes peut être rapide et pour d’autres pourraient prendre des décennies, voire des vies. Mais, une chose est certaine, ils nous reviendront et nous devrons faire face au résultat. D’après la loi du karma, l’énergie revient à nous tel qu’elle a été mise en œuvre. À l’image de la balle de tennis qui rebondit une fois lancée contre un mur, ce principe stipule que chaque action, parole ou pensée nous revient soit en mal soit en bien. Chez les hindous, chaque vraie bonne action engendre le dharma et chaque mauvaise actionne une dette karmique. Si nous voulons donc avoir un bon karma (la paix, l’amour, l’harmonie, la prospérité, etc.,), nous devons agir en conséquence.
  • Pourquoi le bateau lofe à la gîte (vous me direz si vous avez retenu quelque chose, ou même simplement compris ce que le capitaine a tenté vainement de m’expliquer) (ça me ferait chialer si je devai apprendre ça pour une interro) : https://www.culture-maritime.com/fr/page-he5_cours.xhtml
  • L’inénarrable Pic de Dante, avec l’incommensurable Pierce Brosnan, Dante’s Peak, à ne pas confondre avec la chanson Don’t speak de No Doubt : https://youtu.be/js_9broS1NI – et la chanson si vous êtes un nostalgique de 1995, aaaaah 1995 ! https://youtu.be/1leInEAlbjY

De la loyauté, des prières & de la sorcellerie

C’est samedi, bon sang ce que ça passe, on s’en retourne à l’anse Majic de la baie de Prony pour dormir tranquillou avant de continuer le dimanche sur Lifou, une des îles Loyauté, on en a en gros pour une vingtaine d’heures alors pas besoin de partir tôt, on se rend sur avec un bon vent au portant, ça réconcilie avec la plaisance et c’est fou ce que ça me soulage, la photo d’en haut c’est Lifou au petit matin, comme vous le constatez c’est tout plat, quand on voit une île on a l’impression qu’on est presque arrivé mais c’est trompeur, souvent il y a encore un bon bout de chemin à faire, surtout si on doit en faire le tour. Lifou c’est Drehu en langue drehu, et l’origine du nom de Loyalty Islands remonte aux navires de commerce britanniques qui ont découvert fin du XVIIIe siècle des insulaires honnêtes et amicaux, le ton était donné.

je vous ai mis le parcours en rouge, je vous mâche le boulot (en vrai, on a serré plus près de l’île, on évite le chemin inutile)

Nous arrivons enfin dans la marina de , toute petite la marina, et pas profonde, nous avançons avec l’œil rivé sur le sondeur, il y a longtemps que nous n’avons pas râclé le fond et ce n’est pas aujourd’hui que nous allons réitérer ce genre d’exploit nous sommes-nous promis en notre for intérieur chacun de son côté, on nous a indiqué une place il y a 2 jours par mail parce qu’aujourd’hui c’est lundi mais c’est Pentecôte, tout est fermé, no body à la capitainerie, heureusement une nana qui habite sur un bateau voisin nous file un badge pour nous permettre de sortir du ponton afin, entre autres, de se rendre aux sanitaires … les sanitaires ! bon, le WC passe encore, il est relativement récent, je lui file un petit coup de nettoye et puis ça va, mais la douche, la douche ! elle n’a jamais dû voir d’éponge, la vasque est crasseuse, vaseuse, poisseuse, je me lave sur la pointe des pieds que je désinfecte ou quasi une fois revenue au bateau, une fois cette précaution prise je range je lave j’essuie (à l’occasion je pique aussi, à la machiiii-neuh), le capitaine s’en va faire un tour, ici la nuit tombe tôt, elle est déjà répandue partout quand il revient, un peu dépité, mais pourquoi ce faciès désappointé ô capitaine ?

– biiiiiin, c’est que je suis parti pour trouver un resto mais ….

Mais il n’a trouvé qu’un snack chinois et il a réservé car c’est MON ANNIVERSAIRE !

le snack chinois de Wé, ouvert les jours fériés, ouvert le soir, j’irai allumer un cierge

C’est tellement gentil d’y avoir pensé (en même temps il est entraîné depuis moult, c’est le même jour que sa maman), je commande des crevettes et du riz, le capitaine un Pad Thaï (jubilation contenue) et, incroyable, ils ont du vin, une petite bouteille comme dans les avions dis donc, du pays d’Oc, à se croire à la maison, ça fait l’affaire, je n’aurais jamais cru trouver un resto quel qu’il soit sur cette île quand je vois comme on a ramé sur le Caillou ! Après avoir fêté dignement l’évènement nous nous couchons tôt, demain on fait le tour de l’île donc il faudra tomber de la couchette dès l’aube pour rentabiliser la location de la voiture, le capitaine est très à cheval sur la rentabilité.

Aussitôt tombés de notre couchette, route vers le Nord, baie du Santal, la grande baie côte Ouest, du santal mesdames messieurs, oui, du santal ! je veux voir les forêts de santals ! rien que d’y penser j’ai son odeur voluptueuse qui m’envahit, mmmmmmh du santal ! Dès le découverte de Lifou (attribuée au navigateur français Jules Dumont-d’Urville en 1827 qui a établi une cartographie complète des îles Loyauté en 1840) l’appât du bois de Santal a attiré des trafiquants, mais loin de nous l’idée de trafiquer quoi que ce soit, d’autant que pour couper un arbre il faut l’accord des chefferies et des clans gardiens de la terre, ça ne rigole pas, le grand chef Ukeinessöti Sihaze a validé la coupe de bois de santal vert par un acte coutumier avec une condition : que le bois soit vendu à une usine de santal basée à Lifou, il n’a pas perdu le nord. La bonne nouvelle c’est que pour un arbre coupé, l’exploitant doit en planter trois, il faut quand même attendre 25 à 30 ans pour que l’arbre atteigne sa maturité, il ne faut donc pas couper à tout va, déjà qu’il a pénurie et que des chimistes travaillent sur des molécules de substitution comme le Sandalore ou le Polysantol… je vous le dis parce que quand on utilise une goutte d’Huile Essentielle de Santal, on ne sait rien de tout ça, on est au bout de la chaîne sans se douter … doutons nous, doutons nous !

Le Santal désigne certains bois appartenant principalement au genre Santalum, de la famille des Santalacées. Ces espèces d’arbres poussent naturellement en Inde, au Népal, en Australie, en Nouvelle-Calédonie, au Vanuatu et à Hawaii.

Outre le fait que la Maison Chanel utilise les essences du santal dans ses parfums et soutient depuis 2009 la filière néo-calédonienne, ce bois a des vertus thérapeutiques qui se révèlent un tantinet moins glamour, à savoir une action contre les hémorroïdes (ainsi que les varices et tous les troubles de la circulation sanguine et lymphatique). Il est également antalgique et anxiolytique. Bien. Mais encore ? Son parfum pénétrant et boisé sert il à autre chose si tant est que les odeurs aient un effet sur les êtres (si oui tapez 1, si non tapez 2) ? … et bien sachez que, après avoir apaisé les douleurs hémorroïdaires et calmé l’esprit, il ouvre le cœur à l’amour et aide à la méditation comme c’est le cas dans la tradition bouddhiste depuis des millénaires, et cela va encore plus loin : le Bois de Santal possède des vibrations spirituelles très fortes, on le brûle lors de rituels à la Pleine Lune en le mélangeant avec de l’encens naturel Tibétain (ou Frank Incense).

L’encens du Bois de Santal, quant à lui, est l’un des plus puissants dans le monde ésotérique. Il apporte la chance et la fortune, conjure le mauvais sort et brise la malchance surtout si on le combine avec de la lavande, on l’utilise dans les rituels de sorcellerie liés à la protection, à la guérison et lors d’exorcismes (faudra que j’essaie avec le capitaine, sors de ce corps Florence Arthaud !)

Si ça vous dit un peu de magie, voilà un rituel qui ne mange pas de pain : faites un vœu, puis écrivez le sur un copeau de Bois de Santal, et brûlez le dans un encensoir (ou un chaudron si vous êtes piqué.e de sorcellerie et disposez de tous les accessoires liés à cette noble pratique). Restez là surtout car il faut regarder le bois brûler tout en visualisant le dit vœu (conseil pratique, écrivez un vœu concis sur un petit morceau de bois, sinon vous en avez pour des plombes), et partagez moi vos succès et insuccès surtout, que l’on puisse valider ou non ce rituel.

Enfin, et parce que ce sujet me goûte, je vous livre encore ces deux pépites : les graines de Bois de Santal aident à augmenter son propre niveau spirituel quand elles sont portées en collier et enfin, répandre de la poudre de Bois de Santal dans une pièce disperse les mauvaises ondes et les esprits malfaisants, vous êtes parés (j’ai l’air de me moquer mais pas du tout, c’est très sérieux et ça n’empêche pas de plaisanter)

« S’il est vrai que l’humour est la politesse du désespoir, s’il est vrai que le rire, sacrilège blasphématoire que les bigots de toutes les chapelles taxent de vulgarité et de mauvais goût, s’il est vrai que ce rire-là peut parfois désacraliser la bêtise, exorciser les chagrins véritables et fustiger les angoisses mortelles, alors, oui, on peut rire de tout, on doit rire de tout. De la guerre, de la misère et de la mort »

du talentueux Pierre Desproges
Le cap Aimé Martin au Nord de la baie du Santal

On roule, et au passage nous nous arrêtons à la Pointe d’Easo et là, surprise ! nous voilà à Lourdes, accueillis par cette sculpture … comment dire …

Ma curiosité piquée, nous suivons le chemin indiqué et arrivons à l’église Notre Dame de Lourdes, qui l’eût cru car ce lieu a été tabou et inaccessible pendant des siècles, mais un projet de phare inabouti et une installation d’un poste militaire supprimé en 1870 plus tard, une voie était tracée, le Père Fabre en a profité pour y fonder un sanctuaire et faire venir une statue de la Vierge qu’il a fallu hisser et tirer par des sentiers rocailleux et escarpés jusque là :

2,5 mètres et 2 tonnes la pucelle

Après cet arrêt marial et la lecture de ces prières, nous remontons tout au Nord et arrivons aux falaises de Jokin, c’est là que nous rencontrons Clarisse.

Elle est femme de chef (j’apprendrai plus tard de Christiane et sa petite moue de dédain, qu’il ne s’agit en fait que d’un petit chef), n’empêche que petit ou pas, Clarisse nous prévient de ne pas passer par la chefferie sans elle, sinon il pourrait nous arriver des bricoles, nous savons que les kanak ne sont plus cannibales, mais on ne va pas aller chatouiller un chef non plus (des fois j’ai lu que kanak était variable, d’autres fois invariables, alors je l’accorde ou pas, c’est selon). J’évoque avec elle les soins de la famille, parce que jusqu’ici j’ai entendu un peu de tout, j’attends toujours de rencontrer un guérisseur qui m’en raconte parce que jusqu’ici la règle c’est le silence (tout doit rester secret, c’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle cette médecine Kanak n’est pas reconnue, en plus chacun y va de ses propres recettes, ça ne facilite pas les choses), ou alors ça sent un peu l’entourloupe si je puis me permettre :

Clarisse éclate de rire, me réponds que les zoreilles croient ce genre de truc mais que ce sont les tantes qui soignent les membres de la famille et pas des guérisseurs, que les recettes de transmettent entre les femmes qui connaissent les plantes, elle-même demande conseil aux vieilles femmes et finit par connaître ce dont elle a besoin pour traiter les maux classiques de sa famille, par exemple pour soigner le muguet des enfants elle prend 3 feuilles de noni qu’elle découpe, passe au feu, roule et fait infuser, et pour en passer le mauvais goût, 3 feuilles de fougère qu’elle infuse également, elle me montre une plante de son jardin dont elle utilise le jus pour les problèmes d’oreille (on dirait du lis des bois tacheté, Clintonia Umballulata, mais je ne l’affirme pas), elle se sert également de l’huile du coco germé pour les plaies (l’huile à l’intérieur de la noix tombée de l’arbre et où pousse un nouveau coco), me parle de l’utilité des cosses d’un arbre dont elle ne connaît pas le nom, je lui suggère le flamboyant mais elle ne sait pas. Elle-même a eu recours à des plantes médicinales, notamment pour être fertile, on ne lui a pas demandé son avis et on lui en a fait boire, mais elle a hissé le drapeau blanc au bout de 6 enfants, elle me parle du jus des banians que l’on fait boire aux femmes et aux hommes aussi pour les rendre fertiles, elle ne veut plus d’enfant, je lui demande si elle a une contraception, oui, elle a demandé à son gynécologue de lui prescrire le même mode de contraception que celui qu’il prescrit à sa femme, alors il a arrêté de lui prescrire la pilule et a changé pour un stérilet aux hormones … elle me dit que lorsqu’elle prend des plantes, c’est pour faire son devoir envers la médecine kanak après avoir fait son devoir envers la médecine des blancs …en fait, la médecine pour les kanak, c’est un mélange de coutumes et de modernité avec une lutte entre les deux, Clarisse me dit qu’il est souvent plus facile de recourir à des médicaments que de prendre sa voiture pour aller chercher je ne sais quelle fougère dans la forêt, que lorsqu’une femme revient de l’hôpital avec un traitement médicamenteux, le guérisseur (ah ! donc il y en a !) (il y en a de moins en moins et ils sont de moins en moins bons, tout se perd, on m’a dit que c’est pareil pour les grands chefs, ils ne sont plus aussi grands) lui intime de ne pas les prendre et lui donne des plantes en échange, c’est comme ça notamment qu’une dame diabétique a eu une gangrène … je raconte à Clarisse que le fils d’une amie fait actuellement un remplacement à l’hôpital de Nouméa, il est radiologue et a dit à sa mère qu’il n’a jamais vu ailleurs des radios avec des problèmes aussi avancés, Clarisse me répond que beaucoup de personnes n’avouent pas quand ça ne va pas, car la maladie est vue comme une punition, elles ont honte et se cachent, et ne se soignent donc pas … au final, il y a 4 médecines :

  • La médecine des maux de tous les jours : des pratiques familiales aident à se maintenir en forme et les bobos sont soignés par la pharmacopée familiale. Les blessures qui se voient (fracture ouverte ou plaie purulente par exemple) sont considérées comme étant moins graves que les blessures invisibles (mal de tête, douleur au ventre…)
  • La médecine des blancs ou maladies du docteur : c’est la médecine occidentale, arrivée avec les colons. De nombreuses nouvelles maladies ont été introduites lors des vagues de colonisation (lèpre, tuberculose…). Certaines maladies n’ont pas de nom en langues kanak. Par exemple, le mot cancer n’existe pas dans les langues locales. C’est le mot blessure qui est utilisé pour nommer cette maladie. Les malades qui consultent les médecins occidentaux en attendent une guérison rapide (en métropole aussi) (et je vois la même chose avec la Médecine Traditionnelle Chinoise).
  • La médecine pour réparer une faute : les malades y ont recours lorsque des symptômes perdurent et que la médecine occidentale semble inefficace. Le terme malheur est préféré à celui de maladie lorsqu’une personne est confrontée à des pathologies longues où les traitements sont inefficaces. Les kanak attribuent ces malheurs à une faute originelle commise par le malade. Cela peut être une transgression, un comportement irrespectueux envers un oncle, un chef ou un vieux, un oubli ou un geste défaillant lors d’un rituel (faut pas se louper). La maladie est perçue comme le signe d’une sanction de la part des esprits des ancêtres qui font un rappel à l’ordre. Dans son parcours de soin, le malade doit alors identifier la faute originelle, puis la réparer et obtenir le pardon du clan lésé (les ancêtres et leurs descendants) pour améliorer son état de santé. Alors ça, c’est le genre de truc qui me fout en rogne : au lieu d’avouer leur incompétence devant un cas, les soignants lui renvoient la balle en le culpabilisant, c’est malhonnête et honteux, ça se fait couramment chez nous aussi, ne serait-ce que les toubibs qui disent que le problème est dans la tête quand un traitement n’a rien donné, vraiment on n’est pas encore bien loin de ce genre d’ânerie …
  • La médecine pour désenvoûter : elle intervient pour contrer des malheurs provoqués par la jalousie d’un tiers ou liés à une faute grave comme l’intrusion, volontaire ou non, dans un lieu tabou. Un ancêtre malveillant envahit le corps du malade et peut le conduire à la folie, voire la mort. Seuls des spécialistes ont la capacité d’identifier l’origine du mal et désenvoûter le malade. Dans les grandes chefferies du Nord et des îles Loyauté, les grands chefs sont souvent entourés de spécialistes de la guerre rituelle qui punissent tous ceux qui menacent leur autorité ou leur manquent de respect. Je voudrais bien voir ce qu’ils appellent manquer de respect, a priori élever un avis contraire est pris comme manque de respect, comment faire évoluer les choses en ce cas !

Clarisse m’avoue qu’elle a découvert la Lumière et qu’elle prie Dieu, qu’elle ne croit plus aux superstitions kanak, moi ça me paraît passer d’une superstition à une autre, mais bon, on peut penser que le progrès passe par là … Avant de se quitter, elle tient à nous faire visiter la Case du Chef, être accompagnée d’elle nous sert de laisser-passer, je suis hyper émue de pénétrer dans la hutte, je dirai plusieurs fois hutte, elle me reprendra à chaque fois, c’est une case, pas une hutte.

Clarisse nous a donné une papaye et nous avons mangé de l’igname que les sujets ont offert au chef comme le veut la coutume je ne me lasse pas de changer la tête du capitaine 😄

L’entrée à droite est pour le chef et la femme du chef, l’entrée de gauche pour les manants :

Il faut toujours faire du feu pour que la case ne pourrisse pas avec l’humidité, ça fume encore mais il va falloir faire quelque chose Clarisse ! Le poteau central représente le chef et les soutiens les sujets, il y a toute une symbolique très complexe pour chaque partie de la case (je vous épargne le sujet)

du beau boulot !

La case fait office de lieu de cérémonies, de lieu de vie ou encore elle sert de local annexe, elle est ronde pour favoriser la discussion, Clarisse me dit que lors du dernier cyclone, tout le monde s’est réfugié dans la case qui n’a pas bougé alors que les autres maisons ont été détruites en tout ou partie, le vent n’a pas de prise sur ces cases … visiblement la case sert aussi à étendre le linge quand il pleut dehors, je ne sais pas comment le prennent les ancêtres depuis l’au-delà mais ça risque de filer une bonne et longue maladie à je ne sais qui (à moi peut-être si d’aucuns pensent que je me gausse)

tous les beaux tissus sont des cadeaux pour la coutume, c’est pratique la coutume

Après avoir quitté Clarisse, nous finissons le tour de l’île, passons par la baie des tortues,

voyons des églises un chouïa mégalos

et puis des cases presque partout, ici on sent la tradition à plein nez, Christiane nous expliquera qu’il y a de plus en plus de cases qui ne sont pas entretenues parce que les jeunes s’en vont et il n’y a plus de bras pour entretenir le feu à l’intérieur, ci-dessous un petit florilège de cases, belles ou en déconfiture, un établi comme on en voit souvent et qui servent à vendre des bananes ou des ignames au bord de la route, des cimetières pleins de couleurs et puis Louis ! que nous avons pris en stop et qui a pris la pose pour que je le photographie :

Parfois des barbelés interdisent d’aller sur une plage ou le bord d’une falaise, même dans des endroits indiqués comme touristiques

Nous allons déjà laisser Lifou derrière nous, je peux dire que ce pays Kanak m’a fascinée, son histoire, ses coutumes, ses plantes, ses secrets, ses femmes, je suis conquise, quelle chance d’être passée par là ! … maintenant, direction le Vanuatu, je suis prévenue, on va devoir faire du près, heureusement ça n’est pas loin, 150 NM de Wé jusqu’à Lenakel, une paille !

une carcasse de voiture transformée en jardinière, une nouvelle vie !

A little bit more pour les fanatiques :

  • Anecdote à propos du cannibalisme kanak : En novembre 1856, Le Messager de Tahiti publie la lettre d’un colon installé à Kanala où il est le seul Blanc. Il écrit à un ami : « Mon cher docteur, je suis au milieu des sauvages, il est si rare de voir entrer ici un navire, que je puis me regarder complètement en dehors de la civilisation… Ils sont anthropophages, et j’ai assisté à plusieurs festins de chair humaine. Quand une tribu est en guerre, elle envoie en cadeau à une tribu son alliée les deux ou trois premiers prisonniers qu’elle fait ; le chef reçoit ce cadeau avec pompe, rassemble tout son monde, leur fait voir les captifs, leur fait un discours avec une volubilité à perdre haleine. Le discours fini, les danses commencent, accompagnées de hurlements et de cris épouvantables. Ils m’ont envoyé chercher plusieurs fois pour assister à leurs festins […] Le chef aliki leur distribue les membres du mort. Un de ces Indiens, prenant un des mollets, me dit que ce morceau est le plus délicat de tout individu. Pour remplacer le couteau, qui leur manque, ils se servent d’une feuille de roseau, avec laquelle ils enlèvent de belles tranches, les mettent entre deux feuilles de bananiers, et les font cuire sur la braise. Ils m’ont offert plusieurs fois de partager leur repas, me disant que c’était excellent ; je leur ai fait comprendre qui les Oui-Oui ne mangent pas leurs semblables. Oui-Oui, c’est le nom qu’ils nous donnent. »
  • Dans cette médecine kanak il y a des devins, des voyants et des guérisseurs : le devin pratique la technique divinatoire. C’est toujours un homme. Il est l’héritier d’une tradition qui se transmet au sein du clan et communique avec les ancêtres par des rites et du matériel de cérémonie contenu dans un panier. Il est également le prêtre et le guérisseur de son groupe. Le voyant (peut être aussi guérisseur) est une personne qui a un don de voyance. Cela peut être un homme ou une femme. Son don n’est pas forcément hérité et a pu être contracté au cours d’un événement. Le voyant établit son diagnostic en faisant des rêves, en interrogeant le malade et sa famille, en récitant sa généalogie et en communiquant avec les ancêtres. Le voyant propose un traitement s’il est aussi guérisseur. Les guérisseurs ont le droit de soigner. Ils proposent des traitements et pratiquent des rituels pour soigner à la fois le corps, l’esprit et les conflits. Leurs connaissances proviennent d’un héritage oral séculaire au sein des clans. Ils sont réputés par le bouche-à-oreille lorsque leurs remèdes sont efficaces Chaque guérisseur possède son propre savoir-faire, sa propre pharmacopée et sa spécialité. Certains fabriquent les médicaments d’autres communiquent aussi avec les esprits (voyant ou devin), certains ont des aptitudes pour la petite chirurgie : soigner des fractures ou l’extraire un bout d’os ou de corail dans le corps , d’autres jettent un sort. Le traitement par la magie est pratiqué à l’aide de petits paquets ficelés, les waceng, contenant des plantes spéciales, une pierre, des phanères (poils, cheveux, cils, ongles) ou un os.
  • Pourquoi la MTK, Médecine Traditionnelle Kanak, n’est pas reconnue légalement : La société kanak est une société initiatique : certaines choses ne peuvent circuler que dans un cercle étroit d’initiés. Les groupes, segmentés en tribus, clans, lignages, ont des connaissances, des savoir-faire qui leur appartiennent en propre, liés souvent à un ancêtre spécifique. Et, à l’intérieur des groupes, certaines personnes, hommes ou femmes, ont acquis des pouvoirs, la notoriété venant avec les résultats obtenus. Les savoirs ne sont pas tous concentrés entre les mains des mêmes individus. Et la recette de telle ou telle médecine, qui est la propriété d’un groupe, ne peut pas être transmise au public. Dans certaines croyances, le secret sur les médicaments est aussi lié au fait qu’une divulgation de certains savoirs ferait disparaître leur efficacité. De plus, l’usage des tradicaments est en principe soumis à une autorisation coutumière et c’est un remède secret – doublement interdit par le droit français car les seuls produits de soins licites sont les médicaments autorisés (csp, art. L5121-8) et le droit interdit les remèdes secrets dont la composition exacte est inconnue.

