
Nous étions partis de Fort de France pour Carriacou, Cariacou avec un seul r c’est le cerf de Virginie ou le camp écotouristique en forêt amazonienne (sur une crique du fleuve Kourou), et celui avec 2 r c’est une des îles des Grenadines, à savoir en prime qu’il y a les Grenadines de Grenade et les Grenadines de St Vincent, tout ça ne nous facilite pas l’existence parce que ça veut dire que pour bien faire il faut faire des clearances si on passe de l’une à l’autre (on ne fera pas bien sinon on ne ferait que ça, c’est juste histoire d’en rajouter sur l’administration d’où qu’elle soit, Français ! arrêtons de nous plaindre !) (et en conclure que le capitaine est un rebelle et que nous contrevenons à tout-va)

Avant ça il faut déjà arriver à Carriacou, on en a en gros pour 24 heures de nav’ mais comme me répond le capitaine à chaque fois que je lui demande pour combien de temps on en a : ça dépend, et pas besoin de demander ça dépend de quoi, c’est du vent que ça dépend, donc maintenant je me fais ma petite idée toute seule et je lui demande combien de miles on a à faire, ça l’oblige à me répondre quelque chose de précis (jubilation), si on a 120 miles à faire et que je vois petit, à savoir qu’on fera du 5 nœuds à l’heure, et bien 120 miles à 5 nœuds ça fait 24 heures, mais j’espère bien qu’on ira plus vite, et on dirait que le ciel m’a entendue puisque ça commence bien et qu’on galope jusqu’à Ste Lucie, le capitaine, pessimiste d’après moi, prudent d’après lui, pense qu’on passera une fois la nuit tombée devant les pitons de Soufrière et qu’on ne les verra donc pas, je lui réponds que mais si on les verra, à vrai dire sans aucun argument à lui servir en ce sens autre qu’une intuition tout aussi féminine qu’aiguisée telle la lame d’Excalibur, et ce n’est pas du tout pour le contredire quoiqu’il en pense, bingo, on passe juste au crépuscule, je lui dis et bien on les aura vus les pitons ! ça le fait rire et ce n’est pas si facile de le faire rire, alors que moi j’ai du mal à raconter une histoire drôle tellement je me poile (il me regarde alors avec une sorte de stupéfaction, je n’en ris que de plus belle), nous continuons notre route nuitamment


Le capitaine me laisse dormir en premier, je me réveille à 0h45 et lui dis d’aller dormir à son tour mais le vent fait des siennes, tombe complètement, alors moteur et puis vlan, le vent remonte d’un coup à 20 nœuds au portant, ça a l’air de durer alors on règle les voiles pour cette allure, pas beaucoup de houle, on file bien, le capitaine peut enfin dormir en me laissant aux commandes, mais le vent est changeant, versatile comme une blonde, il descend et remonte, passe en travers, repasse au portant, je manœuvre parce que maintenant je suis une grande fille qui peut manœuvrer, certes à la vas-y comme j’te pousse, mais manœuvrer quand même, j’avoue qu’il n’y a pas grand chose à faire mais ça fait du bruit et ça ne permet pas à celui qui se repose de le faire correctement, et puis ça redevient régulier, voilà qu’on file au portant sous le vent de St Vincent, une mer d’huile, du jamais vu, le capitaine dort pour de bon, on le voit à la tête qu’il fait quand il dort profondément parce qu’on dirait un enfant, je fais des étirements dans le cockpit en regardant les lumières de St Vincent, petit à petit le vent diminue, passe à 15 nœuds, on n’avance plus qu’à 6 nœuds mais ça va bien, c’est correct 6 nœuds, n’est-ce pas les voileux ? … ah, il tombe à 10 .. et nous à 4 … bon, ça reste honnête, ça pourrait être pire … oh flûte, le vent tombe à 8 … nous à 3 … allez, tant qu’on avance je ne change rien, si ça se trouve ça va repartir … je suis à un doigt de souffler dans les voiles ou de battre des bras ainsi que des ailes, je ne veux pas réveiller le capitaine en mettant le moteur, la mer est si calme ! Il dort si bien ! Las, le vent tombe encore … on n’avance plus qu’à 1,5 nœud, c’est la débâcle … la mort dans l’âme j’allume le moteur avant qu’on ne se mette à reculer, la tête du capitaine émerge, l’air bien à l’ouest, je lui explique ce qui se passe et lui refile le bébé, c’est à mon tour d’aller dormir un peu, quand on s’éloigne de St Vincent on reprend du vent, le capitaine coupe le moteur et je m’enfonce dans le sommeil comme dans un édredon de plumes

C’est moi qui suis de quart quand le jour se lève, je regarde le ciel de tous mes yeux, fais le petit déjeuner quand le capitaine se réveille, et puis on arrive à Carriacou en se prenant un fameux grain au moment d’affaler la grand voile et de mouiller, et comme on mouille toujours face au vent la pluie nous arrive de plein fouet en pleine poire, je ne sais pas ce qui est le mieux, garder des lunettes en regrettant qu’il n’y ait pas encore d’essuie-glace ou les ôter et découvrir que les gouttes de pluie pulvérisent les yeux, dans les deux cas on n’y voit goutte

