De la loyauté, des prières & de la sorcellerie

C’est samedi, bon sang ce que ça passe, on s’en retourne à l’anse Majic de la baie de Prony pour dormir tranquillou avant de continuer le dimanche sur Lifou, une des îles Loyauté, on en a en gros pour une vingtaine d’heures alors pas besoin de partir tôt, on se rend sur avec un bon vent au portant, ça réconcilie avec la plaisance et c’est fou ce que ça me soulage, la photo d’en haut c’est Lifou au petit matin, comme vous le constatez c’est tout plat, quand on voit une île on a l’impression qu’on est presque arrivé mais c’est trompeur, souvent il y a encore un bon bout de chemin à faire, surtout si on doit en faire le tour. Lifou c’est Drehu en langue drehu, et l’origine du nom de Loyalty Islands remonte aux navires de commerce britanniques qui ont découvert fin du XVIIIe siècle des insulaires honnêtes et amicaux, le ton était donné.

je vous ai mis le parcours en rouge, je vous mâche le boulot (en vrai, on a serré plus près de l’île, on évite le chemin inutile)

Nous arrivons enfin dans la marina de , toute petite la marina, et pas profonde, nous avançons avec l’œil rivé sur le sondeur, il y a longtemps que nous n’avons pas râclé le fond et ce n’est pas aujourd’hui que nous allons réitérer ce genre d’exploit nous sommes-nous promis en notre for intérieur chacun de son côté, on nous a indiqué une place il y a 2 jours par mail parce qu’aujourd’hui c’est lundi mais c’est Pentecôte, tout est fermé, no body à la capitainerie, heureusement une nana qui habite sur un bateau voisin nous file un badge pour nous permettre de sortir du ponton afin, entre autres, de se rendre aux sanitaires … les sanitaires ! bon, le WC passe encore, il est relativement récent, je lui file un petit coup de nettoye et puis ça va, mais la douche, la douche ! elle n’a jamais dû voir d’éponge, la vasque est crasseuse, vaseuse, poisseuse, je me lave sur la pointe des pieds que je désinfecte ou quasi une fois revenue au bateau, une fois cette précaution prise je range je lave j’essuie (à l’occasion je pique aussi, à la machiiii-neuh), le capitaine s’en va faire un tour, ici la nuit tombe tôt, elle est déjà répandue partout quand il revient, un peu dépité, mais pourquoi ce faciès désappointé ô capitaine ?

– biiiiiin, c’est que je suis parti pour trouver un resto mais ….

Mais il n’a trouvé qu’un snack chinois et il a réservé car c’est MON ANNIVERSAIRE !

le snack chinois de Wé, ouvert les jours fériés, ouvert le soir, j’irai allumer un cierge

C’est tellement gentil d’y avoir pensé (en même temps il est entraîné depuis moult, c’est le même jour que sa maman), je commande des crevettes et du riz, le capitaine un Pad Thaï (jubilation contenue) et, incroyable, ils ont du vin, une petite bouteille comme dans les avions dis donc, du pays d’Oc, à se croire à la maison, ça fait l’affaire, je n’aurais jamais cru trouver un resto quel qu’il soit sur cette île quand je vois comme on a ramé sur le Caillou ! Après avoir fêté dignement l’évènement nous nous couchons tôt, demain on fait le tour de l’île donc il faudra tomber de la couchette dès l’aube pour rentabiliser la location de la voiture, le capitaine est très à cheval sur la rentabilité.

Aussitôt tombés de notre couchette, route vers le Nord, baie du Santal, la grande baie côte Ouest, du santal mesdames messieurs, oui, du santal ! je veux voir les forêts de santals ! rien que d’y penser j’ai son odeur voluptueuse qui m’envahit, mmmmmmh du santal ! Dès le découverte de Lifou (attribuée au navigateur français Jules Dumont-d’Urville en 1827 qui a établi une cartographie complète des îles Loyauté en 1840) l’appât du bois de Santal a attiré des trafiquants, mais loin de nous l’idée de trafiquer quoi que ce soit, d’autant que pour couper un arbre il faut l’accord des chefferies et des clans gardiens de la terre, ça ne rigole pas, le grand chef Ukeinessöti Sihaze a validé la coupe de bois de santal vert par un acte coutumier avec une condition : que le bois soit vendu à une usine de santal basée à Lifou, il n’a pas perdu le nord. La bonne nouvelle c’est que pour un arbre coupé, l’exploitant doit en planter trois, il faut quand même attendre 25 à 30 ans pour que l’arbre atteigne sa maturité, il ne faut donc pas couper à tout va, déjà qu’il a pénurie et que des chimistes travaillent sur des molécules de substitution comme le Sandalore ou le Polysantol… je vous le dis parce que quand on utilise une goutte d’Huile Essentielle de Santal, on ne sait rien de tout ça, on est au bout de la chaîne sans se douter … doutons nous, doutons nous !

