L’immensité australienne

l’Australie peut être considérée soit comme le plus petit continent, soit comme la plus grande île du monde

Prenez votre temps, il y a pas mal de lecture pour rattraper mon retard, alors on commence tout de suite : il nous faut aller de Mackay à Darwin, soit contourner 1/5ème de l’Australie, ça en fait des miles nautiques, mais nous allons faire aussi un peu de tourisme en navigant de mouillage en mouillage d’une île à l’autre derrière la grande barrière, le but étant de découvrir les Whitsunday, c’est toujours la capitaine qui se rencarde et me dit par où on va passer, je suis toujours d’accord, on s’en va toutes voiles dehors au portant, ce qui est une image car justement on se la joue feignant avec le génois seul, pas la peine de mettre la GV et de tangonner le génois pour de si courtes distances, comme je dis au capitaine on n’est pas des chevaux.

Pour la photo je n’ai pas du tout tracé notre parcours, c’est ma première fois sur Keynote sur ma tablette et pas sur mon PC sous Windows et PowerPoint, alors je rame un peu, mais au moins ça vous donne une idée du trajet

Le 18 juillet, date mémorable à inscrire d’une pierre blanche sur vos tablettes comme disait maman, le capitaine fait sa petite sieste en me laissant aux commandes, je lui ai dit, en jetant un œil (averti) sur Navionics, qu’il allait falloir empanner tôt ou tard, ouais mais pas tout de suite, d’accord mais je vois bien qu’on s’écarte de plus en plus de notre cap et que si j’attends trop ça va nous faire finir au travers, et vu la mer qu’il y a, ça sera moins rigolo, je prends mon courage à 2 mains et y vais pour mon premier empannage seule depuis le départ – on a que le génois alors c’est pas de jeu me direz-vous mais ! c’est pas si facile car il y a 26/29 noeuds de vent et je n’ai pas la GV pour le déventer, je ne veux surtout pas réveiller qui vous savez en manœuvrant, encore moins qu’il assiste à ma manœuvre, au secours, bon, je roule le génois à moitié pour qu’il passe entre son étai et celui de trinquette, c’est le capitaine qui dit qu’il n’y a pas besoin de l’enrouler complètement sinon je l’aurais fait, vous pensez bien, j’abats progressivement, prudence prudence, c’est trop progressif, beaucoup trop, le génois bat de l’aile et ça fait un boucan d’enfer, au lieu d’abattre encore plus franchement je continue à y aller pas à pas, je mets un temps fou, finis par dérouler le génois du bon côté en tirant la langue, toute cette hésitation s’est faite ressentir jusqu’à la moelle de chaque os du capitaine qui arrive grognon comme un gamin qu’on oblige à retourner à l’école en plein jeu de billes, je prends les devants en confessant que je sais que j’ai empanné trop tard (ce que je ne lui dis pas c’est que sous le coup de l’émotion je sens mes bras et mes cuisses qui tremblent), il enfonce le clou, c’est bien trop tard et on aura du chemin en plus ! en même temps on n’aura que 1,8 miles à faire de plus ai-je calculé sur Navionics avec le compas, c’est pas la mer à boire, et puis on peut y aller direct on n’aura plus besoin de réempanner lui fais-je miroiter, il clame que de toutes façons on n’en aurait pas eu besoin (je le sais parfaitement, mais on peut toujours essayer), je lui rappelle néanmoins que j’ai empanné toute seule, quêtant, si ce n’est une caresse, un sourire, un mot, ça ne l’émeut aucunement, j’ai merdé, j’ai mis beaucoup trop de temps pour changer de cap, je le lui avoue puisque faute avouée est à moitié pardonnée (des clous), j’aurais dû y aller franco de 30 degrés direct, mais tu le sais enfin isabelle ! Ouais, maintenant que je l’ai fait je le sais, c’est bien ancré lui assuré-je, pour l’heure on navigue au travers et les vagues mouillent le bateau comme prévu, le capitaine n’a pas envie de se faire chahuter, il laisse tomber le mouillage envisagé et abat pour filer directement au portant sur le mouillage suivant, 10 miles de plus c’est peanuts, on se pose tranquillou, la prochaine fois j’enroulerai complètement le génois et pi c’est tout.

On voit très bien là où j’ai empanné magistralement, et au lieu d’aller sur Goldsmith Island (avec la marque bleue) après le passage dans Hillsborough Channel, on a continué sur Thomas Island :
On dirait pas, mais quand on se prend ça en travers ça mouille, c’est pour ça que le capitaine a mis un vêtement de pluie, ça veut tout dire
Le mouillage de Thomas Island, bien protégé, je vous le conseille 😉

19 juillet nous arrivons allègrement à Shaw Island, le vent ne manque pas, en passant Burning Point on voit 3 catas qui sont mouillés, on se demande où on va pouvoir se mettre pour être tranquille quand justement l’un s’en va alors que nous arrivons, et bin tiens on va aller prendre sa place, toujours du vent, ça va de 15 à 25 et il varie de direction comme (trop) souvent dans les mouillages, le capitaine me laisse la barre au ralenti et s’en va le nez au vent à l’avant du bateau pour descendre l’ancre, j’attends benoîtement qu’il me fasse signe d’arrêter le bateau pour lâcher la pioche, il est loin le temps où je flippais en arrivant dans un mouillage paisible, mal va m’en prendre mais attendez, au lieu de ça il est toujours debout et me fait signe d’aller à gauche, un cueing visuel qu’on appelle ça en fitness, je pousse la barre, et là paf une rafale, je me fais direct embarquer par le vent qui nous pousse à droite
Hurlement.


Le capitaine revient dans le cockpit énervé comme un chien à qui on a chipé son os, il jappe à mes oreilles, fait faire demi-tour au bateau en braillant que j’allais me foutre sur le cata, m’enfin j’aurais réagi s’il y avait eu péril en la demeure, mais je ne dis rien parce que sinon il n’est pas prêt d’enrayer son disque, il repart à l’avant descendre l’ancre, furax, on finit par mouiller, il me crie d’avancer et on peut sentir à 10 lieues à la ronde que ça lui coûte de me solliciter :

– vers où ?

– avancer !!! Ça veut dire vers l’avant !!!

D’accooooooord, j’avance, je ne sais pas pourquoi je dois avancer donc je garde la barre droite puisqu’il veut que j’aille vers l’avant, mais le vent pousse le bateau d’un côté alors on part à gauche, puis de l’autre alors on part à droite, mais c’est toujours vers l’avant puisque la barre est droite et que l’avant c’est l’étrave, je m’en fous à un point qui lui ferait de la peine s’il le savait, j’obéis juste à son vers l’avant

– Point mort !!! (Tu m’étonnes)

Je mets le point mort, il finit par me demander de venir l’aider, haha aurait-on besoin de l’aide d’une aussi mauvaise équipière, je viens, l’aide pour protéger la coque de la main de fer et c’est fait en 10 secondes, je repars à l’arrière sans le regarder, j’ai juste envie de tomber dans un abîme sans fin où plus jamais personne ne m’engueulera pour une broutille, il y a eu une rafale quand on était au ralenti et ça a embarqué le bateau, où est le problème qu’il a fallu ensuite recommencer, mais où est le problème ?! Que le marin qui ne s’est jamais fait embarquer par une rafale au mouillage me jette la première bouteille de rhum !