Quelques utilisations médicinales kanak de cette luxuriante végétation !

  • Le Santal, déjà évoqué plus haut – Santalum austro-caledonlcum : le jus des feuilles écrasées est utilisé en massages légers sur les hématomes et les contusions. Dilué et bu il procure un soulagement respiratoire mis à profit dans les affections broncho-pulmonaires. Une plaque d’écorce interne et odorante grande comme une paume et prise à la base du tronc, râpée et macérée dans un litre d’eau froide pendant quelques minutes fait le même effet. Il s’y ajouterait une action aphrodisiaque qui est également recherchée dans les onctions parfumées à l’essence de Santal. La cuisson rend le Santal antiseptique. Les écorces grattées cuites avec du coco râpé font une pommade qui apaise les démangeaisons de la bourbouille des enfants et l’empêche de se surinfecter . Il faut cuire le mélange dans un morceau de feuille de bananier, au four.
  • Le faux-tabacArgusia argentea : si on demande un remède contre la gratte, presque toujours on vous indique le faux-tabac. Il en existe beaucoup d’autres, mais le faux-tabac est le plus populaire, son action consiste à calmer les démangeaisons qui valent son nom à un empoisonnement causé par les poissons (ciguatera). Il n’élimine pas les toxines et aide seulement à supporter la crise (qui se résoudrait aussi bien sans lui). Son écorce en infusion est tonique. Ses fruits sont toxiques, provoquant des vomissements et de la diarrhée.
  • La fougère arborescente, déjà vue dans d’autres articles – Cyathea intermedia : en MTK, ses bourgeons sont consommés comme contraceptifs
  • Le Méamoru – Plectranthus Parviflorus : pour les Kanak, c’est le symbole de la vie. Dans la région du centre de la Grande Terre, les femmes soignent les maladies des yeux et purgent les bébés après décoction de ses feuilles et de sa tige.
  • Le palétuvier – Rhizophora mucronata :  la décoction de son écorce est employée pour soigner la lèpre.
  • Les Impatiens cultivées dans les jardins – Impatiens walleriana ou Balsamine de Waller seraient utilisées en décoction pour faciliter les accouchements. En shampooing, l’infusion de leurs feuilles favoriserait la croissance des cheveux.
  • J’avais d’abord déguisé le capitaine en pirate, mais il n’avait pas l’air gentil, alors j’avais changé pour une tête gentille 😄

Où il est question de bagne, de tsunami & de magie

Donc le fort Teramba, bon, a priori on se dit qu’on va visiter un vieux fort et puis voilà, et bam ! la claque, on ne peut pas comprendre l’enchaînement de ce qui s’est passé ici sans connaître ces faits … assoyez vous et prenez votre temps pour lire cette histoire, ça vaut vraiment celle de Jean Valjean …

Transportons nous du temps où les individus ayant échappé à la peine de mort étaient condamnés aux galères et aux fers, sautons directement en 1810 quand ces condamnations furent muées à la peine des travaux forcés à accomplir dans les bagnes situés dans les villes portuaires de Brest, Marseille, Toulon, Rochefort ou autre, vous y êtes ?  Okaye, mais déjà le temps a passé, déjà c’est la surpopulation et déjà la dégradation des conditions de vie dans ces établissements, aussi Napoléon III se voit il contraint d’adopter, le 30 mai 1854, la loi dite de la transportation, loi qui ordonne d’envoyer les condamnés à la peine de travaux forcés dans les bagnes situés outre-mer.

Une tête pas commode le Petit (surnom donné par Victor Hugo qui avait placé sa confiance en lui pour les élections présidentielles de 1848 et qui s’est estimé trahi par celui qu’on appelait aussi Badinguet)

Je me demande quelle tête il avait le matin quand sa moustache tombait sur les côtés, m’est avis qu’Eugénie ne devait pas le trouver très glam …

Bon, au départ on envoie tout ce joli petit monde en Guyane, mais le climat décime presqu’autant les gardiens que les bagnards, alors même si La Nouvelle Calédonie n’est pas la Terre Promise, et parce qu’on y a besoin de bras pour les travaux les plus pénibles de la colonisation comme la construction de routes et de ports, le 2 septembre 1863 la Nouvelle Calédonie devient la nouvelle terre d’exil (diantre, c’était il y a seulement 160 ans).

Et puis il faut bien la peupler cette colonie, tout en gardant séparé l’ivraie du bon grain de la Mère Patrie, alors idée : les condamnés à plus de 8 ans de travaux forcés seront tenus de résider dans la colonie pendant un temps égal à leur condamnation, ensuite advienne que pourra, et pour les peines supérieures, la résidence deviendra définitive, tant pis pour eux. Cependant, et comme il faut toujours agiter une carotte sous le nez de l’âne, pour les plus méritants il sera possible de leur obtenir un emploi dans les administrations locales ou pour le compte de particuliers, ou de leur octroyer une concession de terre pour s’y refaire une existence … merci qui ? merci Napo !

Alors oui, on peut toujours rétorquer à cela qu’il ne fallait pas outrepasser la loi qui n’est pas faite pour les chiens, mais précisons les choses : les bagnards étaient pour près de la moitié accusés de vol, 14% des pour contrebande de tabac, 13% pour contrebande de sel, et 5% pour vagabondage, on voit à quel point ceux-là représentaient un danger pour la société, et comme disait justement Jean Valjean « à Londres, 4 vols sur 5 ont pour cause immédiate la faim », il n’y avait pas qu’à Londres, bref, toute cette sale engeance valait bien de faire un voyage de 3 à 6 mois enfermés dans des cages sur les bateaux qui les embarquaient pour ce bagne… (à midi, le capitaine, qui lit les infos paisiblement sauf quand il s’agit de rugby, m’annonce soudain à voix haute et claire que le parlement va durcir les peines contre les squatteurs, pourquoi cette nouvelle plutôt qu’un truc sympathique, ça …je me suis mise à postillonner aussitôt de toute ma verve que vraiment, le monde ne change pas !)

Mais revenons à nos bagnards : pour grossir les rangs de cette manne de main d’œuvre gratuite, on se met à y envoyer aussi des déportés politiques (notamment Louise Michel qui osa porter des pantalons alors que la loi l’interdisait aux femmes, même si ce n’est pas pour cette raison qu’elle y fut envoyée) et des relégués (récidivistes de petits délits), et puis l’état, en leur payant le voyage, va favoriser la venue des femmes et autres membres de la famille des transportés, et même de femmes acceptant d’épouser un condamné célibataire, elles vont être plusieurs centaines à venir peupler cette colonie, quel courage les filles !  la population actuelle compte, par la force des choses, pas mal de bagnards dans ses ancêtres.

A compter de 1896, pour privilégier la venue de colons libres, le gouverneur Paul Feuillet décide de fermer ce qu’il appelle « le robinet d’eau sale » (ça vaut tranquille le karcher de Nicolas Sarkozy mais ça a fait moins de foin à l’époque). Les derniers forçats finissent de purger leur peine et le bagne ferme progressivement et définitivement ses portes entre 1924 et 1931.

le fort Teremba restauré, ces cellules et s guillotine … et la superbe vue depuis le haut de la tour

Au total entre 1864 et 1897, ce sont près de 31 000 condamnés qui ont été envoyés en Nouvelle-Calédonie. 94% d’entre ont été condamnés à plus de 8 ans de travaux forcés et sont donc tenus de rester à vie en Nouvelle Calédonie comme vu plus haut, et comme on octroie aux plus méritants une concession de terre pour y développer de l’agriculture et de l’élevage, ça fait pas mal de monde puisque la plupart de ces bougres n’étaient pas d’odieux criminels comme on l’a vu aussi… Or, et c’est là que le bât blesse, le plus souvent ces terres sont soudoyées aux Kanaks qui sont repoussés de plus en plus loin sur leur territoire, et puis, annus horribilis, une sécheresse exceptionnelle va amener l’administration à autoriser le pacage sur un domaine plus étalé mais non clos qui fait que le bétail va causer des ravages dans les cultures de tarots et d’ignames considérés comme sacrés et qui nourrissent les kanaks. Cela va aboutir à sentiment d’injustice grandissant et conduire les Kanaks à se soulever lors de la révolte de 1878 sous l’impulsion de l’emblématique de chef Ataï de la tribu de Komalé. C’est la totale : attaques sanguinaires, massacres de colons et de population locale, destruction de stations d’élevage et de commerces de brousse tenus par des européens, tribus rayées de la carte et leurs terres confisquées, la désolation, tout cela va aboutir à une profonde défiance entre les deux communautés, imprégner les mémoires, nourrir la rancune, et tisser la toile des évènements futurs …

A la lecture de ce panneau, le capitaine me dit tu vois bien isabelle, sans cette main d’œuvre il y a des travaux qui n’auraient pas pu être réalisés !

– M’enfin ! m’étranglé je, si on avait proposé à ces pauvres gens de l’argent pour venir s’installer ici alors qu’ils crevaient de faim en France ils seraient venus ! c’était pour avoir de la main d’œuvre gratos et c’est tout !

PS : à ma grande peine, je me demande si c’est vrai, parce que j’ai vu et je verrai plus tard des îles sur lesquelles d’anciens travaux réalisés ne sont jamais entretenus et s’effondrent, ou en fait rien n’est entretenu, je le disais justement ce matin au capitaine alors que nous marchions sur une piste pour trouver un marché (on est mardi, il était fermé le marché, on devrait le savoir depuis le temps, une autre fois on a fait 6 kilomètres pour rapporter 2 pamplemousses, le marché était ouvert mais il n’y avait que quelques pamplemousses et des bouteilles de citronnade maison, aujourd’hui, là où on est  on ne compte pas en distance mais en temps, on a marché 2 heures pour trouver un pain mou et sans sel, j’étais contente, nous ne sommes pas revenus bredouilles), je lui disais donc que je finis par me demander si au bout du compte il n’y a pas des gens qu’il faut obliger à faire certains travaux sous la menace, sinon ça ne se fait jamais, le capitaine n’a pas répondu, il avait suffisamment chaud comme ça pour ne pas entamer tout un débat (rien que moi, déjà, ça m’est déjà arrivé que ça soit sous la menace que je finisse par faire ce qu’il y avait à faire).

La couleur rouge brique de cette terre est due à la latérite qui se forme par l’altération d’une roche contenant du fer

Mais pour l’heure d’aujourd’hui, nous sommes toujours en Nouvelle Calédonie, après la brousse et la savane de la côte Ouest et du Nord, la forêt humide de la côte Est, nous descendons vers le sud rouge et son maquis minier, arrêt dans une pizzeria, on a même du mal à y croire qu’il existe ici une véritable pizzeria et qu’on soit tombés dessus (le capitaine est aux anges) (moi aussi, ils ont du kombucha artisanal dis donc !), causerie avec le tôlier, un zoreille installé depuis 25 ans et qui n’a toujours pas le droit de vote (pour satisfaire aux exigences des indépendantistes, le droit de vote est restreint aux citoyens résidant de longue date et de manière continue en Nouvelle-Calédonie, et exclut les personnes installées après 1994), il nous raconte un peu la vie ici, nous dit que pour vivre dans la brousse il faut avoir toujours un fusil dans son 4X4 et un chien, le choisir méchant, le chien. Ce qui confirme que la profonde défiance n’est pas totalement dépassée, en tous cas pas pour tout le monde…mais bon, d’un côté on entend toutes ces histoires, de l’autre on croise plein de kanaks super gentils, enfin, quand on en croise …

… parce que sur la route du sud, on n’en croise guère non plus, heureusement si, un qui arrête son pick-up pour nous prévenir que nous ne sommes pas sur la bonne route et que la barrière va fermer et nous coincer pour la nuit, nous nous sommes engagés sur une piste qui mène à des mines, par bonheur la barrière est encore ouverte quand nous y arrivons, nous n’aurons pas à dormir dans voiture, en plus j’ai une bonne nouvelle, j’ai trouvé un hôtel à 30 bornes, soit une bonne heure de route vu la vitesse à laquelle nous roulons … 3 heures plus tard, la capitaine coupe enfin le contact, je l’applaudis, il a patiemment slalomé sur cette route plus trouée que la cervelle d’un mafioso victime d’un contrat, les automobilistes d’ici disent que ce sont des nids d’autruche plutôt que des nids de poule et que la route c’est leur cauchemar. On le comprend.

On a longé l’usine du sud, Vale Nouvelle-Calédonie, qui extrait et produit du nickel et du cobalt – l’abondance des ressources du sous-sol de Nouvelle-Calédonie a permis l’extraction de cuivre, de plomb, de cobalt, de fer, de manganèse ou de chrome, aujourd’hui presque toutes stoppées, l’économie néo-calédonienne est surtout fondée sur le nickel, qui représente environ un quart des réserves mondiales, y’a de quoi voir venir.

C’est papa qui aurait été content de la voir !

Le lendemain, rando dans la forêt tropicale bourrée d’espèces endémiques autour de Port Boisé, fantastique végétation, sublime rando, pas difficile pour un sou mais avec des gués pour distraire le marcheur, parfait !

Le capitaine a un sac étanche, je lui ai refilé mon portable, c’est si vite arrivé de riper sur un caillou !

Et puis en repartant sur Nouméa, nous passons par Yaté et le parc de la Rivière Bleue. Nous passons le long de la forêt noyée, mystérieuse, des bras tendus vers le ciel en appel désespéré, on dirait les damnés de la terre, le capitaine s’effare tu as trop d’imagination isabelle ! est-il possible d’en avoir trop ? (les âmes damnées sont, dans cette réalité rationnelle qui est celle du capitaine, des chênes gomme morts, noyés par un lac artificiel il y a 60 ans)

Ça me rappelle dans une rue de Christchurch, on voit ce truc, le capitaine

– Qu’est-ce que c’est que ce truc ?

– Une étagère géante !

– C’est un parking enfin, isabelle !

Alors pourquoi il demande ?

Je rentre de cette expé avec une foule impressionnante de données et de recherches à mener, quelle abondance de végétaux et d’utilisations médicinales, une mine d’or, j’en apprendrai aussi beaucoup à Lifou, une des îles Loyauté, mais pour l’instant c’est retour à Nouméa, la radio répète inlassablement les interdictions de baignade à cause des requins,

cette année un touriste australien a succombé à des morsures de requin en se baignant tranquillou à la Baie des Citrons, ça a fait du bruit parce qu’en général les requins s’attaquent aux pêcheurs sous-marins mais pas aux touristes qui barbotent, ça, ça fait très dents de la mer, c’est mauvais pour le maigre tourisme, en plus la Baie des Citrons c’est vraiment LA baie touristique, la poisse quand ça vous tient ça ne lâche pas,  il y a eu 3 autres attaques sans décès + encore 1 mort à Poum, un homme de 40 ans qui pratiquait la chasse sous-marine, déjà que je ne suis pas fanatique des activités aquatiques, mais là c’est clair que je ne mettrai pas un orteil dans l’eau, pas envie de croiser un requin-bouledogue ni un requin-tigre, il est expressément demandé aux navigateurs de ne pas balancer de nourriture dans le lagon, évidemment, sauf si je voulais occire le capitaine d’un crime parfait en jetant une carcasse de poulet ou des squelettes de maquereau en boîte par-dessus bord tandis qu’il peine à nettoyer la coque en surnageant vaille que vaille, je ne m’aventurerais pas à attirer les requins en gaffant aussi monumentalement, on sait se tenir morbleu !

C’est pour cette raison très évidente que, pour m’intéresser aux vertus des plantes aquatiques et peut-être à celles des coraux, qui sait, je m’en vais d’un pas ferme me renseigner à l’aquarium des lagons plutôt que de m’immerger dans un piège où je serais réduite ni plus ni moins à un rôle de gruyère pour attraper des rats.

Et là … magie !

Magie !

Magie !

C’est le naturaliste et médecin de la Marine, Jean-André Peysonnel qui a découvert en 1727 que les coraux sont des animaux et non des végétaux, il y a 350 espèces de coraux durs recensés en Kanaky. Et puis j’irai aussi au jardin botanique, je remercie au passage tous les botanistes du monde de tous temps et tous les créateurs de jardins botaniques en général et Michel Corbasson en particulier, qui est à l’initiative de ce parc qui contient une des dernières forêts sèches du coin, je récolte avec enthousiasme ce que d’autres ont semé avant d’ensemencer à mon tour.

Une dernière pour la route :

Magie !

Revoilà le week-end, un autre, pas toujours le même, nous décidons d’aller voir l’île des Pins, comme il n’y a pas besoin de se bousculer nous faisons un arrêt dans la baie de Prony, à l’anse Magique, il y a des bouées, ça faisait longtemps, émotion parce que j’ai un peu oublié comment m’y prendre, le capitaine attrape la bouée avec la gaffe mais le bateau avance poussé par le vent qui souffle allègrement, je cours à l’avant lui prêter main forte mais on lâche la gaffe parce que ça tire vraiment trop, hurlement à faire s’affaisser les falaises alentour, putain la gaffe ! heureusement elle est coincée dans la corde de la bouée et ne coule donc pas, je n’aurai pas besoin de m’immoler par le feu pour me faire pardonner (se positionner d’emblée en coupable pour ne pas exciter l’adversaire véhément), le capitaine va manœuvrer, s’en approche en marche arrière pour que je puisse la récupérer sur la jupe, gagné, y’a plus qu’à retenter la chose, cette fois nous voilà amarrés sans embrouille, tranquilles pour la nuit, on est tout seul.

Arrivée à l’île des Pins

Le lendemain, direction île des Pins à 34 NM (soit 62.5 kms), nous mouillons baie de Kuto devant le village de Kuto, village se résumant à ce qu’il y a de plus succinct, fait rare il y a un hôtel sur la plage, quelques personnes déambulent sur le sable, nous sommes le seul voilier amarré là, bientôt rejoint par 3 autres, autant dire que c’est la foule.

On nous a prévenus que l’île des Pins c’est touristique, certaines personnes m’ont même déconseillé d’y aller, comprenez, c’est touristique, c’est bon pour les clampins, ce à quoi je réponds qu’en général, quand c’est touristique c’est que ça vaut le coup, je ne vois pas pourquoi j’éviterais soigneusement les beaux endroits pour me distinguer, ce raisonnement me fait rire, ceux qui se croient détenteurs de la vérité ou du bon goût en évitant ce qui plaît au plus grand nombre sans même s’en faire une idée propre, quel intérêt ? j’aime me faire mon idée propre, le capitaine aussi. Donc nous voulons aller à terre pour nous faire notre propre idée et pour cela mettons l’annexe à l’eau, c’est toujours un binz parce qu’elle est sur le pont du bateau, il faut la détacher, y accrocher la drisse de spi, je mouline le winch pour soulever l’annexe comme un pendu au bout de sa corde, le capitaine la pousse pour la passer par-dessus le bastingage, puis je la laisse descendre jusqu’à ce qu’elle touche l’eau, là le capitaine la retourne avant de détacher la drisse de spi, ce qui se fait aisément par petit vent mais qui est incomparablement plus jubilatoire dès qu’il y a du vent car l’annexe s’envole, bouge dans tous les sens au risque d’éborgner le capitaine, parfois je galope à sa rescousse pour réussir à détacher la drisse de spi, enfin l’annexe tombe à plat sur l’eau, on peut respirer (une fois on a voulu faire autrement et balancer simplement l’annexe par-dessus bord sans utiliser la drisse de spi, pourquoi se compliquer la vie, elle est tombée à l’envers sur la flotte, on avait l’air malin tiens) ensuite, car ce n’est pas fini, il faut descendre le moteur de l’annexe au bout d’une corde et il pèse son poids, c’est le capitaine qui s’y colle tandis que j’ai déjà sauté dans l’annexe pour attraper le moteur à bout de bras, le guider à sa place en visant comme il faut, fixer le moteur, descendre les rames au cas où … des fois rien que l’idée d’aller à terre me fatigue, parce qu’en revenant il faut en plus remonter tout le fourbi, une vie d’aventure je vous dis … Mais quand on veut visiter, pas le choix, et c’est ce qu’on veut faire à cette fameuse île des Pins en louant dès aujourd’hui une voiture, un scooter ou des vélos pour demain, alors annexe à l’eau, on s’y affaire, une sirène hurlante retentit dans le ciel clair, je demande au capitaine s’il sait ce que ça veut dire, non il ne sait pas, je me marre et rétorque que j’espère que ce n’est pas une alerte tsunami, nous montons dans l’annexe et passons devant un autre voilier qui nous fait des signes pour nous demander si on sait ce que veut dire cette sirène, un jeune garçon s’exclame qu’il espère que ce n’est pas une alerte tsunami, on se marre de concert, même pas peur, le capitaine et moi rejoignons un ponton, accostons, je vois au loin une estafette de flics, leur fais signe et cours vers eux avant qu’ils ne s’en aillent pour m’enquérir de cette sirène, pendant que le capitaine accroche l’annexe sérieusement, je ne pense pas qu’il sache faire autrement. Et c’est bien me diront tous les marins. Quand c’est moi qui l’attache je lui demande toujours conseil parce que s’il n’y met pas son grain de sel, à coup sûr il repassera après moi ou me dira que j’aurais plutôt dû faire comme si ou comme ça, je ne suis pas contrariante, une chose est certaine c’est que maintenant je sais attacher l’annexe à la perfection, je pourrais même faire un tuto … j’arrive vers un flic en bel uniforme propre et repassé, c’est pas tout le monde par ici le côté propre et repassé, c’était quoi la sirène ?