Le Santal désigne certains bois appartenant principalement au genre Santalum, de la famille des Santalacées. Ces espèces d’arbres poussent naturellement en Inde, au Népal, en Australie, en Nouvelle-Calédonie, au Vanuatu et à Hawaii.

Outre le fait que la Maison Chanel utilise les essences du santal dans ses parfums et soutient depuis 2009 la filière néo-calédonienne, ce bois a des vertus thérapeutiques qui se révèlent un tantinet moins glamour, à savoir une action contre les hémorroïdes (ainsi que les varices et tous les troubles de la circulation sanguine et lymphatique). Il est également antalgique et anxiolytique. Bien. Mais encore ? Son parfum pénétrant et boisé sert il à autre chose si tant est que les odeurs aient un effet sur les êtres (si oui tapez 1, si non tapez 2) ? … et bien sachez que, après avoir apaisé les douleurs hémorroïdaires et calmé l’esprit, il ouvre le cœur à l’amour et aide à la méditation comme c’est le cas dans la tradition bouddhiste depuis des millénaires, et cela va encore plus loin : le Bois de Santal possède des vibrations spirituelles très fortes, on le brûle lors de rituels à la Pleine Lune en le mélangeant avec de l’encens naturel Tibétain (ou Frank Incense).

L’encens du Bois de Santal, quant à lui, est l’un des plus puissants dans le monde ésotérique. Il apporte la chance et la fortune, conjure le mauvais sort et brise la malchance surtout si on le combine avec de la lavande, on l’utilise dans les rituels de sorcellerie liés à la protection, à la guérison et lors d’exorcismes (faudra que j’essaie avec le capitaine, sors de ce corps Florence Arthaud !)

Si ça vous dit un peu de magie, voilà un rituel qui ne mange pas de pain : faites un vœu, puis écrivez le sur un copeau de Bois de Santal, et brûlez le dans un encensoir (ou un chaudron si vous êtes piqué.e de sorcellerie et disposez de tous les accessoires liés à cette noble pratique). Restez là surtout car il faut regarder le bois brûler tout en visualisant le dit vœu (conseil pratique, écrivez un vœu concis sur un petit morceau de bois, sinon vous en avez pour des plombes), et partagez moi vos succès et insuccès surtout, que l’on puisse valider ou non ce rituel.

Enfin, et parce que ce sujet me goûte, je vous livre encore ces deux pépites : les graines de Bois de Santal aident à augmenter son propre niveau spirituel quand elles sont portées en collier et enfin, répandre de la poudre de Bois de Santal dans une pièce disperse les mauvaises ondes et les esprits malfaisants, vous êtes parés (j’ai l’air de me moquer mais pas du tout, c’est très sérieux et ça n’empêche pas de plaisanter)

« S’il est vrai que l’humour est la politesse du désespoir, s’il est vrai que le rire, sacrilège blasphématoire que les bigots de toutes les chapelles taxent de vulgarité et de mauvais goût, s’il est vrai que ce rire-là peut parfois désacraliser la bêtise, exorciser les chagrins véritables et fustiger les angoisses mortelles, alors, oui, on peut rire de tout, on doit rire de tout. De la guerre, de la misère et de la mort »

du talentueux Pierre Desproges
Le cap Aimé Martin au Nord de la baie du Santal

On roule, et au passage nous nous arrêtons à la Pointe d’Easo et là, surprise ! nous voilà à Lourdes, accueillis par cette sculpture … comment dire …

Ma curiosité piquée, nous suivons le chemin indiqué et arrivons à l’église Notre Dame de Lourdes, qui l’eût cru car ce lieu a été tabou et inaccessible pendant des siècles, mais un projet de phare inabouti et une installation d’un poste militaire supprimé en 1870 plus tard, une voie était tracée, le Père Fabre en a profité pour y fonder un sanctuaire et faire venir une statue de la Vierge qu’il a fallu hisser et tirer par des sentiers rocailleux et escarpés jusque là :

2,5 mètres et 2 tonnes la pucelle

Après cet arrêt marial et la lecture de ces prières, nous remontons tout au Nord et arrivons aux falaises de Jokin, c’est là que nous rencontrons Clarisse.

