Bonne Espérance

Pleine lune sur Zululand Yacht Club

On s’en revient donc retrouver Cap de Miol à Richards Bay, une crainte nous habite, on nous a prévenus qu’ici les bateaux et les voiles sont envahis de poussière de charbon et que, même, ce qu’il faudrait faire, c’est enlever les voiles pour les ranger à l’abri sinon on ne trouve plus que désolation et crasse, on a carrément eu la flemme de le faire mais peut-être allons nous nous en mordre les doigts, effectivement nous posons nos sacs sur quasi des cendres, il va falloir tout laver après une nuit sans dormir dans l’avion mais lors de laquelle, ô joie, j’ai pu rattraper un certain retard de cinéma, j’aurai vu Oppenheimer comme tout le monde (j’aime cette expression normalisante contre toute évidence).

c’est crado

On ouvre le bateau, cette fichue poussière s’est infiltrée partout, on pose nos vestes et on attaque le nettoyage, le frigo est vide et sur le coup de 15h nos ventres gargouillent, le snack du yacht club est fermé à cette heure-ci mais je suis prévoyante, j’avais acheté quelques trucs à l’aéroport de Johannesburg, un gros (gros d’aéroport, pas gros de fait-maison) sandwich au pain complet et des fruits, le capitaine avait pris un ridicule petit sandouiche en pain de mie blanc et l’a mangé il y a belle lurette, ça ne tient pas au ventre l’avais-je prévenu, mais il pense toujours à sa ligne quand il n’a pas faim comme si ça allait durer toujours, là il regrette, je lui donne les fruits et il reste un paquet de sablés de Noël jalousement conservé pour les jours de vaches maigres, une fois maigrement sustentés nous reprenons ce travail ingrat mais nécessaire, rangeons nos sacs, la nuit tombée nous filons manger au snack du ZYC (Zululand Yacht Club) puis dormir comme des marmottes.

On a intérêt à fermer les bateaux sinon les singes viennent tout chiper

Avant de continuer notre longue route autour de ce monde qui est nôtre, nôtre étant une façon de dire, le monde ne nous appartient pas et je le laisse à celui qui l’a créé, qu’il se démerde, nous avons encore du bricolage à faire, comme l’a dit Paul avec une mine affligée, c’est sans fin, mais on commence par le plus important : installer STARLINK ! Ouiiiiiii ! nous avons rapporté dans nos bagages une antenne et un routeur Starlink, jusque là nous hésitions par crainte que cela ne fonctionne pas en mer et que nous ne puissions pas télécharger de GRIB (soit chronique d’une mort annoncée) mais à force de discuter avec d’autres navigateurs qui ont sauté le pas, nous nous sommes décidés et passons à internet par satellite, il paraît qu’on a internet en plein océan aussi bien que sur terre et que ça peut même être plus rapide que la fibre, nous sommes en émoi car avons résilié l’abonnement Iridium mais Starlink sera-t-il fiable par 30 nœuds de vent et les vagues qui vont avec et le roulis et le tangage qui en découlent ? En tous cas, sur terre ça fonctionne parfaitement.

le capitaine sait tout faire, là je ne sais plus ce qu’il fabrique mais il le fait parfaitement comme tout ce qu’il fait, être capitaine ne s’improvise pas, vous saurez bien
c’est toujours le bordel quand on bricole, on voit le routeur Starlink posé sur la table du carré

Puis je remonte le capitaine au mât afin qu’il finisse de réparer les barres de flèche, ce qu’il avait entamé à Noël, nous retendons les haubans en tournant les ridoirs dans l’autre sens, il ajoute des taquets pour laisser le frein de bôme en place et mettre une retenue de bôme en plus au besoin, change les écoutes de GV et de génois, et puis voilà qu’il faut sortir le bateau pour le caréner.

Pas simple.