-Alerte tsunami ! montez là-dedans ! on va vous déposer à l’hôtel et ils vous amèneront en sécurité à l’aéroport avec leur navette ! vite !

Ma mâchoire tombe, bin crotte alors ! manquait plus que ça ! dans quel monde on vit ?! je me retourne vers le capitaine qui finit d’attacher l’annexe au loin, revient vers le flic :

-Mais ! et les autres personnes dans les autres bateaux ? qui va les prévenir ? qui va les emmener à l’aéroport ?

Il hausse les épaules en écartant les bras, genre qu’on ne peut jamais empêcher les dommages collatéraux et qu’il n’y peut rien, m’enjoint de monter pronto dans son estafette, l’autre flic au volant s’excite et brame en tendant son portable vers nous :

-Vite ! Il y a eu un second séisme ! magnitude 7.7 ! grouillez vous !

Ma gorge s’assèche aussitôt comme une éponge dans un micro-ondes, le capitaine arrive, aussi posé que le Pape sur son balcon quand il y a foule un lundi de Pâques, je lui explique qu’il faut qu’on monte dans l’estafette pour se faire emmener à l’aéroport où on sera en sécurité, en même temps ça va à toute vitesse dans ma tête, j’imagine un tsunami embarquer tout sur son passage, je me demande si j’ai le temps d’aller chercher mes affaires dans le bateau, bon sang ! mon ordi et tout mon boulot ! et tous mes bouquins ! pas le temps de penser plus avant, le capitaine a haussé les épaules :

-Aaaaah pas question, on retourne au bateau ! je ne vais pas laisser le bateau !

Le flic dit qu’on fait comme on veut et me demande ce que je veux faire, je le regarde, le capitaine me dit que si je veux aller à l’aéroport je n’ai qu’à y aller, mais que lui retourne au bateau, je le regarde, ma tête va de  l’un à l’autre et de l’autre à l’un, j’ai une tendance naturelle à obéir à l’uniforme mais j’imagine le capitaine tout seul dans le bateau se faire embarquer par le tsunami, je suis tiraillée, le bateau ok, mais les humains ? et je réitère comme un disque rayé

-Mais qui va prévenir les autres gens des autres bateaux ?

Le flic n’en a cure, chacun son job et les vaches seront bien gardées, l’autre au volant s’excite de plus belle et veut y aller, le premier nous répète qu’on fait ce qu’on veut, le capitaine lui explique qu’on va lever l’ancre et filer plus au large, me demande une nouvelle fois ce que je veux faire, évidemment que je reste avec lui, je mourrais d’inquiétude et de honte sinon, l’imaginer seul dans cette galère me fait peine, à la vie, à la mort, on saute dans l’annexe et retournons plein pot vers le bateau, ce qui n’est jamais très rapide car on n’a qu’un moteur de 4ch, en longeant le premier bateau on ralentit et je leur dis pour les 2 séismes au sud des îles Loyauté et le risque de tsunami, qu’il faut filer au large parce qu’il n’est plus temps d’aller à terre pour avoir une navette d’hôtel car visiblement il n’y a plus personne à terre et plus de navette, l’hôtel et la plage sont déjà déserts, à peine nous nous éloignons qu’ils sont en train de relever l’ancre, nous passons au deuxième bateau, là où le jeune homme riait d’une alerte au tsunami, je répète mes explications, ça lève l’ancre alors que nous n’avons même pas fini de parler, le troisième bateau est loin, j’adjure le capitaine d’aller vers eux, la VHF a relayé l’alerte mais ils nous ont vu discuter avec les flics et nous attendent sur le pont, une main en visière, pour avoir plus d’infos, ils sont loin mais nous y allons, je répète mon couplet une troisième fois, quand nous arrivons à Cap de Miol les 3 autres bateaux sont déjà loin, le capitaine remonte le moteur de l’annexe à toute berzingue pendant que j’allume les appareils de nav, vite ! avec le palpitant à 200, vite ! je regarde sur internet, un tsunami peut faire jusqu’à du 800km/h, vite ! l’alerte tsunami est relayée sur tous les sites locaux, vite vite vite ! on lève l’ancre, vite, et puis enfin on s’éloigne, le capitane me rassure, no stress isabelle, là où on est on ne risque rien, nous sommes protégés par le lagon et l’île des Pins, en plus il suffit d’avoir une trentaine de mètres d’eau sous le bateau pour que le tsunami, si tsunami il y a, passe en dessous du bateau ni plus ni moins qu’une autre vague,

– t’es sûr ?

– mais oui, c’est être près du rivage qui est dangereux

Plus on s’éloigne, plus il y a de vent et de vagues, il faut remonter l’annexe avant qu’elle ne passe cul par-dessus tête, déjà que ce n’est pas simple au mouillage mais en pleine nav’ c’est héroïque, on bataille mais ça occupe l’esprit c’est bien, sinon j’ai des images de tous les films catastrophe que j’ai vu dans ma vie qui défilent, surtout l’image de la vague gigantesque dans Deep Impact, quelle idée d’avoir regardé ces imbécilités, j’ai le ventre qui se tord, alors je me dis que ça ne sert à rien de stresser, que si je dois stresser ça sera une fois que le tsunami sera là, avant ça ne sert à rien qu’à me donner mal au ventre, si je dois mourir aujourd’hui voilà et je n’y peux rien, y’a qu’à attendre et on verra, curieusement, penser ça m’apaise instantanément …

Le capitaine appelle le COS NC (Centre d’Organisation et de Secours de Nouvelle Calédonie) à la VHF, ils nous voient sur la carte grâce à l’AIS, ils confirment qu’on fait ce qu’il y a de mieux à faire, soit s’éloigner du rivage,  les 3 autres bateaux sont loin devant nous mais le capitaine décide soudainement de retourner plus près de la terre pour capter internet et avoir des infos, je bredouille que ce n’est peut-être pas très prudent, mais il me dit que vu le temps passé depuis les 2 séismes à 350 kms de nous on l’aurait vu passer depuis un bail le tsunami, il m’affirme qu’il n’y a plus rien à craindre, peu de temps après on entend la sirène à terre et la VHF confirme que l’alerte est passée … les autres bateaux reviennent à leur tour, on se fait des signes complices pour se dire que tout va bien, c’est facile une fois l’alerte passée de se détendre mais personne n’en menait large sur le moment… la vie, brièvement suspendue, reprend son cours, nous remettons l’annexe à l’eau et allons à terre pour mener à bien notre projet, hélas,, le peu de véhicules disponibles à la location sont tous loués, voilà une belle occasion de sortir les mini-vélos du fin fond du coffre où ils végètent afin de visiter les coins les plus touristiques donc les plus fameux de cette belle île des Pins, nous ne serons pas venus jusqu’ici pour des prunes.

D’un côté la baie de Kuto, de l’autre celle de Kanumera

Grâce à un couple qui nous prend en stop nous et les vélos pour nous avancer de 5 kilomètres, nous ne ferons que 35 kms le premier jour avec ces vélos de poupée Barbie, et 25 le lendemain, je ne serai plus que l’ombre de moi-même, mais nous serons passés par le marché de Vao et la piscine naturelle d’Oro, pour un lieu très touristique ça va, il y a peut-être une cinquantaine de personnes, avec le capitaine on se trouve un endroit calme et je peux même prendre des photos où on dirait que nous sommes seuls.

Parce que ça c’est une plage touristique ! vous voyez la différence ? là d’accord, j’éviterais d’y aller, mais à l’île des Pins, tu parles (c’est la plage de Copacabana à Rio de Janeiro, Brésil, quand le Pape y était, et pas une plage en Chine comme on l’a vu sur les réseaux sociaux, je m’étais doutée que c’était une fake-news parce que les Chinois ne sont pas plage pour un sou et se méfient terriblement du soleil)

(j’avais mis une photo de la plage de Copacabana blindée de monde mais PicRights Europe GmbH m’a fait un courrier et si je voulais la laisser il fallait que je paie 430 € alors j’ai retiré la photo)

Il faut beaucoup pédaler pour avancer avec ces petites roues, le capitaine a le jarret tonique pour ce faire
On a pique-niqué là, je souris mais je suis au bout de ma vie

Pour faire marcher le commerce local, au marché de Vao le capitaine s’offre un café en poudre (un sacrifice de taille pour ce grand amateur de café) et pour moi un thé Lipton, et nous papotons avec les dames, je leur demande comment elles ont vécu cette alerte tsunami …

Il n’y a pas grand chose à acheter au marché de Vao … mais à qui appartient cette noble nuque au 1er plan ?

D’ici on n’entend pas les sirènes, ce sont les enfants qui ont été avertis dans les écoles et sont allés prévenir leurs parents dans les champs, le lieu de refuge est une maison en hauteur, une dame me dit qu’elle était trop fatiguée pour s’y rendre et qu’elle a regardé son chien : comme celui-ci roupillait tout son saoul, elle en a conclu qu’il n’y avait pas de risque et s’est assise dans son fauteuil, son histoire fait rire toute l’assemblée.

Après ce week-end fort en émotion, nous retournons à Nouméa car il nous faut faire des courses avant de lever l’ancre pour l’île de Lifou et le Vanuatu, nous sommes prévenus qu’il n’y a quasiment pas de magasins au Vanuatu, que c’est pauvre de chez pauvre et que les habitants attendent les bateaux pour recevoir des dons, donc nous achetons des kilos de riz, de pâtes, des bouteilles d’huile, des allumettes et des cahiers d’écolier, à donner lors de notre passage (c’est ce qui se dit sur internet, bon, nous on fait ce qui se dit), j’ai aussi acheté des trucs inutiles de fille, à savoir du vernis à ongle et des colifichets, il n’y a pas que la bouffe dans la vie … Nous quittons Nouméa, probablement pour toujours, et faisons un petit détour par le phare Amédée, aussi incontournable que l’île des Pins !

Le capitaine s’apprête à descendre l’ancre, on ne mouille pas loin de l’îlot, c’est l’îlot qui est tout petit !
On le visite !
J’ai presque eu le vertige de monter toutes ces marches
Cap de Miol vu du haut du phare Amédée

Une fois en haut du phare, je tombe incidemment sur un jeune homme en train de faire une demande en mariage à la jeune femme à côté de lui, il lit un mot qu’il a écrit pour l’occasion et lui demande d’un ton scolaire, en butant sur sa lecture, de l’aider à devenir un homme meilleur en l’épousant, précise au passage que c’est déjà la deuxième fois qu’il lui demande, je trouve ça mignon mais la fille regarde par terre et fait non de la tête, non non non, il s’évertue à lire son mot tandis qu’elle persiste à secouer la tête en regardant ses tongs, et puis elle file, il la suit, les bras ballants et son mot à la main, on ne peut pas dire oui pour ne pas faire de peine …

En redescendant, je vois cette monstruosité dans la boutique du phare ! énorme ! j’adore ! j’appelle le capitaine, tu vas pas acheter ça quand même ?! aaaah comme c’est dommage que je n’aie pas d’argent sur moi, je serais capable de le ramener au bateau comme un trophée, la honte du marin par excellence, ça me fait encore rire quand on revient au bateau.

L’eau est si claire que l’on voit les poissons et les tortues sans même se mettre à l’eau !

Ne manquez pas le prochain épisode surtout !

Bye Nouméa

Pour les gourmands uniquement :

  • le Phare de l’îlot Amédée représente le premier Phare métallique de France et se distingue par son histoire unique. En 1861, suite aux nombreux naufrages de navires entrant dans le lagon de la Nouvelle-Calédonie, Paris ordonna la construction d’un Phare, Monsieur RIGOLET, ingénieur français issu des ateliers EIFFEL commença la construction de ce véritable monument, aux Buttes Chaumont en 1862. Néanmoins, selon les clauses du contrat, Monsieur RIGOLET demanda à ce que le Phare soit monté à l’extérieur de ses ateliers en France. Durant 2 ans, le Phare Amédée domina Paris de ses 56 mètres. Enfin, il fut démantelé en 1265 pièces pour un poids total de 387 953 kilos, et fut transporté de la Seine au port du Havre et ensuite vers sa destination finale, la Nouvelle-Calédonie. Après 10 mois d’intense labeur des militaires et travailleurs locaux, le Phare fut érigé sur l’ïlot Amédée. Sa première illumination fut le 15 novembre 1865, jour de la Saint Eugénie, du même nom que l’Impératrice Eugénie, épouse de Napoléon III. son rayonnement marque l’entrée de la passe de Boulari, l’une des 3 seules entrées naturelles du lagon. Avec une hauteur de 56 mètres, le Phare Amédée domine cette petite île de 400 mètres de long et de 270 mètres de large, située à 24 kilomètres de Nouméa. Pour admirer l’époustouflant panorama, les plus courageux graviront les 247 marches du superbe escalier de fonte qui conduit au sommet de la tour. De l’autre côté de l’hémisphère sud, plus précisément aux Roches-Douvres, le frère jumeau du Phare Amédée protège les navigateurs de la Manche. construit 2 ans après celui du Phare Amédée, il fut la star de l’exposition Universelle de Paris sur le champs de Mars en 1867. Le Phare Amédée est de ce fait une attraction unique dans le Pacifique Sud et l’un des plus grands phares du Monde, dans le plus grand lagon du monde.
le jumeau d’Amédée
  • Ataï est le grand chef kanak de Komalé, près de La Foa. En 1878, il mène l’insurrection kanak contre les colonisateurs français. Après des victoires importantes qui inquiètent l’administration coloniale de la Troisième République, il est tué par un auxiliaire kanak missionné par les colons français.

En Kanaky

La Nouvelle Calédonie m’intéresse particulièrement parce que la famille, jadis, a failli aller y vivre, papa ayant reçu une proposition de job, cela devait être au début des années 70 (le XXème) (siècle, pas arrondissement), à la grande époque de la métallurgie, finalement il a renoncé mais je me demande ce que je serais devenue si nous y avions été, la visiter va me faire passer dans un trou de ver, je vais me voir vivre une autre vie, c’est rigolo, enfin, j’en ai planifié le tour et on va voir ce qu’on va voir.

Outre la botanique et la médecine kanak que je viens découvrir, dont je vous parlerai le moment venu, c’est sur cette culture et ses coutumes mystérieuses, empreintes de magie et de superstitions, que je souhaite en apprendre, nous prenons la route, le capitaine rempli de cette équanimité qui est sienne (quand je ne le fais pas chier) et moi d’impatience.

Avant de vous y emmener, je précise que la Nouvelle Calédonie ce n’est pas une simple île mais plusieurs, l’île principale, appelée Grande Terre, est une bande de 500 kilomètres de long sur une cinquantaine de large, d’où la nécessité d’une voiture parce qu’en bateau et à pinces ça prendrait des semaines et des semaines, les autres îles de ce territoire étant les îles Loyauté à l’Est (Ouvéa, Lifou, Tiga, Maré), l’île des Pins au Sud et les Belep au Nord. Et je vous prierai de savoir que son lagon est le plus grand lagon fermé du monde, ça vous pose une île tout de même, on se dit que ça doit attirer le chaland un truc pareil.

Elle doit son nom au navigateur britannique James Cook qui l’a découverte en 1774 et l’a baptisée New Caledonia en raison de la ressemblance entre le relief montagneux de la Grande Terre et son Écosse natale, je ne connais pas l’Ecosse mais j’ai du mal à voir la ressemblance (j’ai vu toute la série Outlander pendant le confinement).  Ce James Cook quand-même, quel bonhomme, pas une seule île visitée qui n’aie baptisé une île ou un simple rocher de son nom, quand on pense que, parce qu’il a, en toute innocence le pauvre, multiplié les bourdes et porté atteinte à leurs tabous, les Hawaïens l’ont fait passer de statut d’idole à celui de menu du soir  du 14 février 1779, ils l’ont proprement massacré et dévoré en ne laissant que quelques os qui furent récupérés et  confiés par ses hommes à cet océan Pacifique qu’il avait fini de conquérir, quel misérable trépas, RIP Jimmy (aaah tristesse que cette prière en 3 lettres qui a envahi les réseaux sociaux, la pensée hâtive avant de passer à autre chose, RIP, une pelletée de terre, et au suivant !)

Mais revenons à Grande Terre que l’on l’appelle aussi le Caillou, surnom employé par les descendants des colons de l’île et les métropolitains, c’est la petite dimension de l’archipel et sa riche teneur en nickel qui lui ont valu cette appellation. Et puis, le meilleur pour la fin, son autre nom, ultime s’il en est, est Kanaky, qui a vraiment toute une longue histoire que je vais apprendre au fil de mes découvertes (alors certes, si j’étais un peu plus calée en histoire, je l’aurais su d’emblée, mais voilà) (à propos d’histoire, La Nouvelle-Calédonie est française depuis le 24 septembre 1853 quand l’amiral Fébvrier-Despointes a pris possession de l’île au nom de la France, la Grande-Bretagne l’ayant délaissée. Pris possession, pas gêné le gars, je viens je prends, pas très urbain tout ça) (on va croire que je suis indépendantiste)

Pour faire bonne mesure, voici son drapeau, toute une histoire :

Voilà que nous voilà sortis de Nouméa et que nous roulons depuis quelques dizaines de  kilomètres mais comment dire … puis-je avouer que nous sommes déçus, voilà c’est fait : nous sommes déçus, c’est terrible, mais pour l‘instant, le paysage n’est pas à la hauteur de la Nouvelle Zélande, du moins nous le trouvons moins à notre goût, et moins au goût de même des gens d’ici, d’une personne en tous cas, l’adjointe de mairie d’un bled où tu dois t’ennuyer à périr comme la plupart des bleds que nous avons vus, et je dis bien bleds, pas que vous pensiez qu’il existe des villes en dehors de Nouméa, cette adjointe donc s’est extasiée sur la Nouvelle Zélande en précisant que c’est tellement plus beau qu’ici, bon, elle m’a avoué ne pas y être allée mais que c’était son rêve, enfin tout de même, c’est dire que ce n’est pas comparable, la capitaine dira qu’on devient difficile, enfin ne nous emballons pas, nous n’en sommes qu’au début, et justement, lorsque nous arrivons à Boulouparis c’est la fête, tu penses qu’on s’arrête, une fête locale c’est à voir, c’est même LA fête, la grosse teuf, celle du Cerf et de la Crevette, cette improbable association animalière m’interroge, ça me fait penser à la fête de la marmotte dans le film un jour sans fin avec l’excellent Bill Murray, nous débarquons dans une sorte de fête foraine, un monde de dingue, à se demander d’où viennent tous ces gens puisque depuis que nous sommes sortis de Nouméa nous n’avons vu quasiment personne, nous déambulons entre les stands d’art local, de saucisson de cerfs, de jeux pour les enfants dont une pêche aux canards, des terrains sont dédiés à des jeux de forces ou d’adresse pour les plus grands, un groupe de vieilles dames jouent sous un chapiteau

– Je te parie qu’elles jouent au bingo !

– Au quoi ?

– Au bingo !

– Connais pas …

– Tu n’as jamais lu Lucky Luke ?

Une voix s’écrie justement bingo ! c’est ballot que je n’aie pas eu le temps de parier avec le capitaine, j’aurais pu gagner un chapeau de broussard comme les cow-boys du coin, le capitaine en a un super beau mais il l’a acheté en Australie il y a moult, la qualité est incomparable avec celle de son précieux couvre-chef qui lui donne un bel air d’Indiana Jones je vous prie, il fait la moue devant ceux d’ici, la comparaison est source de tourment, il aurait pleuré d’être obligé de passer à la caisse pour un tel galure suite à un pari débile. On apprendra qu’il est venu 12000 personnes sur 2 jours et qu’ils ont vendu entre 3 et 5 tonnes de crevettes, cette approximation à la louche étant surprenante en soi pour tout esprit cartésien payant taxes et impôts rubis sur l’ongle.

Plus tard nous passons par les gorges de Moindou, je dois dire que si j’avais vécu en NC, c’est là que je serais venue habiter, c’est beau, c’est vert, il y a des vaches, des grands arbres et de l’eau, c’est tranquille au possible, on se demande pourquoi j’étais déçue, sale gamine capricieuse trop gâtée, nous sommes hélas arrêtés par une inondation de route, notre voiture ne passe pas, demi-tour.

C’est un long week-end, celui du 8 mai, le peu de snacks pour le moins sommaires sont tous fermés, heureusement j’avais emporté des amandes et des raisins secs, et comme il est dit que Dieu pourvoit, nous trouvons une station-service qui vend quelques menues denrées,  notre choix se fixe sur du pain blanc et mou et du jambon aux nitrites, sinon c’est bonbons et gâteaux, improvisons un pique-nique dans un coin chouette, le soir le seul endroit où nous trouvons à dormir est LE hôtel chic de NC à Bourail, Madeleine à l’accueil nous explique que tout est en général réservé pour les week-ends et qu’il n’y a plus que chez eux qu’il y a de la place (vu le prix, tu m’étonnes), du coup on dort dans un lit king size et on dîne royalement, ce qui est pris est pris

le chouette coin pour pique-niquer, tranquille je vous dis

Le lendemain nous passons à Voh, je voudrais voir le trou bleu et le cœur de Yann Arthus-Bertrand, mais ce qui est dingue c’est qu’ici rien n’est fléché et sur Maps tout est approximatif, on tourne en rond un bout de temp et quand on trouve le chemin pour y aller il est midi et le soleil tape tellement qu’on laisse tomber les 2h30 de rando sans l’ombre d’un arbre, on préfère enchaîner dans la bagnole avec la clim’ sur Kaala-Gomen, joie parce que c’est là qu’on trouve un max de Niaoulis, ses feuilles contiennent du goménol, on les utilise pour faire de l’Huile Essentielle, les calédoniens utilisent les feuilles de cet arbre en décoction pour assainir la maison par ses vapeurs et aussi en inhalation pour les débuts de grippe, moi-même je la recommande, souvent en la combinant avec d’autres H.E.  en fonction des symptômes, ceci même si l’odeur n’est vraiment pas terrible. L’arbre est plutôt dingue, la première fois que j’en ai vu un je ne savais pas que c’était un niaouli et j’ai cru que c’était un arbre malade, on dirait que son tronc est fait en couches grossières de papier mâché et qu’il est mou, c’est incroyable qu’un si gros arbre puisse paraître aussi mou, il y a des niaoulis un peu partout, notamment dans les grandes plaines de la côte ouest (où nous sommes), sachez aussi que Kaala-Gomen a été célèbre en son temps pour une raison fort peu botanique, à savoir ses conserves de bœuf, le bœuf Ouaco comme on dit ici mais les militaires qui en ont bouffé plus souvent qu’à leur tour pendant la Première Guerre mondiale l’appelaient du singe, depuis qu’on navigue on a vu du corned-beef dans tous les supermarchés de toutes les îles, le capitaine m’a défendu d’en acheter, il en a assez avalé pour le restant de ses jours (personne ne sait combien), c’est pour ça que nous, ça reste limité aux sardines, maquereaux et thon, à force le corned-beef me ferait presque rêver, un bon corned-beef-mayo y’a pas de honte !