Fidèle à lui-même qui se repent de ses emportements, il arrive derrière moi un peu plus tard et, penaud, m’entoure de ses bras

– pardon d’avoir crié

– ….

– …

– Ça sert à quoi de crier ?

Je lui ai déjà expliqué, et vous le savez, encore et encore, qu’à part stresser moi et bousiller l’ambiance, ça ne sert à rien du tout, il le sait mais il crie, une habitude, une sale manie (Monsieur et Madame Teuzmanie ont un fils, comment s’appelle t’il) (Gédéon), je ne lui dis pas que ça me donne envie de me laisser tomber en arrière dans l’eau et de sombrer, d’oublier les cris, d’oublier la vie, il hausserait les épaules, il dirait que je suis bien une fille, juste une fille, qu’il ne comprend pas les filles, le soir il a mal au ventre :

– C’est parce que je t’ai énervé dis-je avec un grand sourire

– Ouais ! Mais toi t’as pas mal ! … … (il descend la descente qui s’appelle descente même quand on la monte) … toi t’as mal au coeur …
Oui.

Mais avant ça, l’après-midi on a essayé le nouveau moteur, lui toujours ronchon avec l’œil bas et lourd qui pèse comme un couvercle, moi triste comme une équipière sur qui un capitaine a crié (y’a pas pire, capitaines du monde entier, sachez le), il marche mais il fume (le moteur), c’est un 2 temps au lieu d’un 4 temps (j’espère que j’ai bien retenu) donc il y a de l’huile dans l’essence comme dans les mobs de mon adolescence, et le réservoir est à côté du moteur, 20 litres, quand on arrive sur la plage il n’y a pas de fond alors on doit tirer l’annexe et ces 20 litres ça pèse, on le fait sans un mot, avant de s’arrêter de concert dans un râle épuisé, nos coudes tout distendus par l’effort

– Fait chier ! En plus c’est marée montante … dit-il d’un ton hargneux des plus rebutant (si même la marée est contre lui, où va le monde)

– Ah non, j’ai vu sur Navionics qu’elle sera basse à 17h34 (espérons que ça va lui mettre du baume au cœur)

– Ouais, à Mackay, pas ici ! (mon cul)

– Non, j’ai regardé sur une île juste avant celle là donc …

Il ne m’écoute plus et est parti, il se retourne a peine

– Assieds toi sur l’annexe !

Il dit qu’il ne veut pas que je marche pieds nus ici, tu parles, il a envie de rester seul pour cuver sa rage pendant que je garde l’annexe, il argumente en s’éloignant, c’est l’Australie vous comprenez, il y a des crocodiles et des tas de bestioles dangereuses, des mygales, des veuves noires et des tarentules qui viennent jusque dans les maisons se planquer dans les chiottes, l’horreur quand ça te remonte sur la cuisse pendant que tu fais pipi, je m’assieds sur l’annexe bien que ça soit visible que la mer descend, on pourrait se croire en Bretagne avec cette marée basse très longue qui dénude la vase, je vois le capitaine arrêté au loin devant un panneau puis qui marche le long de la plage, tandis que l’eau se retire et que la marée continue de descendre, toute une vie émerge et grouille, des Bernard l’Ermite et des autres qui leur ressemblent mais ont une longue antenne qui balaie l’avant de leur minuscule coquille et une espèce de plume de paon qui dépassent derrière, et puis je vois passer une espèce de moucan ou de tenard (mouette-canard) qui court sur ses petites pattes et a un long bec très rouge, le capitaine revient et me tire de ce spectacle pour tirer l’annexe jusqu’à l’eau avant que ça ne descende encore plus, aucun commentaire sur les horaires de marée, le nouveau moteur a du mal à repartir, le capitaine déverse son trop-plein de haine sur ce fichu moteur et se rassérène finalement quand celui-ci se met à ronronner tout en nous enfumant (vent de dos), le soir venu, le capitaine m’a détristée, il sait très bien me détrister. Très bien.

On n’avait pas été bien loin
Un peu rouleur ce joli mouillage

20 juillet, on continue, le bateau roule (de roulis), la position debout est on ne peut plus instable, le capitaine passe près de moi, je saute à sa perpendiculaire en mettant les bras en croix pour le laisser passer :

– Qu’est-ce que tu fais ?

– L’acrobate ! Le clown !

– Aaah je croyais que tu faisais le gendarme

De la vision des choses, on ne le dira jamais assez, en plus je serais presque vexée, où est-ce qu’on a vu que je pouvais même de loin avoir le début d’un comportement de gendarme ?!

Nous nous posons à Whitehaven beach, ze place to bi du coin, c’est touristique et il y a une douzaine de bateaux mouillés, le ciel est couvert et quand on n’est pas à l’abri du vent on met sa petite laine, il y a un peu de people qui finit par remonter sur le traine-couillons à moteur, quand tout le monde est parti la plage est à nous, c’est le luxe, les couillons c’est comme les cons et l’enfer, c’est les autres, le sable est plus fin que fin, il crisse sous les pas, c’est le sable le plus fin du monde, plus fin que de la farine, encore un cadeau du ciel.

On se caille un peu je dois dire
Mettez le son ! (La trace de pas en haut à👆 gauche de l’image me rappelle le jeu du kadélioscope de Denise Fabre) (ça nous rajeunit pas)

Quand on rentre au bateau, ça roule toujours autant, ça va pas le faire pour roupiller, il fait bientôt nuit mais on a juste le temps de filer sur l’île en face (le coin est truffé d’îles) sur une bouée pour être tranquilles, tu parles, de 2h30 à 5h du matin le capitaine se lève et se relève, s’échine à bricoler l’amarrage parce qu’on cogne dans la bouée, le vent a tourné et nous pousse dans un sens mais le courant est contraire qui nous pousse dans l’autre, on rebondit sur la bouée comme un battant sur sa cloche, finalement je me lève aussi parce que pas possible de dormir avec ce boucan, qu’est-ce que c’est que ce cirque capitaine ! à nous deux on réussit à hisser la bouée hors de l’eau et on l’attache en l’air au bateau, on peut se rendormir et on le fait jusqu’à 9h.

21 juillet Sawmill Bay, superbe mouillage, et le lendemain, rando, c’est bon de marcher et de botaniser un peu, comme on change de mouillage tous les jours on n’a pas vraiment de temps pour visiter, en même temps la plupart des îles sont désertes et se ressemblent, mais bon, quand on peut ça fait plaize.

Il faut toujours grimper sur les îles :

mais arrivés en haut, ça vaut le coup d’œil à chaque fois, jamais déçus !

Je trie mes récoltes en revenant au bateau :

Propre et rangé le bateau !

