(c’est la suite)

Jour 8
Encore une petite nuit mais comment faire autrement avec les quarts, même s’ils sont drôlement light au milieu de l’Atlantique, celui qui est de corvée met son réveil toutes les heures pour surveiller et faire le point, le capitaine a le don de se rendormir illico mais moi pas, alors heureusement que quand je dors c’est si profond que ça me requinque, ça sera quand-même fameux une vraie bonne grande nuit quand on sera arrivés
Encore un voilier doublé cette nuit, échange à la VHF, c’est French Kiss qui était au mouillage pas loin de nous à Mindelo, un couple sur un voilier de 50 pieds, leur pilote a aussi lâché et ils se relaient toutes les deux heures à la barre, et ça va durer une semaine … on tait la rupture du bras de spi, c’est tellement mesquin à côté d’un pilote HS
Alors, dès mon réveil, le capitaine m’est tombé dessus pour me dire qu’il fallait empanner pronto et que d’ailleurs il aurait fallu le faire hier soir (quoi, le capitaine avait remis au lendemain ce que nous aurions pu faire le jour même, quelle est, in fine, la part d’humanité cachée dans les tréfonds de son être secret ?) mais on a le temps de prendre le petit dej avant parce qu’en même temps, on est loin d’arriver, et on empanne, ça prend son temps, et après, je vois que le capitaine reste accroupi devant l’enrouleur de génois à l’avant du bateau, puis il revient, soucieux, le front bas, me dit qu’on enroule le génois et qu’on ne s’en sert plus : il n’y a plus de vis à l’enrouleur, on ne sait pas comment ça se fait mais le fait est, et il peut lâcher d’un moment à l’autre, le cap’ repart à l’avant du bateau en me disant qu’on range le tangon, on dirait qu’on tombe le rideau de la dernière représentation d’une pièce de théâtre, il y a comme une tristesse qui s’abat, je le regarde faire, je voudrais l’aider, proposer une solution, quelque chose, rien n’est perdu que diable, ah ! euréka ! je lui crie avec les mains en porte-voix (c’est marrant, la correction automatique m’a proposé porte-jarretelles, avouez que ça aurait eu une classe folle) qu’on n’a qu’à tangonner la trinquette, encore accablé il répond « pas tout de suite » et puis je le vois réfléchir, redresser les épaules, grandir de quelques centimètres, et hop se mettre à bricoler pour tangonner la trinquette, il est tout remonté et bidouille des trucs parce que la trinquette est trop petite pour le tangon, mais c’est le Mc Gyver de la marine, l’Einstein de la navigation (il hausserait les épaules s’il avait le courage de me lire, mais déjà qu’il me supporte, c’est bien assez pour un seul homme), c’est vrai qu’il est drôlement démerde, on ne peut pas lui enlever ça (je mets cette expression tellement elle me fait rire, c’est d’un condescendant affligeant)
Plus tard, quand l’envie me prend et que je sais que je ne peux plus retarder l’échéance si je veux rester urbaine, je prends une douche attachée par un harnais sur la jupe arrière, ça peut faire rêver hein, mais non, le harnais me rappelle maman qui nous trimballait en laisse ma sœur jumelle et moi (aujourd’hui la SPA s’en émouvrait) et puis El Capitan va dormir un peu, du moins essaie parce que le vent est capricieux aujourd’hui, il passe de 17 à 11 nœuds mais surtout de Est-Nord-Est à Est-Sud-Est ce qui n’est pas bon pour notre cap, et comme les voiles claquent (houle et pas assez de vent, c’est la recette), ni une ni deux ça le réveille et il n’est pas du meilleur poil dans ce genre de