On devait le sortir le lundi mais le vent était vraiment trop fort alors on a repoussé sa sortie à mercredi sauf que mercredi la marée ne sera pas aussi haute et Cap de Miol risque de râcler le fond parce que voilà, ici il n’y a pas de fond et on va sortir Cap de Miol non pas avec des sangles mais on va le poser sur un charriot, je vous explique : le charriot va descendre dans l’eau, on devra avancer le bateau dessus, le fixer au dit charriot qui ressortira de l’eau et le tour sera joué. Bon. Il faut le faire quand la marée est presque haute pour que la mer ne commence pas à redescendre pendant la manœuvre en laissant le bateau planté comme un imbécile, c’est parti et je suis drôlement contente parce que Gilou, un français qui bricole son bateau ici, est monté à bord pour nous aider parce qu’il va falloir que nous amarrions le bateau au charriot avant de sortir le tout de l’eau, sinon il tombera comme un oisillon du nid…

On y va, mais on a beau y aller, on sent bien que Cap de Miol touche le fond et bascule un peu sur le côté, on recule pour recommencer, pas mieux, alors on sort comme ça parce que la marée est déjà descendante et si on ne sort pas aujourd’hui il faudra attendre 2 semaines pour avoir de nouveau une marée suffisamment haute, c’est la panique à bord parce que le poids du bateau qui s’incline pèse sur le balcon et les chandeliers et que ça risque de tout péter, alors on bourre à la va-comme-je-te-pousse un maximum de pare battages entre la coque et le charriot et puis on prie, c’est pas cher et au cas où, on ne va pas s’en priver (je ne sais plus si je vous l’ai déjà dit mais un truc qui m’avait marquée à l’école, c’était le pari de Pascal, ça avait planté une graine dans ma cervelle) (j’ai retenu pas mal de choses inutiles en fait).

On réussit à le sortir et il n’y a pas de temps à perdre car il faudra absolument le remettre à l’eau après-demain pour que le marnage de la marée soit suffisant, sinon on sera coincé plusieurs jours en l’air, merci bien.

On voit bien qu’il penche à droite, on fera avec, le capitaine avait attaché l’échelle, il craint pour ma vie
les pare bat’ sont tout écrabouillés, déjà qu’ils avaient triste mine …en même temps, des fois on voit des bateaux avec des pare bat’ nickels, tu vois que c’est pour faire joli mais que ça ne navigue jamais 😄

Qui a déjà caréné un bateau sait que le faire en un jour est une gageure, le capitaine a embauché un gars du coin pour l’aider et ils ont déjà commencé à passer le bateau au karcher afin qu’il sèche cette nuit pour passer l’antifouling demain, ce qu’ils font hardis petits, et le surlendemain au point du jour nous nous préparons à remettre Cap de Miol tout propre à l’eau, pari tenu, même si un Suisse d’un autre bateau fait la remarque qu’au prix où ça coûte l’antifouling, il ne voudrait pas le faire si vite, c’est cher alors il faut prendre son temps, faut bien avoir un avis, le capitaine avait tranché, il n’a pas envie de prendre racine ici et il est comme les femmes, ce qu’il veut, Dieu le veut … tout le monde est sur les dents parce que la marée haute est plus basse qu’avant-hier et on avait déjà touché le fond, le charriot descend lentement, c’est Gilou qui est monté avec le capitaine et moi je les regarde faire, s’il y a une boulette c’est pas moi qui prendrai, j’ai le cœur léger.

Pourvu que ça marche parce que sinon, je ne sais pas ce que ça peut donner, on dirait que Cap de Miol s’est posé sur la quille, glurps,

Le charriot descend encore un peu, mais Cap de Miol ne part pas, Gilou et le capitaine le repoussent … sans succès, re-glurps

Rien à faire, le bateau est coincé, mince !

Mais le capitaine a de la ressource, je le vois s’agiter de loin, et puis je capte : dans son improbable anglais, il a réussi à faire comprendre aux Sud-Af’ qu’il voulait faire basculer le bateau, il prend la balancine, l’attache à un cordage et envoie ça à un gars sur la rive à qui il crie d’entourer la corde autour de l’arbre mais visiblement ils ne se comprennent pas, je fonce sur la rive et vient en aide au gars, à nous deux nous entourons la balancine autour de l’arbre et accrochons le cordage pendant que Gilou tourne frénétiquement le winch à l’autre bout pour faire gîter le bateau…

Et ça marche ! Cap de Miol est libéré, les Sud-Af’ regardent le capitaine avec respect, m’est avis qu’il est entré dans la légende.

Gilou a flingué le winch en winchant comme un damné, mais c’était un vieux winch il faut dire, le capitaine n’a pas moufté.