Ensuite Airlie beach, petite bourgade balnéaire, il y a plein de bateaux qui naviguent dans le coin, c’est week-end et l’australien fait prendre l’air à son sailing vessel où à son hors-bord de pêche, le temps est couvert, frais, venteux, il pleut régulièrement, je me suis pris une vague dans le dos en manœuvrant et j’arrive transie au mouillage, les gars du coin sont torse nu sur leurs bateaux, i sont fous les australiens (et tout rouge sous l’assaut des éléments). Comme ici on a une bonne connexion, j’en profite pour travailler puisque vu le temps pourri nous sommes astreints à rester sur le bateau, le lendemain il flotte toujours mais il faut aller faire des courses pour remplir le frigo alors on y va sous la flotte après avoir écopé l’annexe, on est trempés, vent, pluie, froid, ici c’est l’hiver en même temps.

Du people au mouillage, du vent, du roulis, de la pluie
Des temps comme ça, ça donne de ces ciels et de ces lumières !

Puis direction Cap Gloucester, c’est venté et on se tape un passage très serrage-de-cul avec moins de 3 mètres de fond (sur la photo il y a encore 8 mètres mais ça remonte vite)

Le lendemain c’est encore pluvieux, c’est fou ce qu’on a comme flotte depuis qu’on est arrivés en Australie, on part sous un arc-en-ciel ciel pour Upstart Bay à 47 NM

La journée est sublime, on voit une baleine sauteuse au loin et j’ai même le temps d’aller prendre mon téléphone pour la filmer !

On passe devant Guthalungra (c’est mon iPhone qui le dit, sans ça je ne l’aurais jamais su) et ses empilements de roches incroyables :

Arrivés à Upstart Bay on mouille et on remouille parce qu’il y a des cailloux et que l’ancre ne tient pas, la 3eme est la bonne, et vous remarquerez que tout se passe dans la sérénité sinon je vous l’aurais dit, parfois les manœuvres sont orchestrées comme de véritables ballets chorégraphiés, ça glisse tout seul, c’est le genre de truc quand je le dis au capitaine il me répond que je me moque, sûrement pas, ça serait blasphématoire au possible.

Le jour d’après on se lève dès potron-minet car on a 69 NM à faire et on veut arriver de jour à Magnetic Island, sur Horseshoe Bay précisément (ça c’est pas mon iPhone mais le capitaine qui sait), on alterne génois tangonné et spi, une belle nav bien occupée, je n’ai pas vu ce qui était magnétique et c’est pas faute d’avoir cherché, avant d’aller le lendemain sur le mouillage de Lucinda via Orpheus Island (et ça je l’ai pompé sur le journal de bord du capitaine), là on mouille près du ponton et des barges à côté d’une usine, ce n’est pas très bucolique comme décor, en plus le ponton laisse passer la houle, le jour tombe et on ne va pas plus loin car il n’y a pas de fond, on passe une nuit pourrie tellement ça roule.

Pas très bucolique, certes, mais ça fait une superbe photo (c’est un ponton qui amène le sucre fabriqué par l’usine qui est une usine de canne à sucre)
Très rouleur
C’est fou parce que c’est quand même beau vous ne trouvez pas ?

En s’engageant le lendemain dans Hinchinbrook Channel, on voit un joli petit mouillage à peine plus loin, ça nous apprendra à mouiller trop tôt et à lire de traviole les avis sur ce mouillage parce que ça parlait d’un troquet sympa ce qui aurait dû nous mettre la puce à l’oreille car près du ponton il n’y avait pas plus de troquet sympa que de curé dans une mosquée.

Mangrove Island le 30 juillet, un peu le clou de la tournée, on emprunte Hinchinbrook Channel depuis le Sud à Lucinda jusqu’au Nord à Cardwell :

on va naviguer entre l’île Hinchinbrook et le continent
L’île Hinchinbrook (aussi appelée Pouandai par le peuple aborigène Biyaygiri) est située dans la région de la Cassowary Coast et l’état du Queensland, un peu de géo ne nuit pas
Et i fait pas chaud

On dirait un décor de théâtre planté là, comme si on avait posé des rangées de panneaux peints les uns derrière les autres pour donner de la profondeur à la scène :

Parfois on croit qu’un arbre flotte à la surface, et puis non :

Je ne vous dis pas ce que c’est, regardez la vidéo 😉

Quand on en sort : 5 noeuds de vent, 5 mètres de fond, on avance à 5 noeuds (on a mis le moteur + GV car au près serré), on déjeune peinards parce que ça relève presque d’une balade en barque le long du canal du midi, je fais un café pour le capitaine en le prévenant qu’il est chaud parce qu’il est frais, c’est Ionesco qui serait content.


On continue jusqu’à Maurilyan Harbour, il est 18 heures, la nuit tombe mais le vent et la pluie, eux, se sont levés, et là, étonnement, les bateaux sont mouillés cul au vent, c’est dingue ça, mais pourquoi ? c’est à cause du courant isabelle, et bien le courant doit y aller parce que le vent y va fort de son côté, en plus il n’y a pas de fond et plein de bateaux sont déjà mouillés, poïpoïpoï comment qu’on va faire, où qu’on va se mettre dis donc, on tournicote dans le mouillage pour aviser et on se pose pas trop loin d’un des voiliers dont le gars arrive aussi sec sur son pont en piaillant, on va finir par l’emboutir au changement de marée qu’il nous explique en anglais et très fort pour nous faire peur mais on voit bien que c’est lui qui a peur, on ne sait jamais dans ce genre de cas si on a affaire à un gars timoré genre qui prend un virage dans une bagnole électrique comme s’il était au volant d’un semi-remorque, à un qui ne veut pas de voisin et aimerait que tous les mouillages lui soient privatisés, ou à un marin sérieux qui connaît son affaire, il nous dit encore que faut pas rester là avec force gestes comme pour chasser les mouches, on s’en rend vite compte parce que le courant nous a déjà bien poussés vers lui, on lui fait un geste d’apaisement ok man, et on relève l’ancre pour aller un peu plus loin mais ça nous fait le même coup avec une bouée jaune, si on reste là on va s’entortiller autour aussi sûr que je ne sais plus où sont rangés les filtres à huile, 3eme tentative, le capitaine m’interpelle en urgence

– mais pourquoi tu mets la marche avant ?!

– parce que le courant me fait reculer et qu’il n’y a plus que 3 mètres de fond !

– ah ! c’est bieng ! ( liesse en nos cœurs)
On relève encore l’ancre et finalement on se pose dans le port au plus près de la digue, justement l’endroit que voulait éviter le capitaine, tout ça pour ne dormir que quelques heures et repartir quand il fait encore nuit, on a de la route jusqu’à Cairns.