Elle est femme de chef (j’apprendrai plus tard de Christiane et sa petite moue de dédain, qu’il ne s’agit en fait que d’un petit chef), n’empêche que petit ou pas, Clarisse nous prévient de ne pas passer par la chefferie sans elle, sinon il pourrait nous arriver des bricoles, nous savons que les kanak ne sont plus cannibales, mais on ne va pas aller chatouiller un chef non plus (des fois j’ai lu que kanak était variable, d’autres fois invariables, alors je l’accorde ou pas, c’est selon). J’évoque avec elle les soins de la famille, parce que jusqu’ici j’ai entendu un peu de tout, j’attends toujours de rencontrer un guérisseur qui m’en raconte parce que jusqu’ici la règle c’est le silence (tout doit rester secret, c’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle cette médecine Kanak n’est pas reconnue, en plus chacun y va de ses propres recettes, ça ne facilite pas les choses), ou alors ça sent un peu l’entourloupe si je puis me permettre :

Clarisse éclate de rire, me réponds que les zoreilles croient ce genre de truc mais que ce sont les tantes qui soignent les membres de la famille et pas des guérisseurs, que les recettes de transmettent entre les femmes qui connaissent les plantes, elle-même demande conseil aux vieilles femmes et finit par connaître ce dont elle a besoin pour traiter les maux classiques de sa famille, par exemple pour soigner le muguet des enfants elle prend 3 feuilles de noni qu’elle découpe, passe au feu, roule et fait infuser, et pour en passer le mauvais goût, 3 feuilles de fougère qu’elle infuse également, elle me montre une plante de son jardin dont elle utilise le jus pour les problèmes d’oreille (on dirait du lis des bois tacheté, Clintonia Umballulata, mais je ne l’affirme pas), elle se sert également de l’huile du coco germé pour les plaies (l’huile à l’intérieur de la noix tombée de l’arbre et où pousse un nouveau coco), me parle de l’utilité des cosses d’un arbre dont elle ne connaît pas le nom, je lui suggère le flamboyant mais elle ne sait pas. Elle-même a eu recours à des plantes médicinales, notamment pour être fertile, on ne lui a pas demandé son avis et on lui en a fait boire, mais elle a hissé le drapeau blanc au bout de 6 enfants, elle me parle du jus des banians que l’on fait boire aux femmes et aux hommes aussi pour les rendre fertiles, elle ne veut plus d’enfant, je lui demande si elle a une contraception, oui, elle a demandé à son gynécologue de lui prescrire le même mode de contraception que celui qu’il prescrit à sa femme, alors il a arrêté de lui prescrire la pilule et a changé pour un stérilet aux hormones … elle me dit que lorsqu’elle prend des plantes, c’est pour faire son devoir envers la médecine kanak après avoir fait son devoir envers la médecine des blancs …en fait, la médecine pour les kanak, c’est un mélange de coutumes et de modernité avec une lutte entre les deux, Clarisse me dit qu’il est souvent plus facile de recourir à des médicaments que de prendre sa voiture pour aller chercher je ne sais quelle fougère dans la forêt, que lorsqu’une femme revient de l’hôpital avec un traitement médicamenteux, le guérisseur (ah ! donc il y en a !) (il y en a de moins en moins et ils sont de moins en moins bons, tout se perd, on m’a dit que c’est pareil pour les grands chefs, ils ne sont plus aussi grands) lui intime de ne pas les prendre et lui donne des plantes en échange, c’est comme ça notamment qu’une dame diabétique a eu une gangrène … je raconte à Clarisse que le fils d’une amie fait actuellement un remplacement à l’hôpital de Nouméa, il est radiologue et a dit à sa mère qu’il n’a jamais vu ailleurs des radios avec des problèmes aussi avancés, Clarisse me répond que beaucoup de personnes n’avouent pas quand ça ne va pas, car la maladie est vue comme une punition, elles ont honte et se cachent, et ne se soignent donc pas … au final, il y a 4 médecines :