Le cœur de Voh est une clairière naturelle formée par la mangrove, c’est Yann Arthus-Bertrand qui l’a rendu célèbre en utilisant une photo de ce cœur pour la couverture de son livre la terre vue du ciel, mais pour bien le voir il faut le survoler en ULM, c’était fermé lors de notre passage, quand je vous dis qu’on ne voit personne, si on y va à pied, on le voit pas si bien parce qu’on n’est pas assez haut pardi, maintenant vous saurez qu’il se trouve en Nouvelle Calédonie

J’ai pris ci-contre cette photo sur Tripadvisor pour vous montrer une vue qui ne donne pas forcément envie de se taper 2h30 de rando raide sous un soleil de plomb :

Et idem pour le trou bleu, soit il faut le survoler, soit faire 3h30 de navigation pour atteindre le Ligthouse Reef qui est le petit atoll où il se trouve avec ses 300 m de diamètre et plus de 120 m de profondeur, ça fait loin, on oublie.

Et bien entendu :

Les fameux Niaoulis !
Un tronc de plus près, son écorce est aussi utilisée pour la fabrication des cases dans les tribus

Donc si, il y a des choses à voir par ici, même si le moindre truc est donné comme étant une attraction touristique, la Chapelle Ste Anne par exemple, bon, il s’agit d’une mini chapelle pas jolie pour un sou, un cube de béton mal entretenu, mais comme elle existe et que, en toute objectivité objective, il n’y a quand-même pas grand-chose à voir dans le coin, elle est survendue dans les guides, ça j’avoue qu’ils savent vendre même un virage sur la route ces fameux guides, mais à Koumac, aaaah Koumac ! Il y a une grotte à visiter, alors nous la visitons, quelle expérience hallucinante ! En plus on a un pot d’enfer parce qu’on a toute la grotte pour nous, ça restera un des souvenirs les plus forts de ma vie bien que, dedans il faisait plutôt lourd et moite, on ne respirait pas très bien, mais bon, et puis à un moment je me suis retournée et j’ai vu que sans lumière frontale il faisait une nuit plus noire que les nuits les plus noires que l’on puisse imaginer, je me suis dit que si les lampes ne fonctionnaient plus, on serait dans un noir si absolu que ça m’a donné envie de voir le jour de toute urgence, j’ai pris sur moi (je suis impressionnable, le capitaine n’a pas bronché quand je lui ai dit pour le coup des lampes)

le capitaine est resté minéral

Quand il faut dormir, nous le faisons où cela est possible, cette fois chez l’habitant, des zoreilles, ce qui me fait vous apprendre qu’au niveau tourisme, la NC est vraiment en bas de l’échelle, d’une part parce que la concurrence est rude avec des destinations bien plus attractives comme les Maldives, les Fidji, Seychelles, Maurice, la République Dominicaine et beaucoup d’autres, mais d’autre part à cause de la NC elle-même :  le prix des billets d’avion est élevé, c’est l’une des destinations les moins compétitives du monde avec des produits au rapport qualité-prix pour le moins médiocre (euphémisme, tout coûte une blinde), on constate un manque cruel d’animation et l’offre hôtelière est réduite à sa plus simple expression, et si on ajoute les conséquences néfastes des différents mouvements sociaux et les soubresauts politiques qui agitent couramment le pays et  ternissent l’image de la Nouvelle-Calédonie, le décor est planté… Nous sommes dimanche soir, pas de restos dans le coin qui pourtant est la ville de Koumac quoi, les rares snacks sont fermés, et l’habitant chez qui nous dormons ne propose pas de repas, nous finissons par trouver un hôtel fermé mais qui propose des pizzas à emporter, un étonnant miracle en soi, nous discutons avec les employées pendant que la pizzaiolette s’échine à nous concocter notre commande, charmantes et drôles les dames, elles nous expliquent que l’hôtel fonctionne avec des travailleurs la semaine mais qu’il est vide les week-ends, pourtant il ressemble à quelque chose qui pourrait tout à fait convenir à des touristes en goguette, mais dans le nombre de touristes qu’avance la NC, une bonne partie sont en fait des voyageurs d’affaire du secteur minier et métallurgique, une autre bonne partie en réalité des gens qui viennent en visite dans leur famille ou chez des amis, en majorité des métropolitains, en même temps, si on n’aime pas les lieux trop touristiques, ici on est servi. Nous emportons notre pizza, bien heureux d’avoir trouvé à manger, l’économisons de manière à en avoir pour le petit-déjeuner du lendemain, première fois de ma vie que je mange de la pizza au petit-dèj, j’espère la dernière, pourtant je suis connue pour pouvoir avaler tout ce qui me tombe sous la main au petit-dèj.

Une fois sustentés de cette royale sorte, nous reprenons notre route et continuons de rouler sur cet axe dont il est difficile de sortir car nous n’avons pas de 4X4 pour nous engager sur les pistes, il faudrait sortir du littoral pour trouver des restes de la forêt sèche mais voilà … une kanake que nous prenons en stop nous explique que dès qu’il pleut la terre devient collante au point d’empêcher d’avancer, on s’enfonce et on plante la voiture dans une espèce de sable mouvant, elle nous déconseille fortement et confirme ce que nous avions entendu, alors on roule sur cette route, il n’y a rien que de la brousse, le terme n’est pas de moi mais d’ici, c’est la brousse, les habitants des broussards, avec, de temps en temps, une ville, c’est-à-dire un endroit où trônent une église, un OPT, une école, une espèce d’immense chapiteau en béton qui fait office de lieu de sociabilisation (c’est pas des blagues, je l’ai lu sur un panneau), un non moins immense terrain de foot ou de tout ce qu’on veut envahi par de hautes herbes, le tout incroyablement désertique, et puis, très espacées les unes des autres, des maisons qui sont en réalité des constructions plus ou moins solides, qui vont d’amas de tôles peintes ou rouillées, c’est selon, à des bâtisses en parpaings plus ou moins fignolées, c’est selon aussi, tout ça entouré de grands jardins parfaitement tondus pour la plupart et agrémentés de plantes et de fleurs et ornés, très souvent, de carcasses de bagnoles et de divers tas d’immondices variés, planches, pneus, barils, chaises ou tiroirs abandonnés, nous passons par tous les villages, tous identiques, et entre eux la savane, des cascades, de la terre rouge, il faut attendre d’arriver sur la côte Est pour trouver la forêt humide et ses kaoris géants, des araucarias, palmiers, cocotiers, des fougères arborescentes immenses, des orchidées et la mythique Amborella Trichopoda donnée pour être l’ancêtre de toutes les fleurs de la planète, j’avoue qu’il y a des coins magnifiques à voir en Nouvelle Calédonie, malgré mon manque d’entrain du début, en plus au niveau botanique, c’est Byzance ! (il a été répertorié 3261 espèces de végétaux vasculaires dont 76 % d’espèces endémiques, ce qui classe la Nouvelle Calédonie au troisième rang mondial de l’endémisme après Hawaï avec 89 % et la Nouvelle-Zélande avec 82 %, autant dire que les botanistes ont du boulot, mais je vous en dirai plus long plus tard).

quelques images, on ne voit jamais personne

On avance, le temps se gâte, couvert avec des averses de pluie, il se fait assez tard pour ici (plus de 15h, la plupart des commerces ferment vers 15h30) et le capitaine commence à s’énerver parce que Maps lui indique qu’on va devoir prendre un ferry et que ça va sûrement être trop tard alors qu’est-ce qu’on va faire dans ce trou toute la nuit je te le demande isabelle, je fouine fébrilement dans mes documents mais ne vois rien à ce sujet, que répondre au capitaine qui va me dire à coup sûr que j’ai mal préparé mon affaire, comme on est faible quand on est dans son tort (Marcel Pagnol, le château de ma mère), heureusement pour ma pomme ce n’est pas un ferry que l’on doit prendre mais le bac de la Ouaïème qui traverse le fleuve du même nom et qui fonctionne jour et nuit, on papote avec le conducteur du bac, il aime bien son job, il voit passer des tas de gens, nous pouvons continuer sur Hienghène pour voir la poule.

La poule de Hienghène, j’ai lu plein de trucs sur la Nouvelle Calédonie, parfois en diagonale, et je ne sais pas vous, mais moi j’ai tendance à saisir une idée comme une balle au bond et à partir aussitôt dans des divagations aussi spontanées que fantaisistes, tout dépend de ce que j’ai vécu et qui a imprégné ma mémoire récente, cette fois je m’attends à voir une poule posée dans une belle cage dorée tapissée d’une moquette à poils aussi épaisse que celle du tableau de bord d’un routier sentimental, nourrie et dorlotée, grasse et emplumée comme la tête de Mistinguett, et qui prédit le temps qu’il va faire, il y a bien eu un poulpe qui pronostiquait des résultats de matchs de foot, je partage ma pensée avec le capitaine qui tourne vers moi sa tête d’interloqué qui se demande si je me fous de sa gueule

– mais comment veux tu qu’une poule donne la météo ?!

– je ne sais pas moi, elle peut se tourner vers la mer s’il va faire beau ou vers la terre s’il va pleuvoir ? ou pondre quand il va faire beau et rien s’il va faire moche ? ou …

– mais n’importe quoi ! pourquoi tu penses à des trucs pareils ?

– je l’ai lu quelque part !

– mais ce n’est pas une vraie poule !

Vous voulez que je vous dise ? déjà que le capitaine manque cruellement de pensée magique, mais aussi que c’est à cause de cette histoire du cerf et de la crevette, ça m’a fait penser au film de la marmotte qui dit si le printemps sera beau ou pas, je reste persuadée qu’elle indique le temps qu’il fera, les gens à qui j’ose poser la question une fois arrivés à Hienghène me regardent comme si je fouettais la gnôle qui arrache à 100 pas

donc c’est un rocher la poule

Je ne suis pas si cruche, j’avais bien lu un truc quelque part (leur photo est moins parlante que la mienne) :

Mistinguett toute emplumée

Plus loin, en passant par Poindimié, le capitaine se demande si on pourrait y amener le bateau, il a vu qu’il y a peu de fond, la passe est délicate, il se tâte, un pêcheur lui propose de l’emmener dans son bateau pour vérifier le fond, les voilà partis, ça serait le moment idéal pour me sauver si j’avais été enlevée par un pirate,

au bout du compte on n’y viendra pas en bateau

comme je suis là de mon plein gré je fais quelques jolies photos de la baie en attendant son retour, il se demandera longtemps pourquoi je l’ai accueilli en lui disant tu vois je ne me suis pas sauvée, en même temps cette histoire de poule ajoutée à tout le reste fait qu’il ne cherche plus à comprendre depuis belle lurette.

Je vous mets ma préférée

On revient sur la côte Ouest et on se retrouve à dormir chez un autre habitant, des caldoches cette fois, qui ont une ferme pas très loin de La Foa avec une route carrossable pour y accéder, nous passons la soirée avec Jean-Louis et Annick, une authentique leçon d’histoire de la NC et des évènements comme on dit couramment ici. Au cours de la soirée j’évoque le cannabis parce que j’en ai vu, Jean-Louis explique que c’est un véritable fléau, notamment parce que le cannabis récolté en Nouvelle-Calédonie est bien plus nocif du fait de sa haute teneur en T.H.C. de sa faible teneur en cannabidiol car il pousse sur des sols miniers chargés de métaux lourds tels que le nickel et le chrome. La cannabis est un fléau par ici, les jeunes commencent à fumer de plus en plus tôt et le nombre de cas de schizophrénie et de psychoses est 2 fois plus élevé qu’en métropole.

du cannabis
du ricin commun

Il y a du ricin un peu partout, alors si on fait pousser du cannabis au milieu du ricin, ça ne se remarque guère … Le cannabis est arrivé en Nouvelle Calédonie à partir de 1950 ou 1970 selon les sources, il a été cultivé dans le respect de la nature par les anciens mélanésiens qui ont rapidement adopté cette plante en tant que source médicamenteuse et relaxante, avec la vision que si cette plante pousse sur la terre elle est bel et bien destinée aux humains (moi je dis pareil pour le bon vin). Longtemps elle a été cultivée abondamment et on en trouvait comme on voulait dans les champs maraîchers ou même au bord des routes, jusqu’à ce que les autorités françaises commencent à faire le ménage. Cela n’empêche nullement sa culture de prospérer aujourd’hui de manière moins ostentatoire, mais l’état d’esprit a changé et est passé de l’esprit hippie et reggae à celui de source de revenus facile et rapide, ça doit être ça la véritable décadence …

Je profite de cette soirée et de la générosité de nos hôtes pour m’enquérir au sujet de cette obscure organisation des clans, des tribus, de la coutume … c’est complexe mais je vais tâcher de vous expliquer les grandes lignes : la société kanake est structurée autour d’une organisation coutumière avec des clans, des tribus, des districts coutumiers regroupés en aires coutumières, tout cela géré par des chefs, des petits-chefs, des conseils de chefs de clans et des sénats coutumiers, le clan étant une entité composée de familles ou de sous-clans. Ouf !

pour vous donner une idée du casse-têteIl existe 341 tribus, 57 districts et 8 aires coutumières

Un arrêté (n°147 du 24 décembre 1867) confère à la tribu une existence légale et lui donne un droit de propriété sur le sol des réserves. Une grande partie des tribus a été créée au début du XXème siècle par le biais de la délimitation des réserves qui leur ont été affectées. Dans un grand nombre de cas, les tribus créées ne correspondaient pas à des réalités coutumières mais à la volonté du pouvoir local de regrouper les kanaks sur une même zone. Ces réserves autochtones sont inaliénables, incessibles, insaisissables et incommutables. A ce sujet, je me permets de penser que c’est pour cette raison que pour certains kanaks, ne faire que passer sur un chemin qui fait partie de leurs terres est mal pris. Mais rien n’indique en général que tel ou tel endroit est privé, il nous arrive de nous faire refouler par un kanak à l’air pas commode, parce que tel bout de chemin ou de plage est privé, en fait le droit kanak considère qu’un espace foncier est approprié à partir du moment où il est défriché, autrement dit où il passe de l’état de brousse à celui d’espace cultivé et donc habité, et c’est pour cela que nous voyons autant d’espaces entretenus, c’est ce que m’avait dit le capitaine quand j’avais manifesté mon étonnement parce que les « jardins » étaient bien mieux entretenus que les habitations, et il avait raison.

les tribus sont fléchéessur la cote Est, on voit régulièrement des panneaux « TRAVERSEES DE TRIBUS » pour ralentir sur la route, ça me fait poiler

Nous avons aussi entendu dire que dans certains mouillages, certains kanaks coupent les chaînes des ancres car pour eux la mer leur appartient. Shocking ! parce que pour le droit français, le rivage est considéré comme propriété de l’État, il peut faire l’objet de concessions sous certaines conditions, mais ne peut être approprié de façon privée, c’est d’ailleurs en connaissance de ce fait que certains estivants étalent leur serviette sur des plages privées et payantes sans débourser un centime, parce qu’ils savent que le rivage ne peut pas être privé, j’ai déjà vu des scènes épiques lors desquelles des vacanciers gardaient leurs fesses posées devant les transats sans s’émouvoir des garçons de plage qui s’évertuaient à tenter de les faire déguerpir.  Pour les kanaks, cette notion n’a pas de sens : les limites terrestres étant celles qui séparent des chefferies voisines, celles-ci se prolongent jusqu’au récif-barrière dans la mer et c’est tout. Il vaut vraiment mieux s’annoncer et faire la coutume si on ne veut pas dériver au large, amarres cisaillées, pendant la nuit …

Mais qu’est-ce donc que cette coutume : lorsqu’on veut être accueilli dans une tribu, il faut faire la coutume, c’est à dire offrir un manou (morceau de tissu dans lequel on glisse un petit cadeau dit symbolique, c’est-à-dire un billet de 500 ou 1000 francs Pacifique, et un paquet de riz ou de tabac qui remplacent l’igname ou les monnaies kanakes d’autrefois) (cette ancienne monnaie était faite d’un brin de laine sur lequel on enfilait des os de roussette – une chauve-souris – des coquillages et parfois, des dents de baleine ou des antennes de langouste et qui s’offrait lors des naissances, des mariages et des deuils, ça on peut dire que c’était vraiment symbolique, les choses changent)

je suis allée acheter des beaux tissus avec l’argent du capitaine pour faire la coutume

Les coutumes se pratiquent en diverses occasions et de manières différentes : coutumes de mariage, de deuil, d’arrivée, ce sont des rituels qui définissent les devoirs et les obligations vis-à-vis de la communauté, mais aussi leur lien à la terre et au sacré. Celle que l’on pratique en tant que visiteur invité dans une tribu sert à se présenter, et à montrer respect et humilité envers les hôtes qui nous accueillent sur leurs terres, ou, ainsi que nous venons de le voir, sur leur portion de mer.

Ce système a bien des avantages de liens sociaux, mais il a aussi bien des inconvénients … Annick me raconte entre autres que lors de la naissance du premier enfant, si c’est un garçon, la maman le donne à son oncle utérin, après des recherches sur ce sujet qui m’effare de prime abord, il s’agit d’un juste échange à leurs yeux, la mère donne son enfant à sa propre famille puisque sa famille l’a donnée en mariage à une autre famille. Notons que l’on donne l’enfant si c’est un garçon en échange d’une fille qu’on a mariée, on repassera au niveau équité, mais c’est la coutume … Quoique désormais, il y a de plus en plus de jeunes femmes qui refusent de céder à cette coutume, et j’entendrai beaucoup de débats sur RRB ou Djiido, les 2 radios principales de NC, RRB étant Radio Rythme Bleu, à l’origine celle de Jacques Lafleur, donc loyaliste, et Djiido la radio des indépendantistes : le poids des coutumes pèse de plus en plus sur les jeunes kanaks en général, et sur les femmes en particulier … Je vous mets l’article 60 de la charte du peuple Kanak qui expose que

« La femme est l’être sacré qui donne la vie. Une fille ou une femme a pour symbole végétal et naturel, le taro d’eau, le cocotier et l’eau. Elle est source de vie et de fertilité. Elle est la source de nouvelles alliances et le lien entre les clans et entre les générations. Elle est la valeur absolue pour la paix et la prospérité. »

Mais comme dans l’immense majorité des sociétés humaines, malgré les beaux discours, les lois et coutumes sont faites par les hommes au détriment des femmes. L’histoire du féminisme kanak est très intéressante, je vous mets un lien vers un excellent article si ça vous dit : https://www.cairn.info/revue-mouvements-2017-3-page-55.htm

une Maison de la femme à Poum, tout au Nord de l’île

Une autre fois, j’ai échangé avec une prof de collège et son mari, un policier à la retraite, ceux-ci me disaient que les tribus ne se mélangent pas, que par exemple les tribus du Nord ne vont jamais dans les tribus du Sud et vice-versa et que même pour les tribus voisines, à part aux mariages et aux enterrements, chacun reste chez soi, cette prof m’expliquait aussi qu’elle appelle les élèves par leurs prénoms pour ne pas faire de référence aux tribus en classe, qu’on la prévenait si tel ou tel garçon était fils de chef ou de petit-chef, qu’il fallait prendre des précautions, là aussi, où est la justice ? Je sais bien que chez nous c’est pareil, si un enfant est celui d’une personnalité, le traitement ne sera souvent pas le même, c’est tout autant injuste … et en discutant encore avec une Zoreille, Emeline, qui vit en NC depuis 9 ans et a trouvé une espèce de rêve hippie dans son organisation de vie dans une tribu, celle-ci avait commencé à me parler avec emphase de la spiritualité de ces tribus, bon, je lui ai dit que justement, pour des gens sensés être en contact avec la Terre et la Nature, ça laissait grave à désirer quand on voit des décharges sauvages et la pollution genre canettes ou bouteilles de soda qui traînent et j’en passe, là elle a fait volte-face et m’a dit qu’il y a une hypocrisie phénoménale avec ces coutumes et cette spiritualité affichées mais qui ne sont qu’une façade pour beaucoup, le monde est vraiment plein de croyants non pratiquants … ce que je trouve intéressant, c’est justement de voir ce qui en est en réalité, pas simplement ce qu’on nous montre dans les guides, la jolie coutume pour touristes en veine d’authenticité, ça va être la même chose avec la médecine mais je vous raconterai dans un autre article.

Avant notre départ, Jean-Louis (loyaliste pur et dur qui pense que la colonisation n’a eu que des bienfaits, sans elle ça serait la chienlit, qui a tort qui a raison) nous fait visiter sa ferme, il a une biche dans un champ qui se révèle, à ma grande surprise, être un cerf : pour que les bois ne poussent pas, il faut castrer un cerf avant l’âge de 7 mois et le tour est joué, ça évite les bagarres, en NC ils ont le même problème qu’en NZ, trop de cerfs qui sont devenus nuisibles, mais Jean-Louis a un faible pour les cerfs et s’en sert comme animal de compagnie. Son job c’est l’élevage de porcelets, il a plusieurs truies et un vérat énorme qui vient vers nous en courant, drôlement leste pour un si gros cochon ! Même pour lui (Jean-Louis, pas le cochon) La Niña a été problématique, avec des pluies diluviennes les porcelets se sont retrouvés noyés dans la boue… (pour info marrante, le cochon et le sanglier peuvent s’accoupler et le résultat donne le cochonglier ou sanglochon)

Pour vous donner une idée, il m’arrivait à mi-cuisses !

Quand nous les quittons, nous allons visiter le Fort de Teremba, ancien bagne de la Nouvelle Calédonie … encore une sacrée tranche d’histoire de l’humanité que je vais découvrir …

Les cimetières sont accueillants, ça fait envie

En savoir plus ? c’est facile, il suffit de lire !