Un gamin de 6 mois qui joue sur un télécran ? Non ! Nos errances dans ce mouillage, c’était rigolo
Mouillés dans le port, donc

Depuis notre arrivée, on trouve quand même que l’Australie, c’est humide …

Au moins, les cirés servent à quelque chose…
Faut pas se fier à l’éclaircie

Cairns ! Ça c’est le genre d’arrivée dont on ne peut que se rappeler ! La baie est gigantesque, pas de fond, l’eau a une couleur cuivrée kaki clair absolument sublime et unique

devant, le temps est couvert n’est-il pas

On arrive dans le chenal comme la cavalerie avec 25/30 noeuds au près, pluie diluvienne, marée basse, dès qu’on s’approche trop des bouées qui le délimitent, le fond remonte à 3 mètres, des cargos nous croisent ou nous doublent et on fait bien gaffe de s’écarter au maximum sans déborder du chenal, c’est interminable et Cairns est encore loin :

Loin et sous la flotte (et j’ai zoomé)

Je m’inquiète de savoir où et quand on pourra affaler, le capitaine trouve toujours qu’on aura l’espace donc le temps, je suis en général moins optimiste et en plus je déteste le faire à toute berzingue avec l’œil rivé sur le sondeur, une main sur la barre pour garder le bateau face au vent et l’autre à la drisse de GV pour la laisser filer pendant que le capitaine me crie alternativement choque ! doucement !!! face au vent ! lofe ! abats !! attends ! mais choque !! et que ça m’essouffle rien que de vous le raconter, mais bon, avant de prendre le coude du chenal qui va vers la marina on arrive à le faire, du moins en partie, le capitaine aurait aimé qu’on remonte la GV en entier avant d’affaler pour lâcher le ris, faut pas rêver, on n’a pas l’espace, on affale avec le ris et on verra plus tard.
On se pointe la gueule enfarinée à la marina, amarrage sans encombre (si), nous avions fort civilement fait une demande de réservation par mail, à la suite duquel il nous avait été demandé d’envoyer les clauses d’assurance du bateau, nous avions bien évidemment obtempéré et on nous avait répondu on ne sait pas trop quoi en anglais et aussi en nous expliquant qu’on ne voudrait pas de nous, ce n’est pas ça qui avait ébranlé le capitaine, donc il va à la capitainerie avec son sac jaune et son sourire dans sa bonne gueule, revient 1 heure après, le dit sourire figé comme une sauce gélatine au fond d’un plat : les cons, ils ne veulent pas de nous, s’il n’est pas explicitement écrit noir sur blanc dans les clauses d’assurance que si jamais le bateau coule dans la marina l’assurance paiera pour l’enlever, on n’a pas le droit de rester … c’est pour ça que la marina est aux 3/4 vide et que le mouillage en face est blindé de monde, bon, c’est sûr que d’être à la marina c’est plus facile pour aller se balader, faire les courses et laver le bateau, mais bon, le capitaine qui sait y faire a décroché le droit de faire le plein d’eau alors on le fait et on lave le bateau à grande eau avant de filer au mouillage de l’autre côté du chenal, chenal qui parait beaucoup plus large quand il faut le traverser comme on traverserait une autoroute à pied plutôt que quand on se faisait doubler par un cargo, en fait ce mouillage est dans un fleuve qui charrie de la vase et dans lequel il y a un courant très puissant, que ça soit à marée montante ou descendante, il n’y a que le sens qui change, on mouille avec le sens du courant contraire à celui du vent, ce qui est une belle chienlit et on doit s’y reprendre à deux fois parce qu’on ne sait pas ce que ça va donner une fois l’ancre posée, où est-ce que le bateau va s’immobiliser et qu’est-ce que ça peut donner quand le courant va s’inverser ? Ça sera marrant d’ailleurs parce qu’on verra tous les cas de figure possibles, on se retrouvera côte à côte avec un bateau qui était pourtant mouillé loin de nous, on verra parfois les lumières de Cairns par le capot de la cuisine et d’autres par celui des toilettes qui sont à l’opposé, le côté vraiment moins fun ça sera pour prendre la douche sur la jupe, en temps normal le bateau est face au vent donc on est à l’abri du vent pour se doucher, là on se prendra le vent en pleine poire et en plus il fait moche, frisquet il flotte un crachin très breton, faut être motivé pour se laver.

le mouillage est près du chenal comme je vous l’ai dit, et pour aller à terre, on le traverse à la perpendiculaire (je filme depuis le capot de la cuisine)

On attendait une éclaircie pour aller à terre :

La voilà ! Go !

On doit donc prendre l’annexe pour aller visiter Cairns, quand je dis visiter c’est un grand mot, il nous faut trouver un lavomatic et un supermarché, mais bon, on visitera un peu quand même, on regarde bien à droite et à gauche avant de traverser le chenal, moteur de l’annexe à fond pour éviter les ferries et cargos qui vont et viennent en faisant de la grosse vague (les gougniafiés !), nous attachons l’annexe et partons à la découverte de Cairns avec nos sacs de linge sale dans chaque main.

On y arrive à marée basse, c’est clair et net
Dedans c’est vert et joli

Et on continue déjà car on a encore beaucoup de miles à faire pour contourner cette immensité Australienne, le 2 août on s’arrête pour passer la nuit à Low islets, 20/25 noeuds, de la houle, et il faut attraper une bouée, je suis à la barre et c’est le capitaine qui doit l’attraper avec la gaffe, aujourd’hui je vais lui montrer de quel bois je suis faite et le laisser baba devant tant de maîtrise, je me répète mon plan presqu’en bougeant les lèvres : il y a du vent donc il faut que je laisse assez de gaz pour ne pas me faire embarquer et il suffira que je mette un bon coup de marche arrière pile devant la bouée pour arrêter le bateau afin que le capitaine la cueille du bout des doigts, gonflée à bloc j’arrive sur la bouée, le capitaine gueule

– tu arrives comme une balle ! Arrête le bateau !

C’était mon plan, il me coupe l’herbe sous le pied dis donc, allez hop marche arrière, il se penche et attrape la bouée, je crois que c’est gagné quand il se met à braire, il l’a lâchée, j’ai mis trop de gaz pour la marche arrière et le bateau a reculé

– on a perdu la gaffe enculé (e ?) !

– Oh regarde ! elle flotte ! (une putain de chance)

En miaulant comme un chat qui se coince la queue dans une porte, il me prend la barre des mains et m’envoie sur la jupe, approche le bateau à reculons, accroupie et me tenant d’une main, j’allonge mon bras libre et récupère la gaffe, il nous faudra encore 2 essais avant de réussir à choper la bouée, je tente de ramener le capitaine à de meilleurs sentiments envers ma personne :

– tu vois bien, j’apprends à chaque fois, petit à petit je maîtriserai de mieux en mieux le moteur, déjà là ça va de mieux en mieux quand même !