contexte, il se relève et m’explique, comme un père à son enfant qui arrache les ailes des mouches, que c’est mal, c’est très mal ! qu’il faut empanner à nouveau puisque le vent a tourné et que j’aurais dû le savoir et venir le réveiller, en même temps il est réveillé donc ça c’est fait, j’attends plus tard pour donner mon point de vue car ce n’est jamais pendant l’action que c’est opportun, on remet ça, bon, une fois empanné pour la seconde fois c’est l’heure de faire à manger alors je m’y colle et j’entends le capitaine qui maugrée dans le cockpit, le vent tourne à nouveau et le cap n’est à nouveau plus bon, il faut réempanner, j’éteins le feu (celui de la gazinière, quand le boîtier de l’hydrogénérateur chauffe au-dessus de ma tête quand je dors ça m’arrive de me demander s’il ne va pas prendre feu et me brûler les cheveux, genre que je boirai la coupe jusqu’à la lie, mais dieu merci nous n’avons pas eu le feu) (j’évite d’écrire « pas encore » pour ne pas tenter le diable)
Après ce 3ème empannage nous nous retrouvons pile dans la situation qui avait réveillé le capitaine : grosse houle, pas assez de vent, le cap pas idéal et les voiles qui claquent, je reste coite mais n’en pense pas moins et nous mangeons dans une humeur de bon aloi, je finis par lui donner mon avis quand le moment opportun arrive enfin (une fois repus), à savoir que cette situation nous est déjà arrivée et qu’il n’y a rien à faire qu’à attendre (ATTENDRE) que le vent reparte plutôt que de manœuvrer à tout crin, mais il est indécrottable et me dit qu’il a envie de mette le spi, pffff … je lui rappelle posément que la houle est toujours là, que le spi va claquer, que ça va user la drisse en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, que ça ne sert à rien de flinguer encore du matériel, et que notre pilote à nous marchant toujours c’est moindre mal, il sourit et va se coucher, du coup on reste avec la trinquette tangonnée et ça nous baisse la moyenne, ça rend humble
Jour 9
Qui dit jour 9 dit d’abord nuit du 8ème au 9ème jour, le vent tombe et fait ses siennes, passe presque au sud parfois, les voiles claquent dans la houle, on voit un bateau à 15h mais il n’apparaît pas sur l’AIS, et puis si, et puis disparaît, si on se moque de vous quand vous évoquez le vaisseau fantôme, dites que vous connaissez personnellement une nana (de confiance) qui a eu affaire à lui, on finit par affaler la grand voile et enrouler la trinquette et on met le moteur pour sortir de la zone foireuse, ce qui nous permet de dormir 2 heures, on se fout de tout puisqu’on n’a pas besoin de régler les voiles, c’est pour ça que c’est parti pour 2 heures, que le personnel s’amuse !
Quand le jour se lève on a 30 nœuds, alors on déroule seulement la trinquette, le capitaine reste prudent dès potron-minet, paf le vent tombe à 20, hop on enroule la trinquette qu’on venait de dérouler pour se mettre face au vent et hisser la grand voile, bien sûr le vent repasse à 30 juste à ce moment là et il se met à flotter dru pour couronner le tout, on dirait que c’est notre jour de chance
Bien que tout ça soit fort rigolo (ah mais si, sérieux) on a mis les gilets de sauvetage avec les harnais et le capitaine a bien voulu s’accrocher, las de mes supplications, il voulait aller trafiquer sur le pont les mains dans les poches nan mais j’te jure, une autre fois où il avait fait ça je lui avais dit
- si c’était moi qui allais sur le pont sans gilet on verrait ce que tu dirais !