  • Livre « La Nouvelle Calédonie, un destin peu commun » de Jean-Christophe Gay
  • Kanak viendrait du polynésien où il signifie tout simplement homme. Il désigne aujourd’hui les populations mélanésiennes de Nouvelle-Calédonie, c’est-à-dire la population présente sur cet archipel océanien depuis des milliers d’années, et qui représente environ 40% des habitants de l’archipel, d’après le recensement de 2014, basé sur les déclarations des habitants. La Mélanésie regroupe la Papouasie-Nouvelle-Guinée, les îles Salomon, le Vanuatu, la Nouvelle-Calédonie, et les îles Fidji. L’arrivée du mot kanak en Nouvelle-Calédonie et son intégration dans le langage courant relève d’un parcours complexe et remonte à l’époque de la colonisation, qui commence à la fin du XVIIIe siècle. A cette époque se développent dans le Pacifique des langues assez particulières, nées de la communication entre les populations locales et ceux qui étaient régulièrement en contact avec elles : les colons et explorateurs, les chasseurs de baleines, les santaliers, qui faisaient le commerce du bois de santal, et les pirates. Ces langues dites « véhiculaires », ont été regroupées sous l’appellation pidgin. En Nouvelle-Calédonie, le pidgin qui était parlé, ressemblait à une sorte d’anglais mêlé de mots venus d’Europe, de Chine, et d’autres régions du Pacifique. Ce pidgin, va permettre au mot kanak d’arriver en Nouvelle-Calédonie. C’est à l’époque de l’implantation d’une colonie pénitentiaire à partir de 1853, que le terme kanak est francisé, intégré au français, sous l’orthographe canaque. Le terme canaque va prendre rapidement une connotation très péjorative et insultante dans le français parlé sur l’archipel. Rappelons qu’un groupe de Mélanésiens sera envoyé à Paris pour l’exposition coloniale de 1931 et exhibé comme des animaux au Bois de Boulogne. Malgré l’histoire stigmatisante du mot « kanak », ou peut-être grâce à elle, le mot a repris une force inattendue à partir des années 1970, au moment où le mouvement indépendantiste s’est forgé, théoriquement et politiquement sous la houlette, notamment, de Jean-Marie Tjibaou. En décidant de s’approprier le terme kanak, moyennant un changement d’orthographe (de « canaque » à « kanak »), la génération indépendantiste crée une revendication identitaire commune et nouvelle. 
  • Le mot caldoche (provenant, d’une part, de Calédonie et, d’autre part, du suffixe péjoratif -oche) est un mot créé vers 1960 par les enfants kanaks, probablement de l’île Lifou, lorsqu’ils voulaient s’insulter entre eux. Ce mot servait à désigner par dérision les descendants des Européens de la Nouvelle-Calédonie qui, à tort ou à raison, étaient réputés pour être forts en gueule.
  • Zoreilles est le terme péjoratif pour parler des Métropolitains. Trois explications possibles à ce surnom : 1) à cause de leurs oreilles qui deviennent toutes rouges au soleil, 2) les Français, comprenant mal la langue des autochtones, faisaient constamment répéter et passaient ainsi pour être durs d’oreille, 3) nom donné aux chasseurs d’esclaves, payés au nombre de fugitifs rattrapés qu’ils tuaient, rapportant leurs oreilles comme preuve pour se faire payer.
  • Amborella trichopoda : cette fleur, contemporaine des dinosaures et qui poussait déjà il y a 125 millions d’années, est endémique des forêts pluvieuses de Nouvelle -Calédonie. Elle est considérée sur la base des analyses génomiques comme la plante à fleurs la plus ancienne sur terre (XVIème Congrès de Botanique – St Louis, Missouri, USA, Août 1999), les chercheurs sont parvenus à déterminer sa datation grâce à une technique avancée de biologie moléculaire. Ce sont les empreintes génétiques de la plante qui ont révélé son long passé, jusque-là  elle n’entrait dans aucune famille.

On reprend la mer

le port de commerce de Marsden Cove qui s’éloigne

Il fallait partir tôt, c’était dit, on part à 15h, mais pour une fois nous avons une circonstance atténuante de taille, Andrew, le gars des customs qui doit nous faire les papiers de sortie, nous a donné rendez-vous à 11h30, tu m’étonnes, c’est dimanche et il veut faire la grasse mat’, on ne peut l’en blâmer, ça m’arrange, je vais pouvoir dormir en conséquence, parce que partir pour une semaine de nav’ après 5 mois de vie terrestre, si je pars déjà crevée, je vais être malade aussi sûr que 2 et 2 font 4. Mais Andrew a donné un autre rendez-vous à la même heure, un peu brouillon l’Andrew, on passe après les autres, ce brave Andrew nous donne son numéro de téléphone pour l’appeler en mer si on a une merde, c’est gentil mais pas rassurant, pourquoi aurait-on une merde ? qu’est-ce qu’on me cache ?! … il est plus de 13 heures quand on le quitte, ce qu’il y a comme paperasses à faire c’est hallucinant, le capitaine a même dû fournir une photo de Cap de Miol qu’Andrew a imprimée, comme si le numérique n’avait pas été inventé, nous voilà au bateau, l’heure fatidique pointe mais il est déjà temps de manger, alors on mange, c’est sacré, on range, je cale tout dans le bateau, maintenant je sais bien caler tout, je bourre même des sachets en plastique en boule pour bloquer des Tupperware (qui n’en sont pas) dans le frigo, j’ai préparé pas mal de trucs à manger parce que ça va bouger, je suis prévenue, le capitaine a dit qu’on va se faire branler, je calcule in petto qu’il y a donc 3 niveaux de secousses d’après lui : niveau 1) on va se faire chahuter, niveau 2) on va se faire brasser, et niveau 3) on va se faire branler … j’évite d’y penser, je n’ai pas trouvé mieux que cette astuce de ne pas penser, c’est salvateur et je note avec une satisfaction non dissimulée que j’y arrive parfaitement, c’est sûrement génétique, XX je présume.

Bien, il faut préparer les amarres pour partir, je peux vous dire que l’amarrage est une science franchement pointue, je m’en réfère à qui de droit :

– qu’est-ce qu’on fait alors ?

– à toi de me le dire… réfléchis

Réfléchis, réfléchis, il en a de bonnes … je lève le nez vers la girouette, le vent est assez fort et vient de tribord :

– On enlève les amarres bâbord

– c’est bieng … et après on fait quoi ? (ma participation active l’encourage à me pousser dans mes retranchements)

Une fois lancée dans la réflexion, ma cervelle chauffe et ça va tout seul (pas toujours) :

– on laisse la garde, mais si on enlève l’amarre avant, le bateau risque de pivoter et de taper le poteau à bâbord, et si on enlève l’amarre arrière il risque d’aller taper l’autre bateau (on est fichu)

Le capitaine, toujours sur le ponton, balaie la scène d’un seul regard et tranche : ôte les amarres bâbord … aussi la garde … et vire les amarres tribord …

– hum hum … le bateau va partir si on fait comme ça (je n’aurai plus qu’à agiter la main pour dire au revoir au capitaine)

– c’est bon, je tiens le bateau

Alors, je ne sais pas si cette manière de faire est très orthodoxe, mais le capitaine retient le bateau à mains nues, oui mesdames messieurs vous oyez bien (du verbe ouïr, mais ce n’est pas ouïssez, c’est oyez, j’ai vérifié) (ça me donne envie de demander au capitaine s’il m’oit bien lors de la prochaine manœuvre, pour mettre de l’ambiance, est-ce que tu ois ce que je te dis, dis est-ce que tu m’ois), à mains nues, vas-y mets les gass ! Ma confiance en ses ordres est née de ces longues heures, que dis-je, de ces longs mois de compagnonnage marin, même si, en mon for intérieur, j’entrevois les pires séquelles lorsque le dit ordre m’apparaît comme tiré par les cheveux voire totalement dénué de bon sens, je mets les gaz, le bateau commence à avancer, le capitaine le pousse un peu (mais saute, bordel !), pousse encore, encore, un peu plus … et saute enfin dedans à mon grand soulagement, prend la barre, je bondis pour repousser le poteau en bois sur lequel on arrive, c’est pas grave, laisse ! ah bon, on glisse dessus mais le bois c’est mou, et voilà, on s’éloigne dans le chenal, j’ai le cœur bien gros comme à chaque nouvel adieu, mais plus gros ici que dans moult autres endroits, ici je m’y verrais bien vivre, même s’il y a trop de vaches et d’opossums …

on est protégés dans la baie, c’est bien pour se réhabituer au flottement du bateau (j’ai oublié de ranger les pinces à linge)

Le capitaine a décidé de partir en ce dimanche 23 avril car le vent a tourné au sud grâce à une grosse dépression, si on était parti plus tôt, outre une météo de merde, on aurait eu le vent de face, de quoi vous dégoûter à vie de la plaisance (plaisance : navigation pratiquée pour le plaisir), là on est gâtés, on a une météo de merde mais le vent dans le cul.

Mais on va devoir faire un détour pour ne pas tomber dans le gros de la dépression, 45/50 nœuds établis prévus, je suis bien aise que le capitaine préfère rallonger la route que de foncer dans la porte de l’enfer :

le vent va dans le sens de la dépression et pour le coup ça nous arrange

Vendredi ça se calmera mais ça sera encore venteux :

Tant que nous sommes abrités par les côtes de la NZ, c’est tranquille car la mer ne chahute pas trop, mais une fois le Cap Reinga dépassé tout au nord, la danse commence, on passe le lundi avec un vent de travers qui gambade de 26 à 43 nœuds, la nuit suivante c’est du 35/40 nœuds, toujours au travers, mer formée comme on dit, 3 ris et trinquette, pour se réamariner il y aurait mieux, je ne pensais pas que le corps humain pouvait fabriquer autant de bile en 24h … Le capitaine n’est pas très vaillant lui-même, il râle, mal de mer = faiblesse, faiblesse = devenir vieux, c’est mal, moi il y a tellement longtemps que j’ai des faiblesses que je suis largement prête, lui il découvre seulement alors ça l’étonne, il se rebiffe, je ne sais pas si ça sert à ralentir quoi que ce soit, lutter, se débattre, c’est comme accélérer avant un feu rouge, tu dépenses de l’essence pour rien, je garde mes pensées qui ne valent que pour moi, ciel gris, mer grise, le capitaine se fout de ma gueule : alors tu ne fais pas de poésie sur la beauté des ciels gris ni sur l’albatros aujourd’hui ? (un albatros tournoie près du bateau et je m’en fous à un point, c’est dire)

Le jour suivant, d’une part on est au portant, d’autre part on n’a plus que 18/20 nœuds, la mer est plus calme et les estomacs aussi, tant mieux car je commençais à me déshydrater sérieux, finir lyophilisée sur un coin de couchette n’est pas une fin très reluisante, c’est plutôt le genre de fin qu’on se raconte l’air effaré entre marins qui s’enfilent du rhum au yacht club du coin, tu t’rends compte, c’est par Dieu pas possible, mais quel âge qu’elle avait, c’est con dis donc, tiens bois un coup à sa santé hahahaha, RIP …

En tous cas j’ai retrouvé le capitaine, il a sa tête de capitaine sérieux à la manœuvre avec l’œil partout, sa tête de capitaine qui réfléchit ardemment devant les fichiers météo, il ne fait pas semblant, et puis ses mains de capitaine, celles qui moulinent un winch, qui bordent une écoute ou qui lâchent un ris, je ne peux pas vous dire vraiment mais ce ne sont pas les mêmes mains que celles qui enfilent son fameux pull à col cheminée ou qui tripatouillent son téléphone, quand nous étions en France nous avons vu pas mal de monde et avec ce monde, eu différents échos de mon journal de bord, une amie s’esclaffe en visualisant la scène, ah oui ! Son regard noir derrière ses lunettes noires ! froncement de sourcils de l’intéressé dans ma direction, mais qu’est-ce donc que cette histoire de regard noir derrière ses lunettes noires, son copain surenchéri avec je ne sais plus quelle remarque en m’adressant un regard si lourd que s’il avait des lunettes elles tomberaient par terre, il a retenu une pique ou une autre, j’ai envie de lui fourrer un chiffon dans la bouche pour le faire taire, le visage du capitaine va finir par être tout agité de tics si ça continue à balancer mes tacles, mais par chance tout le monde ne retient pas la même chose, une autre fois c’est mon beau-frère qui me tance, il faudrait que j’arrête avec le couplet le-capitaine-est-génial-et-moi-je-suis-nulle (sourire en coin chez le capitaine, ça équilibre) et aussi, il, mon beau-frère depuis bien 40 ans dis donc, aimerait que je raconte la mer, le bateau, les gens que l’on rencontre, et que j’arrête de parler de moi, il m’a demandé si je tiendrais compte de ses remarques et j’ai répondu que oui, ce n’était pas un oui en l’air, en général je réfléchis avant de dire oui (en général), alors quand je dis oui je fais sinon c’est pas de jeu, d’ailleurs j’ai dit oui au capitaine pour le tour du monde exactement en date du 7 août 2020, je ne pouvais plus reculer vous comprenez, on ne dit pas oui sans impunité (j’avoue que pour certains oui il s’est avéré à la longue une date de péremption) (ça me travaille, mais la vie nous joue des tours)

Mais fi de cette philosophie à deux balles dont je suis friande, j’ai beau réfléchir, je ne vois pas comment parler plus de la mer et du bateau, je n’ai peut-être pas du tout l’esprit marin, pour moi la mer est calme ou agitée, il y a de la houle plus ou moins longue, elle peut être grise, bleue, verte ou indigo, il y a plein de ciel au-dessus, et le bateau est bien vaillant quand il rue dans les brancards et que je me tiens à lui comme une cow-girl à des rênes en plein rodéo, et je ne sais raconter que ce que je vois et que je ressens, et si je ne parle pas beaucoup des gens que nous rencontrons, c’est que nous n’en rencontrons guère, ça se limite à des discussions ponctuelles, c’est quel plan ton bateau ? il est en alu ? date de mise à l’eau ? d’où tu viens ? tu vas où ? …je dois dire que mes propres questions au capitaine sont d’un niveau que je juge supérieur, constatez par vous-mêmes :

– Pourquoi il faut reprendre de la balancine quand on ouvre la voile pour prendre un ris ? (ha !)

Ou, lisant un forum de discussion sur le fait de prendre un ris au portant :

– Dis donc, ils disent tous qu’il faut remonter au vent, mais quand on a 40 nœuds et une mer forte, c’est pire que tout ! (double ha !)

Le capitaine lève les yeux au ciel, on en a pris une tripotée des ris au portant, et sans changer notre allure d’un iota, on en a tellement pris au portant que quand il a fallu en faire au près je ne savais même pas comment faire, ça a bien énervé le capitaine, une fois calmé il m’a tout bien expliqué, je n’ai plus qu’à tout bien retenir, je me récite des enchaînements de manœuvres comme on apprend ses tables de multiplication…

Nous avons tout de même vécu quelques mondanités, une fois sur le hard stand de la marina de Marsden Cove on a bu l’apéro avec le gars du bateau d’à-côté, un kiwi qui parlait tellement vite que nous avons passé une soirée à l’écouter sans tout comprendre, nos mimiques enthousiastes et nos of course et yes it is l’encourageant sans mesure, le gars il passe sa vie à retaper des bateaux qu’il achète une bouchée de pain tellement ils sont pourris, il les refait de fond en comble et ensuite il navigue un peu, il les vend et il recommence, alors il a donné des tas de conseils très avisés au capitaine (qui parfois a du mal mais bon, il écoute) et qui lui a prêté du matériel efficace pour bricoler sinon je crois qu’on serait encore en NZ,  ou avec un couple d’écossais, charmants, ils parlaient un peu français et nous un peu anglais, suffisamment pour échanger des bases de civilités avant qu’un ange ne passe et ne finisse par s’attarder pour signifier la fin de la soirée (ils ont découvert et beaucoup aimé le Kombucha au gingembre) (et aussi le petit blanc français), et une troisième fois pour faire bonne mesure, invités à dîner, pas moins, sur le bateau d’un couple de kiwis, Graham et Jenny, fans d’un chanteur australien Guy Sebastian et du ténor aveugle, ils prennent carrément l’avion pour aller le voir en concert en Europe, ils nous ont mis les CD pour qu’on en profite, leur bateau c’est Elkouba, un bateau des années 70 qui a fait 2 fois le tour du monde et eu 7 proprios dont Lindsay Wright qui a fait un bouquin sur son périple au Spitsberg, toute une histoire, on a noté qu’il y a des gens qui achètent un bateau pour son histoire, moi ça ne me viendrait pas à l’idée, mais quand on est adulte et consentant on fait ce qu’on veut avec les bateaux n’est-il pas.

ils ont même gardé le spi

Comme je vous l’ai dit, nous faisons un détour vers l’Ouest de manière à ne se faire que lécher par la dépression, même si les coups de langue sont vifs, nous devrions donc, à l’heure où je regarde les appareils de nav, faire un cap à 305, or je note que l’on fait du 330 et que nous allons droit dans la gueule du loup, à 330 on s’enfonce dans la dépression, or le capitaine dort, il faudrait empanner parce que je ne peux pas abattre plus, je trépigne mais n’ose le réveiller car il a besoin de toutes ses facultés pour nous amener à bon port, quand il se réveille enfin je lui saute dessus avec un grand sourire pour masquer mon impatience à empanner, il trouverait ça louche :

– Alors, on empanne ?

– Tut tut tut claque t’il sa langue avec un signe de dénégation

Mon corps se tasse d’un bon vingt centimètres, si j’insiste il va me dire que je n’ai qu’à prendre les commandes, je souris de plus belle (l’autre jour dans une baie, on allait droit sur un sec, plein vent arrière, on n’avait pas envie d’empanner juste pour l’éviter et puis réempanner juste après, je propose alors au capitaine de slalomer en lofant et abattant alternativement pour incurver notre cap sans empanner, il plisse les yeux et, agacé, me jette un tu vas m’apprendre à naviguer maintenant ? sidérée, je lui réponds que bien évidemment que non, que je fais juste une proposition et à lui de me de dire si c’est une bonne idée ou pas, que où on va si on ne peut pas exprimer une idée sans se faire renvoyer dans ses filets, il finit par grommeler que ça s’appelle faire ça à la bretonne quand on veut contourner un obstacle en fonçant dessus et en manœuvrant au dernier moment, et puis c’est ce qu’il a fait, il a conclu qu’il ne savait pas pourquoi on dit à la bretonne) (une fois je lui ai dit que j’allais finir par ne plus lui poser de questions quand il me répond comme ça, mais il m’a dit que si, que je continue, alors je continue, c’est plus rapide que d’ouvrir un bouquin)

– mais tu as écrit sur ton journal qu’on devrait faire du 305 et …

– va voir combien on fait

– du 330 j’te dis … (je descends vérifier) …méaaaaah là on fait du 310 ! Mais tout à l’heure c’était du 330 ! je t’assure !

– ouais mais le vent tourne un peu plus Est, alors pas besoin de manœuvrer, on y va tout seul

C’est décidément lui le capitaine et il est tout sourire que je me sois faite avoir.

Vendredi, 25/30 nœuds, rafales à 35/38, mer agitée, houle d’est, cap au Nord, 3 ris, trinquette, le bateau nous secoue dans tous les sens au point que nous ne pouvons rien faire, on reste à l’intérieur pour ne pas se faire mouiller quand les vagues finissent dans le cockpit, je suis enchifrenée, ça me donne envie de colorier, c’est ça, j’aurais dû emporter des coloriages comme quand j’étais malade et que je gardais le lit quand j’étais petite, j’ai hâte d’arriver …

Samedi, moins de vent, mais encore très largement pour avancer et arriver ce soir à Nouméa, le capitaine me dit qu’il n’a pas envie de passer une autre nuit en mer, je suis d’accord.

au portant jusqu’au bout, tranquille !

On aurait pu faire une route plus Ouest pour être plus au calme, mais la dépression descendait au Sud (les néo-zèdes ont encore morflé) et si on avait été moins vite on n’aurait plus eu de vent du tout pour finir, et croyez moi sur parole, c’est pire de ne plus avoir de vent et de se taper 2 voire 3 jours de mer en plus.

Résultat, à 22 heures 30 nous entrons dans la passe de Dumbea, le capitaine pilote en se fiant à Navionics devant la table à cartes parce que la nuit est si noire qu’on n’y voit que dalle, je suis dans le cockpit et je l’alerte, il y a des collines et on va droit dessus, il finit par daigner sortir pour voir et hausse les épaules, elles sont loin les collines et on s’en fout, je ne suis toujours pas faite à la perspective en mer et toujours infichue de dire si ce qu’on voit est à 1 mile ou à 5, regarde la carte est le réponse systématique du capitaine à mes angoisses existentielles ou autres, la solution ultime qui panse les plaies et guérit tous les maux.

Arrivée à Nouméa …

13 miles plus tard, on est posés en bout du ponton C à la marina de Port Moselle.

C’est là qu’un vigile nous fiche sa lampe torche dans les yeux et nous demande ce qu’on fiche ici.

Alors ça, c’est bien la première fois que je vois quelqu’un se soucier d’une arrivée nocturne dans une marina, c’est bien notre chance, aveuglée je lui donne le bonsoir et lui explique que vu l’heure de notre arrivée nous n’avons pas eu la possibilité d’avoir quelqu’un en appelant la capitainerie, il y a des gens qui dorment monsieur, le capitaine prend le relai, le gars lui explique que nous aurions dû appeler le 16 et mouiller dans le mouillage devant la marina et attendre demain, demain étant dimanche attendre lundi, on sent gros comme un cargo chinois qu’il va nous faire déguerpir, le capitaine déploie tout son charme ce qui ne fait que rendre le vigile plus sourcilleux, on voit qu’il réfléchit rudement à l’intérieur et va jusqu’à entendre la voix forte et intelligible de son chef lui marteler de ne pas se laisser baratiner par le premier marin venu, j’ai un éclair de lucidité et apporte son portable au capitaine, il avait écrit à la marina qui lui avait répondu, nous sommes attendus dis-je en montrant les échanges d’emails, le vigile déchiffre laborieusement les mails tandis que le capitaine lui en explique les fondements et en rajoute une bonne couche en lui décrivant les affres de notre traversée depuis la Nouvelle Zélande, si ce n’est la raison, qu’au moins la pitié envahisse cette âme dubitative, enfin l’idée de quoi faire lui tombe dessus, il se décide à appeler son chef à la VHF, le son à fond, ça va réveiller toute la marina, grâce à cet échange d’emails le chef retrouve notre trace et donne son accord pour que nous restions là jusqu’à la visite phytosanitaire au bateau et qu’ensuite la capitainerie décidera de notre sort, le vigile attend encore longuement sur le catway jusqu’à ce que tout ce qui a été dit prenne un sens cohérent dans les tréfonds de sa boîte à comprendre, il s’éloigne enfin, d’un pas qui reste hésitant, il va se demander toute la nuit si rien ne lui sera reproché, dur métier, il est 1 heure du mat’, le capitaine a envie d’une bière, on est littéralement assommés mais on s’en partage une, glacée, qui fait mal là où elle passe et tellement de bien, une douche froide sur la jupe, une semaine sans douche je crois que ça ne m’était jamais arrivé, c’est encore meilleur que la bière, j’ai juste le temps de dire au capitaine que c’est bien, qu’il y a du boulot pour tout le monde après tout, et on s’endort comme quand on est tellement vieux qu’on s’en fout de mourir enfin.