– C’est ça … (air las)

Il a fallu s’y reprendre et récupérer la gaffe
Un joli petit mouillage

3 août, le temps s’est dégagé, on part tôt pour Hope Island, la lune est levée :

Arrivée avec 30 noeuds de vent, glurps, sur bouée, glurps again, mais tenez-vous bien ! bon dosage moteur on la prend du premier coup, je répète : bouée du premier coup avec 30 noeuds et moi à la barre, qu’est-ce qu’on dit ? bin rien, c’est normal, c’est même le minimum, on ne va pas non plus s’attendre à un encouragement et puis quoi encore, ça bouge un peu mais ça ne roule pas, tant mieux parce que dans la soirée on a 35 noeuds établis, ça va encore forcir dans la nuit, on se lève à 6 heures, on a 65 NM à faire pour Lizard Island, on ne chôme pas (RAS, je ne m’étale pas)

À chaque fois le capitaine se demande si on va être protégé et la plupart du temps, on l’est, ici on passe une nuit super tranquille – c’est Hope Island sur la photo, et ça serait un comble qu’on ne puisse pas espérer un mouillage tranquille avec un nom pareil

5 août, lever 4 heures, 83 NM à faire, encore une baleine sauteuse (on a vu beaucoup de baleines, même des qui ne sautaient pas mais nageaient tout près de nous en faisant jaillir leur geyser de flotte) 2 cargos croisés, 1 autre qui nous appelle à la VHF car il va nous doubler, on est en plein dans un rail, c’est moi qui réponds et je reste muette face à ce que baragouine incompréhensiblement Tasman Spirit, je bondis dans le cockpit pour demander au capitaine s’il a compris puisqu’il y a un haut-parleur dans le cockpit, on pense qu’il nous prévient qu’il va nous doubler par un côté mais bon, lequel, on a du vent, 1 ris à la GV + génois tangonné et on fait des pointes à 12/13 noeuds, c’est dire que ça souffle, donc une éventuelle manœuvre prendrait un certain temps et Tasman Spirit arrive plein pot (suspense)

Ça avance plutôt bien

Je reprends la VHF, we are french and we didn’t understood, can you repeat slowly please, ah ! On comprend ce coup ci qu’il va nous doubler par starboard,

– c’est quel côté starboard ?!

– je ne sais plus si c’est bâbord ou tribord !

C’est bien la question.

On crie autant pour s’entendre que pressés par l’urgence, doit-on empanner pronto ou pas, je dévale dans le carré, ouvre un équipé et fouille dans les bouquins pour trouver le dico anglais/français, le feuillette aussi vite que possible avec mon index humidifié pour accrocher les feuilles,

– starboard ! J’ai ! C’est tribord !
et saute sur la VHF, ok for starboard, en même temps on s’en doutait vu son cap en arrivant près de nous, heureusement parce qu’on a pas besoin d’empanner, il y a d’autres cargos sur l’AIS mais on s’en fout, ils sont plus loin et on sort du rail avant qu’ils nous approchent, je préfère, le mouillage dans lequel on se pose est sauvage et beau, une fois le bateau rangé le capitaine me dit que je suis héroïque

– pffff ! n’importe quoi !

– mais si, tu fais tout bien et tu me supportes, tu es héroïque
J’en reviens pas dites donc, et je n’arrive plus à me rappeler pour quelle raison il a bien pu me dire ça, c’est ballot.

Sinon, une autre fois, un autre cargo nous a appelé pour nous demander s’il devait passer sur notre green board ou notre red board, et ça c’était vachement bien parce que green c’est tribord et red c’est bâbord, il devait être entraîné à causer avec des frenchies.

Tasman Spirit qui nous double par starbobard, le capitaine l’a ensuite appelé pour le remercier de son call comme on dit maintenant

En passant le Cap Melville il y a 40 noeuds (j’exagère, on a 39,7), au près bon plein ça déménage, le capitaine barre et s’éclate,

Passage du Cap Melville …
… au point N°6

On mouille un peu plus loin, à Flinders Island où tout est d’un calme, on n’en revient pas,

Pour être calme, c’est calme

Le jour suivant encore une étape de 65 NM jusqu’à Morris Island (quand je vous dis que c’est immense l’Australie)

Nous mîmes pied à terre et fîmes le tour de cette petite île, certes petite mais avec un reef très grand qui nous a bien protégé de la houle

7 août, de Morris Island à Cap Weymouth ça nous fait 60 NM, 25 noeuds et plus en rafale, je surveille tout ça tandis que le capitaine fait une sieste, tout d’un coup c’est n’importe quoi, le vent tourne et j’abats pour récupérer le coup mais le vent se fout de ma gueule, bordel j’abats et j’abats encore, on dirait que le vent tourne autour du bateau, la voix du capitaine s’élève du fond de sa couchette, qu’est-ce qui se passe ?!

– je sais pas, le vent tourne et ça n’arrête pas !
Soudain je me rends compte qu’au lieu d’abattre je lofais, je crois bien que j’ai besoin de dormir, il faut dire que c’est assez crevant ces navigations sans se poser plus de quelques heures, on se lève tôt, on navigue, on manœuvre, on mange, on dort et rebelote, en plus j’arrive pas à faire la sieste moi,

– ah c’est bon, j’ai corrigé, tu peux te rendormir !
La loose.

L’Australie est immense, vous le savez maintenant, mais humide comme je vous ai dit, et venteuse pour couronner le tout ! On notera habilement que la mer de Corail n’est jamais profonde à l’intérieur de la grande barrière

8 août vers le cap suivant, à savoir le cap Grenville à Margaret Bay, 50 NM
On longe le continent et malgré nos espérances il n’y a pas plus d’internet que de beurre au cul (expression du capitaine qui m’a mise en joie)
2 ris + trinquette quand le vent est passé à 35, encore des cargos, on calcule à quelle heure le cargo qui descend vers nous à 14 noeuds nous croisera, ça me rappelle les devoirs d’école, un train qui part de Paris et l’autre de Marseille, qui aurait cru que ça me servirait un jour sans même bosser à la SNCF.

Ça galope

9 août, Escape River, comme son nom l’indique on va mouiller dans une rivière, on y arrive au portant sous 30 noeuds de vent, avec 2 ris et le génois roulé et on avance quand même à 8 noeuds, c’est le courant qui nous pousse, le capitaine me fait fermer les écoutilles et mettre le gilet de sauvetage, ça se rétrécit et les fonds remontent, les vagues et le courant risquent de nous faire valser, et

– si on touche le fond ça va nous faire tout drôle ! Tiens toi isabelle !

Toucher le fond à cette vitesse ça serait pire que moyen , mais il faut bien avancer alors on avance, à un moment donné on n’a que 2,3 mètres de fond et on fonce toujours en klaxonnant à 8 noeuds sans pouvoir ralentir, on se regarde en serrant les mâchoires comme si ça pouvait arranger nos affaires, quand ça remonte à 3 on se marre, on a eu chaud aux fesses, on est encore une fois seul au mouillage mais ô surprise, plus tard un voilier vient mouiller un peu plus loin, c’est le premier que l’on voit depuis Cairns.

Le 10 on repart d’Escape River aux Laudes ou quasi, pour aller sur Seisia avec le passage du Cap York et du détroit de Torres … le DÉTROIT DE TORRES ! Ça fait tellement longtemps que j’en entends parler, quand les gens demandaient au capitaine c’est quoi la suite du programme il répondait invariablement la grande barrière de corail, l’Australie, détroit de Torres avec le regard perdu dans le vide comme s’il s’y voyait, ça m’est devenu mythique, alors aujourd’hui attention ça sent le mythe.