Le capitaine décide, puisque c’est au capitaine de décider (encore qu’une fois, à l’îlet Lobo en face de Fuerteventura, le capitaine m’avait houspillée au moment de jeter l’ancre, c’était un peu délicat comme à chaque fois qu’il y a du monde dans un mouillage et du vent, je voudrais vous y voir, donc il m’avait houspillée, ce qui n’avait rien arrangé à l’affaire et avait eu pour unique effet de me décider à mettre mes lunettes de soleil afin de cacher les sentiments peu amènes qui m’animaient sur l’instant, et là il m’avait intimée de choisir où je voulais qu’on jette l’ancre,
- (très autoritaire) choisis !
- (silence de glace)
- choisis ! (encore plus autoritaire si c’est dieu possible)
je l’avais envoyé sur les roses, il avait fini par jeter l’ancre là où on se trouvait), donc il ne me propose pas de choisir mais décide de mouiller à gauche du chenal parce qu’il n’y a qu’un seul bateau (le capitaine préfère être à l’écart, c’est mieux pour faire pipi même s’il ne le dit pas), mais on va changer 2 fois de place, d’abord parce que le capitaine trouve qu’on est trop prêt de je ne sais plus quoi, ensuite parce que des pêcheurs nous font des grands signes de dégager de là, alors on va se mettre avec les autres bateaux à droite du chenal, chose que j’aurais faite en priorité mais mon raisonnement est simpliste (là où il y a plus de monde c’est sûrement autorisé, ailleurs on ne sait pas), on appelle la police portuaire pour s’annoncer, personne au bout du fil, on finit par déjeuner et quand on rappelle à 14h, le préposé nous demande sur un ton de remontrance pourquoi on ne l’a pas appelé plus tôt…
Je précise, pour la bonne compréhension de tout ce qui va suivre, que ni moi ni le capitaine ne parlons suffisamment anglais pour soutenir une véritable conversation dans la langue, c’est d’ailleurs toujours marrant quand le capitaine se retrouve otage d’un américain qui lui raconte ses aventures qu’il écoute sans rien piper mais en faisant des oh yes avec des signes affirmatifs de la tête (moi j’évite soigneusement de m’enliser dans ce genre de truc) …
Bon, c’est le capitaine qui est à la VHF et nous sommes tous deux pendus à la radio pour comprendre tant que faire se peut ce que le préposé nous raconte (je l’appelle préposé parce qu’en fait je ne sais pas si le gars est un flic ou quoi, un gardien de phare, un coach sportif, allez savoir, il ne s’est pas présenté) … il baratine à toute vitesse, le capitaine me regarde avec un air perdu comme si j’avais la solution ultime à tous les problèmes du monde, je lui chuchote dans un souffle
- dis lui de répéter lentement
- can you spique sloli pliz ?
Le gars répète à peine moins vite et je chope un mot par ci, un mot par là, le capitaine dit ok sank you, je lui demande ce que le gars a dit et il me répond qu’il ne sait pas, ça nous avance bien, je dis à mon tour ce que j’ai compris, à savoir pas tout mais qu’il faut aller à l’immigration de l’autre côté de la baie, et que tout l’équipage (c’est nous deux et c’est largement suffisant) doit se présenter, hop on prend les papiers du bateau, les nôtres, nos résultats des tests PCR gagnés à Fort de France et nous voilà partis en annexe