Au bout du ponton, Nouméa

Lendemain matin, ciel bleu, c’est cool, on se dépêche de prendre notre petit déjeuner et de manger quelques uns des fruits qui nous restent (on n’a pas beaucoup tapé dans nos réserves il faut dire), ici c’est comme en Nouvelle Zélande, il ne faut rien apporter de frais, c’est une nana charmante qui se pointe pour le côté phytosanitaire (en NC on dit ça plutôt que biosécurité, très policé, trop NZ), elle nous pose à peine quelques questions, embarque le reste des fruits et nous accorde de garder les 2 steaks sous vide à condition que nous les mangions à midi, promis, et c’est tout, on aurait pu avoir des saucissons planqués dans tous les recoins du bateau, elle n’en aurait rien su, le capitaine dégote un pass pour entrer et sortir de la marina et s’en va débrouiller nos affaires pour obtenir une place officielle dans la marina pendant que je file découvrir Nouméa :

la musique c’est Ten years After : I’d love to change the world … pas pour rien que je l’ai choisie

Je m’ébahis d’avoir autant de chance quand je découvre du premier coup le quartier asiatique … tu parles, juste des magasins de tout à pas cher, valises à roulettes qui ne supportent aucun poids, pyjamas bébé qui peluchent au moindre courant d’air, ouvre-boîtes qui se tordent dès la première boîte et fleurs en plastique, pas l’ombre d’une échoppe d’onguents et autres poudres magiques, désolation, mais bon, c’est de la médecine kanak que je suis venue chercher ici.

Le soir venu, bien que nous ayons boooocoup de sommeil à récupérer, le capitaine m’emmène manger un morceau au Bout du Monde, tout est si bon après une telle nav’ que ça vaut le coup de se faire branler !

Dès le jour suivant, je commence à organiser le road trip que nous allons faire pour découvrir cette île et ses usages, l’odeur de mon cahier neuf me transporte à l’heure chaude de la sieste pendant laquelle je faisais des devoirs de vacances …

le capitaine m’a ramené tout ce qu’il a trouvé de cartes et de guides, y’a plus qu’à !

Il y en a tellement des choses à savoir !

  • El Niño et La Niña sont des caractéristiques du climat dans le Pacifique, j’en parle parce que le phénomène météorologique la Niña a touché à sa fin au début du mois de mars après une durée exceptionnellement longue de trois années, et c’est à cause de lui qu’il y a eu ce temps en Nouvelle Zélande, avec ces pluies diluviennes et le cyclone Gabrielle, entre autres. Explications : les alizés sont des « vents lisses », en ce sens qu’ils sont passablement constants. D’ailleurs, en anglais, on utilise l’expression trade winds (vents du commerce) pour les décrire, car compte tenu de leur stabilité, ces vents permettaient aux grands voiliers – comme les navires commerciaux des 18e et 19e siècles – une navigation plus sûre et plus stable, et, par le fait même, très profitable au commerce maritime. En convergeant vers l’équateur, les alizés poussent les eaux plus chaudes (les eaux de surface) vers l’ouest le long de l’équateur. Ces eaux s’accumulent donc vers l’Indonésie et le nord de l’Australie, et une vaste pente apparaît à la surface de l’océan. Cela provoque, à l’autre extrémité de l’océan (par continuité), une remontée d’eau plus froide, qui provient en grande partie des profondeurs, vers les côtes équatoriennes et péruviennes, et qu’on appelle aussi upwelling côtier. Lorsque les alizés prennent de la vigueur, l’apport d’eau chaude vers l’ouest augmente. Ainsi, l’étendue du courant plus froid près des côtes de l’Amérique du Sud et l’Amérique centrale prend de l’envergure. C’est La Niña, la petite sœur d’El Niño. Inversement, lorsque les alizés faiblissent (voire tombent totalement), l’eau chaude accumulée vers l’ouest reflue vers l’est. Ce courant d’eau chaude vient alors s’étaler vers les côtes d’Amérique du Sud et d’Amérique centrale. C’est El Niño, le petit enfant, le petit enfant Jésus, car il atteint généralement son maximum vers Noël. Sachant que La Niña et El Niño altèrent les vents (près de la surface et en altitude) dans le Pacifique, et jusque dans l’Atlantique, il existe une relation étroite entre ces derniers et la fréquence et l’intensité des ouragans. En fait, cette perturbation du vent se fait surtout à la verticale en modifiant ce qu’on appelle le cisaillement. Le cisaillement décrit la variation de la vitesse et de la direction du vent avec l’altitude. Lorsque le cisaillement est fort, les bandes orageuses s’étirent et se désagrègent, et l’ouragan ne peut se développer. Un fort cisaillement freine donc la formation des ouragans. Durant un épisode de La Niña, la saison des ouragans est plus active dans l’Atlantique – le cisaillement est plus faible – et moins active dans le Pacifique (cisaillement plus fort). Avec El Niño, c’est l’opposé, soit une saison moins intense dans l’Atlantique et plus forte dans le Pacifique.
  • Vous prendrez bien un peu de Guy Sebastian pour l’apéro ? https://youtu.be/gKKvhA2-j6Y
  • Les cahiers de vacances ont été inventés il y a plus de 90 ans par Roger Magnard, représentant en papeterie installé en Creuse dans les années 1920. Ayant perdu de l’argent après la crise de 1929 qui avait bouleversé tous les marchés dont celui de la papeterie, et ne vendant rien pendant quelques mois juste avant les grandes vacances, il a eu l’idée de booster ses ventes pendant l’été en créant ces cahiers, avec l’aide de professeurs. Roger Magnard a créé ainsi sa maison d’édition. Les premières collections de manuels ont vu le jour après la guerre, avec notamment la méthode de lecture « Rémi et Colette » si ça vous dit quelque chose 🙂
comme quoi ça fait un bout de temps qu’on nous serine avec ça, sacré Roger
ça me rappellera toujours le i

La fin de la suite

on va s’en revenir par là

Ça sent déjà la fin de notre présence à Southland, il nous faut revenir sur Picton, l’ambiance n’est plus la même, je me sens comme quand on remontait de la plage vers le nord à la fin de l’été, l’école au bout de la route (en Simca 1000, rouge, les 4 mômes serrés sur la banquette arrière, poisseux, pas de clim’, papa et maman fumant allègrement, heureusement à l’époque ce n’était pas mauvais pour la santé, des bagages plein la grille de toit et tout un fourniment dans la remorque qu’on se trainait sur la nationale 7, l’exode)  ce goût de fin de vacances et de tout ce qu’on laisse de soi, on se pose dans un camping pas loin de l’embarquement des ferries …

ils font des trucs vachement ingénieux pour le camping ! mais la nana qui montait là-dedans n’avait pas l’air rassuré 😄

Nous réembarquons demain et aurons 2 jours pour faire Wellington-Auckland, c’est gras, nous devons rendre le camion vendredi à 15 heures au plus tard, le capitaine, prévoyant par nature, a arrêté le fait de rendre le camion dès l’ouverture du magasin, puis de filer à l’aéroport au petit trot pour prendre le bus jusqu’à Ruakaka d’où il appellera la marina pour que quelqu’un qui n’aura rien d’autre à foutre vienne nous chercher à la station-service qui fait office d’arrêt de bus, il a déjà acheté les billets de bus sur le net, prévoyant que je vous dis, moi je n’aime pas déranger alors je trouve qu’appeler un taxi c’est mieux, mais y a-t-il seulement des taxis à Ruakaka m’argument-brandit-il tout en regard persuadé, ça … mon portable vibre dans ma poche

– Oh ! un mail d’Interislander !

– I dit quoi ?

– Euuuuh …

– I dit quoi ?!

– Attends … i dit … que notre ferry …(je traduis poussivement au fur et à mesure de ma lecture) … est décalé ! au lieu de partir comme prévu à 2 heures du mat, ça sera à 14 heures … tiens, regarde, c’est bien ça ? Le capitaine confirme ma traduction, à nous deux on est imbattables.

Joie ! une heure d’honnêtes gens qui savent observer les lois de la civilité !

Lendemain, petit-déjeuner, nouvelle vibration, nouveau mail d’Interislander

– Bin crotte, notre ferry est annulé !

– Fais voir !

Le capitaine, l’expérience aidant, préfère vérifier mes dires, mais constate : notre ferry est annulé, on nous demande de ne pas venir à l’embarquement, on fonce aussi sec à l’embarquement, la gare est vide, pas un chat, je vais voir ce qui se passe à l’intérieur, trop de vent, trop de vagues, tous les ferries sont annulés :

Je trouve une hôtesse qui me propose un remboursement, que nenni que je me récrie, nous devons absolument, a-bso-lument tu comprends ! rentrer à Northland, we are french and we have a flight for Paris on Sunday lui mens-je effrontément, elle me sourit sur une façade de compassion incarnée, imparable, nous inscrit sur la liste d’attente, me dit de revenir demain à midi pour voir où ça en sera et me souhaite bonne chance, ça mange pas de pain, je retrouve le capitaine sur le parking et lui explique le topo, faisant contre mauvaise fortune bon cœur nous allons randonner autour de Picton pour finir en beauté, c’est la fête des herbes, fleurs, arbres et arbustes en tous genres, l’éclate, dans la forêt on aperçoit régulièrement des pièges à rats ou autres opossums, il est précisé qu’il est interdit d’y toucher, que seuls les bénévoles autorisés peuvent ramasser les bestioles prises au piège, entendez bien : de ces sales bestioles nuisibles ! que ça soit clair : de ces saletés vous comprenez ! la pitié n’est pas de mise, fourrez vous ça bien profond dans le crâne ! … ça me file une angoisse

– On fait quoi si on en trouve un dans un piège ?

– Euuuuh …

J’ai le don de lui poser des questions qui l’acculent

– J’sais pas (il a le don d’éluder) (il ne se laissera jamais acculer, foi de marin)

J’accélère mon pas pour me rapprocher de lui afin de fouiller le sujet, il faut se préparer à ce qu’on fera le cas échéant

– On ne peut pas laisser crever une bestiole dans un piège ! il faudra la laisser filer la pauvre !

– ….

– C’est inhumain !

– ….

– Je sais bien qu’il y a trop d’opossums et qu’ils sont nuisibles à ce point là, mais les humains n’avaient qu’à pas en rapporter ! ils en rapportent et après ils se plaignent ! ils éradiquent ! ils exterminent ! ils génocident !

– …

– Alors voilà ! maintenant c’est un pauvre opossum qui n’a rien demandé qui va être pris au piège et crever là-dedans ? (je me demande si son dos n’est pas en train de me dire de la fermer)

– …

– On le libère si on en voit un ?

– …

– J’espère qu’on n’en verra pas hein, on n’aura pas à choisir comme ça

– Oui (la sagesse a parlé)

Le dieu des isabelle a intercédé, pas de prisonnier, tant mieux, les animaux ne sont pas bêtes, ils ont compris le truc maintenant, c’est possible me répond le capitaine jamais à court d’argument-massue pour enrichir le débat sur des sujets qui lui tiennent à cœur autant que la confiture sur une tartine qui fait un vol plané.

Lendemain, jeudi, 8 heures, sommes dans les premiers véhicules à attendre un ferry qui pourra partir, on nous donne un badge d’attente en nous expliquant que tous les ferries sont pleins et que nous n’aurons pas de place, c’est fait pour se le mettre où le badge alors, à midi ça embarque mais au dernier moment, pile à la porte de l’embarcadère on se fait refouler ainsi que nos compagnons de fortune (le capitaine râle que je porte la poisse parce que j’ai eu le malheur de dire que les premiers à être refoulés devant l’entrée feraient une drôle de tête, je confirme), le ferry est blindé, on retourne aussitôt sur l’aire d’embarquement avec un nouveau badge d’attente, la journée s’écoule, papotages, échanges de vues avec les autres conducteurs, la nuit tombe, on est comme des cons, je vais prendre des infos dans la cahute de la nana qui lève la barrière, un néo-zélandais se plaint auprès d’elle du manque de communication, j’adhère, elle s’en fiche avec une application bornée qui confine à la prouesse, personne n’est fichu de nous dire quoi que ce soit à part que les ferries sont pleins, et puis à minuit tout ce monde là se réveille et nous fait embarquer dans un ferry visiblement affrété pour tous les camions en attente, qui dit camion dit marchandise, qui dit marchandise dit argent, alors pour eux on ajoute nuitamment un ferry, heureusement qu’on a attendu, à minuit il part avec nous à bord, on sera à Wellington vers 3 heures, ça va faire court pour avoir le bus du matin à Auckland…

presque personne !
le capitaine s’est aménagé un chouette petit coin et je lui ai filé ma polaire pur qu’il se fasse un oreiller et qu’il soit bien

Le capitaine réussit à dormir, moi rien du tout, on débarque à Wellington, je demande les yeux au milieu de la figure pour lui faire pitié si on se pose pour dormir un peu, comme de toutes façons on ne va pas foncer à Auckland tout de même ?

– Bien sûr que si on fonce à Auckland, et on rend le camion à l’heure ! t’as qu’à dormir, va t’installer derrière (avec un signe de tête pour me montrer la bonne direction au cas où je n’aurais toujours pas compris où ça se trouve derrière) (il n’est pas sujet à la pitié)

Même pas en rêve.

Le capitaine fonce, pied au plancher, rien à cirer de la limitation de vitesse, supputant avec hardiesse que les flics de Nouvelle Zélande ne sont pas plus zélés que les français pour surveiller les routes durant ces heures évanescentes, le jour se lève, on s’arrête au bord d’un lac pour dormir une heure, au bout de 40 minutes le capitaine saute sur ses pieds et rebondit sur le volant, Spiderman, anéantie je me traîne comme une limace jusqu’à mon siège et c’est reparti, il faut qu’on mange lui dis-je parce que si je ne dors pas il faut que je mange sinon je m’évanouis (il ne me croit pas, je m’évanouirais bien rien que pour lui montrer), on s’arrête dans un truc, oeufs-saucisses-de-je-ne-sais-pas-quoi-haricots-rouges-sauce-tomate-toasts, le capitaine cale, je m’enfile tout, repus nous reprenons la route, ça c’est du vrai petit dèj que j’explique au capitaine, il y a du brouillard sur la route, c’est joli, et puis des fumerolles comme à Rotorua, ça me semble si loin, plus on approche d’Auckland plus il y a de voies sur la route et de voitures sur les voies, à 14 heures on pile devant le loueur de camper-van, gagné !

On débarrasse le camion, par chance le capitaine avait pris son sac de plongée qui pourrait transporter un mort, on peut y fourrer toutes les affaires inutiles qu’on avait emportées au cas où, c’est vrai, sait-on jamais, et toutes les boîtes de conserve qu’on avait emportées par précaution, sachant que l’île sud n’est pas très habitée, et si nous n’avions pas trouvé de magasin pour acheter à bouffer dites moi, mais bon, on a trouvé tout ce qu’il fallait et maintenant il faut se coltiner les boites à rapporter au bateau, ça nous fera un peu de muscu.

le sac doit peser 40 kilos tranquille, et on avait même pris un bidon d’eau de 20 litres mais le capitaine a eu la bonne idée de le vider pour le ramener

Taxi, bus (achat de nouveaux billets, les faux-frais), taxi à Ruakaka parce que week-end et personne pour venir nous chercher, Cap de Miol est tout blanc, le gars chargé de le poncer jusqu’à l’os s’en est occupé durant notre absence, on remonte tous les bagages dans le bateau, on range, le capitaine a du boulot maintenant pour refaire l’antifouling, moi aussi j’ai du boulot, et après on partira.

à poil !

Le temps vient de remettre Cap de Miol tout rhabillé à l’eau :

c’est un job
super graphique cette photo !

Le capitaine se glisse sous le bateau pour finir de mettre de l’antifouling sous la quille qui était posée sur un cube de bois, il est confiant !

et voilà !

Il est prévu de rester encore quelques jours à la marina, parce que la météo n’est pas propice à un départ, mais alors pas du tout, on a un temps de chiotte, les coups de vent et les tempêtes s’enchaînent, il doit y avoir un paquet de ferries annulés qu’on se dit en se marrant comme des abrutis, en plus on aurait le vent dans la gueule, vraiment, il vaut mieux patienter, je fais des petites prières de remerciements en douce, des fois que le capitaine serait pris d’impatience et voudrait partir coûte que coûte !

Et à ce compte là, je continue d’aller à la chasse aux plantes !

Entre autres, il y en a tant et tant ! l’herbe à chevreuil c’est juste magique sous le vent

L’anniversaire du capitaine se passe, c’est Nouvel An ! qu’il clame en entrant dans le bateau, je ne sais pas comment je me suis débrouillée mais les ballons que j’avais gonflés ont tout dégonflé, ils pendouillent comme des bourses vides, je m’en désole auprès de lui, il me console, c’est charmant, c’est gracieux, c’est parfait, il n’aurait pas mieux fait, j’ai même trouvé des bougies, il est obligé de souffler, 1 an de plus, il s’en serait passé.

charmant, gracieux, parfait

On a aussi le temps d’écouter de la musique certains soirs, Richard Cocciante, Céline Dion, Brassens, Aznavour, on se pose des colles sur la date de sortie des morceaux, on va pouvoir s’inscrire à des quizz musicaux télévisés ! gagner tout un tas de pognon !

ça occupe

Sinon, il faut absolument que je vous montre ça, moi je trouve ça dingue, le capitaine, expert s’il en est, me précise d’un air goguenard que c’est toujours comme ça dans les marinas, je veux bien le croire, je l’ai déjà noté, et alors, en est-ce moins dingue pour autant ?

Là, je suis sur le ponton qui mène au bateau :

Et là, demi-tour sur le ponton, vers la sortie :

Vous avez vu ? bon, évidemment je n’ai pas pris les photos à la même heure, la photo du haut c’est marée presque haute, et la photo du bas c’est à marée descendante … jusque là, bon, mais ce qu’il y a de vraiment dingue, c’est que toute la marina, TOUTE LA MARINA, les pontons, les catways, les bateaux, TOUT ! monte et descend avec les marées, si on n’est pas observateur on ne se rend compte de rien, on marche toujours sur les mêmes pontons et on trouve toujours son bateau, il ne pendouille pas au bout de ses amarres, moi ça m’épate que voulez-vous, il y a eu des jours où on a eu 2,5 mètres de marnage, le capitaine me dit qu’à St Malo il peut y avoir jusqu’à 12 mètres de marnage lors des grandes marées, 12 mètres ! un puits sans fond !

ça bouge aux grandes marées à St Malo !

Et à part ça, qu’en est-il de la Médecine Traditionnelle Néo-Zélandaise s’il te plaît isabelle ?

La Nouvelle Zélande est le pays qui a été le plus tardivement découvert par les hommes, en l’occurrence par les Maoris au 13ème siècle (il y a des débats sur la date exacte, une fourchette allant du 11ème au 13ème siècle est évoquée pour ne pas se mouiller ) et tout au long du 17 siècle s’y sont succédés des explorateurs, des marins, des missionnaires, des aventuriers, et la colonisation européenne fracassante que j’ai déjà évoquée s’est occupée de civiliser tout ce petit monde en pagne et d’exploiter les ressources de ce pays magique …

pour bien vous représenter cette histoire de pagne

Bref, il est logique de constater que la médecine traditionnelle Néo-Zélandaise est la médecine Maorie, Te Rongoā Māori (que j’ai déjà évoquée lors de notre passage aux Marquises, je vous invite à lire ce bel article si vous aviez fait l’impasse) une médecine qui englobe autant le monde des esprits que le nôtre de chair et d’os, les maladies étant considérées comme des manifestations spirituelles d’un désaccord avec la nature (très taoïste ça). A noter d’importance importante : aujourd’hui, du fait des mouvements migratoires, la médecine et la pharmacopée chinoises sont désormais largement pratiquées dans les pays de l’Océanie. En Australie, les tradipraticiens aborigènes et les soignants de Médecine Traditionnelle Chinoise sont mis sur le même pied d’égalité et la Nouvelle-Zélande examine un projet de modification de sa législation sur l’assurance maladie afin de rembourser les soins de MTC à la hauteur de ceux pratiqués par les tradipraticiens maoris ou les médecins occidentaux. 

Ça c’est de l’ouverture d’esprit, de l’intelligence, de la vraie volonté de vouloir soulager les souffrances de notre monde, d’autres pays feraient bien d’en prendre de la graine méchant !

Praticiens de MTC Français, si vous cherchez une terre d’asile !

NB : Le Congrès de l’OMS sur la médecine traditionnelle qui s’est tenu du 7 au 9 novembre 2008 a adopté la Déclaration de Beijing sur la médecine traditionnelle. Le texte s’inscrit dans la continuité de la Conférence internationale sur les soins de santé primaires à Alma Ata selon laquelle «tout être humain a le droit et le devoir de participer individuellement et collectivement à la planification et à la mise en œuvre des soins de santé qui lui sont destinés».

Rhâââ, lovely !

je suis dans le groove et je ne le savais même pas !

Avant de partir de Nouvelle Zélande, un peu de botanique et de pharmacopée pour les fans … bien sûr oui, je m’intéresse surtout aux vertus thérapeutiques des plantes d’ici et de là, mais comment ne pas tomber en amour pour la moindre graminée, le plus minuscule brin de l’herbe, la fleur la plus éphémère, toute cette vie qui palpite au souffle du vent … dites moi comment si l’idée vous en vient d’un tel possible ?

Si je ne vous parlais pas d’elle, je serais maudite :

Ranunculus lyallii : LA fleur ! la plus célèbre fleur endémique de Nouvelle Zélande, le Lys du Mont Cook, la plus grande renoncule du monde.