Pour s’y rendre on passe par le passage d’Albany, tout étroit entre 2 petites îles, pas de vagues, courant qui nous pousse, on marche à plus de 10 noeuds avec l’impression de se traîner, on n’en revient pas, ça fait attraction Disneyland en plein,

Passage d’Albany en vue
ce que ça donne sur Navionics

Et, enfin, on arrive au fameux détroit de Torres, on se prend des risées à 40 au travers, on prend un second ris, je prends des photos et demande plusieurs fois si c’est bien là, si on est bien en train de le passer, pas que je le loupe, si c’était bien ça et qu’on l’a passé, oui isabelle, oui oui oui !

C’est bien là
Le phare du Cap York (10° 41′ 14,32″ S, 142° 31′ 53,46″ E), au bout de la péninsule, point le plus septentrional de l’Australie, on y était

Même avec les jumelles on n’arrive pas à voir la Papouasie Nouvelle Guinée de l’autre côté du Détroit, mais bon, elle est tout de même à 80 NM, ça fait loin pour la voir, on n’y a pas mis les pattes parce que ça craint (piraterie contre des navires dans les eaux côtières, en particulier dans la baie de Milne et sa capitale, Alotau – fraudes liées aux cartes de crédit et aux guichets automatiques bancaires – détournements de voiture qui se produisent à Port Moresby et le long de l’autoroute entre Lae et l’aéroport Lae Nadzab – barrages routiers illégaux et agressions si on ne paye pas – agressions sexuelles, y compris viols collectifs – attaques contre des randonneurs, tensions interethniques qui provoquent des actes de violence… et serpents venimeux pour couronner le tout, le genre d’endroit où envoyer son emmerdeur de voisin qui tond sa pelouse un dimanche à 6h)

On notera que tout ce temps là nous naviguions le long des côtes du Queensland

Ce n’est pas qu’on est déjà las, mais faut bien continuer alors on enchaîne jusqu’à Seisia pour y mouiller, c’est tout petit le mouillage et il y a 3 bateaux, 1 voilier et 2 locaux à moteur, il n’y a pas de fond derrière ni devant ni des côtés, il va falloir se poser au milieu du triangle formé par ces 3 bateaux, au delà il n’y a pas de fond (je sais que je répète mais il faut bien cerner le contexte) :

il ne faut pas se fier à l’idée qu’on pourrait s’en faire, le diamètre du cercle dans lequel il est possible de mouiller est en gros délimité par ces 3 bateaux

Je suis à la barre et le capitaine à l’étrave, comme d’hab, on mouille, je pousse un gros soupir car une fois l’ancre ancrée on peut se détendre, mais le capitaine n’est pas content car le reef derrière nous n’est pas suffisamment loin à son goût, il a des doutes (il met la barre de la perfection très haut), on remonte l’ancre à mon grand dam et le vent aussi remonte, 30 noeuds, flûte, le capitaine me dit d’aller à droite mais à droite il y a le monocoque alors j’y vais mollo, le capitaine hurle de plus en plus fort À DROITE !! Mouif, c’est vague à droite, il veut aller où exactement, je dois être un peu conne parce que je me doute bien à l’entendre qu’on glisse sur la mauvaise pente mais que faire, je continue légèrement à droite pour lui faire plaisir mais trop peu visiblement parce qu’il revient presque en courant dans le cockpit en aboyant que je l’écoute pas, il me prend la barre, fait une marche arrière brutale comme si un boulet de canon arrivait sur le cockpit, recommence la manœuvre en allant se coller au monocoque (qui est vide et c’est tant mieux, ça nous évite des explications fumeuses avec eux) tout en criant encore et encore que je ne l’écoute pas, que je ne lui OBÉIS pas

je file à l’intérieur pour ne plus l’entendre, et il me balance

– et pas la peine de faire ta crise !

Je me retiens mais j’ai bien envie de lui demander c’est qui qui pique sa crise, respiration, respiration, ooooooohmmmmm, respiration, faire écran, s’isoler, ooooohmmmm …

– alors je le fais puisque tu ne veux pas m’aider et que tu ne m’écoutes pas et que tu ne vas pas à droite quand je te dis d’aller à droite !!!

Je reviens d’un saut dans le cockpit, ohm de mes couilles,

– mais ça veut dire quoi à droite ? Toi tu savais où tu voulais aller mais tu ne m’as pas dit où ! À droite c’est quoi ? À 10 degrés ? 30 ? 90 ? Pourquoi tu ne m’as pas dit d’aller à 10 mètres du bateau par exemple ? Ça c’est précis !

– T’as eu peur d’aller à droite et c’est tout ! T’as eu peur du bateau et tu ne m’écoutes pas ! (c’est pas faux)

On mouille l’ancre sans plus un mot, sans échanger un seul regard, nos âmes sont lourdes comme le temps, le grain annoncé par les rafales arrive, le capitaine marmonne qu’on rangera le bateau quand ça sera passé alors je rentre mais il reste sous la pluie pour ranger tout seul pendant que je cuisine le potiron derrière mes lunettes de soleil pour planquer mes yeux rougis

Plus tard le capitaine s’excuse, il n’aurait pas dû crier, il a gâché notre passage dans le détroit de Torres qu’il me dit,

– mais si tu m’avais dit d’aller au cul du bateau et que le vent me pousserait donc que ça ne craignait rien, j’aurais su qu’il fallait aller carrément à droite

– je suis un con, je ne suis pas pédagogue, j’aurais dû te dire qu’on recommençait la manœuvre et c’est tout, la prochaine fois je ferai comme ça, bon, on boit une bière pour fêter notre passage ?

On se partage une bière, il est désolé de voir mes yeux rouges, je suis désolée qu’il soit désolé, que de désolation, mais ça passe et puis voilà, à chaque fois j’apprends, ça va bien finir par être parfait à chaque fois bordel. Je songe de plus en plus sérieusement à investir dans un appareil pour communiquer en navigation, ça doit bien exister, une espèce de casque talkie-walkie pour lui demander où tu veux que j’aille exactement et qu’il me réponde précisément, histoire de huiler les rouages, bordel !

Enfin, ici on a de l’internet (ça console, c’est dingue) mais ça rame, on se croirait presque aux Gambier quand on avait de la 2G, mais à part cette modernité relative, Seisia c’est mort, il y règne une ambiance de désœuvrement pittoresque, des ados passent leur journée debout dans le sable à balancer mollement dans la mer un hameçon au bout d’une canne, des gars sont allongés pendant des heures à l’ombre du ponton, des pickups passent en envolant une poussière rouge qui retombe comme la vie qu’ils avaient mis le temps de leur passage pour aller voir le fameux Cap York, la station service est déserte et me fait penser à Bagdad Café :