Le soir nous mangeons au ZYC à la bougie, c’est souvent qu’il y a des coupures d’électricité en Afrique du Sud, on s’y fait et on mange ce qu’il y a : hamburger/frites, ça doit être le plat le plus consommé de la planète (du coup j’ai regardé sur internet, selon les pays le plat le plus consommé au monde est la frite, la pizza ou les pâtes, le burger fait partie du top five)

Il est temps de quitter Richards Bay pour contourner l’Afrique du Sud et passer le Cap de Bonne Espérance, aussi nommé le Cap des Tempêtes, et on va s’y employer a priori par sauts de puce car il faut attendre un vent portant pour ne pas se faire brasser, et comme le vent tourne beaucoup par ici, il faut faire des escales quand le vent tourne au sud pour attendre qu’il tourne à nouveau au Nord-Est ou peu s’en faut, et on ne sait jamais combien de temps ça peut prendre, le capitaine a prévu de s’arrêter à East London pour commencer.

Samedi 2 mars, on sort du chenal à 17h05, on ne s’était pas donné d’heure pour ne pas reprendre la mer déprimés par notre incapacité à respecter un horaire, vent de 30 nœuds et vagues dans la gueule, le bateau saute et tape, parfait pour une reprise en douceur, ce qui me console c’est que je me souviens de tout, même si j’avoue avoir eu 1/4 de seconde le regard dans le vague quand le capitaine m’a crié d’ouvrir la bastaque, hop ni vue ni connue j’ai ouvert la bastaque, il n’a même pas eu le temps de voir mon hésitation, nous voilà partis pour le dernier tiers de notre expé autour du monde, la nuit arrive vite, on a pris notre cap, vent à 140 degrés, 23/25 nœuds, vagues de travers qui nous barbouillent, il faut bien manger alors on chipote des pâtes au beurre, pendant cette laborieuse mastication on se prend une bonne claque avec une vague qui vient taper un grand coup dans la coque et tout de suite après une énorme, E-NORME vague couche presque le bateau et déferle dedans, ça fait drôle, sur le qui-vive on se met debout pour tenter de voir ce qui se passe mais on ne distingue rien de rien, la nuit est noire et on se demande si d’autres vagues comme celle là vont suivre, ça n’aide pas à faire passer les nouilles, et puis non, et dans la foulée un BIIIIIP d’alarme retentit, prends la barre ! hurle le capitaine qui fonce couper le pilote, voilà bien notre chance, avec le courant et les vagues la barre est hyper dure, j’ai les pieds écartés au max pour rester debout et tenir la barre, bordel j’espère qu’il ne va pas falloir barrer jusqu’à East London ! le BIIIIIP continue, qu’est-ce qui se passe ? m’époumoné je tandis que le bip se tait

– c’est rien, c’est le convertisseur, je l’ai éteint !

Et il a remis le pilote, ouf. C’est Starlink qui fonctionne sur 220V alors on a laissé le convertisseur allumé mais on va tellement vite que l’hydrogénérateur charge comme une bête et que visiblement le convertisseur recevait trop de jus, c’est la meilleure, avec le courant des aiguilles on avance à plus de 9 nœuds.

On se remet doucement dans le bain, d’autant plus facilement que le dimanche soir on n’a plus de vent et 1 seul petit nœud de courant, le capitaine s’exaspère, on ne va pas assez vite, sur les cartes i disent qu’on devrait avoir 3,5 nœuds de courant ! je suggère qu’il y a peut-être un effet de marée ? D’autres courants qui perturbent celui des aiguilles ? Il veut savoir et se penche encore et encore sur les cartes, en vain, le marin est peu de chose en regard des éléments, on doit mettre le moteur quelques heures avant de retrouver du vent.

Lundi idem (vent, puis pas de vent et ainsi de suite) et puis mardi on arrive plein pot dans le chenal d’East London, le temps est couvert et je suis soulagée parce que sur le routage ils annoncent des orages avant d’arriver et en général ça secoue … mais visiblement on l’échappe belle… pour l’instant ajoute comme toujours le capitaine quand je me réjouis d’éviter le pire.