Les vertus thérapeutiques des plantes du genre Ranunculus (qui comprend environ six cents espèces présentes dans le monde entier), sont larges, et je vous en ai déjà parlé d’ailleurs, la Renoncule du Japon (Ranunculus japonicus) est par exemple connue depuis 1800 ans pour traiter le paludisme, ou le bête bouton d’or (Ranunculus bulbosus), toxique donc attention, traite entres autres certaines maladies virales comme l’herpès, la varicelle ou le zona et est utilisée en homéopathie dans le cadre de maladies ORL et dermatologiques.

Je reviens à notre lys du Mont Cook  qui n’est pas du tout confiné à la région d’Aoraki/Mount Cook et n’est pas non plus un lys,  j’en verrai dans de nombreux jardins et parcs, elle est très ornementale.

J’ai beau chercher, je ne lui trouve pas d’utilité thérapeutique, elle pourra continuer à orner les flancs de montagne et les jardins sans finir dans une tasse en porcelaine ou un mug en terre cuite (pour mes 20 ans, je n’avais pas été sage, j’avais fait ce que je voulais alors papa et maman étaient fâchés, du moins l’ai-je pensé en ouvrant le petit paquet de mon anniversaire : un vase de 12 cms de haut en terre cuite, c’était signé, merci papa, merci maman, je rentre chez moi et décide de l’utiliser ce petit vase de bon cœur, après tout ce n’était pas de sa faute, j’y mets de l’eau et une fleur cueillie sur le chemin, on était fin mai, le lendemain matin mon vase était tout gonflé d’eau et bel et bien fichu) (n’empêche que celui là je m’en souviens alors que j’en ai oublié combien d’autres des cadeaux, fille ingrate ?)

La fougère noire de Mamaku (Cyathea medullaris) fougère arborescente noire (ce sont les tiges qui sont noires), non moins incontournable, est l’emblème de la Nouvelle Zélande et de sa célèbre équipe de rugby, elle est indissociable de l’histoire Maorie, autrefois elle servait de torche aux guerriers qui entreprenaient des raids nocturnes et depuis symbolise la Voie à emprunter pour ce que l’on entreprend.

Elle est reconnue pour stimuler le renouvellement cellulaire et a de ce fait des vertus cicatrisantes et un effet tenseur sur la peau, d’où son utilisation en cosmétique…

Il faudrait que j’essaie dis-je au capitaine en levant le nez de mes bouquins, foutaises ! tranche t’il de manière qu’il aimerait définitive, c’est mal me connaître

– tu ne crois pas aux vertus cosmétiques ? aux recherches dans le domaine ?

– nan … et dès qu’il y a le mot nouveau, je fuis

– ah moi j’aime bien le nouveau, il y a des progrès alors quand c’est nouveau c’est possiblement mieux !

– tu parles, nouveau : les crottes de pigeon font repousser les cheveux, et les gens foncent !

En voilà un qui ne se mettra manifestement pas de crottes de pigeon sur le crâne 😊

Le Kowe-kowe (Dysoxylum spectabile) : dans toute pharmacopée qui se respecte, il y a une plante qui traite les douleurs menstruelles, et bien de celle-là qu’il s’agit ! elle traite aussi les règles irrégulières et les désagréments de la ménopause, en outre elle aide à la perte de poids, elle réduit l’appétit et aide à brûler les cellules adipeuses, et c’est en plus un grand tonique, le seul hic est que l’infusion de ses feuilles est extrêmement amère … Les décoctions de ses feuilles et de l’écorce servent à traiter la toux. J’ai comme dans l’idée qu’elle va intéresser du monde 😉

Passons maintenant au Kauri (Agathis Australis) : en Médecine Traditionnelle Maorie, sa gomme est utilisée pour traiter les vomissements, les diarrhées et les troubles digestifs, ou on l’utilise en externe mélangée à de l’huile d’olive pour soigner les brûlures. Mais c’est surtout son historie qui me touche :

Les colons ont abattu massivement ces arbres pour leur besoin en bois, l’exploitation forcenée des forêts a quasiment éradiqué les kauris de Nouvelle Zélande, on estime que 96% de ces arbres extraordinaires ont disparu depuis l‘arrivée des colons … on parle de conscience écologique car l’abattage de ces arbres a cessé, pour autant ce sont des pinus radiata que l’on plante …

Le kawa-kawa (Macropiper excelsum) : encore un incontournable de la pharmacopée maorie, on utilise ses feuilles en infusion pour traiter les troubles digestifs mais également en tonique général.

Le Pohutukawa dont je vous ai déjà parlé, est le superbe arbre de Noël de NZ, et il n’est pas que décoratif, son écorce est utilisée dans des décoctions médicinales pour profiter de la présence d’acide ellagique, un antioxydant phénol naturel. La grenade et les oléagineux en contiennent également, tout comme les fraises, les canneberges (c’est pour ça qu’on nous dit qu’il faut manger des fruits et des légumes, la consommation d’antioxydants est fondamentale car ils contribuent à prévenir les maladies cardiovasculaires, les cancers et les maladies chroniques). L’acide ellagique est l’un des principaux constituants de nombreuses plantes à tanin, notamment Terminalia chebula et Terminalia belerica qui sont des ingrédients principaux d’un produit connu sous le nom de Triphala en médecine ayurvédique, qui aide l’organisme à se nettoyer et se régénérer. 

Le Kumarahou (Pomaderris kumeraho ), grâce aux saponines qu’il contient, produit une mousse naturelle nettoyante quand on frotte ses fleurs et ses feuilles dans de l’eau. En cataplasme ou en massage quotidien on soigne certains problèmes de peaux comme l’eczéma, l’herpès, l’urticaire ou les dartres. Les Maoris l’utilisent aussi en infusion dans le traitement des bronchites, infections urinaires ou calculs rénaux.

Et pour finir, bien que ça ne finisse jamais :

L’arbre à thé ou Myrte de Nouvelle-Zélande, ou encore Manuka (Leptospermum scoparium) est un excellent substitut pour le thé. Les feuilles doivent être infusée plus longuement que le thé, mais leur goût est considéré comme excellent.

On en fait également une Huile Essentielle de Tea Tree de Nouvelle Zélande ou appelée Huile Essentielle de Manuka, qui a des propriétés antibactérienne, antivirale et antifongique très puissante (20 fois plus que l’huile de Tea Tree sur certaines bactéries et germes) qui est utilisée pour traiter les abcès, furoncles, panaris, acné, boutons et autres mycoses.

j’en ai vu des tonnes, c’est fou tout ce qu’on en trouve !

Et puis un mercredi, le capitaine qui étudie les fichiers météo à s’en abrutir, déclare sans même lever son nez de la carte

– on part dimanche … on va se faire branler mais si on ne part pas dimanche on sera encore coincés 10 jours ici

Bon, on part dimanche, on ne peut pas prendre racine ici, dommage …

ah, là c’était dans le jardin botanique de Wellington !

La suite d’à suivre (si vous suivez)

C’est un peu comme en bateau, nous n’avons pas les moyens de rester bien longtemps là où nous passons, les moyens étant 1) du temps 2) de l’argent, car même si nous nous contentons de peu, en camper-van ce n’est pas le vent qui nous pousse et la gazoline a un coût comme tout, nous quittons donc Dunedin et ses albatros sans avoir vu plus de pingouins que de gare célèbre (en fait on peut, paraît il, y voir des manchots, mais on dit penguin alors je dis pinguoin) mais je suis du genre à me concentrer sur ce qui va arriver et il y a des destinations qui me font plus rêver que d’autres, c’est le cas de la prochaine et c’est … c’est comment déjà ? je m’y perds un peu avec ces noms insolites, quand je serai vieille je mélangerai tout et ça commence déjà, en tous cas on retourne vers les Alpes du Sud, côté Ouest, on peut se demander pourquoi on a fait un tel détour, mais il n’existe pas de route qui coupe de l’Est vers l’Ouest des Alpes du Sud, on doit rouler … ah ça y est : vers l’Aroaki ! il faut que je le retienne pour quand on jouera au scrabble car figurez vous que j’ai rapporté un jeu de scrabble et de dames sur le bateau, j’ai investi et pas qu’un peu, j’espère que le capitaine m’en saura gré et surtout que je le battrai à plates coutures quand j’inventerai des mots en lui affirmant les yeux dans les yeux qu’ils sont dans le dictionnaire et qu’il n’a qu’à vérifier s’il ne me fait pas confiance.

toujours de la route, des vaches, des cônes et des feux rouges en pleine cambrousse, des paysages sublimes, des immenses irrigateurs qui coûtent une fortune pour arroser toujours plus pour toujours plus d’herbe et toujours plus de vaches et toujours plus de lait (cf article précédent)

Aroaki donc, ou le mont Cook, le plus haut sommet de la NZ, 3754 mètres, qu’il faudra mesurer à nouveau parce qu’il gagne en centimètres chaque année puisque les plaques tectoniques continuent leur mouvement de lent chevauchement, est situé dans le parc national du même nom, il fait partie du patrimoine mondial de l’UNESCO, un parc sans forêt mais qui déborde de plantes, je suis comme un cochon-truffier qui vient de fourrer son groin sur le champignon de l’année à cette perspective, et en prime si on est sage et qu’on va jusqu’au lac Tasman, il est dit qu’on y on verra des icebergs, ceux qui se détachent du glacier Tasman qui fond et remplit ce lac formé au début des années 1970, il est plus jeune que moi ça me fiche un coup, que sont quelques malheureuses centaines de kilomètres en regard de ce qui nous attend !

Plus on approche, plus le temps se couvre, ce qui n’empêche pas le lac Pukaki de chatoyer d’un bleu turquoise même sous les nuages, je m’exclame que c’est parce que l’eau doit être si pure que même sans soleil il resplendit, il faut dire que je suis endoctrinée car j’ai lu que le lac Rotomairewhenua, qui fait partie des lacs Nelson et se traduit par  » terre des eaux paisibles « , détient le titre de lac le plus clair du monde et que la NZ détient le record de la source la plus pure du monde au Blue Lake Springs, ça fait plaisir quand on sait à quel point une grande partie de l’eau est polluée dans le coin, je ne sais pas comment ils s’y prennent pour mesurer ça, mais je suis soufflée par ce bleu :

c’est aussi le lac Pukaki en en-tête de cet article, ça valait bien 2 photos non ?
y’a plein de lacs

Mais la vie désenchante les contes de fées et moisit les cirés (mon ciré est tout moisi), cette eau n’est pas bleue de pureté mais de farine glaciaire, des particules de roche extrêmement finement broyées se mélangent à l’eau et lui donnent cette couleur caractéristique, j’en fais amèrement part au capitaine qui ne se rembrunit pas, tout lui convient du moment que c’est clairement exposé, et surtout logique, un de ses concepts préférés.

Je pars à la chasse aux plantes du coin (je vous ferai un petit topo), le capitaine m’accompagne car ça le fait marcher, et puis on se pose pour la nuit, il fait bon frais par ici alors on chauffe un peu le camion en faisant cuire des nouilles, ça embue les vitres, forcément on ouvre et on a de nouveau froid et des moustiques en prime, ils sont violents ici les moustiques, ils font des pustules rouges et gonflées qui démangent pendant des jours et des nuits (on dirait même que j’ai des marques de crocs dans celle qui est boursoufflée en plein gras de la main que je tends sous le nez du capitaine qui fronce le nez en me conseillant de désinfecter, manquerait plus que ça soit une araignée qui ait pondu ses œufs dans mon gras de main)(ça existe) il pleut des trombes, pour aller à la douche je patauge dans l’herbe détrempée et vois le derrière blanc des petits lapins bondir dans le faisceau de ma lampe torche, demain on tente le Tasman lake, hip hip hip !

Le lendemain :

il pleut des cordes

Des torrents se forment de toute part et dévalent la montagne, on décide d’aller tout de même voir si on peut tenter le coup, mais la route risque fort d’être coupée dans pas longtemps vu la vitesse à laquelle la rivière enfle dans son lit, demi-tour, on n’est pas des acharnés, le lac Tasman ça sera pour une autre vie …

Pas le temps d’attendre que le temps se remette d’ici 3 jours, on file sur Christchurch, prononcer craille-stcheurtche, on longe le lac Tekapo, bleu itou, on ne s’attarde pas parce qu’il y a des bus qui déversent des dizaines de touristes aux cheveux blancs, on dirait un joli troupeau de moutons qui ondule en ordre serré vers la cafèt’, les conducteurs de bus font office de bergers, ça rassure.

Et mon dieu, MON DIEU ! ce que la route est belle, ce que le ciel est beau, mais qu’est ce que c’est beau bon sang !

Être conscient de son union avec la nature. Ainsi l’on peut atteindre la parfaite harmonie. Lao Tseu – Tao Te King

Christchurch, je suis bien contente de voir cette ville parce que c’est la première ville officielle de Nouvelle Zélande, un groupe de pionniers européens se sont établis dans la région en 1840, c’est pas vieux, et en 1850, 4 navires sont venus grossir leurs rangs avec les 792 pèlerins qui y ont débarqué, le lieu avait été baptisé Christchurch 2 ans auparavant, c’est dire si on les attendait, maintenant elle compte 390000 habitants, ils n’ont pas chômé. Depuis 2010 elle a subi 4 tremblements de terre dont celui de 2011 qui a fait de nombreuses victimes et des dégâts considérables, des attentats le 15 mars 2019 contre 2 mosquées dont tout le monde se souvient, le fait que la Magicien de la ville ait été licencié en 2021 est moins connu mais voilà, l’adjointe au conseil municipal de Christchurch l’a viré en déclarant que la ville se devait de promouvoir une image plus dynamique et moderne, tout fout l’camp … ce magicien était de tous les combats, fustigeait les politiques et menait une lutte pour empêcher que « l’âme de la ville soit attaquée » quand les cabines téléphoniques rouges devaient être repeintes en bleu, il était sollicité pour jeter des sorts afin d’influencer les résultats lors des grands matchs de rugby ou effectuer une danse de la pluie en Australie.

le cœur de Christchurch restauré et qui se reconstruit encore après le tremblement de terre de 2011, et son nouveau marché, splendide !

A la fin du déjeuner, le capitaine, qui s’informe et s’enorgueillit d’être toujours au fait (que voulez-vous, il existe tellement de verbes que ça donne envie de les utiliser, alors je les case là ou je peux, le capitaine il ne s’enorgueille de rien du tout mais il est toujours au fait ça c’est clair) sirote placidement son café, il lève soudain un œil par dessus son portable pour me darder de son regard pointu et m’annonce d’une voix excitée, ce qui ne lui ressemble guère en dehors de la manœuvre, un truc pour le moins étrange :

– le seljipi !!

– qu’est-ce que tu dis ? le sel quoi ?

Il doit me l’expliquer lentement parce qu’il a beau le redire, je ne comprends rien, j’ouvre les bras en signe d’impuissance

– je ne comprends pas ce que tu dis (c’est loin d’être un fait isolé)

– une course de bateaux ! c’est demain ! à Lyttelton !

– AAAAAH ! Sail jipi ! sail ! daccoooord ! mais c’est quoi jipi ?

– Jipi ! Grand Prix !

– AAAAAH ! gé pé ! jipi !

On y arrive

le SailGP c’est un circuit international de course à la voile en équipage, constitué de plusieurs épreuves côtières disputées sur des catamarans monotypes à foils F50, à hautes performances, autant dire des fusées, ce week-end l’épreuve se déroule à Christchurch, l’aubaine, pour le capitaine c’est meilleur que le vin de messe pour un enfant de chœur, il est déjà en train de se renseigner pour des billets afin de voir le spectacle depuis les tribunes installées dans le petit port de Lyttelton, plus une seule place dispo, il saute fiévreusement sur la carte de la région pour trouver où aller afin de voir cette manche, il faudra qu’on soit assez proches de la course car on n’a pas de jumelles, elles sont restées dans le bateau, ça va être tendu …

C’est ça un cata à foils F50, ça peut filer à 80 km/h, un truc de fou – sur la photo c’est le bateau canadien, vive le Québec libre, I am a Berliner (j’aime délirer, à midi, pendant qu’on déjeunait à 14h comme il se doit, ça sent le brûlé, on jaillit comme un seul homme, le capitaine fonce regarder dehors pendant que je saute sur le tableau électrique pour voir si ce n’est pas là que ça crame, mais rien, ça vient d’ailleurs, on se rassied, hilare je dis au capitaine qu’heureusement que j’ai eu le réflexe de regarder le tableau avant de l’arroser avec l’extincteur en foutant de la mousse partout, la nana trop conne, il me regarde dun air chagrin, je lui demande s’il n’a jamais des scènes débiles qui lui surgissent spontanément dans la tête, non jamais, la débilité c’est pas son truc, moi ça n’arrête pas)

L’épreuve est à 15h, en fin de matinée nous trouvons laborieusement une place pour se garer dans le quartier, joli quartier résidentiel que l’on dérange, les sourcils sont froncés derrière les baies vitrées, un monde de dingue a eu la même idée que nous, c’est rencontre du troisième type dis-je au capitaine qui opine, on a le temps de se manger un hamburger sans frites, c’est disette, et de se faufiler pour trouver une chouette place d’où on pourra tout bien voir, on se glisse entre les gens et les chaises pliantes … et puis on aperçoit un drapeau français alors, interdits, on s’avance vers lui, forcément, un french flag ici ?!

hamburger time

Ils ne sont pas plus français que je ne suis périgourdine, mais leurs ancêtres l’étaient, nous sommes tombés sur une association qui défend le souvenir français ou quelque chose comme ça, je n’ai pas bien compris leur baratin mais une chose est certaine, c’est qu’ils ne cultivent absolument pas un traitre mot de notre admirable langue, on se fait accueillir comme la sauce hollandaise sur les œufs bénédictines, la touche qui fait le succès de l’affaire, un hélicoptère de la télévision passe en rase-motte au-dessus de nous, la plus fanatique du groupe insiste avec rage pour que le capitaine récalcitrant agite un drapeau à bout de bras, lui assure sur un ton sans appel qu’il passera à la télé, je l’exhorte hystériquement afin qu’il s’exécute, le capitaine à la télé néozède vous imaginez, il s’y résout à contrecœur avec un manque de ferveur qui ferait tiquer notre illustre président s’il venait à l’apprendre, je lui braille en postillonnant avec une ironie à peine masquée de se mettre à chanter la marseillaise et saute avec de grands gestes à l’attention de l’hélicoptère, s’il pouvait me planter le drapeau dans la gorge pour me faire taire il le ferait, mais c’est un gentleman, je réussis à capter ce moment épique :

il déteste 😂

L’équipage français mené par Quentin Delapierre gagne la première manche, notre petit groupe hurle à s’en décrocher la glotte, à part le capitaine qui fait semblant de ne pas nous connaître, j’ai tellement envie de faire pipi que je me sauve afin de trouver des toilettes, en revenant je me perds dans le quartier et je loupe la seconde épreuve, toutes les rues se ressemblent, c’est terrible, un véritable labyrinthe comme à la foire, éperdue je retrouve enfin le capitaine qui m’attendait en se demandant bien ce que je fabriquais et m’adresse un sourire empli de compassion à la vue de ma mine déconfite, sa cote flirte avec les 100%, tandis que tout le monde récupère son véhicule et s’en va à la queue-leu-leu, les français se sont gaufrés, mais il reste demain pour se rattraper et dans tous les cas c’était une drôlement chouette ambiance.

Je passe la soirée à tenter de voir les infos sportives sur la chaîne locale, impossible depuis mon téléphone français, je voudrais tellement que le capitaine passe à la télé avec son petit drapeau et prévenir ses copains ! la célébrité garantie ! la gloire assurée ! En vain, je me couche désolée, le lendemain, déambulant dans Christchurch endimanché, on entend une sono qui déchire, en remontant le fil du son pour voir d’où ça vient, nous tombons sur un jardin rempli de monde avec des écrans géants qui retransmettent la seconde journée de cette épreuve, ni une ni deux on s’allonge dans l’herbe au premier rang et, royaux, assistons en direct à la transmission des manches du jour …

… on voit bien mieux que depuis Diamond Harbour, et tenez vous bien ! à un moment donné ça passe le film de ce qui s’est déroulé la veille avec des images prises par l’hélicoptère, et tenez vous bien !

Bon, les français n’ont pas gagné, un problème de communication, mais qu’est-ce que c’était beau à voir, ce sont les canadiens qui ont remporté cette épreuve mais il en reste d’autres et les français sont vachement bons et encore bien placés, c’est hyper impressionnant de voir les images de ce type de course :

j’ai filmé ce qui passait sur l’écran géant

Il est déjà temps de continuer, direction Kaikoura, on ne traîne pas car il faudra vite filer sur Picton pour prendre le ferry dans l’autre sens, et ici les places de ferry s’achètent longtemps à l’avance parce que c’est booké au possible, on n’a pas intérêt à le louper

Pour y aller, on passe par Greta Valley, c’est plein de pins, comme presque partout ici, je vous disais la dernière fois que le comble était que pour faire le jardin Chinois de Dunedin, il avait été importé du bois de pin de Chine, alors qu’ici on plante et on coupe du pin à tour de bras justement pour l’exporter en grande partie en Chine, la route est pleine de camions qui transportent des troncs, les ports plein de tas de troncs à perte de vue avant de les embarquer sur des cargos, ils font avec le bois ce qu’ils font avec les vaches, les moutons et les cerfs, de l’élevage intensif !

Ici, le couvert forestier était d’environ 65 % avant l’arrivée des Européens, aujourd’hui seuls 23,5 % de la surface des terres sont encore boisés, et moins de la moitié de cette étendue correspond à des forêts véritablement primaires, la plupart de ce déboisement ayant eu lieu pendant les 100 années de colonisation européenne pour développer les pâturages, pire que des sauterelles dans un champ de maïs ! L’industrie forestière, surtout depuis 1923, s’est mise à convertir des terres en plantations de pins, le pinus radiata, semant la confusion entre forêts et plantations, alors que ces plantations prennent justement la place des forêts indigènes ! (Sandy Gauntlett, Pacific Indigenous Peoples Environment Coalition, Aotearoa / Nouvelle-Zélande)

– mais tu comprends, ça bouleverse l’écosystème ! autant de pins que ça, ça ne peut que perturber la faune et la flore, et au rythme où ils les font pousser, épuiser les sols !

– mmfffffrrrrr !