- oui mais toi c’est toi et moi c’est moi (accompagné d’un regard lourd de signification)
je suis à même de penser, soit qu’il craint pour ma vie, soit qu’il me prend pour une buse, ou bien encore qu’il craint pour ma vie tellement je suis maladroite, c’est ça, je crois que j’ai mis le doigt dessus, ou alors, en positivant, qu’il tient à ma vie, je vais rester là dessus parce que c’est meilleur pour ma santé
Vent fort, pluie comme vache qui pisse, bateau qui roule, on mange debout dans le bateau parce qu’une assiette ne tient pas en place sur la table du carré, faire à manger et servir sans s’ébouillanter est une gageure, pour réconforter le capitaine j’ai envie de lui faire un petit plaisir rapide, quoi donc, je me creuse la cervelle et trouve, quoi donc (qui cherche trouve), je vous le donne en mille : des krisprolls de blé complet (les meilleurs et les plus croquant) avec une pâte à tartiner au chocolat bio (de la mesure en toutes choses), ça comble le capitaine, j’avais vu juste, et je me retrouve avec du chocolat plein mon teeshirt presque propre, hé bien bravo
Le gros grain passé, je pense à regarder si je peux écouter les téléchargements de musique sur mon téléphone sans wifi, et cette fois ci c’est oui ! ni une ni deux je mets la musique à fond dans mes écouteurs, un coup à me défenestrer les tympans mais je m’en fous et me mets à danser dans le cockpit (en m’accrochant au roof, manquerait plus que je tombe à l’eau) c’est bon mais qu’est-ce que c’est bon ! de danser sur un petit bateau perdu au milieu de l’Atlantique avec 6000 mètres de fond (j’ai vu ça sur navionics, ça m’a dressé les cheveux sur la tête), la Rose de Titanic debout sur la poupe avec les bras en croix peut aller se rhabiller
Et puis fin de journée avec vent à 18 nœuds, houle calme et rangée, on avance à 6/7 nœuds alors beaucoup moins de bruit, c’est fou le bruit permanent qu’il y a sur un bateau, la première fois depuis notre départ qu’on a du calme, c’est reposant (le capitaine a mesuré avec un sonomètre, on a en moyenne 75 décibels dans les oreilles, je lui ressortirai quand il m’expliquera que la musique dans les écouteurs c’est pas bon)
Jour 10
RAS
C’est tout ?
Bin oui, c’est tout, ah si, j’ai fait cuire des lentilles, 40 minutes, le capitaine a failli s’en étrangler en pensant à la bonbonne de gaz qui se vide forcément quand je cuisine, aurons-nous du gaz jusqu’au bout de l’Atlantique, ou mourrons-nous d’inanition devant des grains de riz tout aussi secs qu’immangeables ? c’est excitant comme tout cette incertitude🤓
Et aussi, le capitaine a dit qu’il trouve que je suis de bonne composition, il avait avoué, quelques heures auparavant, qu’il m’en faisait voir, ah je me souviens à propos de quoi : on finissait de manœuvrer de nuit dans le vent et la pluie, il revenait de l’avant du bateau (sans gilet ni harnais ce qui me filerait une poussée éruptive à chaque fois qu’il le fait) et il me crie de reprendre la bastaque, que je reprends à la main, il ajoute au winch ! alors je fais un tour au winch et je tourne la manivelle en tirant la bastaque à la main (c’est lui qui m’a appris à faire comme ça et que souvent ça suffit) et voilà, et il arrive en râlant « mais vas y doucement ne tire pas comme un âne c’est pas de la pierre tu vas tout abimer blablabla blablabla BLA-BLA-BLA », je soupire discretos, il met la main sur la bastaque et, me croirez-vous tellement c’est énorme, il râle que ce n’est pas assez tendu, met la bastaque au self-tailing et la tend à toc, je sais que c’est parce que ça lui permet de s’y tenir quand il se déplace sans gilet ni harnais, voilà la vraie vérité qu’il