On s’engage dans Buffalo River où il y a plus ou moins une espèce de marina, quelques places sur un ponton paraît-il, sinon il faut se mettre sur une bouée et pas le choix car on ne peut pas jeter l’ancre, on voit quelques bateaux au loin devant un pont, le capitaine est à la barre et nous cherchons une place … crotte de bique ! Il n’y a quasiment pas de bouée de libre et si on veut s’y mettre cela revient à faire un créneau avec un semi-remorque entre deux embarcations parce que les bateaux sont à la queue leu leu et pas de place au ponton mais ah si ! On en voit une mais ah non ! Il y a une annexe attachée à la seule place possible, et fort enviable, car qui dit ponton dit pas besoin d’annexe, dit liberté, dit moins-se-faire-chier, le capitaine grogne en s’éloignant, que faire d’autre ? … ô chance, un gars arrive en courant sur le ponton et nous crie qu’il va enlever son annexe, et d’autres arrivent et tous nous font signe de revenir et qu’ils vont nous aider à nous amarrer, Dieu les bénissent, hop je m’active, pare-bat, amarres, me prépare à sauter avec deux amarres en main, garde et amarre avant puisqu’on y va en marche arrière et qu’il faudra bien arrêter le bateau, je sais exactement ce que je vais faire, remonté comme un coucou le moussaillon, le capitaine s’approche du ponton, je saute hardiment mais les gars me volent la vedette en me prenant aussitôt les amarres des mains pour faire leur affaire, le capitaine leur crie mais non ! parce que ce n’est pas comme il veut, moi j’aurais fait comme il veut donc comme il m’a appris mais je vois que les gars amarrent intelligemment et je les laisse agir en faisant des signes au capitaine pour qu’il la ferme et remercie amplement tout ce monde là, finalement les gars s’éloignent en courant parce que l’orage éclate et le capitaine leur crie de loin un sanque-you-verimeuche tandis que le ciel se déverse d’un grand coup sur nous, je fonce m’abriter mais le capitaine s’en va amarrer à sa manière sans attendre, quand il revient il n’a plus un poil de sec et je lui partage mon point de vue, à savoir que l’amarrage des gars m’a paru bien intelligent et il avoue ouais, on voit qu’ils connaissent leur affaire, et il ajoute tu t’es bien démerdée, ça fait plaize.

Le beau temps est revenu sur Buffalo River
Le ponton est sommaire et ce petit escalier n’est pas du tout stable quand ça roule

Le beau temps est revenu et on s’en va prendre la température du coin au BRYC, le Buffalo River Yacht Club … syyyyympa au possible, pas mal de monde, ça discute, ça donne des tuyaux, ça demande d’où tu viens et toi, tout ça en buvant de la bière, on papote avec un frère et sa sœur, lui c’est Jésus et elle on dirait un angelot, ils sont allemands et très jeunes et viennent de trouver un embarquement sur Africain Queen qui est amarré de l’autre côté de la rivière et qui rallie Capetown demain, ça va être leur première nav, ils ne vont pas être déçus je crois …

le capitaine se fait toujours des amis

Je rentre préparer le repas au bateau en laissant le capitaine deviser gaiement, et à son retour, il me prévient :

– Changement de programme ! On va filer directement sur Capetown

– Ah bon ? (désolation) Mais je croyais que tu voulais voir Mossel Bay … et Knysna qu’il paraît que c’est tellement beau ! (comme je tourne bien mes phrases quand je parle)

– Ouais … j’ai discuté avec le skipper d’un bateau du coin, il m’a dit que là bas tu sais quand tu peux rentrer mais jamais quand tu peux repartir à cause de la houle qui est tellement forte, il a fait du surf à 26 nœuds en entrant dans la passe la dernière fois !

– Naaaaaan ?! 26 nœuds ??? C’est pas des blagues ?

– Nan ! Il a pris une photo du pilote et il me l’a montrée ! 26 nœuds !!

Ça me file des frissons dans les mollets rien que d’y penser, j’opte aussitôt pour l’autre solution…

– Mais on va avoir quel temps si on va direct à Capetown ?

– Ça ira, on aura un peu de près mais ça ne sera pas fort donc ça ira, il faut partir le 9 si on veut y aller sans escale.

Bon.