Et c’est le cas, ces plantations ne conservent pas les sols, l’eau, la diversité biologique et l’habitat de la faune, elles ont de toute évidence des effets opposés sur eux tous, les discours qui tendent à faire croire que ces plantations sont des forêts dans une volonté écologique de reforestation sont insensés, absurdes, mensongers, c’est de la manipulation, tout n’est qu’affaire de fric, on spécule sur les plantations : messieurs mesdames, la forêt c’est un placement durable, avec un retour sur investissement entre 26 et 28 ans, sachez que la production reste constante même après 3 ou 4 rotations, ce qui garantit un revenu stable, oyez oyez gentes gens, investissez ! la voilà l’écologie de l’industrie forestière ! Je suis dans tous mes états, dégoûtée, écœurée, révoltée, mais que faire, que faire ?! QUE FAIRE ???!!!

Donc, pendant que je vocifère ma rage aux oreilles du capitaine qui, infatigablement, roule et me supporte moi et mes coups de gueule, nous nous rendons à Kaikoura, c’est là qu’on peut voir des baleines, mais avec le capitaine on ne se fait aucune illusion, je change de sujet pour écumer les publications scientifiques afin de voir si oui ou non les baleines ont déjà migré, bah oui elles sont déjà migré, comme s’il y avait besoin de vérifier, c’est en juin et juillet qu’on peut voir les baleines à bosse, en mars c’est tintin, mais il est dit qu’il y a des cachalots toute l’année, et des dauphins, des orques de décembre à mars, ça leur permet d’embarquer des touristes toute l’année pour faire bouillir la marmite, un feu rouge au bord de la route nous arrête …

Pendant qu’on poireaute on regarde la mer … et là, je vous le donne en mille

un ban d’otaries s’amuse dans l’eau au bord de la route 🤩😍!

La nuit tombe, nous faisons un arrêt sur un camping le long de la plage, pas sympa du tout le gars du camping, il ne voulait pas que nous restions mais le capitaine avait réussi à entrer sans demander la permission, heureusement parce que le coin est plutôt désert, une bonne nuit et on repart.

Petit arrêt au bord de la route, pas pour faire pipi comme il est d’usage quand on se trimballe en bagnole, mais pour se balader dans les rochers le long de la mer, ça nous fait un peu d’exercice, en fait le capitaine nourrit le secret espoir de voir d’autres zotaries, ce matin avant de partir du camping on a vu des dauphins au loin, mais c’est tellement moins bien que de les voir qui jouent avec le bateau, on devient difficiles, les otaries ça va, on n’est pas habitués, alors ça nous motive, on avance tels des funambules sur les arêtes des rochers, et paf ! nous sommes récompensés !

une otarie à fourrure !

Nous nous approchons tels des sioux en repérage d’attaque de diligence, elle ne nous calcule même pas, bronche à peine, je la trouve qu’elle n’a pas trop l’air en très bonne santé tu ne trouves pas ?

– meuh non !

– tu ne trouves pas qu’elle est maigre ? on dirait qu’elle a le flanc tout creusé ?

– mais qu’est-ce que tu racontes ?!

C’est que je lui gâcherais le plaisir avec mes questions bêtes, on s’en retourne comme on est venus, à pas de sioux, et on continue, et on a faim et il y a un resto annoncé sur la route, et hop je salive déjà comme le chien de Pavlov …

Voilà le resto, c’est pas pour dire mais cette langouste géante me fait penser aux films d’horreur où tout le monde se fait bouffer par des araignées géantes, Arachnophobia ou genre, je déglutis, ça te va ? me demande le capitaine, il n’a pas envie non plus, ça nous a coupé l’appétit, on continue …

NBPS : quelle est la différence entre NB et PS ? PS [Post Scriptum = écrit après] s’emploie quand on a oublié de parler de quelque chose et qu’on le dit à la fin de notre lettre. NB [Nota Bene = Notez bien] s’emploie pour insister sur un fait précis. Ici vous avez les 2 :

  • « La plantation de pins, hier et aujourd’hui, est enracinée dans un monde de pouvoir, de profit et de nature bon marché. » En savoir plus :

Les origines obscures des plantations de pins de Nouvelle-Zélande

  • Pingouin ou manchot ? Les termes manchots et pingouins désignent des espèces différentes mais elles sont régulièrement confondues. Les manchots sont incapables de voler et vivent exclusivement dans l’hémisphère sud. C’est ceux-ci qu’il est possible de voir en Nouvelle-Zélande. Alors que les pingouins désignent pour leur part des oiseaux de petite taille, qui contrairement aux manchots sont capables de voler et habitent uniquement dans l’hémisphère nord. En anglais, la famille des sphéniscidés dont font partie les manchots se traduit par penguin, ce qui finit par ajouter une confusion supplémentaire lorsqu’il s’agit de les distinguer des pingouins… Par abus de langage, les manchots sont donc souvent désignés sous le terme de pingouins. À Taiaroa Head, tout au bout de la péninsule d’Otago, se trouve une plate-forme aménagée où l’on peut observer, moyennant rétribution,  une colonie de manchots pygmée revenir à leur nid chaque soir au soleil couchant.
  • Donner en mille : cette expression date du XVIIe siècle, on pourrait dire qu’il s’agit de la contraction d’une phrase beaucoup plus longue «Je vous le donne à deviner, mais vous n’avez qu’une chance sur mille de trouver la réponse » qui signifie qu’on a peu de chance de trouver.

Southland

Nous embarquons dans le ferry comme pour le Nouveau Monde, longues files d’attente de camions, caravanes, vans et motos, puis le cortège se met en branle, carrément deux étages pour les véhicules, il y a même un train qui dépose une file de wagons,

bien que je connaisse par avance la réponse du capitaine, je m’exclame, l’air dépassé

– Mais comment ça peut flotter avec tout ce poids dans le ventre ?!

Ça lui fait aussitôt comme un vent qui court sur sa peau, comme on voit au loin sur la mer une risée, je perçois son humeur qui va s’agacer, je le coupe avant même que son idée d’ouvrir la bouche pour me morigéner n’atteigne son cerveau

– Oui oui je sais, tu me l’as déjà dit, ça n’empêche pas de s’étonner ! (faudra que je révise)

Lui ça l’empêche, c’est comme ça un point c’est tout, que la lune flotte dans le ciel sans tomber par terre c’est normal puisque les lois de la physique l’ont démontré, quand je m’en émerveille il raille mon côté bon public

– Mais quand même, l’ai-je déjà exhorté à plusieurs reprises, tu n’es pas ébahi de voir à quel point notre planète est un prodige prodigieusement prodigieux ? Tous ces arbres, toutes ces plantes, ces oiseaux, ces poissons ? Nous ! tout ça rien que pour nous !

– Siiiiiiiii mais …

Pas de quoi en faire un plat.

On nous fait monter au dernier étage : salon, tables, chaises, bar, restaurant, ça se balade, ça discute, ça boit un coup ou ça mange, ça tapote sur son téléphone, il y en a tout de même qui regardent ce qui se passe dehors, je sors sur un des ponts, vent glacial qui me fait rentrer vite fait, les vagues commencent à se former, le ferry bouge à peine, si on était sur Cap de Miol on les sentirait rudement passer, 3h30 plus tard on débarque à Picton, tout ça a pris son temps, on trouve un resto pour manger un morceau avant de prendre la route, un fish&chips de plus, c’est ça ou hamburger/frites, parfois des plats que je commande sans comprendre ce que ça va donner, ce qui me fait découvrir des mets aussi improbables que peu raffinés, je repense à certaines boulettes végétariennes qui auraient rendue viandarde Gwyneth Paltrow , alors quand il y a des salades au menu, ceci bien que la Médecine Traditionnelle Chinoise le réprouve, je m’en prends une et je suis bien contente, et après j’ai faim comme il va de soi.

Kilomètres

Kilomètres

Kilomètres, nous sommes au pays des cônes, la Nouvelle Zélande entière est en réfection de routes, pour y faire fortune il suffit d’être fabricant de cônes, kilomètres, cônes, vaches, moutons, sapins, kilomètres, sapins, moutons, vaches, kilomètres, cônes…

Tandis que le capitaine roule, concentré de rouler à gauche, il est à ma merci et je peux lancer des discussions comme sur la pensée créatrice, c’est quoi ces couillandres, ce ne sont pas des couillandres regarde : on pense à faire un road-trip en NZ par exemple, on le met en œuvre et voilà on y est, mais c’est l’évidence ! oui, n’empêche que notre pensée est créatrice, aussi je lis à voix haute, afin qu’il en fasse son profit, des articles sur des sujets qui m’intéressent ou auxquels j’aimerais l’intéresser pour lui faire passer un message, c’est ainsi que je l’abreuve aussi bien de l’histoire de la NZ que de la différence des cerveaux masculins et féminins, thème qui ouvre au débat, parfois le regard qu’il m’adresse est  totalement déserté, envolé pour d’autres sphères, je lui demande alors si ça l’intéresse et oui qu’il m’affirme en revenant habiter ses yeux pour découvrir que je suis là, alors je continue, j’enfonce le clou, je m’émeus sur la loi anti-tabac de la NZ moi qui ne suis pas fumeuse et râle quand une terrasse de bistrot est envahie de fumée au point de pousser les non-fumeurs à s’asseoir à l’intérieur afin de pouvoir respirer, le comble, mais qui milite pour la liberté, je trouve scandaleux qu’il ne soit plus possible pour les personnes nées après 2008 d’acheter des cigarettes en Nouvelle-Zélande et ce indéfiniment, dans quel monde vivra t’on si on n’a plus le droit de fumer un clope, boire un coup ou tromper son mari (j’avais écrit sa femme mais je me suis reprise, l’égalité des sexes sert -surtout- à ça) et d’autres sujets que j’évoquerai quand le moment sera venu, découvrir la NZ va aussi m’apprendre ses paradoxes quand je vais gratter le vernis de la carte postale …

En attendant, on file vers les Alpes du Sud, je ne me trompe pas, nous roulons vraiment vers les Alpes du Sud ou Southern Alps, plus précisément vers le glacier Franz Josef, auparavant nommé Victoria mais débaptisé par l’explorateur Allemand Julius Von Haast en 1865 en hommage à l’empereur François-Joseph d’Autriche, on appréciera, vraiment, de quoi j’me mêle.

Sur la route, le Westland Tai Poutini National Park … ça en met plein la vue
et on voit le glacier de loin

On se pose dans un camping pour souffler, demain on fait la rando de Roberts Point Track car de toutes les randos d’ici elle est donnée comme ayant le meilleur point de vue sur le glacier, étiquetée intermédiaire/difficile, on verra bien.

Ca démarre tranquille dans la forêt, parfait pour s’échauffer, et on arrive un peu plus tard au premier pont suspendu, il a l’air bien solide, du bon matos néo-zède, je m’y engage sans crainte, faudrait vraiment le faire exprès pour tomber

du solide

Puis un second où l’on ne doit s’engager qu’un par un, mais pas d’impression de vide car on surplombe des arbres et des fougères, je le passe les doigts dans le nez … le 3ème et dernier est beaucoup plus long, je dis au capitaine que je vais marcher juste derrière lui et regarder sa nuque, j’ai vu ça une fois dans un film et ça me paraît être une bonne idée, parce qu’il est bien long ce pont et ça balance pas mal, j’ai bien fait, tant qu’il y a des arbres sous le pont je pourrais danser la gigue dessus, mais à un moment donné il n’y a plus que le vide et ça me file chaud dans les mollets, c’est pas bon signe, le chaud dans les mollets c’est quand je suis à un doigt de capituler, j’avale ma salive, je le colle aux talons et regarde sa nuque à m’en hypnotiser, ça devrait aller, ça va, ça va passer, ça passe, c’est passé !

long … et haut
on passe plusieurs gués, on grimpe dans des torrents …
sur des rochers …

Et après 3 heures de marche, parfois acrobatique, on arrive sur la plate-forme avec vue sur le glacier, la récompense !

Glacier qui reste bien loin de là où nous sommes, pour le voir de près il faudrait se faire héliporter, ça coûte au moins 200$ NZ par personne, on oublie, il est loin parce qu’il fond, et ça à vue d’œil …

Je me tourne vers le capitaine pour lui partager ma pensée, à savoir que ça m’étonne que les hélicos soient autorisés, ce n’est pas très écolo, et plusieurs aspects ici me font tiquer, mais bon, si je voulais être vraiment écolo je ferais le tour de la NZ en vélo et pas en camper-van n’est-ce pas (ici ils ne comprennent pas de quoi on parle quand on dit camping-car, pourtant c’est bien de l’anglais que je sache, aaah e camper-van !)

on continue après ce dégourdissage des jambes, parce que rouler autant, ça engourdit méchant

Ce qui nous fait passer par le parc national du Mont Aspiring et entre les lacs Wanaka et Hawea, plus loin sur la route, en passant le long de la distillerie de Cardrona, nous apercevons une loooongue barrière de soutiens-gorge, le capitaine pile en laissant la moitié de la gomme des pneus sur le bitume, il veut voir ça de plus près nom d’un chien, mes idées sur le sujet vont aussitôt bon train

– sûrement que c’est une manifestation de nanas qui étaient moins bien payées que les hommes à la distillerie !

Il n’en sait rien, persuadé que les femmes sont aussi bien payées que les hommes pour un même poste et que les féministes exagèrent, que je prends un soin perfide à trier les informations que je lui présente en preuve de ce que toutes les études sur le sujet peuvent avancer, je ne désespère pas mais il va me falloir être pugnace pour ébranler ses certitudes

J’apprendrai que tous les bus et voitures qui passent par ici s’y arrêtent, que plein de nanas ôtent leur soutif pour l’accrocher à la barrière, certains disent que c’est pour la défense des femmes qui ont le cancer du sein, argument qui semble sorti d’un chapeau pour élever le débat car l’histoire c’est que des fermiers ont tout bonnement trouvé 4 soutiens-gorge attachés à la clôture entre Noël et Nouvel an 1999 (elles devaient en tenir une bonne) et les ont laissé, que l’info s’est répandue et qu’il y en a eu de plus en plus comme les cadenas sur le Pont Neuf, c’est devenu une mode, après des tentatives de les virer étant donné que certains trouvaient que c’était moche dans le paysage ou dangereux de distraire les conducteurs, un certain fermier John Lee, devenu gardien officieux du site, en a laissé une partie parce que c’est devenu l’attraction touristique la plus photographiée de la région, pas un mot de son côté sur le cancer du sein qui, à mon humble avis, n’a pas besoin de pub mais de fonds de recherche, bref, on veille à ce que la célèbre clôture passe à la postérité…(en même temps c’est gratuit, ce qui est rare en NZ)

Et nous voilà à Queenstown, la plus belle et charmante ville de toute la Nouvelle Zélande à mon goût, l’immense lac de Wakatipu avec les Alpes du Sud pour décor, une promenade au bord du lac avec des bars, des vrais restos, de l’animation et de la musique, le capitaine propose de m’inviter dans un Italien mais flûte, c’est complet, on déambule et c’est complet partout, on se fait refouler comme d’une boîte à la mode par un vigile peu accommodant, c’est comme ça dans les restos, quand ils sont pleins ils sont tout content de vous refuser l’entrée tellement ils sont courus, on finit par trouver des places dans un resto Thaï, à ma grande joie et à la déconvenue du capitaine, je commande un curry de légumes et lui un Pad Thaï, je me régale, il reste sur sa réserve congénitale qui englobe toutes les cuisines asiatiques sans exception.

Queenstown a des airs d’Annecy
On visite les jardins de Queenstown
sous un Sequoia

La grosse prochaine étape n’est pas des moindres puisqu’il s’agit de Milford Sound ou le plus beau fjord de Nouvelle Zélande !

Sur la route qui nous mène à Te Anau, nous passons le long de champs entiers de faons, biches et cerfs, la Nouvelle Zélande est le premier producteur mondial de cerfs d’élevage pour la vente de leur viande vantée comme étant pauvre en graisse, en cholestérol et en calories, précision étant donnée que, grâce à ses pâturages, ce pays est naturellement idéal pour tout type d’élevage d’animaux, ici on vous affirme qu’en consommant la viande de cerf de Nouvelle-Zélande, vous prenez part à cette nature magnifique, le marketing n’a honte de rien.

Je m’insurge auprès du capitaine : comment peut-on parler d’écologie quand on voit ces élevages intensifs de bœufs, de moutons et de cerfs ?! Il faudrait qu’on m’explique, parce que d’un côté les Kiwis (les Néo-Zélandais) en ont plein la bouche de l’écologie, et de l’autre …

De l’autre, la Nouvelle Zélande est présentée comme une une terre préservée, sauvage, saine et pure, et vendue comme telle aux touristes, il est vrai que près d’un tiers de ses terres sont des aires protégées au sein de 13 parcs nationaux et que 80% de leur énergie est issue de sources renouvelables, mais, MAIS !! près de 50% des émissions de gaz à effet de serre sont issues de l’agriculture et élevage dans le pays, contre 10 à 12% à l’échelle mondiale, la quantité et la qualité du sol en sont affectées, l’une des plus importantes conséquences est que la qualité de l’eau se dégrade, 62% des rivières néo-zélandaises dépassent les seuils sanitaires, 59 % des puits présentent un taux important de bactéries E. Coli, ce qui révèle une contamination fécale,13 % ont un taux élevé de nitrate, 57 % des lacs ont une mauvaise qualité d’eau, dans certaines régions à très forte concentration de fermes laitières, le gouvernement a même déconseillé aux femmes enceintes de boire l’eau du robinet, 76 % des poissons d’eau douce sont menacés d’extinction ou en voie de disparition tout comme 83% des oiseaux, reptiles, chauves-souris et grenouilles … leur slogan 100% pure New Zealand a sacrément du plomb dans l’aile …

Avec une production laitière de 11 millions de tonnes et près de 15 000 producteurs, la Nouvelle-Zélande est l’un des principaux pays laitiers du monde.

C’est le capitaine qui fait les frais de toutes ces informations dont je lui fais une lecture effarée, c’est bien, ça l’empêche de roupiller au volant

Ma révolte ne nous empêche nullement d’arriver en fin d’après-midi à notre destination : Milford Sound !

Milford Sound est un fjord, il doit son nom au port naturel gallois appelé Milford Haven, je demande au capitaine pourquoi ici on appelle ça un fjord alors qu’ailleurs on dit que ce sont des îles, des îlots, des motu …

– quelle est la différence ?

– m’enfin Isabelle (yeux ronds) ! c’est parce que la mer arrive à l’intérieur des terres !

– mais … (il est con ou quoi) quand la mer passe entre différents îlots c’est pareil, les îlots c’est des monticules de terre plus hauts que la mer ne dépasse pas et c’est tout !

Je vous épargne la pénible discussion de sourds qui s’ensuit, je finis par lever la main en signe de temps d’arrêt pour m’en référer auprès du meilleur des arbitres, à savoir Google : c’est quoi un fjord (ça horripile le capitaine quand je dis c’est quoi, il me reprend, condescendant, on dit qu’est-ce que), j’ai ma réponse, un fjord ou fiord est une vallée unique érodée par un glacier avançant de la montagne à la mer qui a été envahie par la mer depuis le retrait de la glace, ça c’est de la réponse qui sait ce qu’elle raconte, je suis toute apaisée d’avoir compris, nous nous baladons en bateau sur ce qui fut jadis un glacier (les glaciers géants qui recouvraient le Fiordland ont commencé à fondre il y a 15.000 ans, c’est rien !), ce qui est assez fou quand on y pense, ça m’émerveille encore plus

et c’est fou ce que c’est beau, on va jusqu’à la mer et on s’en retourne, ce qui gâche le plaisir du capitaine c’est que c’est hyper touristique, il y a beaucoup de monde, c’est sûr que si on était venus jusqu’ici en voilier, on aurait été plus tranquilles … mais on serait encore très loin d’y arriver

On a du pot, il fait vraiment beau quoique frisquet, ce n’était pas gagné car ici il pleut 182 jours par an, soit une pluviométrie 14 fois supérieure à celle de Paris, les Kiwis disent qu’ici il pleut deux fois par semaine : une première fois 3 jours et une seconde 4 jours,  je me ferai tout de même rincer au retour car le bateau s’arrête sous une cascade, je suis aux premières loges et ris aux éclats, le capitaine évite soigneusement, ce genre de gaminerie n’est pas de son goût 😉

Et re-route, kilomètres, incroyable que ce soit si beau, comment deviner cette pollution devant ce spectacle permanent, impossible, au bout, Dunedin

Capitale de l’Otago, Dunedin est majoritairement peuplée par des Écossais, d’où son nom qui est une version anglaise de Dùn Èideann, le nom gaélique écossais d’Édimbourg. En 1881 un Australien trouve de l’or et c’est la ruée, la population explose et passe à 60.000 habitants dont 35.000 chercheurs d’or dans une ambiance de saloons, tripots et autres maisons closes, 25 ans plus tard plus un pète d’or, ça repart, Dunedin reste tout de même la 2ème ville la plus peuplée de Southland après Christchurch, elle abrite en son sein les plus beaux monuments de la NZ

Immeuble de la presse
Cathédrale St Paul
First Church, première église Presbytérienne de la ville
Une manif’ d’enseignants ce jour là

Il y a même un jardin Chinois, Lan Yuan, un bel exemple du délire de notre monde, 7 millions de dollars, 1000 tonnes de roche du lac Tai importées de Chine pour sa construction (roche qui est une caractéristique importante de l’architecture chinoise depuis plus de 1000 ans, ah d’accord), structures en bois de sapin de Chine (ça c’est le summum, j’y reviendrai) … il a beau être beau ce jardin, ça me surleculte comme aurait dit papa … Quand je monte dans les tours sur de tels sujets, le capitaine ne comprend pas, et pourquoi on ne pourrait pas faire un jardin Chinois en Nouvelle Zélande s’il vous plaît

– mais on n’a qu’à aller en Chine pour voir un jardin Chinois !

Il hausse les épaules et s’éloigne l’air de rien, tel un ministre qui laisse à une stagiaire le soin de régler une affaire sans importance.

On ne verra pas la célèbre gare ni la rue la plus pentue du monde qui s’y trouvent, nous préférons aller sur la péninsule d’Otago

… voir voler les albatros :

  • PS : si vous avez bien tout regardé, dans le petit film qui nous mène à Dunedin et à la péninsule d’Otago, vous aurez de toute évidence remarqué une photo de cygnes noirs : originaire d’Australie, le cygne noir (Cygnus atratus) a été introduit en Nouvelle-Zélande où il est devenu nuisible comme beaucoup des autres espèces importées par l’homme, car leurs prédateurs naturels sont absents, le prédateur du cygne noir étant principalement le renard.