me tait, c’est un peu plus tard, dans un probable éclair de lucidité, qu’il m’a dit qu’il m’en fait voir, j’ai répondu que je sais qu’il y a des moments d’intensité lors desquels la communication est plus abrupte, cependant j’aimerais qu’il prenne un tant soit peu exemple sur ma méthode plus amène, je sais qu’on ne change personne à part peut-être soi-même, et encore, à force de travail personnel permanent, et souvent ingrat, ce que je fais, plus ou moins, avec des erreurs en-veux -tu-en-voilà qui me navrent, mais je me pardonne, je ne suis pas une acharnée, alors je serais drôlement malvenue de ne pas passer l’éponge sur les écarts des autres (j’avoue tout de même que j’ai recours à des exercices ventilatoires au besoin)
Jour 11
Et sa nuit préalable : déjà hier après-midi on voyait bien qu’on se dirigeait droit vers du ciel gris, puis gris foncé et de plus en plus noir, le capitaine soulevait régulièrement ses lunettes de soleil et grimaçait en disant que c’était aussi noir sans les lunettes qu’avec, ce qui me faisait déglutir aussi sec avec l’envie de lui demander tout aussi sèchement de ne pas en rajouter, je ne l’ai pas raconté hier car j’ai eu la flemme et puis on a été bien occupés avec cette affaire de ciel
Quand on voit un ciel comme ça on ne sait fichtre pas ce qui nous attend, mais le cerveau humain, du moins le modèle que l’on m’a fourni, a tendance à envisager le pire, rafales terribles qui niquent au mieux la grand voile, au pire le pilote, qui nous astreignent à sauter dans le radeau de survie qu’on laisserait attaché au bateau pour y retourner si ça s’arrange, crevant de chaud dans les combi de survie enfilées à la hâte, mais je cache mes sombres pensées derrière un masque impassible et les détourne vers un autre sujet, que faire à manger ce soir, à Noël ou à la trinité, trouveré-je enfin des shorts qui me conviennent à la prochaine escale, je ne prie pas, je sais bien que le dieu du vent et celui de la mer se carrent le tartempion de mes réclamations, pas de SAV j’étais prévenue
on se retrouve sous le coup de 20h (du Cap Vert, on est toujours à cette heure là) sous ce fameux ciel noir, ça fait pschhhhht comme un pétard mouillé, 3 malheureuses gouttes de pluie et le vent qui tombe, à 11, 8, 6 … on n’avance plus … à 3 … à 1 nœud … 1 nœud ! si je trempe mon pied dans l’eau ça arrête le bateau !
par contre mer forte, alors la combinaison pas de vent + grosse houle = bateau secoué dans tous les sens, on affale les voiles et on met le moteur, au moins ça rechargera les batteries et ça arrêtera d’abîmer les voiles
on mange car, grâce à ma pugnacité, je fais désormais à manger dans toutes les conditions, rattrape une assiette au vol pendant que je suis projetée contre l’évier et que la poêle bascule en y versant les œufs qui seront une fois de plus brouillés par la force des choses, ceci sous le conseil avisé du capitaine tiens toi ! et puis malgré le bruit du moteur qui tourne à côté de ma cabine, je m’endors comme on tombe d’une chaise, d’un seul coup
Réveil à minuit, le vent est reparti, on hisse la grand voile, on tangonne la trinquette, coucher à 1h, nuit habituelle saucissonnée de sommes et de réveils pour vérifier comment ça se passe et si aucun navire n’a la mauvais idée de venir nous saluer de trop près, la routine quoi
Avec tout ça notre moyenne chute, c’est la loose