  • La médecine des maux de tous les jours : des pratiques familiales aident à se maintenir en forme et les bobos sont soignés par la pharmacopée familiale. Les blessures qui se voient (fracture ouverte ou plaie purulente par exemple) sont considérées comme étant moins graves que les blessures invisibles (mal de tête, douleur au ventre…)
  • La médecine des blancs ou maladies du docteur : c’est la médecine occidentale, arrivée avec les colons. De nombreuses nouvelles maladies ont été introduites lors des vagues de colonisation (lèpre, tuberculose…). Certaines maladies n’ont pas de nom en langues kanak. Par exemple, le mot cancer n’existe pas dans les langues locales. C’est le mot blessure qui est utilisé pour nommer cette maladie. Les malades qui consultent les médecins occidentaux en attendent une guérison rapide (en métropole aussi) (et je vois la même chose avec la Médecine Traditionnelle Chinoise).
  • La médecine pour réparer une faute : les malades y ont recours lorsque des symptômes perdurent et que la médecine occidentale semble inefficace. Le terme malheur est préféré à celui de maladie lorsqu’une personne est confrontée à des pathologies longues où les traitements sont inefficaces. Les kanak attribuent ces malheurs à une faute originelle commise par le malade. Cela peut être une transgression, un comportement irrespectueux envers un oncle, un chef ou un vieux, un oubli ou un geste défaillant lors d’un rituel (faut pas se louper). La maladie est perçue comme le signe d’une sanction de la part des esprits des ancêtres qui font un rappel à l’ordre. Dans son parcours de soin, le malade doit alors identifier la faute originelle, puis la réparer et obtenir le pardon du clan lésé (les ancêtres et leurs descendants) pour améliorer son état de santé. Alors ça, c’est le genre de truc qui me fout en rogne : au lieu d’avouer leur incompétence devant un cas, les soignants lui renvoient la balle en le culpabilisant, c’est malhonnête et honteux, ça se fait couramment chez nous aussi, ne serait-ce que les toubibs qui disent que le problème est dans la tête quand un traitement n’a rien donné, vraiment on n’est pas encore bien loin de ce genre d’ânerie …
  • La médecine pour désenvoûter : elle intervient pour contrer des malheurs provoqués par la jalousie d’un tiers ou liés à une faute grave comme l’intrusion, volontaire ou non, dans un lieu tabou. Un ancêtre malveillant envahit le corps du malade et peut le conduire à la folie, voire la mort. Seuls des spécialistes ont la capacité d’identifier l’origine du mal et désenvoûter le malade. Dans les grandes chefferies du Nord et des îles Loyauté, les grands chefs sont souvent entourés de spécialistes de la guerre rituelle qui punissent tous ceux qui menacent leur autorité ou leur manquent de respect. Je voudrais bien voir ce qu’ils appellent manquer de respect, a priori élever un avis contraire est pris comme manque de respect, comment faire évoluer les choses en ce cas !

Clarisse m’avoue qu’elle a découvert la Lumière et qu’elle prie Dieu, qu’elle ne croit plus aux superstitions kanak, moi ça me paraît passer d’une superstition à une autre, mais bon, on peut penser que le progrès passe par là … Avant de se quitter, elle tient à nous faire visiter la Case du Chef, être accompagnée d’elle nous sert de laisser-passer, je suis hyper émue de pénétrer dans la hutte, je dirai plusieurs fois hutte, elle me reprendra à chaque fois, c’est une case, pas une hutte.

Clarisse nous a donné une papaye et nous avons mangé de l’igname que les sujets ont offert au chef comme le veut la coutume je ne me lasse pas de changer la tête du capitaine 😄

L’entrée à droite est pour le chef et la femme du chef, l’entrée de gauche pour les manants :

Il faut toujours faire du feu pour que la case ne pourrisse pas avec l’humidité, ça fume encore mais il va falloir faire quelque chose Clarisse ! Le poteau central représente le chef et les soutiens les sujets, il y a toute une symbolique très complexe pour chaque partie de la case (je vous épargne le sujet)

du beau boulot !