On n’ira pas cette fois

Ici c’est loin de tout alors il faut prendre un taxi pour aller faire des courses et le mieux c’est UBER et c’est vrai que c’est génialement pratique, en plus il suffit de laisser un bon pourboire et on a une note de 5/5, j’aime avoir de bonnes notes, ça nous fait visiter le bled, et puis on déjeune  au resto de Buffalo River, super bon et pas cher, on remplit les réservoirs et les bouteilles avec l’eau de la rivière qui est jaunasse, t’es sûr qu’elle est potable ?! Bien sûr qu’il me répond mais je me demande s’il n’a pas la cagne de sortir le déssalinisateur …

On range, on boit une dernière bière au BRYC et j’écris un mot dans le livre d’or, j’ai bricolé un logo avec une tête de mule mais il y a encore du boulot, quand je reviens au bateau j’apprends que Serge est mort aujourd’hui, 8 mars 2024, mon ami Serge, quel déchirement, quelle tristesse indicible, le capitaine me prend dans ses bras pour me consoler, je me retiens de pleurer plus pour ne pas l’emmerder parce que je sais qu’à un moment donné on ne sait plus quoi faire contre la tristesse des autres, je ne voudrais pas que le capitaine se sente con à force de me voir pleurer et de ne rien pouvoir y faire, ça s’appelle l’empathie, je fais des crêpes pour le voyage en reniflant.

Bon, toujours est-il que le 9 mars on quitte East London, on est dans le chenal et on vient à peine de monter la GV quand on nous appelle sur la VHF en nous demandant de ne pas sortir du chenal sans avoir montrer nos billets d’avion … bon sang ! On n’a pas besoin de visa pour l’Afrique du Sud mais si on reste plus de 3 mois sans avertir qui de droit on doit payer une amende … or nous sommes arrivés en Afrique du Sud il y a 3 mois en gros, mais nous étions rentrés en France donc à notre retour c’était reparti pour 3 mois, pourquoi on nous emmerde avec ça alors ? qui c’est qui nous réclame de voir nos billets d’avion ? … on affale, on retrouve des captures d’écran des dits billets, le gars nous épelle son adresse mail pour qu’on les lui envoie mais on n’y comprend rien, il finit par nous donner son numéro de portable pour qu’on les lui fasse suivre sur WhatsApp mais il ne reçoit pas notre message, pendant ce temps là je fais des aller-retours au moteur dans le chenal et le capitaine se désespère, et puis soudain un bateau à moteur s’approche de nous et un gars me crie qu’on peut partir et que c’est tout bon et on entend des explications houleuses entre lui et celui qui nous réclamait nos billets d’avion parce que tout avait été vu à notre arrivée et qu’est-ce que c’était que cet excès de zèle, on renvoie la GV, il est midi et demie et on a perdu plus de 2 heures, je vais finir par croire que c’est écrit dans le ciel.

C’est reparti pour que ça bouge avec une mer très cassante et que ça file pronto avec le courant des aiguilles, puis moteur quand plus de vent, puis du près quand ça tourne, puis moteur, puis portant and so on …

Le lundi je vois un drôle de bateau au loin, en plus il ne bouge pas, je dis au capitaine que c’est bizarre un bateau immobile plus haut que large, il me répond que ça doit être un navire de guerre ou genre, en tous cas ça ne ressemble pas à ce qu’on a déjà vu … mais si ! on a déjà vu ça ! dans le coin de Curaçao si mes souvenirs sont bons, je file agrandir la carte sur Navionics et bingo,

– c’est une plate-forme !

– c’est bien isabelle ! (il aime bien quand je prends des initiatives intelligentes)

– c’est écrit qu’on n’a pas le droit de naviguer à moins de 2 miles près d’elle, on fait quoi ?

Il hausse les épaules, qui c’est qui va venir voir où est-ce qu’on passe n’est-ce pas ? En plus on est plein-cul sous génois tangonné, on ne vas pas manœuvrer juste pour s’écarter un peu de la plate-forme, et au moins comme ça on pourra la voir, alors ouais, pour la voir on la voit bien, et puis on entend aussi un bateau qui nous arrive dessus en abusant grave de sa corne de brume, ça nous explose les oreilles, ils sont cons ou quoi ?

On regarde son nom sur l’AIS, c’est Umkhuseli, le capitaine l’appelle à la VHF, pas de réponse, ils sont gonflés les mecs, ils nous foncent carrément dessus et je commence à me demander sérieux si on ne va pas se faire aborder par des pirates, la meilleure de l’année, on empanne la GV ce qui fait qu’on se retrouve avec génois tangonné et GV du même côté, au moins la manœuvre est rapide, on s’éloigne un tantinet et on réempanne à peine plus loin pour reprendre notre cap, Umkhuseli nous emboîte le pas, on essaie à nouveau de l’avoir à la VHF, rien, nada, des clous,

– mais t’es sûr qu’elle marche la VHF ?