Et le onzième jour est là, on empanne de suite parce que le vent est de plein Est, ce qui, comme nous allons plein Ouest, nous oblige à tirer des bords et revient à faire des bornes en plus mais nous n’avons pas le choix, petit dej’ et puis un bon gros grain nous rattrape, pluie, rafales, mais maintenant je commence à être habituée, même pas peur, autant ne pas avoir peur parce que ça fatigue, j’ai prévenu le capitaine que j’ai bien fermé tous les hubli, ça le fait sourire (yeap), on se demande si on va prendre un ris, le capitaine a mis son ciré et est debout dans le cockpit à prendre le vent et la pluie comme Georges Clooney dans En pleine tempête (aaaah ! Geooooorges !), et puis il rentre, pas besoin de ris, on n’est pas des mauviettes, on a 34 nœuds et on avance à 10/11, on se dit que c’est toujours ça de pris, le grain passe, le vent se calme, on continue notre route en surveillant le ciel qui nous entoure de nuages qui sont autant de promesses de pluie, on a 18/22 nœuds qui nous font avancer à 6/7, on est au bon cap et on a la houle pile derrière qui nous porte, royal, on hésite à mettre le spi au vu des nuages qui annoncent d’autres grains, je laisse le capitaine hésiter autant que faire se peut (le temps que le vent remonte et que ça soit cuit pour le spi)(gagné, ça économise nos énergies), il y a des nappes de sargasses qui flottent, on n’en a jamais vu autant, on ne met pas l’hydrogénérateur pour ne pas risquer qu’elles se prennent dans ses hélices et le flinguent, un jour de plus qui est passé au rythme de toutes ces considérations autour desquelles notre vie tourne sur le bateau
Jour 12
Aaaaah voilà qui fait plaisir, depuis hier midi et toute la nuit, vent à 18/20 nœuds avec tout de même des pointes à 25 voire 28, même en dormant on sent la différence dans les mouvements du bateau et on se retrouve sur le pont en 4ème vitesse avec le capitaine pour voir si c’est un grain qui nous tombe dessus ou si on peut se recoucher, moi je rêvais que j’apprenais des trucs en VTT et le capitaine qu’il conduisait une locomotive, pour dire que ça bouge bien, on s’est recouché à chaque fois, même pas besoin de manœuvrer, on est pile sur le cap, il nous reste deux jours de navigation avant d’arriver (🤞)
En plein petit dej le capitaine se lève, comme une envie pressante, il doit, toutes affaires cessantes, détendre la retenue de bôme et border un peu la grand voile (lui il écrit « GV » dans son journal de bord qui est un cahier d’école alors que j’ai acheté un beau journal de bord avec une ancre sur la couv’, allez comprendre) GV trop ouverte que ça va l’abîmer contre la barre de flèche et les haubans, ça ne peut visiblement pas attendre, il y va sans mettre de gilet de sauvetage et encore moins de harnais, je le guette du coin de l’œil en me répétant ce que je devrais faire s’il tombe à l’eau, la chose restant possible avec le bateau qui roule toujours autant
- lancer le truc avec un ballon rouge qui flotte (le truc moche à l’arrière qui gâche mes photos)
- dévaler vers la table à carte pour appuyer sur le bouton MOB (Man Over Board) qui notera la position fatidique sur le GPS
- Appuyer sur le bouton distress ou pas ? je me le demande parce que si j’attends que quelqu’un soit à portée de nous pour lui demander de l’aide, je perds un temps précieux … idem pour faire un mayday, le temps que je me remémore comment marche la VHF … vaut mieux compter sur soi
- remonter à toute vitesse dans le cockpit et chercher des yeux le capitaine à l’eau
- ne probablement plus le voir parce qu’on avance vite et à cause de la grosse houle
- ne pas paniquer
- enrouler la trinquette
- si on était sous génois bien sûr que ça serait enrouler le génois, ne m’interrompez pas quand j’explique
- enlever la retenue de bôme
- mettre le moteur en marche
- faire demi tour pour rebrousser chemin vers le point MOB du GPS, en virant et pas en empannant malheureuse !