La case fait office de lieu de cérémonies, de lieu de vie ou encore elle sert de local annexe, elle est ronde pour favoriser la discussion, Clarisse me dit que lors du dernier cyclone, tout le monde s’est réfugié dans la case qui n’a pas bougé alors que les autres maisons ont été détruites en tout ou partie, le vent n’a pas de prise sur ces cases … visiblement la case sert aussi à étendre le linge quand il pleut dehors, je ne sais pas comment le prennent les ancêtres depuis l’au-delà mais ça risque de filer une bonne et longue maladie à je ne sais qui (à moi peut-être si d’aucuns pensent que je me gausse)

tous les beaux tissus sont des cadeaux pour la coutume, c’est pratique la coutume

Après avoir quitté Clarisse, nous finissons le tour de l’île, passons par la baie des tortues,

voyons des églises un chouïa mégalos

et puis des cases presque partout, ici on sent la tradition à plein nez, Christiane nous expliquera qu’il y a de plus en plus de cases qui ne sont pas entretenues parce que les jeunes s’en vont et il n’y a plus de bras pour entretenir le feu à l’intérieur, ci-dessous un petit florilège de cases, belles ou en déconfiture, un établi comme on en voit souvent et qui servent à vendre des bananes ou des ignames au bord de la route, des cimetières pleins de couleurs et puis Louis ! que nous avons pris en stop et qui a pris la pose pour que je le photographie :

Parfois des barbelés interdisent d’aller sur une plage ou le bord d’une falaise, même dans des endroits indiqués comme touristiques

Nous allons déjà laisser Lifou derrière nous, je peux dire que ce pays Kanak m’a fascinée, son histoire, ses coutumes, ses plantes, ses secrets, ses femmes, je suis conquise, quelle chance d’être passée par là ! … maintenant, direction le Vanuatu, je suis prévenue, on va devoir faire du près, heureusement ça n’est pas loin, 150 NM de Wé jusqu’à Lenakel, une paille !

une carcasse de voiture transformée en jardinière, une nouvelle vie !

A little bit more pour les fanatiques :

  • Anecdote à propos du cannibalisme kanak : En novembre 1856, Le Messager de Tahiti publie la lettre d’un colon installé à Kanala où il est le seul Blanc. Il écrit à un ami : « Mon cher docteur, je suis au milieu des sauvages, il est si rare de voir entrer ici un navire, que je puis me regarder complètement en dehors de la civilisation… Ils sont anthropophages, et j’ai assisté à plusieurs festins de chair humaine. Quand une tribu est en guerre, elle envoie en cadeau à une tribu son alliée les deux ou trois premiers prisonniers qu’elle fait ; le chef reçoit ce cadeau avec pompe, rassemble tout son monde, leur fait voir les captifs, leur fait un discours avec une volubilité à perdre haleine. Le discours fini, les danses commencent, accompagnées de hurlements et de cris épouvantables. Ils m’ont envoyé chercher plusieurs fois pour assister à leurs festins […] Le chef aliki leur distribue les membres du mort. Un de ces Indiens, prenant un des mollets, me dit que ce morceau est le plus délicat de tout individu. Pour remplacer le couteau, qui leur manque, ils se servent d’une feuille de roseau, avec laquelle ils enlèvent de belles tranches, les mettent entre deux feuilles de bananiers, et les font cuire sur la braise. Ils m’ont offert plusieurs fois de partager leur repas, me disant que c’était excellent ; je leur ai fait comprendre qui les Oui-Oui ne mangent pas leurs semblables. Oui-Oui, c’est le nom qu’ils nous donnent. »
  • Dans cette médecine kanak il y a des devins, des voyants et des guérisseurs : le devin pratique la technique divinatoire. C’est toujours un homme. Il est l’héritier d’une tradition qui se transmet au sein du clan et communique avec les ancêtres par des rites et du matériel de cérémonie contenu dans un panier. Il est également le prêtre et le guérisseur de son groupe. Le voyant (peut être aussi guérisseur) est une personne qui a un don de voyance. Cela peut être un homme ou une femme. Son don n’est pas forcément hérité et a pu être contracté au cours d’un événement. Le voyant établit son diagnostic en faisant des rêves, en interrogeant le malade et sa famille, en récitant sa généalogie et en communiquant avec les ancêtres. Le voyant propose un traitement s’il est aussi guérisseur. Les guérisseurs ont le droit de soigner. Ils proposent des traitements et pratiquent des rituels pour soigner à la fois le corps, l’esprit et les conflits. Leurs connaissances proviennent d’un héritage oral séculaire au sein des clans. Ils sont réputés par le bouche-à-oreille lorsque leurs remèdes sont efficaces Chaque guérisseur possède son propre savoir-faire, sa propre pharmacopée et sa spécialité. Certains fabriquent les médicaments d’autres communiquent aussi avec les esprits (voyant ou devin), certains ont des aptitudes pour la petite chirurgie : soigner des fractures ou l’extraire un bout d’os ou de corail dans le corps , d’autres jettent un sort. Le traitement par la magie est pratiqué à l’aide de petits paquets ficelés, les waceng, contenant des plantes spéciales, une pierre, des phanères (poils, cheveux, cils, ongles) ou un os.
  • Pourquoi la MTK, Médecine Traditionnelle Kanak, n’est pas reconnue légalement : La société kanak est une société initiatique : certaines choses ne peuvent circuler que dans un cercle étroit d’initiés. Les groupes, segmentés en tribus, clans, lignages, ont des connaissances, des savoir-faire qui leur appartiennent en propre, liés souvent à un ancêtre spécifique. Et, à l’intérieur des groupes, certaines personnes, hommes ou femmes, ont acquis des pouvoirs, la notoriété venant avec les résultats obtenus. Les savoirs ne sont pas tous concentrés entre les mains des mêmes individus. Et la recette de telle ou telle médecine, qui est la propriété d’un groupe, ne peut pas être transmise au public. Dans certaines croyances, le secret sur les médicaments est aussi lié au fait qu’une divulgation de certains savoirs ferait disparaître leur efficacité. De plus, l’usage des tradicaments est en principe soumis à une autorisation coutumière et c’est un remède secret – doublement interdit par le droit français car les seuls produits de soins licites sont les médicaments autorisés (csp, art. L5121-8) et le droit interdit les remèdes secrets dont la composition exacte est inconnue.