On trouve sans problème l’immigration … porte close, ils seront back shortly … soit, on attend plus d’une heure avec d’autres personnes, puis nous passons les uns après les autres devant une fenêtre à peine entrouverte derrière laquelle une nana en chemise-cravate à la mine renfrognée pour faire sérieux prend d’une main et donne de l’autre des papiers, c’est notre tour, elle nous regarde comme un scientifique des drosophiles sur une lamelle de microscope et nous balance son jargon anglais en pleine face, frime inutile, le capitaine et moi échangeons un regard impuissant, on y va de notre can you spique sloli (la méthode Assimil est encore emballée dans son plastique au fond d’un recoin du bateau), elle a du mal, je comprends vaguement qu’elle nous réclame un papier qu’on aurait dû aller chercher je ne sais où mais garde mon air bête, on reste plantés là avec nos regards obtus, on est venu chercher notre clearance et on l’aura, de guerre lasse elle va chercher un document et nous fait signe de le remplir, nous obtempérons et après nous avoir délesté de la somme de 30 US dollars nous laisse partir avec nos passeports tamponnés … nous en apprenons plus avec un navigateur étranger qui parle un anglais sommaire et parfaitement compréhensible pour tout être qui a fait sa scolarité en France, il nous explique qu’en arrivant il faut mouiller à gauche du chenal, aller dans un bâtiment quérir un formulaire à remplir et montrer tous les papiers sanitaires, puis seulement s’en aller de l’autre côté de la baie rencontrer l’immigration avec tous les papiers, se faire tamponner les passeports et ensuite aller mouiller de l’autre côté du chenal avec les bateaux en règle … de l’art de la simplicité … j’ai déjà remarqué qu’à l’étranger, ne rien comprendre peut faire gagner un temps fou 😁
Comme on est en annexe, on passe faire un petit tour dans la mangrove qui est une zone où mouiller les bateaux en cas de cyclone, le seul hic c’est que le fond est si peu profond que nous on resterait plantés sur la quille si on essayait d’y planquer Cap de Miol, c’est simple, en cas de cyclone on finirait planté droit debout dans la mangrove ou balancés comme un fétu de paille sur la côte, comment choisir entre la peste et le choléra
Le lendemain on fait ce pour quoi le capitaine est passé par Carriacou : sortir le bateau pour le caréner !
De vous à moi, je pense que ça aurait grandement pu attendre, mais le capitaine aime quand c’est propre, il a déjà plongé deux fois avec une bouteille pour le nettoyer au scotch-brit (et c’est pas une mince affaire) mais il en veut plus, il veut un bateau ni-ckel, et dans les eaux chaudes du coin c’est vite fait que tout un monde se crée sur une carène, algues et coquillages, ça m’hallucine, ça vient d’où tout ça pour se coller aussi insidieusement sur le bateau ?
Quand on était au Marin j’ai vu des carènes de bateaux qui sont plus des élevages de moules et autres coquillages que des carènes !





Le premier jour je l’aide à nettoyer la carène, le soir venu on est bleu comme des stroumphs, mais les jours suivants c’est le capitaine qui passe l’antifouling, il a le coup de main, et moi je travaille dans un bistrot qui a un bon wifi, et puis je prends un taxi pour aller à Hillsborough glaner des infos mais en anglais rien n’est facile pour moi, mais bon …

Prête pour mes télé consultations (on voit qu’il est assez tôt parce que j’ai encore l’air frais, ça va pas durer, je vais me déliter sous peu)



J’irai 2 fois à Hillsborough, et rien que d’avoir pris le taxi, quand il passe et me voit marcher le long de la route (pour aller à mon bureau provisoire qui est à une vingtaine de minutes à pinces) il me klaxonne et me fait signe bonjour … à chaque fois que je demande quelque chose à quelqu’un, la personne m’apporte son aide, parfois quelqu’un vient vers moi, me dit son prénom et me demande le mien, me souhaite la bienvenue à Carriacou, au bistrot la serveuse se souvient que je vais prendre un Perrier avec une rondelle de citron, en 3 jours je me sens chez moi, on sent qu’on peut s’intégrer avec une facilité déconcertante, quelle douceur, c’est le mot qui me vient, une authentique douceur humaine …


(Un soir on dîne chez John et Anna et c’est à ce moment là que j’ai fait la déjà légendaire interview du capitaine)
Une fois le bateau tout propre, on le remet à l’eau et on reprend la mer, on visite un peu le coin avant de continuer notre périple …
Que vous dire du coin … les Grenadines donc … voyons voyons … par où commencer… bon, les mouillages sont rouleurs, mais … honnêtement : on s’en fiche, c’est vraiment pas ça qui compte … mais l’endroit est-il aussi paradisiaque que d’aucuns veulent bien le faire croire ? … (à suivre !)

Etendre sa Culture Gé ne nuit jamais !
- Clearance est un joli mot anglais que l’on aurait dû traduire par « cauchemar de grande croisière». Francisé en 1973, la clairance est une autorisation donnée à un navire de faire mouvement. Ce mot résume l’ensemble des formalités d’entrée et de sortie d’un pays, l’un des sujets les plus discutés dans les carrés des bateaux de voyage. En général, pas besoin de visas pour accoster en terre étrangère, mais le nombre d’administrations à satisfaire varie d’un pays à l’autre. Le service de l’immigration et les autorités maritimes, parfois confondues avec la douane, forment le socle minimum. Il faut souvent ajouter les autorités sanitaires dites « la quarantaine » et la capitainerie du port.
Bonjour isabelle
Nous serons à st Lucie le 1/3 et nous faisons les îles la semaine sur le Champlain de la compagnie du ponant.
A bientôt
Philippe
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Coucou Isabelle!
Géniales! Par tous les temps tes lunettes, même sans essuie-glaces! Presqu’aussi géniales que ta superbe capacité d’adaptation! Bonne route et mille bisoussss
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Merci Isabelle je voyage grâce a toi. Ces lunettes te vont a merveille
A bientôt
Anne Marie
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merci Anne-Marie, c’est le capitaine qui me les a conseillées 😉§
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plein de bisous Marithé !
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bonjour Philippe, nous sommes partis des Grenadines et sommes à Bonaire depuis hier, très belle semaine, profitez bien tous les deuc et à bientôt pour des photos et un retour sur le Champlain qui doit être un navire superbe avec des services au top (ça fait vraiment envie 😊!)
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