- retrouver le capitaine
- arriver tout doucement vers lui pour le repêcher parce que si j’arrive précipitamment dans la perspective de le repêcher au plus vite, il ne réussira pas à grimper dans le bateau
- je pense qu’il vaudrait mieux que je coupe le moteur en arrivant près de lui pour éviter qu’il ne se fasse broyer les jambes par les hélices (je vais lui demander c’est plus sûr)(j’ai moyennement envie de le voir dans un fauteuil roulant)
- le récupérer en lui tendant une main secourable, un soleil couchant en fond de ciel pour faire joli
- lui faire signer un billet de reconnaissance éternelle que je lui brandirai sous le nez à chaque fois que j’aurai envie de quelque chose (le pouvoir m’aura rendue capricieuse)
Sinon, j’ai encore des carottes fraîches alors je fais une salade de carottes râpées, je demande une fois de plus au capitaine s’il préfère que je les râpe fin ou plus gros, il me répond comme tu veux mais j’insiste car voyez-vous, en préparant le bateau pour la grande aventure, j’avais acheté une râpe à carottes qui s’était révélée être une râpe à fromage (je n’en reviens pas moi-même de la méprise grossière), je ne vous dis pas la bouillie de carottes râpées que je lui ai servie, c’est fou ce qu’à un détail près, c’est bon ou pas, beau ou moche, insignifiant ou mémorable, du coup chez le Chinois de Sal j’ai acheté une vraie râpe à carottes et je peux râper fin ou plus gros, bon, alors je propose, en mangeant je lui explique que je ne mets plus de moutarde dans la vinaigrette parce que celle que j’ai acheté aux Canaries n’est pas bonne, il doit y avoir du sucre dedans ou que sais je, ça gâche la salade et s’il y a bien quelque chose que je déteste, c’est gâcher le bon manger, et puis je me mets à rire (v. intr. montrer sa gaieté par des mouvements de la face et de la bouche accompagnés de sons saccadés) (je vous défie d’inventer une belle définition de rire), le capitaine veut savoir ce qui me rend hilare de la sorte, je lui dis que je me rappelle qu’un de mes cousins se faisait des tartines de moutarde et que j’imagine sa tête si je lui servais à manger des tartines de moutarde, ça lui arrache un petit sourire, on pourrait croire que ce sont tous ces jours de navigation qui me rendent comme ça (con) mais non, je revendique, je me bidonne encore longtemps en imaginant la tête du capitaine si je lui servais des tartines de moutarde, les petites joies qui ne coûtent pas cher
on a encore eu un grain l’après-midi
un petit arc-en-ciel 🌈 un peu plus tard

J’ai dit au capitaine bon, quand on repêche un homme à la mer, est-ce qu’on coupe le moteur en arrivant près de lui pour éviter qu’il ne se blesse avec l’hélice ?
- mais pas besoin du moteur, tu le récupères à la voile
Mais bien sûr
- ouais, bon, mais disons qu’on doive le faire au moteur, on l’éteint pour récupérer le bonhomme ?
- (air dépassé par les événements) m’enfin non, tu le mets au point mort, tu ne coupes pas le moteur !
mais quand est-ce que j’aurai ce genre de réflexe qui coule de source ?!
Jour 13
Alors hier soir, quand il faisait déjà bien nuit, vers 21h de la Martinique parce que le capitaine a dit qu’il faut s’habituer, chef oui chef, nous décidâmes de prendre un ris selon le calcul suivant : nous allons trop vite, et à cette vitesse nous arriverons nuitamment au mouillage de Ste Anne, mauvaise pioche, donc manœuvre nocturne, pas bien compliqué mais toujours délicat avec cette grosse houle qui nous fait marcher comme si on avait 6,5 grammes dans le sang, pour nous récompenser de cet effort monumental, le capitaine a dit que ça méritait une bière et chance, on en a (c’est pas de la chance mais de la prévoyance) et on a même du saucisson et des chips parce que, rappelez vous, quand on avait eu notre premier mal de mer on avait eu envie de chips et de saucisson pour remonter la pente, et comme, d’une part j’ai bonne mémoire, et de l’autre je prends mes précautions, nous sommes désormais fournis d’une petite quantité fort précieuse de ces aliments honnis par les puristes alimentaires, mais la Voie du Tao c’est la Voie du milieu, c’est ma voie, alors zou, une bibine avec du sauc’ et des chips (un tout petit paquet à deux) (pfff, frustration), ça montre qu’on arrive bientôt et qu’on se détend
on a encore eu un grain juste après, heureusement que ça n’était pas plus tôt car ça nous aurait tout détrempé les chips, le détail qui vous fait craquer alors que vous aviez surmonté les pires avanies auparavant (on notera ma propension à grossir le trait)
et puis encore un grain dans le courant de la nuit, heureusement qu’on n’a pas mis le spi, idée qui avait tout naturellement traversé la tête du capitaine, mais j’avais poussé des hauts cris, avec un vent à 22/25 et des grains avec des rafales à au moins 28/30, ça voudrait dire affaler le spi dans l’urgence, non merci, juste pendant que je vous écris on a encore un grain

On a doublé un voilier polonais cette nuit, malgré 2 ris et la trinquette, mais le secret c’est que le capitaine sait régler les voiles à la perfection, alors il double tout le monde (il a fait de la régate en compète, c’est un vrai champion, quand j’ai vu de manière impromptue qu’il avait des titres, je lui ai demandé pourquoi il ne me l’avait pas dit, il a haussé les épaules et c’est tout, j’ai dû lui arracher de la bouche quelques maigres détails sur le sujet)
Sinon, un seul petit poisson volant pris au piège des feux de navigation cette nuit, comme un papillon dans les phares d’une auto, ai l’impression que plus la lune se remplit, moins il y a de poissons volants dans le bateau le matin, devrais demander des témoignages d’autres bateaux pour en tirer des conclusions (encore que ça intéresserait qui à part moi ?)