Quelques utilisations médicinales kanak de cette luxuriante végétation !

  • Le Santal, déjà évoqué plus haut – Santalum austro-caledonlcum : le jus des feuilles écrasées est utilisé en massages légers sur les hématomes et les contusions. Dilué et bu il procure un soulagement respiratoire mis à profit dans les affections broncho-pulmonaires. Une plaque d’écorce interne et odorante grande comme une paume et prise à la base du tronc, râpée et macérée dans un litre d’eau froide pendant quelques minutes fait le même effet. Il s’y ajouterait une action aphrodisiaque qui est également recherchée dans les onctions parfumées à l’essence de Santal. La cuisson rend le Santal antiseptique. Les écorces grattées cuites avec du coco râpé font une pommade qui apaise les démangeaisons de la bourbouille des enfants et l’empêche de se surinfecter . Il faut cuire le mélange dans un morceau de feuille de bananier, au four.
  • Le faux-tabacArgusia argentea : si on demande un remède contre la gratte, presque toujours on vous indique le faux-tabac. Il en existe beaucoup d’autres, mais le faux-tabac est le plus populaire, son action consiste à calmer les démangeaisons qui valent son nom à un empoisonnement causé par les poissons (ciguatera). Il n’élimine pas les toxines et aide seulement à supporter la crise (qui se résoudrait aussi bien sans lui). Son écorce en infusion est tonique. Ses fruits sont toxiques, provoquant des vomissements et de la diarrhée.
  • La fougère arborescente, déjà vue dans d’autres articles – Cyathea intermedia : en MTK, ses bourgeons sont consommés comme contraceptifs
  • Le Méamoru – Plectranthus Parviflorus : pour les Kanak, c’est le symbole de la vie. Dans la région du centre de la Grande Terre, les femmes soignent les maladies des yeux et purgent les bébés après décoction de ses feuilles et de sa tige.
  • Le palétuvier – Rhizophora mucronata :  la décoction de son écorce est employée pour soigner la lèpre.
  • Les Impatiens cultivées dans les jardins – Impatiens walleriana ou Balsamine de Waller seraient utilisées en décoction pour faciliter les accouchements. En shampooing, l’infusion de leurs feuilles favoriserait la croissance des cheveux.
  • J’avais d’abord déguisé le capitaine en pirate, mais il n’avait pas l’air gentil, alors j’avais changé pour une tête gentille 😄