Le supermarket
Et ses préconisations

Nous devons faire le plein d’eau et de nourriture, on balance les bidons dans l’annexe et faisons un premier voyage jusqu’à un terrain de camping qui possède un robinet à cet effet, revenons en les portant à bout de bras, 20 litres par bidon alors un seul aller-retour et on est naze, le capitaine veut changer de méthode, il va voir sur le ponton et bingo, il y a un robinet, donc on retourne vider nos bidons pleins dans les réservoirs du bateau et on revient avec les bidons vides sous le ponton, à marée basse, l’idée c’est de garer l’annexe là pour n’avoir qu’à monter par l’échelle avec les bidons vides et les redescendre pleins par le même chemin, je suis dubitative … on s’approche avec prudence entre les piliers du ponton mais les vagues nous poussent sur un pilier ou un autre, la surface des piliers est pleine de coquillages coupants, on attache l’annexe tant bien que mal et le capitaine me dit de rester dans l’annexe pour empêcher les vagues de la claquer sur un pilier et que les coques ne la déchirent, je me met debout dedans avec les mains sur un pilier et je me coupe les doigts, les essuie sur mon bermuda pour ne pas tâcher l’annexe, dieu m’en garde, pendant que je m’amuse à repousser l’annexe tout en évitant de faire du steak haché de mes doigts, le capitaine remplit les bidons et les descend tant bien que mal sur l’échelle, on réussit à les mettre dans l’annexe sans dégât et à sortir de dessous du ponton sans la déchirer, un vrai coup de bol. Je ne suis pas du tout certaine que de faire des allers-retours de cette sorte soit plus économique en temps et en énergie que de sortir le déssalinisateur du coffre arrière pour faire de l’eau, mais j’dis ça, j’dis rien.

Et puis courses, mangé dans le boui-boui du camping, pris le café au boui-boui d’art à côté qui fait du café et du thé où, chance, et je dois dire que la chance me sourit souvent, c’est là qu’on me renseigne sur les plantes de la médecine Bush du nord de la péninsule, le nord de l’Australie est peu habité et plutôt sauvage, pas de pharmacies à tous les coins de rues, pas beaucoup de rues à vrai dire, à se demander si c’est possible de choisir de venir vivre ici.

C’était vachement bon

Le 12 août on part de Seisia pour le Cap Wessel sur Marchinbar Island, 350 NM

Ça fait un bail qu’on n’a pas navigué de nuit, 160 degrés du vent, 20 noeuds, risées à 27/28, génois tangonné, soleil, easy … puis 15 noeuds, on avance à 7,5/8 … nous ne sommes pas encore dans la mer d’Arafura mais toujours dans Endeavour Strait, pas de fond, pas de vagues, easy easy easy ! Je fais part au capitaine de ma joie, ne rêve pas isabelle, tu verras quand on sera dans la mer, il sait mettre l’ambiance y’a pas à dire.

Le capitaine regarde où on en est avec ses doigts
Avant aujourd’hui, je ne savais même pas qu’il existait une mer Arafura

Entrons dans la mer d’Arafura à 14h35 et ça bouge tout de suite plus mais bon, rien à voir avec Baranquilla quand on naviguait au large de la Colombie.
Moins de 11 mètres de fond, les vagues ne sont pas hautes mais se suivent très serrées, et les fonds restent très hauts, on navigue plein ouest … pas plus de 60 mètres de fond au plus profond là où nous passons, c’est fou, c’est une grande piscine.

Le 14 août à 17h on mouille à Two Island Bay sur Marchinbar Island, ce qui nous permet de dormir tout notre saoul, seuls au mouillage, à part quelques cargos vus sur la ligne d’horizon, nous n’avons vu qu’un seul voilier, un seul ! depuis plusieurs jours, le nord de l’Australie n’est pas ce qu’on appelle une région de villégiature balnéaire…

Le capitaine nettoie la coque et on y reste un jour de plus pour qu’il fasse aussi la carène harnaché de son équipement de plongée, un travail de forçat à chaque fois, de mon côté je bosse, j’ai du retard avec tout ce qu’on a navigué et qui ne laisse vraiment pas le loisir pour autre chose.

Au scotch-brit
On va se dégourdir les mollets sur l’île, Cap de Miol est seul au mouillage
C’est un peu habité
On s’est demandé si ce n’était pas des traces de crocodile, j’ai bien regardé autour de moi pendant la balade (plus tard on m’a dit que non quand j’ai montré la photo alors je vous le dis)

Jeudi 17 on lève l’ancre à 17h pour Cap Crocker à 254 NM, grand largue jusqu’à 19h puis génois tangonné, cap au 273, on avance à 6 noeuds avec un vent de 12/15, le vendredi on a un courant de face de 0,5 noeud et avec un vent de 10 on n’avance plus qu’à 4,5, du coup, pour gagner du temps, le samedi au lieu de s’arrêter sur Cap Crocker on continue pour aller mouiller entre Smith Point et Black Point.

Il fait bien plus beau et bien plus chaud depuis qu’on a passé le détroit de Torrès

Dernière ligne droite pour Darwin dimanche 20 août, 135 NM, une rigolade, 25/30 noeuds, pointes à 32/33 au cap de Cobourg Peninsula, 1 ris sous GV, pas de génois car on va trop vite, on n’a que 130 NM à faire, le capitaine dit qu’on aurait dû mettre que le génois mais c’est trop tard.

Toujours pas de fond !

Il faut lofer alors on met le génois avec 2 ris pour équilibrer le gréement, le capitaine parle de le tangonner (on est à 140 du vent alors quand une vague fait abattre le bateau un tant soit peu, le génois claque) mais quoi m’exclamé je, dans moins de 13 miles on lofe encore alors le temps de monter tout le bastringue il sera presque temps de le démonter, le capitaine laisse tomber et j’en suis fort aise, on n’est pas en régate, merde.

Une fois le cap contourné, le vent descend, la mer se calme, on a 2 noeuds de courant de face, ça sent les embruns plein le nez, on croirait que c’est Noël et que ma tante Michèle et maman ouvrent les Marennes d’Oléron dans la cuisine en s’enfilant un verre de blanc, la mer est verte, l’atmosphère pleine de particules d’humidité qui étirent les couleurs comme un coup de pinceau, c’est unique, ça me fait toujours des émotions intenses, ces lieux improbables qui ne se mettent à exister que parce que je les découvre.

Quand on lofe encore pour passer la cap Don, on se fait dépaler à dache (sic) à cause du courant, en plus on est au près, si jusqu’ici vous ne connaissiez pas l’expression dépaler à dache, vous êtes comme moi, on en apprend tous les jours aux côtés du capitaine.
On tire des bords et puis le courant combiné au vent nous font prendre le bon cap, ça y est, on est dans le golfe Van Diemen,

Plus tard le vent tombe, on met le moteur et on avance à 8 noeuds avec le courant, on voit des marmites un peu partout, le voilier suédois qui était à 8 miles devant nous ce matin est à 6 miles derrière nous, on aura rarement atomisé quelqu’un comme ça.
Et plus que 5 noeuds, la mer frissonne comme à notre départ de Nouméa, je dis au capitaine que le vent c’est comme l’énergie qui court au niveau de la peau des êtres vivants, tout ce que je lui raconte à ce niveau là l’interpelle comme des évidences, le fait de l’énoncer lui en fait prendre conscience.
Le soir le ciel est rouge sang et la virgule de la lune brille avant toutes les étoiles, on ne parle jamais dans ces moments de grâce, mais c’est comme une prière …

Le capitaine me laisse dormir, quand il me réveille c’est pour accoster au ponton avant l’écluse de la marina de Cullen Bay, je bondis de ma couchette et cours partout les yeux pleins de sommeil pour mettre les amarres et les pare-battages, heureusement maintenant que j’ai l’habitude je le fais vite (et bien, surtout)

Darwin !