Un petit grain le matin, un autre l’après-midi, une houle plus forte que les jours précédents qui fait dire qu’on sera content d’être arrivés, on grignote du terrain sur un voilier, je le fais remarquer au capitaine qui tempère mes élans en disant qu’il va peut-être plus vite que nous, ce à quoi je réponds du tac au tac que si c’était le cas on ne le verrait toujours pas, il acquiesce, c’est lui qui m’avait sorti cette réponse dans une situation identique quand j’avais fait la même réflexion que lui, il se plaint que je ne l’écoute pas, mais si, la preuve
Ça y est, on a encore gratté un voilier, la virgule à l’horizon, pourtant ce n’est pas au programme d’aller vite, le programme c’est d’arriver demain matin quand il fera jour, cette nuit ça va être des vrais quarts parce qu’à l’approche de la terre il faut de la surveillance
On n’a plus que 3000 mètres de fond sous nous, ça remonte progressivement, je me demande jusqu’à quelle profondeur l’être humain a été voir, et je le demande au capitaine qui ne sait pas me répondre avec exactitude (oooh ils sont allés loin), j’irai regarder sur internet et je vous dirai (si ça vous intéresse)

Des fois il y a des étoiles, on dirait qu’elles ne sont pas accrochées dans le ciel, on dirait qu’elles flottent, ballotées par le vent (peut-être que c’est ma vision qui débloque)
13 jours, 18 heures et 30 minutes
On a jeté l’ancre, arrivés au petit matin après avoir peu dormi, nous avons un peu tourné le long de la côte pour attendre le soleil et y voir clair, le moteur a calé plusieurs fois, heureusement pas pendant que le capitaine descendait l’ancre et que j’y étais, au moteur, plus tard on a vu arriver des bateaux dont on ne connaissait que les noms pour les avoir vus à l’AIS ou les avoir entendus à la VHF, on s’est fait des grands signes de loin, et puis on a pris un petit déjeuner et une douche sur la jupe arrière sans avoir besoin de s’attacher, il y a un peu de houle au mouillage mais tellement peu par rapport à ce que nous avons eu que c’est incroyablement reposant … je me dis qu’on l’a fait, ça fait drôle, et puis comme j’y étais je me dis que vraiment, mais vraiment, tout le monde peut le faire, il suffit de l’idée, il suffit de l’envie, il suffit de la curiosité de savoir ce qu’on vaudra dans la situation …
Pour que tout soit bien clair :
- Se défenestrer les tympans : tympans qui se décollent sous les vibrations musicales et tombent des oreilles (je demanderai à un ORL si c’est déjà arrivé)
- le dispositif de self tailing couronne les winchs modernes pour assurer le guidage du cordage et permettre à un seul équipier de tendre un cordage dans toutes les conditions (autrement dit, c’est un truc où on coince le cordage)
- Les bastaques relient un point du mât à l’arrière du bateau, empêchant le mât de basculer vers l’avant
- Quand on empanne : voilà ce que nous on a à faire : on enroule le génois (ou la trinquette) pour démonter le tangon et le bras qu’on passe tous deux de l’autre côté, on enlève la retenue de bôme, on ramène la grand voile et son chariot presque au centre, puis empannage le plus délicat possible (si on ne fait pas comme ça la bôme passe hyper brutalement d’un côté à l’autre et ça déglingue le matos), puis on règle la grand voile, on tangonne le génois ou la trinquette de l’autre côté, on déroule, on règle tout ça et voilà, au mieux ça prend 15/20 minutes