Publié par isabelle centre tao

Je suis thérapeute, conférencière et formatrice en Médecine Traditionnelle Chinoise MTC, j'ai fondé la chaîne du Centre Tao sur YouTube pour que vous puissiez apprendre le langage de votre corps et de ses énergies, vous rééquilibrer et vous soigner avec la MTC (diétothérapie, plantes, points d'acupuncture et plein de trucs magiques) en m'adressant particulièrement aux femmes et en leur destinant plusieurs de mes formations. Aujourd'hui je me lance dans une nouvelle aventure : découvrir les plantes du monde destinées aux femmes lors des différentes étapes de leur vie, afin d'aider toutes les femmes, où qu'elles soient, car même si la Pharmacopée Traditionnelle Chinoise est la plus riche de la planète, il existe partout dans le monde des plantes qui peuvent traiter les douleurs de règles, l'infertilité, les problèmes liés à la grossesse ou à la ménopause et aider les femmes qui n'ont pas accès aux plantes de la Pharmacopée Chinoise. J'ai décidé de faire ce blog pour vous faire vivre cette aventure, et je vous raconterai aussi bien mon quotidien sur le bateau et dans les différents mouillages, que mes rencontres d'herboristes, sorcières et sorciers, chamanes, tisaneurs et all these kinds of people !

12 commentaires sur « De la loyauté, des prières & de la sorcellerie »

  1. Bonne poursuite de vos pérégrinations et belles découvertes en tout genre 🤩 et bonne route vers l’Australie 🇦🇺 😃 n’oubliez pas de bien regarder La Croix du Sud, aaah, les étoiles en pleine mer , quel bonheur!!! Je vous embrasse fort !

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  2. J’ai bien lu et suivi votre périple dans l’archipel des iles Loyauté. A st Chinian j’ai un ami d’enfance qui est à la retraite et qui a été Administrateur des Iles Loyauté ( Gérard Sénégas ) durant 3 ans entre 74 et 77. Beau séjour …..il m’en parle encore. Bonne navigation et attention aux Wanatu de ne pas finir à la broche.Amicalement jacques salvetat

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  3. quel beau récit et belles images qui nous font rêver dans ce monde bizarre….
    merci, isabelle de continuer a nous faire partager votre aventure, amitiés a vous et au capitaine du cap….d’Agde.
    Philippe

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  4. Merci à toi Philippe pour ce si gentil retour, il nous reste encore pas mal de miles à faire pour retrouver le cap … d’Agde 😉 le capitaine commence à penser au cap Horn, ça me file des sueurs froides 😄

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  5. Dans toutes ces iles les chefs de clan font la loi et demandent pour quoi que ce soit de l’argent ( prendre des photos , accéder à une vallée etc….) vous y avez eu droit?. Ca ne rigole pas.

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  6. Pour éviter d’avoir des sueurs froides au passage du Cap Horn , passez-y en saison chaude….. mais il faut se rendre compte que toutes les dépressions du pacifique passent par le détroit aidé en cela par la cordillére des Andes qui compressent les problémes. Aprés le Horn viendra le tour des cotes Brésiliennes ou les dépressions qui sortent de la forét amazonienne viennent donner un vent , un courant et un état de la mer pas possible. Quand je pense que beaucoup de personnes croient que les cotes du Brésil c’est un plaisir.Tenez-moi au courant si je peux vous aider le moment venu. Amicalement jacques salvetat.

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  7. à vous lire ça ne fait pas trop envie de passer Horn dites donc ! mais bon, je vois qu’au fur et à mesure de nos pérégrinations, on se fait à des contextes plus difficiles, mais je n’ai jamais dépassé les 45 nœuds de vent et je ne suis pas certaine d’avoir envie de tester plus 😄je viendrai vers vous avec plaisir si nous nous aventurons de ce côté là, merci Jacques !

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  8. Si je peux vous être d’une quelconque utilité pour aborder ces endroits hostiles pourquoi pas. Cette année encore au mois de juillet-aout j’ai fait du routage pour un ami qui naviguait tout autour des iles Baléares , même pour cette zone que l’on croit paisible , cela a étè la galère.L’an dernier idem et au mois d’aout les gros soucis météo qu’ont connus les navigateurs de la Transquadra au large du delta de l’Ebre.
    Bonne navigation et surtout soyez prudents. Amicalement jacques

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