Le ponton est petit et il y a plusieurs bateaux qui sont même amarrés les uns aux autres par manque de place, des gars viennent nous dire de partir et d’aller mouiller plus loin, qu’on nous appellera à la VHF quand ça sera notre tour, malgré son charme légendaire le capitaine n’arrive à rien, l’australien est insensible au charme capitainérien, on s’en va mouiller plus loin, échange à la VHF avec un autre voilier au mouillage, il faudra retourner au ponton à 13h30 et s’amarrer contre eux, ok, on y retourne à l’heure dite, c’est marée basse et le chenal d’entrée est très étroit et très peu profond, on passe de justesse.

On voit que nous sommes allés au ponton, ressortis pour aller mouiller, revenus au ponton devant l’écluse pour entrer dans Cullen Bay Marina

Et on s’amarre pour attendre les douanes et la bio-sécurité car ici, même si on a déjà passé la bio-sécurité en arrivant en Australie, il faut recommencer car nous allons dans une marina fermée après avoir passé l’écluse, il ne faut pas apporter des coquilles collées sur le bateau ou dans les conduits, après une fouille du bateau et de nombreuses questions qui remplissent une fois de plus de nombreuses feuilles de papier avec les réponses identiques à celles que nous donnâmes moult fois, un gars saute à l’eau avec des bouteilles de liquide rose qu’il injecte dans la sortie des chiottes et du lavabo, on doit attendre 10 heures que ça fasse effet avant de pouvoir entrer dans la marina, nous passons la nuit au ponton.

Le lendemain, écluse ! Ça rappellerait un peu Panama sauf qu’il n’y a qu’une écluse, qu’elle est toute petite, que c’est le capitaine et moi qui gérons les amarres et que c’est fait en 10 minutes, on se dirige vers notre place attitrée, pas de vent, on se gare et on s’amarre d’autant plus facilement qu’au passage le capitaine a reconnu Maeva, un voilier qui était avec nous à Nouméa, on leur a fait signe bonjour et Cécile et Jonathan ont accouru pour nous aider à amarrer … le capitaine n’aime pas l’aide, saute ! Qu’il me crie tandis que je lance l’amarre à Cecile, je finis par sauter pour lui faire plaisir et Cécile me dit en douce qu’elle a le même sur son bateau, on se bidonnera comme deux gamines quand on se racontera nos capitaines le soir où on prendra l’apéro ensemble, on est soeurs de capitaine, elle me raconte des anecdotes et m’avoue que lorsqu’il crie ça la bloque complètement et qu’elle n’est plus bonne à rien, que son capitaine aussi crie plus fort quand il y a d’autres bateaux donc des témoins, les deux capitaines tendent l’oreille pour tenter de percevoir ce qui nous fait rire à ce point mais ils en sont pour leurs frais, ça nous aura fait du bien de partager ça.
Ils nous racontent aussi l’aventure d’un gars arrivé après eux, il avait un bateau en panne d’essence et avait réussi à se faire tracter jusqu’au ponton avant l’écluse de Cullen Bay, bateau avec pont en teck : la bio sécurité visite son bateau et voit une termite, ils ont l’œil, et plus tard quand ils reviennent avec un produit pour éradiquer les termites, le gars leur dit que c’est bon, qu’il a lavé le bateau, la bio sécu s’exclame, quoi ?!?! Il a balancé une termite à la flotte ?!?! Qui va aller se reproduire et envahir l’Australie d’une nouvelle race toxique ?!?! Ils ont fichu le mec dehors et l’ont banni à vie de l’Australie, interdiction d’y remettre les pieds, ça ne plaisante pas !

La marina est bien tranquille et ça fait du bien …

On le voit bien d’ici

Nous verrons peu Darwin mais tout de même, après avoir discuté avec le gars du poste à gasoil de la marina pendant que le capitaine faisait le plein, celui-ci m’ayant dit que c’est vrai qu’il y a des crocodiles partout, qu’on ne les voit pas mais que eux nous voient (ponctué d’un hochement de tête à la mine grave), que si on veut les voir il faut aller sur les plages la nuit avec une lampe torche et on verra leurs yeux cruels briller, j’ai dit au capitaine qu’on ne pouvait pas partir d’ici sans voir des crocodiles alors on a pris nos mini-vélos pour se balader dans Darwin et on a été voir les crocodiles, des vrais, vivants et tout et tout, à part eux, un soir en rentrant à la marina après avoir été faire quelques courses à perpète (encore une marina avec des bistrots et des magasins de souvenirs mais pas de supérette ni de boulangerie), j’ai vu une chauve-souris de là bas … pas une roussette hein, une chauve-souris avec des ailes immenses qui avaient l’air d’être faites en cuir de vache, Batman qui m’est passé à ras de la tête, j’ai accéléré le pas je peux vous le dire.

Son centre ville (c’est pas que c’est désert, c’est qu’il fait tellement chaud que tout le monde est à l’intérieur des bistrots climatisés)
Sa grande roue
Un trop chouette cinéma
… pour avertis
ses drôles d’oiseaux
et ses crocodiles

Nous laissons Cap de Miol à la marina pour 2 semaines car nous devons faire un aller-retour en France, j’ai des paperasses à signer et le capitaine a une vie en France + 3 jours de voyage aller et 3 retour, quand on reviendra ça sera ravitaillement et on repartira pour 4500 NM jusqu’aux Seychelles avec 2 arrêts de prévu sur la route.

On a volé dans un A380 !

Un tout petit plus parce que c’était déjà long :

  • Une marmite = un tourbillon, un vortex d’eau
  • voilà les chauve-souris australiennes (appelées renards volants) :

Publié par isabelle centre tao

Je suis thérapeute, conférencière et formatrice en Médecine Traditionnelle Chinoise MTC, j'ai fondé la chaîne du Centre Tao sur YouTube pour que vous puissiez apprendre le langage de votre corps et de ses énergies, vous rééquilibrer et vous soigner avec la MTC (diétothérapie, plantes, points d'acupuncture et plein de trucs magiques) en m'adressant particulièrement aux femmes et en leur destinant plusieurs de mes formations. Aujourd'hui je me lance dans une nouvelle aventure : découvrir les plantes du monde destinées aux femmes lors des différentes étapes de leur vie, afin d'aider toutes les femmes, où qu'elles soient, car même si la Pharmacopée Traditionnelle Chinoise est la plus riche de la planète, il existe partout dans le monde des plantes qui peuvent traiter les douleurs de règles, l'infertilité, les problèmes liés à la grossesse ou à la ménopause et aider les femmes qui n'ont pas accès aux plantes de la Pharmacopée Chinoise. J'ai décidé de faire ce blog pour vous faire vivre cette aventure, et je vous raconterai aussi bien mon quotidien sur le bateau et dans les différents mouillages, que mes rencontres d'herboristes, sorcières et sorciers, chamanes, tisaneurs et all these kinds of people !

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