– bin ouais, elle marchait quand on est parti d’East London alors pourquoi elle marcherait plus ?

Par acquis de conscience, le capitaine prend la VHF portable et appelle, appelle encore, quand ce n’est pas lui qui appelle il me demande d’essayer encore, on finit par laisser tomber, Umkhuseli nous colle toujours au train.

Et il finit par nous laisser et s’éloigne, non mais, on a râlé parce qu’ils ne nous avaient pas appelés ni répondu à nos appels, mais on se rend bien compte qu’ils nous ont suivi jusqu’à ce qu’on sorte de la zone de navigation interdite, c’est mal de notre part, ooooh comme c’est mal, nous continuons notre petit bonhomme de chemin et comme nous ne sommes pas loin des côtes, nous ne sommes non plus pas loin des rails de cargos, il y a pas mal de monde sur l’AIS, il va falloir ouvrir l’œil, c’est pas cette nuit qu’on va pouvoir dormir à poings fermés.

Le soir venu, le capitaine se couche, le pauvre il a bien le droit de se reposer, je suis assise à la table à carte, le nez et l’index respectivement collés à l’AIS et sur la télécommande du pilote, si je garde un cap un peu plus Nord je vais devoir slalomer entre les cargos alors mon choix est vite fait, je vais plus au Sud pour raser le rail des cargos par en bas, jusqu’ici tout va bien mais le capitaine qui ne dormait que d’un œil se lève (des fois je me dis qu’il est omniscient et devine jusqu’à mes fautes les plus anodines), il refuse net de continuer au Sud, on empanne et nous voilà partis pour traverser le rail de cargos …

… tandis qu’il y en a 5 qui arrivent et que le vent tombe, merde, on n’avance pas, donc on n’est pas manœuvrant, je me sens comme si j’étais à poil en pleine nuit pluvieuse au milieu de l’autoroute à agiter la flamme d’un briquet pour me signaler aux automobilistes, bordel, on va se faire faire couper en 2 par un de ces montres qui avancent à 15 nœuds.

Le capitaine est tout détendu, visiblement ça l’amuse de slalomer entre les cargos dans le rail tandis que je vomirais presque mon gratin de pâtes de trouille (un gratin tatin parce que je le fais à la poêle alors c’est le dessous qui grille, mais c’est pas mauvais), il en profite pour me donner une leçon de nav’ en m’indiquant les lumières rouges ou vertes ou blanches que l’on voit :

– regarde, on va passer devant celui là, pour l’instant on ne voit que sa lumière verte … attends un peu … toujours la verte … aaah on commence à voir, oui ! on voit aussi la rouge maintenant, donc on est pile face à lui, tu vois ?

Oui je vois ! oui ça me rappelle mes cours de permis bateau ! (mais si on pouvait se dépêcher un peu)

Ensemble on regarde les lumières des différents cargos pour savoir lesquels vont passer devant nous ou derrière nous, finalement je me rends compte qu’on a plus de temps que je ne pensais, je me détends mais je suis bien contente quand on arrive de l’autre côté du rail.

Pour être plus tranquille le reste de la nuit, le capitaine me dit qu’on va se caler dans la zone d’exclusion juste au-dessus du rail de cargos, je regarde la carte et m’étrangle :

– c’est une zone de breakers ! c’est vraiment tomber de Charybde en Scilla !

Mais le capitaine se fout ouvertement de ma gueule, bien sûr que non il n’y aura pas de déferlante avec ce peu de vent car oui, les breakers sont des vagues déferlantes et ici les fonds remontent et le courant aidant ça peut donner des déferlantes, mais pas aujourd’hui isabelle ! Dieu l’entende.

Et Dieu l’entend car plus un pète de vent, on finit par mettre le moteur, le lendemain matin ça remonte à 24 nœuds, on hisse et c’est parti pour du près, c’est bien, ça entretient la forme, nous sommes le 12 mars et c’est un grand jour, car c’est aujourd’hui que nous allons passer le Cap des Aiguilles et c’est quelque chose ! C’est le point le plus méridional du continent africain, le point de rencontre officiel entre l’océan Indien et l’océan Atlantique, en face, il ne reste que l’Antarctique et sa banquise.