- Les grains sont des phénomènes météorologiques qui ont lieu lorsque 2 masses d’air aux propriétés différentes se rencontrent et s’accrochent sur un front ( front froid en général ). Cela se traduit par une très forte variation de la vitesse du vent sur une période très courte (sur 10 minutes quelques fois !!! )
- Victor Vescovo, américain de 53 ans, a été en sous-marin à 10.927 mètres de profondeur, dans le royaume des abysses où l’homme n’était jamais allé jusqu’à présent, il a touché le fond de la fosse des Mariannes, dans l’Océan Pacifique en mai 2019, il a trouvé, posés sur le sol de l’océan Pacifique … un sac plastique et des emballages de bonbons
- Un banc de poissons volants

Yer va très bonne traversée finalement 💫⭐️🌟la pluie était elle chaude ou froide ?
J’adore tes définitions 😉😉👏👏👏
Bons gros bisous à vous 💝💝💝💝
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l’eau était plutôt froide avec le vent à 30 nœuds, on supportait aisément les cirés ! on vous embrasse fort avec plein d’amour ❤ ❤ ❤
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*14 jours sur un bateau entre ciel et mer, avec un beau capitaine, le confort où tout est prévu pour un séjour de rêve, des poissons volants qui de nuit s’échouent sur le bateau, au rythme des cycles lunaires….quel romantisme, c’est superbe!
*14 jours sur un bateau entre ciel et mer; avec de la grosse pluie, une houle qui tantôt nous pousse, tantôt nous tire, les nausées plus ou moins contrôlées, la peur de passer par dessus bord tant ça brasse ou pire de se retrouver seule et devoir chercher à récupérer le capitaine! Quelle anxiété, c’est affreux!
Le même bateau, le même ciel et la même mer! Les jours se suivent et ne se ressemblent pas! Vrai, mais notre façon de vivre fait aussi toute la différence!
Je suis tellement contente de pouvoir te suivre, Isabelle, que je ne connais pas (sinon su Facebook dans ton rôle d’enseignante de la MTC! Et en même temps tellement surprise d’avoir accès à cette aventure complètement impossible à imaginer dans mon univers! Tes écrits sont si vrais! Je trouve ça fascinant!
Merci pour tes superbes photos où le bleu domine toujours, les vidéos pour mieux nous montrer le calme et la force des vagues et des nuages. Et face à cette surprenante cuisinière qui seule reste parfaitement à l’horizontale, danses-tu en préparant les tisanes capables de sauvegarder votre équilibre et votre sérénité ?
. Et au ciel, ton étoile te suit!
✨✨✨Bonne et heureuse année 2022! ⭐️✨✨
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merci Marithé, tes messages sont une source infinie de bonheur, merci pour ces cadeaux que tu me fais, merci du fond de mon coeur, du fond de mon être (je ne sais pas où sont les smileys sur ce site mais je t’envoie moult arcs en ciel, cœurs et mains jointes)
je te souhaite une année magnifique, comme toi, de l’amour et de la joie, des moments simples et heureux, et des émotions, et des beaux ciels et des odeurs à respirer, et je t’embrasse de mes deux bras pour te serrer contre mon cœur, isabelle
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Ohlala Isabelle! Quel beau et chaleureux message!
🤩 🙏🏽 🤩 💖 💖 💖 💖
Sans oublier ton étoile 🌟 ⭐️ 🌟
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