Parce qu’on parle toujours de Bonne Espérance, mais le vrai Cap important c’est celui des Aiguilles me dit le capitaine, oui, je veux bien, mais tout de même celui qui est connu c’est Bonne Espérance, c’est lui qui est mythique, d’ailleurs je lui demande pourquoi c’est ainsi, alors en fait c’est Bartolomeu Dias, un explorateur portugais, qui  a été le premier Occidental à franchir en 1488 ce qu’il appela sur le moment le Cap des Tempêtes parce que sa caravelle l’avait passé au terme d’une tempête de 13 jours, il avait suivi la côte depuis la Namibie et quand on navigue dans ce sens, le Cap de Bonne Espérance marque le point où l’on commence à voyager plus vers l’Est que vers le Sud ce qui revêt une importance notoire pour les navigateurs (le cap a été rebaptisé par le roi du Portugal Jean II en Cap de Bonne Espérance  car les Portugais avaient désormais bon espoir d’arriver bientôt aux Indes).

Nous le passons sur le coup de midi, au près, comme des grands.

Bon, ça me fait quelque chose je dois dire, c’est pas tout le monde qui passe par là, on continue notre route en tirant des bords, sur un bord ça va mais sur l’autre le bateau saute sur les vagues, c’était pas la peine de passer dans l’Atlantique ! s’exclame le capitaine, car c’est vrai ! nous venons de quitter l’océan Indien tant redouté ! et pourtant rien ne change … je vais essayer de dormir un poil parce que les nuits sont courtes et nous ne dormons que par tranches, mais impossible, une espèce d’orage avec vent qui tourne, j’entends le capitaine qui manœuvre alors je me relève pour l’aider, et puis ça tombe alors moteur, ça remonte un peu plus tard, voile, ça occupe, le capitaine va dormir à son tour, et soudain je comprends enfin à quoi correspond le bouchon noir sorti de l’eau quand j’avais crié au capitaine lofe ! Y’a un truc noir devant nous ! Parce que j’ai vu d’autres trucs bizarres, par exemple des palmes de plongeurs plus loin, mais que faisaient des plongeurs si loin de la côte et sans sécu, ça n’était pas possible ! … je file voir si le capitaine dort déjà pour lui faire part de la merveille : des otaries ! c’est ça que je voyais ! là je viens de comprendre parce qu’il y en a qui sautent hors de l’eau ! c’est blindé d’otaries !! et le bouchon noir de tout à l’heure c’était la tête d’une otarie qui nous regardait ! le capitaine sourit de me voir aussi emballée, si je m’attendais à ça dis donc ! Des otaries !

Nous passons Bonne Espérance le 13 mars à 3h30 et ne voyons que son phare dans la nuit, ça m’émeut à mort parce que je pense à tous les navigateurs qui l’ont passé et je le passe à mon tour, je ne sais pas à quoi c’est comparable … peut-être à marcher sur la lune … Bonne Espérance !

Et pour mourir moins bête le jour où :

Publié par isabelle centre tao

Je suis thérapeute, conférencière et formatrice en Médecine Traditionnelle Chinoise MTC, j'ai fondé la chaîne du Centre Tao sur YouTube pour que vous puissiez apprendre le langage de votre corps et de ses énergies, vous rééquilibrer et vous soigner avec la MTC (diétothérapie, plantes, points d'acupuncture et plein de trucs magiques) en m'adressant particulièrement aux femmes et en leur destinant plusieurs de mes formations. Aujourd'hui je me lance dans une nouvelle aventure : découvrir les plantes du monde destinées aux femmes lors des différentes étapes de leur vie, afin d'aider toutes les femmes, où qu'elles soient, car même si la Pharmacopée Traditionnelle Chinoise est la plus riche de la planète, il existe partout dans le monde des plantes qui peuvent traiter les douleurs de règles, l'infertilité, les problèmes liés à la grossesse ou à la ménopause et aider les femmes qui n'ont pas accès aux plantes de la Pharmacopée Chinoise. J'ai décidé de faire ce blog pour vous faire vivre cette aventure, et je vous raconterai aussi bien mon quotidien sur le bateau et dans les différents mouillages, que mes rencontres d'herboristes, sorcières et sorciers, chamanes, tisaneurs et all these kinds of people !

Un avis sur « Bonne Espérance »

  1. il est grand temps de profiter du courant du Benguela pour progresser vers le nord et quitter cette région à problémes multiples mais restant attrayante. Bonne navigation et a bientot.

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